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Billet de blog 26 novembre 2023

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Violences sexistes et sexuelles - Nous, les victimes, on prend toujours perpet’

À l'occasion de la Manifestation contre les violences faites aux femmes qui a eu lieu le 25 novembre 2023, j'ai voulu partager cette lettre ouverte. Pour dire que je suis une femme, victime, comme tant d'autres, et que j'aimerais simplement que les violences sexistes et sexuelles cessent enfin, et définitivement.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

D’aussi longtemps que je m’en souvienne, les violences sexistes et sexuelles ont toujours été présentes dans ma vie. 

A 9 ans, un inconnu sur une plage m’a caressé le pubis. Il me parlait en anglais pour faire distraction, je ne comprenais rien. Mon père lui a couru après, en vain.

A 13 ans, un professeur m’a touché les seins, ainsi qu’à plusieurs de mes camarades. Il arrivait d’un autre établissement pour lequel il avait déjà été renvoyé pour attouchements. Il avait simplement été « déplacé » d’un collège à un autre. Chaises musicales. Il a finalement été exclu de notre collège. 

A 19 ans, un « ami » a essayé de m’embrasser de force. J’ai réussi à résister et à fuir.

A 21 ans, j’ai été violée par un camarade de promo alors que j’étais inconsciente.

J’ai porté plainte. La policière m’a quasiment obligée à déposer une main courante en m’expliquant que je risquais d’être attaquée pour diffamation. Elle m’a aussi demandé comment j’étais habillée le soir du viol. Elle n’a jamais posé ces questions au garçon, qui a été entendu ensuite. Une témoin clef n’a pas été entendue par la police. La plainte a été classé sans suite.

Mon école de commerce, au courant des faits, a royalement ignoré toute cette histoire. Silence radio. Le jeune homme a terminé sa scolarité et a obtenu son diplôme. Moi, j’ai du négocier avec l'administration pour passer mon grand oral en distanciel par peur de le croiser dans les couloirs.

A 21 ans, j’ai consenti à avoir un rapport sexuel par exaspération, après deux heures - littéralement - à dire non à un camarade de classe qui n’entendait pas ce non. Je ne savais pas quoi faire. Je me sentais démunie et pas écoutée. Au final, je me suis dit que la seule issue pour qu’il me lâche, était de dire « oui ».

A 24 ans, un « ami » chez qui je m’étais rendue à écrit à mon petit ami pour lui dire qu’il me « violerait bien ». Mon petit ami m’en a informée par message et j’ai eu le temps de prendre mes jambes à mon cou.

A 25 ans, un avocat chez qui j’étais en stage m’a gardée dans son bureau tard le soir en m’invitant à tromper mon copain, en me disant que je devrais être avec un homme « riche », et tout en tenant ces propos misogynes et en me regardant, il se caressait le sexe dans son pantalon. J’ai démissionné de mon stage sans rien dire.

A 29 ans, un de mes clients m’a envoyé une photo de son sexe par whastapp. Il avait 75 ans.

A 30 ans, j’ai été enlacée et mordue à la joue par mon supérieur hiérarchique. La direction de mon entreprise, qui a vu la scène, n’a rien fait. Il est toujours en poste.

A 30 ans, après que j’ai refusé ses avances, un homme m’a mis la main dans la culotte de force alors que je croisais les jambes pour qu’il n’y arrive pas. Il est parvenu à ses fins. 

A 30 ans, j’ai été maltraitée par mon compagnon pendant presque deux ans. 

Il m’a trompée, menti, dénigrée, insultée de pute et de salope, il a nié mes besoins et mes émotions, il m’a giflée, m'a contrôlée, m’a poussée, m’a jeté une chaussure au visage, m’a isolée, m’a empêché de partir de chez lui, m’a manipulée ; il m’a fait tellement de mal que je pensais que la seule façon d’arrêter ces souffrances étaient de mettre fin à mes jours. Par deux fois, j'ai failli le faire. Cet homme était un « puissant », alors par peur je me suis tue et je l’ai quitté parce que je voulais juste sauver ma peau.

En dehors de cette liste, je ne compte pas les agressions verbales dans la rue ou dans le métro.

Cette liste, c’est une infime et minuscule goutte d’eau au milieu de l’océan.

Cette liste, des centaines de milliers d’autres femmes pourraient l’écrire à ma place.

Des centaines de milliers d’autres femmes que vous connaissez, qui sont vos mères, vos sœurs, vos amies, vos cousines, vos filles, vos collègues. 

Alors, pourquoi écrire ces mots ? 

Qu’ai je, moi, à ajouter à ce sujet des violences sexistes et sexuelles dont nous parlons tous ?

Je ne suis pas experte du sujet, je ne suis pas spécialement féministe, je ne suis pas plus engagée que cela dans une association ou en politique.

Je suis juste une femme, ordinaire, parmi tant d’autres. Victime, comme les autres.

Aujourd’hui, j’écris cette lettre parce que je suis triste, en colère… et un peu lasse je dois l’avouer.

