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Cette élection a eu lieu après l’annonce de l'ex-premier ministre malaisien Sabri Yaakob en octobre 2022 de la dissolution du Parlement en direct à la télévision. Cette décision du gouvernement peut être considérée comme le nouveau chapitre de la crise gouvernementale en cours en Malaisie, que ce scrutin n’a fait que prolonger.
Le choc des GE 14
Une crise gouvernementale aiguë, qui trouve ses racines dans un massif scandale de corruption impliquant l'ancien premier ministre Najib Razak en 2015, s'est traduite par une surprise lors des précédentes 14e élections générales (GE14). En mai 2018, la coalition Barisan Nasional (BN), dominée par le parti UMNO (United Malays National Organisation), qui dirige le pays de facto depuis l'indépendance en 1957, a perdu les élections pour la première fois dans l'histoire politique contemporaine de la Malaisie.

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Mahathir Mohamad est redevenu premier ministre à 92 ans sous une nouvelle bannière, un poste qu'il avait déjà occupé de 1981 à 2003 lorsqu'il était loyal à une faction de la coalition BN. Le grand retour de Mahathir, considéré comme le père de la modernisation économique du pays et une figure clé de la politique sud-est asiatique, a bouleversé l'implantation à long terme de l'UMNO dans le pays. Selon Nadzri (1), la chute libre du BN est liée à la montée d'une opposition plus crédible par Mahathir, BERSATU et le parti Warisan, ainsi que la crise interne de l'UMNO et finalement aux scandales corrélés à Najib Razak. Ce changement de régime a signé l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement tenu par la coalition Pakatan Harapan (PH - Alliance de l'espoir).
En effet, à la célèbre coalition de partis d'opposition du Pakatan Rakyat (PR - Alliance du peuple), a succédé la nouvelle coalition multi-ethnique PH. La PH était composée de quatre partis, le Parti d'action démocratique (DAP), en lutte contre l'autoritarisme de l'UMNO depuis 1966 et en défense de la communauté chinoise, le Parti indigène uni de Malaisie (PPBM / BERSATU), d'obédience malay nationaliste, le People's Justice (PKR), un parti à majorité malaise mais multi-nationaliste, et le parti réformiste islamique Amanah Negara.
Néanmoins, le nouveau gouvernement mené par le PH s'est effondré après moins de deux ans en février 2020, lors de l’évènement du Langkah Sheraton ('Sheraton Move'). Après une réunion à l'hôtel Sheraton de Kuala Lumpur entre BERSATU et UMNO, BERSATU et une partie du PKR se sont sentis trahis par ces négociations en sous-main et ont quitté la coalition, ce qui a provoqué son effondrement. Cela donna le coup d'envoi de la crise gouvernementale en Malaisie avec la démission de Mahathir le 24 février 2020.
Le choix de Mahathir, ancien leader de l'UMNO, était vu comme le ciment nécessaire pour donner de la crédibilité à une coalition formée par des partis tels que le PKR et le DAP, en lutte contre le régime autoritaire du BN depuis les années 60, mais cela n'a pas suffi à combler la forte différence idéologique entre les partis au sein de la coalition PH, qui n'a pas réussi à s'accorder sur un programme commun au-delà d'une opposition de principe au gouvernement Najib.
La démission de Mahathir Mohamad en tant que premier ministre et la sortie des deux mouvements de Muhyiddin Yassin ont été suivis par le retour de l'UMNO et de la coalition BN avec Dato' Sri Ismail Sabri bin Yaakob en tant que premier ministre au cours de l'année 2021.

