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Billet de blog 8 mai 2012

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Entre réconciliation et justice

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.


Depuis qu'il a pris acte de sa défaite, Nicolas Sarkozy semble exemplaire. Mieux vaut tard que jamais diront certains, ce serait trop simple.


Si l'on souscrit au diagnostic de pervers narcissique qui lui a été parfois appliqué - un diagnostic encore corroboré par le tour très personnel de son discours d'adieux aux militants réunis à la salle de la Mutualité - cette tardive exemplarité n'est pas l'expression d'un noble républicanisme mais certainement celle de la tentative d'une ultime manipulation.


N. Sarkozy a souvent été décrit comme servile avec les puissants et arrogant avec les faibles. Au soir du 6 mai, une puissance palpable s'est manifestée, celle du peuple français qui a voulu son éviction. Le prétendu respect républicain, fort digne d'apparence et d'autant plus surprenant qu'il contrastait avec la dureté des discours caressant l’électorat FN entre les deux tours, était-il une humilité réelle ou celle du pervers narcissique soudain soumis à plus fort que lui?


Peut-être n'est-ce ni l'un ni l'autre mais encore une illustration de ce génie de la manipulation toujours à l'œuvre chez le président battu.


Nicolas Sarkozy a bien compris qu'après cette campagne éprouvante, clivante, où les meetings menaçaient parfois de virer à des foires d'empoigne, il convenait de jouer l'air de la réconciliation nationale. Il convenait d'autant plus d'entonner cet air, qu'il plaît à l'oreille du vainqueur, le consensuel F. Hollande.


Cela nous a valu une soirée post-électorale de second tour apaisée, voire ennuyeuse.


Fallait-il pour autant continuer à jouer cet air pour la cérémonie, de plus en plus désuète, du 8 Mai? Oui car cette guerre ne doit pas être oubliée;  oui car il convient d'honorer ses combattants tant qu'il existera des témoins directs de cette époque, même si les derniers conscrits de 1940 sont maintenant des nonagénaires. Mais aussi F. Hollande  a cinq ans pour se plier à ces devoirs. Fallait-il alors prolonger l'air de la réconciliation nationale avec ce dépôt commun d'une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu? Au demeurant,  qu’y aurait-t-il de mal à cela?


Rien, si ce n'est qu'insidieusement, cet hommage rendu en commun et si consensuellement salué, installe outre l'idée de continuité de l'Etat, celle d'une certaine proximité entre les deux présidents.


Nonobstant la dignité acquise par N. Sarkozy dans la perspective de ses adieux définitifs et celle, déjà, d'entrer dans l'Histoire, nous ne saurions, tournant les yeux seulement vers l'avenir, donner quitus à l'ancien président dans une amnistie générale. Celle-ci confinerait trop à une amnésie coupable, celle qu'a éprouvé, peut-être, avec la sincérité particulière propre à sa forme de personnalité, Nicolas Sarkozy lui-même dans son touchant adieu à ses fidèles militants. Non, nous ne devons surtout pas oublier à quel point Nicolas Sarkozy doit encore rendre des comptes à la République.


Malheureusement, son immunité de chef d'Etat, le protègera au-delà de la passation de pouvoir du 15 mai prochain et ce jusqu'au 15 juin, c'est-à-dire juste avant la conclusion des Législatives. Aucune démarche concrète ne pourra donc intervenir pour peser sur ce troisième tour crucial.


Or n'oublions surtout pas qu'outre N. Sarkozy, un certain nombre des prétendants à sa succession à la tête de l'UMP sont presque aussi compromis que lui. En premier lieu, il s'agit de disqualifier et durablement, J.-F. Copé, complice de Takkiedine et certainement aussi A. Juppé qui, en tant que Ministre des Affaires Etrangères (et lui, contrairement à B. Kouchner, a réellement été en charge des dossiers) a directement participé à la campagne de Libye et n'a pu manquer d'être informé par ses services du financement illicite par Kadhafi de la campagne UMP de 2007. A. Juppé peut d'autant moins se défausser qu'il a déjà servi de fusible pour J. Chirac pour le financement de la campagne de ce dernier, ce qui lui a valu une longue inéligibilité. Plus que tout autre, le « meilleur d’entre-nous », réhabilité, se devait d'être exemplaire. Et de fait, jusqu'à 2009, il est resté assez critique à l'égard de N. Sarkozy. Cependant, il n'a su résister au chant des sirènes et à la perspective de réintégrer un grand ministère, celui de la Défense.