Parce que j’ai 31 ans et je sais que malheureusement, cette liste ne s’arrêtera pas là.

Dans quelques semaines, quelques mois voire quelques années - soyons optimistes - je devrai y ajouter d’autres agressions et d’autres abus.

Parce que je sais que cette liste pourrait être écrite en centaines de milliers d’exemplaires, et que chacune de ces listes, tels des lignes de codes, s’allongeraient chaque seconde qui passe.

J’aimerais faire un arrêt sur image, que tout cela s’arrête d’un coup, que le fleuve continu des violences se tarisse enfin. Qu’on coupe le robinet à la source, stop.

Il y a déjà tant à faire avec les violences déjà perpétuées, il y a tant réparer; si tant est que l’on puisse reconstruire une confiance en les autres, en les hommes, en la société, en la vie.

Mais je suis lucide, tant que tellement de choses ne changeront pas, tout continuera et des femmes continueront de souffrir, encore et encore. 

Pour la plupart, dans le silence.

Alors j’écris cette lettre.

Cette lettre pour encourager chacune des femmes victimes à parler, parce que la honte doit changer de camp. Je n’ai pas honte de de qui m’est arrivé. Ce sont eux, tous ces hommes dont je tais pourtant les identités car la loi est de leur côté, qui devraient avoir honte. Je n’y suis pour rien, ce sont eux qui devraient avoir leurs noms publiés avec leurs actes en face.

Cette lettre parce que j’aimerais tant que la parole des femmes victimes soit accueillie à sa juste valeur, avec compassion et bienveillance, sans jamais plus que nous ne soyons culpabilisées, accusées d’inventer ou d’exagérer, ou que nos propos ne soient minimisés.

Cette lettre parce que j’aimerais que chacun prenne conscience que derrière les chiffres des violences sexistes et sexuelles, ce sont à chaque fois des drames individuels, des destins brisés, des plaies à refermer qui laissent toujours des cicatrices, des vies à reconstruire et à réparer. Quand la vie est encore là et qu’ils ne l’ont pas prise. 

Cette lettre pour dire que les agresseurs ne sont pas des monstres. Ce sont vos collègues, vos amis, vos frères, vos fils, vos pères. Pour ma part, mes agresseurs étaient un ami, un professeur, un petit ami, un inconnu, un supérieur hiérarchique, un client, un camarade de classe. 

Ce sont des personnes normales. 

Les considérer comme des monstres c’est les exclure de notre réel; or ils sont bien là. Ils marchent dans les mêmes rues que nous, ils prennent le même métro, vont faire leurs courses dans les mêmes magasins. Pour certains, vous êtes là.

Cette lettre pour inviter les hommes à questionner leur comportement et leurs actes envers les femmes, pour qu’ils prennent quelques minutes et se demandent s’ils ont toujours été respectueux et qu’ils le soient toujours à l’avenir.

Cette lettre pour que les témoins de violences sexistes et sexuelles viennent en aide aux victimes et ne ferment plus jamais les yeux, qu’ils agissent quand ils le peuvent, qu’ils sanctionnent quand ils en ont le pouvoir.

Cette lettre pour que jamais plus un établissement scolaire, une entreprise, une administration, ne laisse passer des comportements inacceptables et ne sanctionne pas les agresseurs. Pour que ces entités viennent en aide aux victimes plutôt que de les ignorer.

Cette lettre pour que cesse l’impunité. Dans une société qui ne condamne pas les auteurs des violences, alors l’impunité règne et ils n’ont aucun risque à continuer s’ils ne sont jamais punis. 

Nous, les victimes, on prend toujours perpet’.

Cette lettre pour que chacun comprenne combien il est difficile de rapporter des preuves pour bon nombre de ces violences qui se déroulent souvent à huis clos. C’est la parole de l’un contre la parole de l’autre, et à cause au système de la présomption d’innocence, les hommes sont protégés et l’oppression peut continuer.

Cette lettre pour que chacun prenne conscience que le sujet des violences sexistes et sexuelles nous concerne tous. Une femme sur deux a déjà subi une violence sexuelle. 

Au delà des conséquences individuelles pour les victimes et leur entourage, c’est un fléau pour toute notre société, tant les conséquences collectives de ces violences sont partout.

Cette lettre pour encourager les femmes à parler, et leur dire que des aides sont possibles et qu'on les croit. J’ai eu la chance d’être accompagnée par tant de structures, tant de personnes si précieuses. La reconstruction est possible.

Nous savons ce qu’il faut faire.

Vous savez ce qu’il faut faire.

Individuellement, collectivement.

Alors, pourquoi rien ne change ?

J’aimerais simplement... que cette liste d’agressions que j’ai subies se termine ici, aujourd’hui, et ne plus jamais à avoir à y ajouter une seule ligne, un seul abus.

Sans doute suis-je utopiste ou idéaliste pour souhaiter que dans notre société… les violences sexistes et sexuelles s’arrêtent enfin ?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.