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L'incertitude des GE 15
Après la déclaration de Yaakob le 10 octobre 2022, la Commission électorale malaisienne a confirmé le 20 octobre la tenue des dernières élections générales (GE15) le 19 novembre. Ces élections représentent une nouvelle étape dans la crise institutionnelle que traverse la Malaisie. En effet, en moins de quatre ans, la Malaisie a vu trois coalitions différentes diriger le pays. En outre, la faible performance du PH lors des élections législatives à Sabah et Sarawak et la victoire du BN à Melaka et Johor pourraient également se reporter sur les prochaines élections générales, malgré les allégations de corruption contre des dirigeants de l'UMNO.
Un élément clé de ces élections est le fait que 21,1 Malaisiens ont eu le droit de voter au GE15, dont 1,4 million de primo-votants suite à un amendement constitutionnel qui a fait passer l'âge du vote de 21 à 18 ans. En outre, tous les électeurs ont été automatiquement inscrits, de sorte que l'électorat s'est accru d'environ 6 millions de personnes par rapport au GE14, soit 31 %.

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Malgré des pluies de mousson torrentielles, 71% de l’électorat s’est déplacé dans les bureaux de vote du pays.
Conclusion
Les récentes élections n'ont pas mis fin à la crise en cours depuis le putsch parlementaire “Langkah Sheraton”, qui a miné la confiance des citoyens envers la majorité des politiciens du pays. Après six décennies de monopolisation du pouvoir, la coalition historique BN et le parti UMNO ont perdu les faveurs de l'opinion publique lors de deux élections générales successives mais le GE 15 n’a pas résolu la fragmentation des partis politiques.
Pour la première fois dans l’histoire du pays, un vote réparti entre les coalitions n’a pas produit une majorité au Parlement, qui ne pourrait pas fonctionner correctement dans un pays plombé par la crise sanitaire de 2020/21 et l'instabilité politique.
Le résultat des élections n'est pas encore clair et les partis ont commencé le marchandage pour créer une majorité à 112 sièges, alors que les coalitions Perikatan Nasional (Alliance nationale - PN) dirigés par Muhyiddin Yassin et Pakatan Harapan (Alliance de l'espoir - PH) dirigée par Anwar Ibrahim, prétendent tous deux avoir les chiffres nécessaires pour gouverner, avec respectivement 73 sièges et 82 sièges. Le parti conservateur Islam Se-Malaysia (PAS - Parti Islamique Malaisien) est sorti victorieux des urnes dans les Etats ruraux du Kelantae et Tengganu tandis que la coalition sortante du Barisan National (BN-Front national) n'a remporté que 30 sièges mais cela leur suffit pour se positionner comme faiseurs de roi.
Le 24 novembre, Sultan Abdullah Sultan Ahmad Shah, chef d'État de la Malaisie, une des rares monarchies électives au monde, a tranché en faveur de Anwar Ibrahim, au poste de 10e premier ministre du pays. C'est un étonnant retour en force pour un vétéran de la politique malaisienne, tour à tour vice-premier ministre, prisonnier politique à deux reprises et leader de l'opposition mais il n'était pas immédiatement clair avec quels autres partis il allait s'associait pour former un gouvernement.
Le problème de fond reste un conflit idéologique entre et au sein de ces coalitions, principalement lié à des questions cruciales en Malaisie telles que la religion, et en particulier le Malayu-Islam, et l'ethnicité, les minorités indiennes et chinoises faisant les frais des ultra-nationalistes lorsqu’ils parviennent au pouvoir.

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(1) Nadzri, M.,M.,N.(2018) ‘The 14th General Election, the Fall of Barisan Nasional, and Political Development in Malaysia, 1957-2018’. Journal of Current Southeast Asian Affairs, 37 (3), 139-171
Cet article a été co-écrit par Aniello Iannone, maître de conférences et chercheur à l'université de Diponegoro, étudiant en sciences politiques spécialiste de l'Indonésie et de la Malaisie, et Laure Siegel, correspondante pour Mediapart en Asie du Sud-est, dans le cadre de l'atelier "Training on Popularizing Research: A cross-sectoral approach on social movements in Southeast Asia" organisé en mai 2022 par Alter-Sea and Shape-Sea.