Jour de violence à Taksim

Nouvelle manifestation ce samedi, nouvelles violences à Istanbul. Chaque week-end depuis la fin de l'occupation du parc Gezi fin mai, qui a lancé un vaste mouvement de contestation contre la politique du gouvernement Erdogan, des milliers de manifestants foulent les rues autour de la place de Taksim. Au bout d'une heure de sit-in et de bataille d'eau, les policiers ont chargé, matraques en avant et gaz lacrymogène à l'appui. 
Récit en images. 

Vers 17h30, Taksim commence à se remplir sur ses abords : les accès au centre de la place, autour de la statue, sont gardés par la police. Les photographes attendent que la foule grandisse du haut de la terrasse des commerces avoisinants. Les féministes et les associations LGBTI sont les premières à attirer l'attention avec un sit-in juste en face d'une ligne de boucliers en reprenant des slogans contre la brutalité policière. 

"Polis şiddetine son" : Pour la fin des brutalités policières 

Quelques mètres plus bas, une dizaine de personnes se lancent dans une bataille d'eau à l'aide de gros pistolets colorés, avec le soutien joyeux des vendeurs de rue d'eau qui crient "Su ! Su !". Une réponse légère au jouet des policiers, le Toma, canon à eau mélangée à du gaz lacrymo, hantise des manifestants depuis le début des protestations. 

D'autres s'amusent à parodier "Hüloooğ", l'expression d'une femme - qui ne veut rien dire mais est juste drôle -, déclamée dans un congrès de l'AKP, le parti au pouvoir. Elle fait fureur dans les dernières manifestations (ne manquez pas les versions Pokémon ou Goat) et sur les murs de la ville.

Pendant ce temps, les policiers poussent la foule hors de la place, bloquant progressivement les côtés. L'ambiance se tend, les manifestants migrent alors pour la plupart vers la rue Istiqlal et ses nombreuses ramifications. 

Au pied de l'immeuble du parti d'opposition CHP (Parti républicain du peuple), ils lancent des slogans, scrutent les environs, le masque à gaz autour du cou. Quand soudain, tout le monde détale dans les petites artères, mouvement de foule qui précède les premières émanations nocives. 

Pendant une heure, l'avenue Istiqlal est prise et enfumée par les policiers. Les moins équipés se planquent dans les étages des bâtiments et filment les manoeuvres policières des fenêtres. Au bout d'une demi-heure et trois arrêts dans des bistrots qui ouvrent leurs portes, offrent à boire et un peu de répit - "Today it's resistance day, not a service day" dit une gérante - direction un café de la place Taksim pour observer l'évolution de la situation. Les forces de police sont présentes en masse, empêchant les manifestants d'atteindre la place, déplaçant des machines de construction, filtrant les passages. 

Dans l'après-midi, Hüseyin Avni Mutlu, gouverneur de la ville, a annoncé que le parc Gezi sera réouvert ce dimanche, mais en y interdisant d'ores et déjà toute manifestation. Les Stambouliotes restent méfiants et mobilisés. Ils exigent surtout que l'espace soit disponible mardi, pour pouvoir y fêter l'iftar, le premier jour du Ramadan.

La vidéo qui aura le plus choqué l'opinion publique ce jour-là est celle d'un homme muni d'une machette et attaquant une jeune femme au coin d'une rue. Elle est à voir ici, sur Hurriyet, un des seuls médias qui a couvert intégralement les événements. 

Attaques de manifestants au bâton par des hommes en civil, beaucoup d'arrestations décomptées et à nouveau, très peu de chaînes s'en sont fait l'écho. Oda TV a dénoncé cette censure avec une image qui résume l'imposture : une émission sur le Botox sur NTV, un documentaire de découverte du monde sur CNN Türk, sur les Tigres de Sibérie sur Sky Türk 360 et un entretien avec le ministère des Affaires religieuses sur Habertürk (lien de l'article). 

Les ambulances, sirènes de police et klaxons de taxi résonnent encore dans la nuit. 

Toutes les images de la journée disponibles sur Flickr

Edit (9 juillet 2013) : Le parc Gezi a effectivement réouvert quelques heures dimanche après-midi mais il a été fermé dans la soirée par la police, provoquant de nouvelles manifestations réprimées.