Devenu héraut de la campagne de N. Sarkozy, A. Juppé récemment nous a infligé ce navrant spectacle d'un homme brillant, se condamnant lui-même à aboyer plus méchamment que son nouveau maître, en se muant pour les besoins de la cause en roquet pétri de mauvaise foi. Un tel homme n'a pas l'excuse d'une relative irresponsabilité due à une probable maladie mentale: il est absolument sans excuse et indigne de représenter une quelconque alternative à N. Sarkozy.


C'est pourquoi, F. Hollande a peut-être eu tort d'accepter de figurer au côté de N. Sarkozy dans cette cérémonie du 8 mai. Entre réconciliation et manipulation il n'y a que peu de distance.


En tout état de cause, il conviendra de réformer au plus vite les formes de la justice applicables au chef de l'Etat. La traditionnelle "Cour de justice de la République", actuellement seule instance habilitée à juger N. Sarkozy, si celui-ci devait être, in fine, déféré à la justice, est une institution qui a fait long feu. Elle n'est pas indépendante comme on a trop souvent pu s'en rendre compte à plusieurs reprises, notamment c’est elle qui nous a valu la longue liste de "relaxes", "non-lieu" ou même lorsque les faits étaient par trop patents, les condamnations toujours assorties de "sursis", délivrés à C. Pasqua.


N. Sarkozy n'est pas prêt d'être déféré à la justice. En attendant, il s'agit de lever au plus vite le secret-défense protégeant toujours certaines pièces devant éclairer l'affaire de l'attentat de Karachi et, au-delà, le financement de la campagne de 1995 d' E. Balladur dont N. Sarkozy était le porte-parole. C'était un engagement de F. Hollande lorsqu'il a reçu les familles des victimes de cet attentat. Il s'agit aussi de vérifier que les enquêtes en cours à Bordeaux sur l'affaire "Woerth-Bettencourt" sont bel et bien entre les mains de magistrats au-dessus de tout soupçon d'esprit partisan. Il convient encore  de compléter l'enquête préliminaire dont a fait l'objet la plainte adressée à l'encontre de Mediapart pour sa divulgation d'un document accréditant le financement à hauteur de cinquante millions d'euro de la campagne de 2007 de N. Sarkozy. Il convient enfin de faire toute la lumière sur les confidences de l'ancien Premier Ministre Lybien, Ali al-Mahmoudi, à la justice tunisienne, déjà en octobre 2011, sur le financement de la campagne 2007 de N. Sarkozy par Kadhafi et de retrouver la trace de l'argent bel et bien versé à Genève. A ce propos, il convient d'examiner le rôle des services Français dans l'exfiltration de Monsieur Mahmoudi ou de sa mise à l'écart en Tunisie. Il s'agit aussi de comprendre dans quelle circonstances, ce témoin embarrassant s'est vu victime d'une hémorragie interne survenu, semble-t-il, mercredi dernier (le 2 mai) et de déterminer la connaissance exacte que peut avoir de ces faits Monsieur Juppé.


F. Hollande a fait de l'exigence de justice un thème phare de sa campagne. Il s'agit d'une promesse extrêmement importante, c'est même peut-être celle qui lui a valu la préférence affichée de F. Bayrou pour son vote de second tour.


Contrairement à bien d'autres promesses fustigées par la droite pour leur coût inconciliable avec la maitrise des comptes publics de la Nation, celle-ci peut être tenue à bon compte.


L'esprit de réconciliation qui a soufflé ces derniers jours devrait rendre clair à des esprits apaisés que nous ne cherchons pas la revanche, mais la justice: la justice seulement, mais toute la justice.

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