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Billet de blog 12 mars 2012

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L'impasse de Villepinte

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.


Le ban et l'arrière ban avait été convoqués. Le gouvernement, en brochette. On aurait aimé voir les ministres accompagnés de leurs épouses comme pour une aimable sortie dominicale. Il n'y eut que deux "Première Dame" flanquées de stars plus ou moins vieillissantes et bedonnantes...


Plus loin, une houle de drapeaux nationaux, tous de même taille: ce devait être un accessoire du kit UMP fourni pour l'occasion à tous ces militants déversés par cars entiers de toute la France. Des militants, certes il y en avait: 20000, 30000 voire 70000 ou même 80000 selon l'innénarrable maître de cérémonie J.F. Copé.


Le bon Fillon, en soldat ou chien fidèle a entrepris de chauffer la salle. Bernadette Chirac, comme perdue sur une scène trop vaste, a lu son texte de soutien, un peu raide, un peu trop pesamment pour être vraiment crédible, mais qu'importe: elle était là.
Puis l'éternelle plume du Président, H. Guaino, s'est vu confier l'honneur d'introduire - dans un discours prélude du même, plus développé, qu'il avait confié au candidat -  l'homme providentiel: Sarkozy.


Celui-ci s'est fait attendre une bonne minute, en vedette rompue aux ficelles du métier. Puis le dieu vivant, l'âme de cette manifestation grandiloquente est apparue, non pas par la porte prévue par les journalistes, d'où a jailli au contraire la Première Dame mais par une autre, dérobée à la curiosité des paparazzis: il n'y a pas de petit effet de surprise.


Il descend les travées, serre tant de mains qu'on songe avec une vague révulsion à tous ces microbes échangés d'un spectateur à l'autre via la généreuse main présidentielle. Ceux qui ne peuvent saisir la paluche, veulent cependant le toucher. Parfois ils saisissent son veston, ils le happent, Sarkozy titube mais n'est jamais vraiment déséquilibré. Toucher l'icône, capter sa "mana": les militants UMP sont bien les membres d'une tribu.


Sarkozy disparaît, puis reparaît un petit bonhomme, sur la galerie qui précède l'avant-scène: c'est là qu'on jauge le dispositif démesuré du meeting. Oui, c'est bien le dieu candidat, au pas de canard, il s'avance jusqu'au podium séparé du sol par une plate-forme à sept marches, un avant goût du septième ciel?


Les militants l'acclament, lui reste béat: croit-il vraiment à la sincérité de cette claque gigantesque?


Enfin le discours. Après Guaino, on mesure ce qui sépare les deux hommes. Les expressions, les phrases sont puisés à la même source. Mais en comparaison de Sarkozy, Guaino a comme une voix de souris, qui ne porte pas, qui ne détache pas les mots, le discours se noie.
A l'inverse, la diction de Sarkozy parait nette, les modulations sont agréables. Ah l'injustice de la nature qui a donné seulement l'esprit à l'un et la parole à l'autre!


"J'ai appris..., j'ai compris" La première personne est omniprésente, on soupire déjà devant tant d'égotisme. Comme dans l'émission "Des paroles et des actes", c'est la séquence mea culpa, oh bien légère, mais tout de même, il est bien question de lui, encore lui, toujours lui: cela ne va-t-il pas lasser à la fin le plus ardent des militants?


