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Billet de blog 20 novembre 2022

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Les Philippines et l'Indonésie renforcent leur relation au sein de l'Asie du Sud-Est

Le 5 septembre 2022, Ferdinand Marcos Jr, nouveau président des Philippines, a consacré sa première visite d'État au président de l'Indonésie, Joko Widodo. Les deux présidents ont discuté de la sécurité maritime, de la croissance économique, des accords de coopération commerciaux, ainsi que de la situation géopolitique délicate de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE).

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L'Indonésie est considérée comme le leader de l'ANASE, et les Philippines, sous la dictature de Ferdinand Marcos, le père de l'actuel président, ont été l'un des membres fondateurs de l'association en 1967. Au cours de leur rencontre de quatre jours, les deux présidents, surnommés Bongbong et Jokowi, ont évoqué les dossiers cruciaux de la région et renforcé la relation entre les deux pays, poids lourds sud-est asiatiques. 

Illustration 1
© tirto.id

Souveraineté maritime  

Le nouveau dirigeant philippin, qui succède à Rodrigo Duterte (2016-2022) semble maintenir une politique diplomatique active envers l'Indonésie, une relation qui a débuté en 1949. Au cours de cette période, plus de vingt accords bilatéraux ont été signés entre les deux pays.  

L'Indonésie et les Philippines jouent un rôle stratégique dans la sécurité maritime de l'Asie du Sud-Est en raison de leur position entre l'océan Indien et l'océan Pacifique, où passe la moitié du trafic maritime mondial, ce qui en fait une priorité pour la région.  

L'une des questions problématiques reste le différend en cours dans la mer de Chine méridionale. Les Philippines, comme d'autres pays d'Asie du Sud-Est tels que le Vietnam, la Malaisie et le Brunei Darussalam, sont un des Etats demandeurs dans le conflit de la mer de Chine méridionale qui les opposent à la Chine et à Taiwan. Le conflit en mer de Chine méridionale est une question géopolitique cruciale qui pourrait affecter la sécurité et la souveraineté de la région. L'Indonésie, cependant, n'est pas officiellement un État demandeur, ce qui fait de Jakarta un modérateur neutre entre Pékin et Manille.

En outre, contrairement à d'autres pays comme la Malaisie, qui a un conflit politique controversé avec les Philippines concernant la région de Sabah sur l'île de Bornéo, Jakarta n'a pas de conflit ouvert avec Manille, ce qui fait de l'Indonésie un pays voisin "sympa" pour discuter et partager des informations. 

Sécurité des frontières  

Jokowi et Marcos Jr. ont convenu de revoir les deux accords sur la sécurité des frontières. Cette révision permettra d'ajouter un accord de patrouille sur la frontière entre les Philippines et l'Indonésie. L'accord prévoit que les Philippines se procureront des armes en Indonésie, ainsi qu'un plan d'action diplomatique quinquennal. En outre, les deux présidents souhaitent accélérer les négociations sur la délimitation de la zone continentale sur la base de l'accord UNCLOS de 1982, qui se poursuivent depuis des années. En 2014, lorsque les deux pays ont fixé l'accord sur la ZEE (Zone économique exclusive), le ministre indonésien des Affaires étrangères Retno Marsudi et son homologue philippin Rene D. Almendras ont décidé de faire avancer ce dossier.  

En outre, Jokowi et Marcos Jr. ont présenté l'accord sur les activités de coopération dans le domaine de la défense et de la sécurité (DSCA), qui fait partie du plan d'action Philippines-Indonésie 2022-2027. Le DSCA est un accord de coopération militaire conclu entre l'Indonésie et les Philippines en 1997. Enfin, les présidents ont discuté de l'accord de coopération trilatérale (TCA) entre l'Indonésie, la Malaisie et les Philippines afin de renforcer la sécurité dans la région.  

Coopération économique  

Sur le plan économique, les deux dirigeants ont discuté d'une éventuelle augmentation des exportations. Les deux pays ont connu une augmentation de 50 % de leurs exportations au cours de l'année dernière. Cependant, le président indonésien a suggéré, avec le soutien de Marcos Jr, des investissements pour développer une meilleure connectivité commerciale en activant la route stratégique-commerciale Roro Bitung-Davao. En outre, Jokowi souhaite accroître le niveau de coopération en matière d'infrastructures. Deux projets importants concernent les navires d'accostage ainsi que la signalisation ferroviaire dans la ville de Manille. Un protocole d'accord (MOU) pour la coopération sur le développement et la promotion de l'économie créative a aussi été signé afin d'accroître l'échange de connaissances dans les médias numériques et l'architecture. 

Avenir de l'ANASE 

La réunion a également permis d'avoir un aperçu essentiel de l'avenir de l'ANASE. Dans une période de tension géopolitique et de crise économique, les dirigeants de l'ANASE, selon Jokowi et Marcos Jr, devraient concentrer leur énergie sur la sécurité et la prospérité de l' ANASE. En effet, selon Jokowi, l'ASEAN a besoin d'une bonne coopération pour la mise en œuvre des perspectives de l'ANASE sur l'Indo-Pacifique.  

Illustration 2

La visite de Marcos Jr. en Indonésie a été marquée par des contributions et des échanges de vues significatifs entre les deux pays, notamment en matière de sécurité et d'économie. Bongbong a décidé de donner la priorité à l'Asie du Sud-Est lors de sa première visite d'État, malgré les relations politiques solides que les Philippines entretiennent à la fois avec les États-Unis et avec la Chine. En honorant l'Indonésie, considérée comme le moteur et le leader de l'ANASE, association que le pays présidera à partir de 2023, le nouveau président philippin lance le signal fort d'un agenda centré sur la région.

Dans cette politique de coopération diplomatique, il faut toutefois tenir compte de la politique intérieure des deux pays. En effet, les Philippines et l'Indonésie connaissent et ont connu une détérioration de leur démocratie. Après six ans sous la coupe de Rodrigo Duterte et de sa sanglante politique de guerre contre la drogue ainsi que sa campagne de répression violente de ses opposants politiques et des journalistes, les Philippines se retrouvent maintenant dirigées par le fils de l'ancien dictateur Marcos. En Indonésie, les manifestations massives et les affrontements avec la police contre des lois draconiennes telles que la révision du code pénal et du code du travail montrent que le pays doit travailler dur sur son identité politique, qui semble être en crise depuis le second mandat de Joko-Widodo.

Cet article a été co-écrit par Aniello Iannone, maître de conférences et chercheur à l'université de Diponegoro, étudiant en sciences politiques spécialiste de l'Indonésie et de la Malaisie, et Laure Siegel, correspondante pour Mediapart en Asie du Sud-est, dans le cadre de l'atelier "Training on Popularizing Research: A cross-sectoral approach on social movements in Southeast Asia" organisé en mai 2022 par Alter-Sea and Shape-Sea.