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Après presque une année d'incertitude, la danse électorale peut commencer alors que le PDI-P, le parti de Jokowi, s'est rangé derrière , l'homme politique du peuple, qui devra représenter les Rouges et peut-être les mener à la victoire lors des prochaines élections. Le PDI-P (Partai Demokrasi Indonesia Perjuangan - Parti démocratique indonésien de lutte), a fait face à une scission idéologique interne causée par le choix du candidat qui représentera les Rouges aux prochaines élections.
S'il était clair que le PDI-P présenterait à nouveau la candidature de Jokowi à la présidence lors de la dernière élection en 2019, l'élection post-Jokowi a ouvert des débats au sein du PDI-P sur le choix du candidat. A 50 ans, Puan Maharani, petite-fille de Soekarno - premier président de la République d'Indonésie dont il a proclamé l'indépendance le 17 août 1945 et qu'il a gouverné jusqu'en 1967 - fille de l'actuelle présidente du PDI-P, Megawati Soekarnopoetri et actuelle présidente du DPR (Dewan Perwakilan Rakyat Indonesia), le Conseil représentatif du peuple, chambre basse du parlement indonésien, représentait la première option. En face d'elle, Ganjar Pranowo, 54 ans, l'actuel gouverneur de Jawa Tengah, qui est considéré comme le successeur naturel de Jokowi.
Le PDI-P reste et demeure un acteur majeur de la période post-Soeharto, puisqu'il est sorti vainqueur des premières élections post-régime en 1999. Soeharto (1976-2008) est l'homme fort qui a dirigé l'Indonésie d'une main de fer entre 1967 et 1998 après avoir perpétré un coup d'Etat militaire contre Soekarno, père fondateur de la nation. Le PDI-P a été fondé et est actuellement dirigé par Megawati Sukarnoputri, présidente de l'Indonésie de 2001 à 2004, et fille de Soekarno. Megawati a été évincée de la direction du Parti démocratique indonésien (PDI) par le gouvernement putchiste de Suharto en 1996. Elle a formé le PDI-P en 1999, après la démission de Suharto et la levée des restrictions sur les partis politiques.
Premier président à être élu au suffrage universel direct, Susilo Bambang Yudhoyono, surtout connu par ses initiales SBY, lui a succédé entre 2004 et 2014. Le PDI-P est revenu au pouvoir dans la dernière décennie sous la férule de Jokowi (2014-2024).
Le transfert du pouvoir de Soeharto à Habibie en 1998 coïncide généralement avec la fin du régime militaire autoritaire et le début de la transition démocratique qui, en Indonésie, sont identifiées par le terme "reformasi". Ce processus est de mon point de vue, toujours en cours, voire a évolué, vers quelque chose de plus compliqué : un véritable système de sultanat basé sur le parti avec une forte rhétorique soit nationaliste, soit islamo-nationaliste.
Le choix du futur candidat avait initialement divisé le parti. D'une part, une fraction informelle, le Dewan Kolonel (Conseil des Colonels), s'était formée. Cette fraction, née au sein du PDI-P et composée des principaux membres du parti, était et est toujours favorable à Puan Maharani comme futur candidate à la présidence. En réaction, une autre fraction a formé le Dewan Kopral (Conseil des Caporaux), acronyme de Common People's Struggle Command, pour soutenir la candidature de Ganjar Pranowo aux élections.
Ganjar ressemble d'une certaine manière au Joko Widodo de la première période (2013-2016), proche de la foule, faisant le tour des marchés pour poser des questions et communiquer avec les gens, ce qui leur a valut le surnom d'hommes du peuple. Puan Maharani, bien qu'elle soit une bureaucrate compétente, n'a obtenu que 3 % de soutien populaire contre Ganjar Pranowo qui, avant même d'être choisi par le parti comme candidat à la présidence, a rejoint dans les sondages, en pourcentage, les deux autres favoris des prochaines élections, Prabowo Subianto et Anies Baswedan.
La danse électorale : entre populisme, conservatisme et nationalisme
Les prochaines élections seront une danse politique, où la rhétorique nationale basée sur la philosophie de la démocratie pancasila devra s'opposer au populisme conservateur de Prabowo Subianto et au conservatisme islamique d'Anies Basweda. Le pancasila est dérivé de la langue sanskrite et peut être traduit par cinq (panca) et sila (voies ou principes). Lorsque le 1er juin 1945, dans une Indonésie bouleversée par la révolution, le Dokuritsu Junbi Cosakai indonésien (Agence d'investigation pour le travail préparatoire à l'indépendance / BPUPKI) tente de formuler les fondements de la République d'Indonésie, le Pancasila devient l'idéologie du pays. Le 1er juin 1945, dans le célèbre discours de Bung Karno, qui sera plus tard baptisé "lahiran pancasila" ("la naissance du pancasila") par l'ancien président du BPUPKI, le Dr Radjiman Wedyodiningrat, le discours de Bung Karno a été adopté par le gouvernement. Il a ensuite été choisi comme base pour la formation de la Constitution indonésienne de 1945 par le comité formé par Soekarno, Mohammad Hatta, Abikoesno Tjokroseojoso, Agus Salim, Wahid Hasjim, Mohammad Yamin, Abdul Kahar Muzakir, M. AA Maramis et Achmad Soebardjo.
Le pancasila a vu l'influence des idéologies dominantes dans le pays à l'époque, soit l'islam, le nationalisme et le communisme.