Heureusement le discours prend de la hauteur, passe du particulier au général, on quitte le sujet Sarkozy pour rejoindre l'Europe. On devine déjà l'ossature du discours: celui-ci va dessiner comme un grand point d'interrogation. Au début, l'alpha, la personne du Président, puis l'envolée jusqu'à rejoindre l'Europe, dessinant la limite de la sphère d'influence présidentielle. L'Europe doit être protectrice, elle doit représenter les intérêts bien compris des Etats qui en sont membres. On arrive au sommet du discours: le volontarisme Sarkozien innervant une Europe trop molle. Sarkozy comme le dieu Jupiter porte la foudre et cette électricité concentrée, il va la déverser sur l'Europe pour la forcer à s'animer: la foule est en transe. "...S'il n'y avait aucun progrès sérieux dans cette direction alors la France suspendrait sa participation aux accords de Schengen" et d'assener cette autre menace que s'il n'y avait pas de progrès net sur l'exigence de réciprocité avec ses principaux partenaires, la France décidera unilatéralement de réserver au marché communautaire la commande publique. L'Europe prise en otage par la seule France, est-ce bien là une réaction acceptable dans un fédéralisme bien compris? On reste ébahi devant tant de culot "mais je m'en moque" dit-il, emporté par l'enthousiasme apparent suscité par son propos.


Il faut redescendre, rattacher ces deux coup d'éclat fantasmatiques à la réalité plus prosaïque et immédiate de l'électorat. C'est ici que le discours s'affaisse. Sarkozy décline ses mesures, déjà connues comme le référendum sur le chômage... mais il ne rattache pas les fils pour que tout un chacun comprenne la continuité et la pertinence des mesures européennes pour l'économie nationale.
Enfin le point d'interrogation qu'a dessiné le discours en vient au point d'aboutissement qui est aussi celui de départ, le point du bas, le sujet Sarkozy: "Aidez-moi, aidez-moi!". La foule applaudit, mais n'est pas trenscendée, heureusement il est déjà temps, grand temps, d'entonner la Marseillaise.

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Que restera-t-il de ce discours? Peut-il constituer le point de lancement de la fusée Sarkozy pour une campagne express couronnée de succès?


Difficilement. Le discours n'a rien offert de nouveau sur le plan national, l'accent ayant été porté sur l'Europe. Mais là aussi Sarkozy ne peut échapper à son bilan. Rarement un président n'a eu une conjonction aussi favorable d'opportunités pour influer sur la politique mondiale: à l'intérieur, une élection suffisamment large pour garantir une autorité certaine, puis un parlement acquis autorisant toutes les réformes. Sur le plan international, présidence du G8, présidence pendant six mois de l'Europe, présidence du G20.

Et qu'est-il ressorti de tout ceci?! De l'agitation, quelques beaux discours et voeux pieux (Toulon 2008) puis un alignement pénible sur l'Allemagne. Y a-t-il là de quoi faire le fanfaron et prétendre prendre les rênes de l'Europe en matière de politique immigratoire ou de politique commerciale? Certainement pas. Prendre l'Europe comme otage des desiderata et intérêts de la France est profondément contraire à l'esprit communautaire: la Chancelière Merckel en viendra bientôt à regretter son soutien à un partenaire aussi "explosif".


Aussi l'autre mesure phare: la préférence au marché Européen pour la commande publique ne lasse pas d'être incohérente. Verra-t-on les ministères s'équipper dorénavant de Wolkswagen ou de Fiat si ces voitures se révèlent être plus compétitives que les Citroën C6? Faut-il substituer une préférence Européenne là ou de facto subsiste encore une préférence nationale?


Et quand bien même cela serait pertinent, encore une fois on aura beau jeu de dire: mais que ne l'a-t-il proposé plus tôt! Ah, mais il y avait la crise. Il y a aussi eu une crise de l'immigration provoquée par les printemps arabes, et tout particulièrement lorsque la France a commencé à accabler d'obus la Libye. L'Italie ne parvenait plus à absorber le flot: elle a demandé de l'aide à l'Europe, à la France. Sarkozy, pourtant responsable très direct de cette crise, de par son rôle en Libye, a-t-il pressé les institutions européennes de trouver une solution? Que nenni!


Sarkozy n'a donc en la matière aucune crédibilité: le recours à l'Europe, teinté de menaces d'ultimatums est diplomatiquement très maladroit et impraticable. Les deux propositions nouvelles de Villepinte n'offrent aucune solution aux problèmes spécifiquement français mais soulignent seulement une impasse.

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