
Le plus grand rassemblement a eu lieu dans la capitale Jakarta, près de la zone de l'État du cheval Arjuna Wijaya. Des manifestations ont également eu lieu à Jawa, Sumatera, dans la ville de Padang, à Sulawesi, Maluku et en Papouasie. À Jakarta, la police a répondu aux protestations par des canons à eau et des gaz lacrymogènes, des manifestants ont été blessés, d'autres arrêtés.
La foule était exaspérée par les rumeurs selon lesquelles Joko Widodo, au pouvoir depuis 2014, serait candidat à la prochaine élection présidentielle de 2024 pour un troisième mandat. Ce scénario nécessiterait une réforme de la Constitution qui autorise actuellement un maximum de deux mandats présidentiels successifs d'une durée de cinq ans.
Le mécontentement politique était déjà dans l'air lors des élections présidentielles de 2019. Après l'annonce de la réélection du gouvernement de Jokowi, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Jakarta, échaudés par la désinformation virale selon laquelle les travailleurs chinois bénéficieraient désormais d'un traitement préférentiel sur le marché du travail national. Le gouvernement a décidé du blocage d'applications de messagerie telles que WhatsApp pour limiter la diffusion de fausses nouvelles. L'instabilité a acculé Jokowi à concéder des politiques et des sièges au camp conservateur, ce qui a élargi l'influence de ce dernier dans la politique nationale.
En octobre 2020, l'adoption d'un projet de loi controversé sur la création d'emplois a été largement critiquée par la société civile, qui craint que les droits des travailleurs et la protection environnementale fassent les frais de cette nouvelle loi.
Pendant la pandémie de Covid-19 et la récession économique qui s'en est suivie, le mécontentement a été amplifié par des politiques incohérentes et inefficaces. Au cours des deux dernières années, l'Indonésie a traversé une crise économique importante, soulignée par la forte augmentation des prix de l'essence, de la nourriture et de l'huile de cuisson.
Le "drame de l'interdiction d'exportation de l'huile de palme" a eu un impact supplémentaire sur l'économie nationale et a mis le pays sous pression internationale. "Le bannissement des exports par le plus grand exportateur mondial d'huile de palme, qui a débuté le 22 avril 2022, a exercé une pression sur les prix de l'huile comestible à un moment où les approvisionnements sont déjà mis à rude épreuve en raison de mauvaises récoltes, de la guerre en Ukraine et des pénuries de main-d'œuvre causées par la pandémie de COVID-19", selon Al-Jazeera. Jokowi a justifié cette interdiction comme "une mesure à court terme après que les prix intérieurs de l'huile de cuisson, dont l'huile de palme est un ingrédient clé, ont grimpé de plus de 50 %" en Indonésie.
Après les manifestations, Jokowi a nié qu'il allait se représenter comme candidat et tenter de modifier la Constitution. Mais cela ne signifie pas que la politique indonésienne navigue désormais en eaux calmes. Les manifestations du 11 avril témoignent d'un climat d'instabilité politique et d'insécurité économique, qui ont poussé dans la rue des milliers d'étudiants et d'universitaires qui réclament un changement de politique.
Cette manifestation est l'une des plus importantes depuis le mouvement étudiant de 1998 contre le régime militaire de Soeharto (1967-1998). Lors des Kerusuhan Mei 1998 ("émeutes de mai 1998") dans le nord de Sumatra du 4 au 8 mai, à Jakarta du 12 au 15 mai et dans la ville de Solo du 13 au 15 mai, plus de 1000 personnes sont mortes dans cet événement également connu sous le nom de "tragédie de 1988". Les affrontements ont été déclenchés par la corruption, les problèmes économiques, notamment les pénuries alimentaires et le chômage de masse. Les Indonésiens d'origine chinoise ont été particulièrement visés par les violences, qui ont finalement conduit à la démission du président Suharto et à la chute du gouvernement du Nouvel Ordre, au pouvoir pendant trois décennies.
Les institutions politiques doivent commencer à s'engager dans une relation nouvelle et positive avec la société au risque d'être confrontées par une abstention massive lors des prochaines élections de 2024. De faibles pourcentages de participation pourraient menacer la stabilité démocratique en Indonésie car cela signifierait que l'opinion publique ne fait plus confiance à la classe politique existante, ce qui pourrait ouvrir la porte à un retour de l'autoritarisme dans le pays.
Cet article a été écrit par Aniello Iannone, étudiant en sciences politiques spécialiste de l'Indonésie, et édité par Laure Siegel, correspondante pour Mediapart en Asie du Sud-est, dans le cadre de l'atelier "Training on Popularizing Research: A cross-sectoral approach on social movements in Southeast Asia" organisé en mai 2022 par Alter-Sea and Shape-Sea.