En mai 2023, Singapour était le troisième plus grand vendeur d'armes à l'armée du Myanmar, selon le rapport The Billion Dollar Death Trade du Bureau des droits de l'homme des Nations unies.
Le 29 octobre 2023 a marqué le millième jour depuis le coup d'État militaire du 1er février 2021 à Nay Pyi Daw. Dans cette période, l'Association d'Assistance aux Prisonniers Politiques de Birmanie a recensé 4 160 morts dans tout le pays et le compteur de la mort continue de tourner sans répit.

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La semaine précédente, la "Blood Money Campaign" (BMC), menée par la diaspora birmane, a adressé une lettre ouverte aux représentants des ambassades de Singapour dans vingt-quatre pays. Elle demande que des sanctions soient prises pour mettre fin aux investissements directs et indirects qui permettent le transfert d'armes à l'armée du Myanmar.
"Le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l'homme au Myanmar a récemment révélé que Singapour était le troisième fournisseur d'armes et d'équipements à l'armée du Myanmar depuis sa tentative de coup d'État, dans le cadre d'un commerce évalué à 254 millions de dollars provenant d'au moins 138 entreprises singapouriennes", indique la lettre ouverte soumise par la BMC.
La lettre a été signée par près de 29 000 personnes et approuvée par des organisations de la société civile locales et internationales avec les mots-clés #DoMoreSingapore! et #NoMoreDirtyDeals.
Selon le rapport de l'ONU, les principales sources d'approvisionnement en armes de l'armée du Myanmar sont respectivement : Russie, Chine, Singapour, Inde et Thaïlande. Ce matériel comprend des hélicoptères d'attaque, du kérosène, des radars, des systèmes de missiles avancés et un large éventail de "biens à double usage", c'est-à-dire des produits civils qui peuvent être utilisés à des fins néfastes lorsqu'ils se trouvent entre de mauvaises mains, qu'il s'agisse de produits chimiques ou de drones.

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Thomas H. Andrews, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l'homme au Myanmar, est très clair à ce sujet : "Si le gouvernement de Singapour mettait fin à tous les envois d'armes et de matériel connexe destinés à l'armée du Myanmar et à la facilitation de ces envois à partir de sa juridiction, la capacité de la junte à commettre des crimes de guerre s'en trouverait considérablement perturbée. L'armée du Myanmar et ses marchands d'armes ont compris comment déjouer le système. Cela s'explique par le fait que les sanctions ne sont pas appliquées de manière adéquate et que les marchands d'armes liés à la junte ont pu créer des sociétés écrans pour les éviter."
Andrews a souligné qu'aucun État membre n'avait imposé de sanctions à la Myanmar Foreign Trade Bank (MFTB) depuis le coup d'État. "Mes conclusions démontrent que la MFTB n'est pas seulement importante pour recevoir des devises étrangères, mais qu'elle est aussi largement utilisée par la junte pour acheter des armes. Elle devrait être une cible privilégiée des sanctions internationales".
Devant l'ambassade de Singapour à Bangkok, huit manifestants birmans brandissant des pancartes ont lu la lettre ouverte à haute voix en birman. Ils avaient limité leur manifestation conformément aux exigences de l'ambassade, mais ont déclaré qu'il y avait beaucoup plus de sympathisants résidant en Thaïlande prêts à soutenir leur action.
Shein Aung, représentant de la campagne "Blood Money" et travailleur migrant en Thaïlande depuis de nombreuses années, a expliqué que si des millions de Birmans ont cherché refuge en Thaïlande à la suite du coup d'État, leur rêve est de rentrer chez eux et d'avoir une société plus démocratique. "Nous ne pouvons même pas soumettre cette lettre à l'ambassade de Singapour au Myanmar, car l'action démocratique publique est impossible dans notre pays".
Issu de l'ethnie majoritaire Bamar, l'homme de 36 ans a ajouté qu'en dépit des actions désespérées menées par la diaspora birmane auprès de la communauté internationale, les différents pays ont adopté des positions politiques différentes sur la question du Myanmar. En Thaïlande, son équipe a également tenté de soumettre des lettres d'appel à l'action aux ambassades de Chine et d'Inde, mais l'autorisation de le faire lui a été refusée.
Le lendemain d'une manifestation similaire par la diaspora à Singapour, Radio Free Asia a rapporté que les activistes anti-coup d'État à Singapour avaient vu leurs passeports annulés sans cérémonie. Aucune voie de communication officielle ne semble avoir été empruntée, et les personnes concernées l'ont appris par surprise, certaines ayant été informées par des fonctionnaires de l'immigration de l'aéroport qu'elles n'étaient plus en possession d'un document de voyage valide. Lorsque l'ambassade du Myanmar a été contactée pour obtenir des éclaircissements, le personnel de l'ambassade a nié avoir jamais reçu d'ordre de révocation de passeport. D'autres militants ont déclaré avoir été directement interrogés par la police singapourienne, ce qui laisse supposer une coopération étroite entre la junte du Myanmar et les autorités singapouriennes.
==> Lire cet article sur le People's Action Party (PAP), qui gouverne Singapour depuis 1959 grâce à un mélange de pragmatisme et d'autoritarisme (The Diplomat)

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À Bangkok, les forces de police thaïlandaises ont surveillées de près la campagne "Blood Money" réclamant de l'argent propre à Singapour, ainsi que l'action qui s'est déroulée le même jour devant le siège de l'ONU. Une journaliste birmane du collectif Visual Rebellion Myanmar raconte les coulisses de la manifestation devant l'ambassade :
"Cela a commencé vers 23 heures. Une quinzaine de policiers thaïlandais en uniforme se tenaient sur une plate-forme publique devant l'ambassade. Un autre groupe d'hommes parlant thaï et portant des costumes décontractés discutait à côté de l'estrade. L'un d'eux portait un tee-shirt blanc sur lequel le mot "SWAG" était imprimé en caractères gras. Ils observaient un groupe de manifestants du Myanmar : certains tenaient des banderoles, d'autres des copies de la lettre ouverte, d'autres encore s'entretenaient avec des journalistes thaïlandais. Certains portaient des masques pour cacher leur visage.
L'homme portant le T-shirt SWAG a demandé à une manifestante de lui montrer son passeport, puis à tous les étrangers présents. Un journaliste thaïlandais a expliqué que cet homme était un officier de rang supérieur à ceux qui portaient l'uniforme et que sa fonction l'obligeait à inspecter les passeports. Cinq policiers en civil observaient la scène depuis l'estrade, en discutant entre eux.
Après la manifestation, les jeunes manifestants ont mangé un déjeuner emballé composé de riz, de légumes et de viande hachée qui leur avait été fourni, puis ils ont marché jusqu'à la rue située entre l'ambassade et l'Asia Center. Certains policiers les ont suivis pendant qu'ils s'éloignaient."
Cet article a été écrit par Nicha Wachpanich et publié initialement en anglais sur le site du collectif Visual Rebellion Myanmar (VRM)
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter :
- La série "Chroniques d'une Birmanie en résistance" en français sur Mediapart en partenariat avec le collectif VRM
- "Les sommets politiques asiatiques ferment les yeux sur les sales affaires du Myanmar" (VRM - Novembre 2022)