Objectif du jour: marcher dans les rues de Paris en écoutant Rachmaninov.
Observation: chaque note se courbe face au soleil.
Action: mes pas m'entraînent vers l’espace topographie de l’art pour l’exposition géométrie dans l’espace.
Le lieu est saisissant. Le lieu est une œuvre en soi, il appelle à la solitude. Les fissures au sol, les murs délabrés, l’abîme du passé qui rencontre l’art contemporain.
Je m’attarde particulièrement sur l’œuvre d’Alain Fleischer : escalier sous la mer, 14 miroirs.
Superposition de verre jusqu’à l’oubli du mot. Que reste-t-il de l’inscription d’un poème qui s’efface à mesure que je le lis ? Alain Fleischer interroge et met en jeu ma position de spectateur. Pour voir clairement les mots, je me déplace, je me penche, je me mets sur la pointe des pieds. Mon regard est associé à des jeux d’équilibre. En lisant, j’ai envie de danser autour de son œuvre, faire résonner les mots dans l’espace, mettre en lien miroir, lumière, voix, espace, corps et donner du volume au mot.
Puis celle d’Aki Lumi: Architectural nature n°9.
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Aki Lumi utilise la photographie, le dessin et l’encre. Trois supports différents pour une géométrie graphique. Cet artiste me fait ressentir la structure du lieu, sa droiture, sa vitesse, ses contours, son rythme. Bien que l’œuvre soit en deux dimensions, je perçois toute la voluminosité de l’espace géographique.
Et l'oeuvrre de Gilles Gerbaud & Raphaël Chipault: Le cauchemar du géomètre.
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Gilles Gerbaud et Raphaël Chipault, m’invite à regarder les choses de près, de très près, en noir et blanc : le sol, le bois brisé, le béton, les clous, les fissures, le danger sous terre, le possible tremblement, l’abîme du temps, l’abandon. Cela m’affecte. Mon émotion se lie d'un souvenir de ruines: moi, enfant, avec mon père détecteur de métaux en main, cherchant les trésors sous terre. Il me revient également cet écrit sublime Fouille et souvenir de Walter Benjamin: La langue a signifié sans malentendu possible que la mémoire n'est pas un instrument pour l'exploration du passé. C'est le médium du vécu comme le royaume de la terre est le médium où sont ensevelies les anciennes villes. Qui tente de s'approcher de son propre passé enseveli doit faire comme un homme qui fouille. Il ne doit surtout pas craindre de revenir sans cesse à un seul et même état de choses - à le disperser comme on disperse de la terre, à le retourner comme on retourne le royaume de la terre car les "états de choses" ne sont rien de plus que des couches qui ne livrent qu'après une exploration méticuleuse ce qui justifie ces fouilles [...] le véritable souvenir doit donc, sur un mode épique et rhapsodique, donner en même temps une image de celui qui se souvient, de même qu'un bon rapport archéologique ne doit pas seulement indiquer les couches d'où proviennent les découvertes mais aussi et surtout celles qu'il a fallu traverser auparavant.
Mes pas me conduisent à présent au musée de la chasse et de la nature, pour rencontrer l’univers de Roger Ballen et Hans Lemmen. L’un photographe américain installé en Afrique du Sud et l’autre dessinateur hollandais, s’associant tous deux pour un travail (en) commun.Roger Ballen cherche le point de bascule où un homme se change en animal. Quant à Hans Lemmen, il se promène avec ses chiens dans les champs à proximité de chez lui, des champs remplis d’histoires dit-il, je me retrouve nez à nez avec des choses à partir desquelles je construis une mythologie fondée sur ma propre expérience […] Mes dessins sont faits dehors, toujours à partir de grands paysages. Rogen Ballen et Hans Lemmen me plongent au cœur d’une folie. Cette folie thérianthropique questionne mon quotidien. J’étais seule durant la visite. Ce fut un plaisir de déambuler dans la pénombre avec l’étrangeté qui me scrute.Qu’on se le dise, quand je vais voir une exposition, ça n’est plus moi qui regarde, ça me regarde.
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Je continue mon errance en suivant les lignes d’horizons du photographe Sze Tsung Nicolàs Leong à la galerie Polka. Cette ligne d’horizon à peine perceptible mais avec une telle présence est une déchirure du visible et de l’invisible, du réel et de l’imaginaire où le lointain et le proche se confondent.
L’horizon assure ma verticalité.
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Son travail photographique résonne avec mon travail de recherches sur les lignes où il est question d’autisme, d’espace et d’art. C’est avec toutes ces lignes qui nous entourent, qui structurent l’espace et que nous traversons, que le passage de l’inhabitable à l’habité se tisse. Je me suis également interrogée sur l’espace : à partir de quel moment il devient lieu ? Un extrait de mon mémoire :
L’espace comme organisation, comme plan, comme itinéraire dans les lignes d’intersections. L’espace comme visible et immobile, comme l’intervalle que l’on traverse. L’espace comme vide. Comme un silence dépeuplé. L’espace comme non-lieu ? Comme étrangeté. L’espace apatride. L’espace inhabitable.
Le lieu comme habitation, comme abri, comme affect, comme identitaire, comme réseau, comme limite. Le lieu comme portion d’espace, comme atmosphère, comme profondeur, mouvement et temporalité, comme présence et réminiscence. Le lieu comme « avoir lieu ». Le lieu où tout arrive.
Ci-dessous, le Rhizome 12042017
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