La Birmanie a une longue histoire de résidents fuyant vers les pays voisins les dangers auxquels ils sont confrontés. Cela remonte au coup d'État militaire de 1962 du général Ne Win. Jusqu'à la fin de son règne en 1988, il a mis en œuvre une politique appelée "la voie birmane vers le socialisme", qui fait référence à une tentative du dirigeant autoritaire d'établir une société socialiste par la nationalisation à grande échelle de l'industrie et la collectivisation de l'agriculture. Toutefois, cette politique est largement considérée comme un échec car elle était antidémocratique et a coïncidé avec une période de fort déclin économique en Birmanie. Cette politique, en plus des conflits civils existants, a poussé des millions de personnes à fuir vers différents pays, notamment vers la Thaïlande, où vit la moitié de la diaspora. Depuis le milieu des années 1980, neuf camps de réfugiés ont été créés à la frontière thaïlandaise, qui accueillent toujours environ 90 000 personnes originaires de Birmanie. Coincées derrière des barbelés, elles ne peuvent pas sortir pour travailler ou étudier et la plupart n'ont plus rien à retrouver dans leurs régions d'origine.

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Les réfugiés de Birmanie sont confrontés à l'hostilité constante du gouvernement thaïlandais, une hostilité ancrée dans la loi. En 1951, la Thaïlande a choisi de ne pas signer la Convention des Nations Unies sur les réfugiés, qui définissait les obligations des pays envers les réfugiés, et n'a pas non plus participé à une convention de suivi en 1967. Un élément crucial de la convention de 1951 est le principe de non-refoulement qui exige que les pays ne renvoient pas les demandeurs d'asile dans leur pays d'origine s'ils risquent d'être persécutés. En outre, la loi sur l'immigration de 1979 confère aux fonctionnaires de l'immigration des pouvoirs presque illimités lorsqu'ils traitent des non-ressortissants en Thaïlande. Cela force de nombreux migrants originaires de Birmanie à traverser la frontière pour retourner dans leur pays, un acte dangereux qui fait courir à beaucoup le risque de mourir. Bien qu'il se soit engagé à respecter le principe de non-refoulement et à fournir une aide humanitaire suffisante aux dizaines de milliers de personnes réfugiées le long de la frontière, le gouvernement thaïlandais a été vivement critiqué pour ces constants retours forcés.

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Le 7 octobre 2022, Daw Thing Gi Soe a tenté de regagner à la nage la rive birmane du fleuve Moei / Thaungyin, la frontière naturelle entre la Thaïlande et la Birmanie, pour échapper à un raid de la police thaïlandaise. La jeune infirmière de 25 ans s'est noyée, laissant un fils de quatre ans orphelin de mère quelque part dans le Kayah, l'Etat à l'est de la Birmanie peuplé de populations karen. De nombreux patients vont aussi manquer de ses soins. En raison de sa participation au Mouvement de désobéissance civile (MDC) après le coup d'Etat à Nay Pyi Daw, elle a été poursuivie par le régime de la junte birmane menée par le général Min Aung Hlaing et a dû démissionner de l'hôpital dans lequel elle travaillait. Cela l'a amenée à se cacher près de la frontière. Dans ses derniers instants, elle a été poursuivie par des policiers alors qu'elle se rendait au marché de Mae Thanh, dans le district de Tha Song Yang, dans la province de Tak, pour faire des provisions alors que tout manque en Birmanie.

Une tragédie similaire s'était produite une semaine auparavant. Plus de cent étudiants karen réfugiés du côté thaïlandais de la frontière ont été contraints de retourner en Birmanie en traversant la rivière en crue sous une pluie de mousson battante. Une vidéo montre que le bateau transportant les étudiants est entré en collision avec un autre bateau et a failli couler. Les étudiants fuyaient le conflit entre la brigade 6 de l'Union nationale karen (KNU), l'armée de défense des peuples karen, et les forces militaires du Conseil administratif de l'État (SAC), qui ont pris le pouvoir depuis février 2021.

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Depuis la répression politique de 2021, il y a eu une forte augmentation du nombre de Birmans cherchant un refuge temporaire dans les pays voisins, notamment en Thaïlande. Le HCR estime que plus de 70 000 réfugiés ont fui le Myanmar vers les pays voisins depuis le coup d'État. Les personnes qui cherchent refuge sont issues de tous les milieux et comprennent des travailleurs à cols blancs et à cols bleus, des étudiants et des familles, des membres du MDC et des PDF (forces de défense populaires). Les défis politiques et économiques poussent les gens à se retrouver dans une situation vulnérable à leur arrivée en Thaïlande, car ils doivent accepter des emplois informels sans protection sociale et risquent d'être arrêtés à tout moment. Des milliers de personnes vivant le long de la frontière doivent aussi constamment trouver des endroits pour s'abriter des frappes aériennes de l'armée birmane en se déplaçant le long des rives du fleuve.
"Le gouvernement royal thaïlandais devrait examiner son propre rôle contribuant à la création de réfugiés plutôt que de les forcer à retourner dans un environnement dangereux", a condamné The European Karen Network dans un communiqué. Le 25 octobre 2022, le gouvernement thaïlandais a publié la loi sur la prévention et la répression de la torture et des disparitions forcées B.E.2565 (2022) dans la Gazette royale. Cette nouvelle loi comprend une disposition codifiant le principe de non-refoulement, qui interdit le retour forcé d'une personne dans un pays où elle risque d'être soumise à la torture ou à d'autres formes de mauvais traitements.
"Cette nouvelle loi rendra illégal le fait que les autorités thaïlandaises repoussent les réfugiés vers la Birmanie, où la junte torture systématiquement les gens", a déclaré Amy Smith, directrice exécutive de Fortify Rights. "Les autorités thaïlandaises doivent de toute urgence les identifier et leur accorder une reconnaissance légale afin d'empêcher les retours forcés". La Thaïlande a récemment annoncé sa candidature au Conseil des droits de l'homme (CDH) de l'ONU pour le mandat 2025-2027. Les groupes de défense des droits de l'homme ont appelé le pays à reconnaître légalement le statut des réfugiés.
Cet article a été produit par Nicha Wachpanich et Laure Siegel du collectif Visual Rebellion Myanmar qui a publié la version initiale en anglais.