Les cinq Silas sont :
(1) Croyance en un seul Dieu tout-puissant ;
(2) Une humanité juste et civilisée
(3) L'unité de l'Indonésie
(4) La démocratie guidée par la sagesse des délibérations entre les représentants ;
(5) La justice sociale
Les élections de 2024 seront les cinquièmes élections libres depuis la fin du régime autoritaire de Soeharto. Les dernières élections en 2019, ont vu un affrontement politico-identitaire où le rôle de l'islam est devenu central dans le jeu et le discours politique indonésien.
Cette utilisation de l'islam par la classe politique indonésienne n'est pas nouvelle, mais elle s'amplifie. En mai 2017, la condamnation pour blasphémie contre l'ancien gouverneur de Jakarta, Basuki Tjahaja Purnama, plus connu du public sous le nom d'Ahok, a été un événement majeur annonçant cette tendance. Puis l'affrontement idéologique entre le gouvernement Jokowi et le Front de défense musulman (Front Pembela Islam) qui a mené à l'interdiction du FPI par les autorités en décembre 2020, a créé un véritable clivage politico-identitaire.
Pour apaiser ces tensions, Jokowi avait choisi de prendre un risque et de mettre de côté sa vision modérée de l'islam, et celle du parti, en annonçant que Maruf A'min serait son colistier lors de l'élection présidentielle de 2019. Président du Conseil des oulémas d'Indonésie (Majelis Ulama Indonesia, ou MUI) et chef suprême (rais 'aam syuriah) de la Nahdlatul Ulama (NU), la plus grande organisation islamique en Indonésie, Maruf A'min a démissionné de ses deux postes lorsqu'il a accepté la nomination à la vice-présidence.
Le choix de Jokowi visait clairement à amener l'électorat musulman plus ou moins modéré à se rendre aux urnes pour voter en sa faveur, à l'opposé de l'islamisme populiste alimenté par Prabowo Subianto. Ce dernier a par la suite rejoint le gouvernement victorieux de Jokowi en tant que Ministre de la Défense.
Dans le sillage de ces derniers événements, les élections de 2024 verront se rejouer cet affrontement idéologique. Les trois candidats, Ganjar Pranowo (PDI-P), Anies Baswedan (Coalition du changement pour l'unité, qui regroupe trois partis - le Parti national démocratique (NasDem), le Parti démocratique (PD) et le Parti de la justice prospère (PKS)) et Prabowo Subianto (Parti du Mouvement pour la Grande Indonésie ou Gerindra), représentent des visions très opposées.
Ganjar est une figure peu claire, mais qui est susceptible de poursuivre une ligne modérée avec une rhétorique nationaliste persistante basée sur les concepts de pancasila et de bangsa - qui dans cet article se réfère aux concepts de nation et de communauté -, en écho à la pensée de Soekarno. Anies, quant à lui, pourrait incarner la ligne islamique la plus conservatrice dans cette élection, une tactique qu'il a déjà utilisée lors de sa campagne dans la province de Jakarta contre le gouverneur déchu Ahok. Il pourrait adapter sa campagne pour séduire la ligne plus dure de l'électorat musulman, comme il l'a fait lors des élections gubernatoriales de 2017, notamment parce que le parti islamiste conséquent PKS (Prosperous Justice party) fait également partie de la coalition qui le soutient.
L'affaire Prabowo reste un mystère. Après avoir perdu les élections en 2019 contre Joko Widodo, il a accepté de rejoindre le deuxième gouvernement de Jokowi en tant que ministre de phase après avoir perdu les élections en tant que candidat de l'opposition, commettant en théorie un suicide politique qui lui coûterait, et pourrait, lui coûter son électorat. Les électeurs pro-Prabowo pourraient ne pas voter pour lui lors de cette élection car ils pourraient se sentir trahis par le choix de Prabowo lors de la post-élection de 2019 et déplacer leurs votes vers Anies.
Prabowo, candidat à la présidence pour la troisième fois, figure controversée tant en Indonésie qu'à l'international, membre de l'élite du pays, s'est allié lors des dernières élections aux partis islamistes conservateurs et a créé un effet domino à l'origine de l'explosion du populisme et de la violence après les élections.
Conclusion
Près de 270 millions de personnes voteront pour la présidence en Indonésie l'année prochaine. Les élections devraient commencer en février 2024 et il faudra compter près de trois mois jusqu'à l'annonce des résultats. Une époque se termine et l'après-Jokowi commence avec de nombreux doutes. Un pays idéologiquement fragmenté, courbé par la corruption et au développement économique au ralenti décidera qui prendra les rênes. Il est encore trop tôt pour spéculer sur qui sera le favori, et les candidats à la vice-présidence qui n'ont pas encore été nommés. Ceux ou celles qui seront choisis pour la vice-présidence pourraient augmenter ou diminuer le consensus parmi un candidat à la présidence, comme c'est le cas pour Maruf A'min avec Joko Widodo.
De plus, en 2024 l'Indonésie prévoit de déplacer sa capitale de Jakarta à Kalimantan, dans le nord-est de l'île. Nusantara, le nom de la nouvelle capitale de l'Indonésie sera inaugurée à peu près au même moment que les élections. Quand elle sera officiellement active est une autre question. L'idée de Nusantara est née de la nécessité d'abaisser le niveau de population à Jakarta, qui pour des raisons géologiques et climatiques est en train de couler, créant des problèmes tels que l'accès aux services de base tels que l'eau potable pour les communautés les plus précaires.
Cet article a été co-écrit par Aniello Iannone, maître de conférences et chercheur à l'université de Diponegoro, étudiant en sciences politiques spécialiste de l'Indonésie et de la Malaisie, et Laure Siegel, correspondante pour Mediapart en Asie du Sud-est, dans le cadre de l'atelier "Training on Popularizing Research: A cross-sectoral approach on social movements in Southeast Asia" organisé par Alter-Sea et Shape-Sea.