
Introduction
Après l'embrasement provoqué par le doublage en arabe du navrant "L'innocence des musulmans", voici que l'hebdomadaire satirique "Charlie Hebdo", toujours fidèle à son fond de commerce de tourner en dérision la religion, profile son message avec de nouvelles caricatures de Mahomet.
Dans le contexte international actuel de tensions accrues suscitées par l'apauvrissement général des peuples entraînés malgré eux dans une globalisation mal gérée et récupérée par des fondamentalismes divers, était-il vraiment opportun de procéder à un tel tirage?
Du commerce avant toute chose...
Du point de vue commercial, la réponse est indéniablement oui. Le numéro est déjà très discuté, avant même sa sortie, gage de succès certain. Il s'arrachera dans les kiosques, on procèdera à des tirages spéciaux et le journal va augmenter son chiffre d'affaire.
Mais en fait, point n'est besoin d'acheter ce numéro pour en parler: on devine bien son contenu. Celui-ci n'a même guère d'importance dès lors que chacun conviendra que la religion, juive, chrétienne ou musulmane, surtout musulmane, y est généralement moquée.
...mais aussi
La réponse diplomatique à notre question est évidemment non. Mais aujourd'hui la logique commerciale l'emporte sur la logique diplomatique.
Pour autant, au delà de l'opportunité commerciale, que veut réellement signifier Charlie Hebdo par cette opération?
Considérant la vocation du journal, posons par hypothèse que dans ce numéro encore, il s'agit de dénoncer les dérives sectaires des principales religions monothéistes, l'intolérance renouvelée qu'elles expriment les unes à l'égard des autres et aussi au sein de leurs différentes branches confessionnelles. Ce faisant, pour autoriser, cautionner et même garantir le libre exercice d'une critique devenue dangereuse, on se réclamera d'appartenir à un Etat laïc, ayant inscrit dans sa constitution la liberté de culte, mais aussi la liberté de parole dont fait partie la critique des religions, quelles qu'elles soient; une liberté représentant un progrès qui devrait, qui aurait dû, rester inaliénable. Et c'est à ce titre même, en fonction de ce noble principe, et non par vulgaire appât du gain, toujours par hypothèse, que Charlie Hebdo se refusera d'abdiquer devant des pressions diplomatiques internationales croissantes et de retirer ce numéro ou de concevoir d'autres numéros du même genre. En bref, en faisant monter la pression, en prenant un risque plus ou moins calculé, Charlie Hebdo veut participer, sinon relancer le débat.
Mais il s'agit d'un exercice délicat car l'épidémie d'obscurantisme religieux qui redouble de nos jours, tire sa virulence de l'affaiblissement du corps social qui n'a plus en lui la force de lui opposer la réponse immunitaire de toujours: les lumières de la Raison. C'est un très triste constat car, oui, nous vivons une époque où la science n'a jamais été aussi avancée, et cependant cette même science, instrument et voix de la raison, reste impuissante et muette devant la flambée des violences sectaires. Cela montre bien les limites de la nature humaine et la nécessité pour l'espèce de transcender pour son bien être, sinon pour sa survie, cette forme particulière de transe animale collective que représente le fanatisme, religieux en l'occurence; mais ceci est encore un autre débat.
Les médias face à un nouvel ethos global
Si la globalisation économique a largement été commentée, si ses avantages pour une minorité et ses inconvénients pour la majorité ont bien été inventoriés aussi et si, de par le mélange et l'homogénéisation progressive des cultures, on a aussi beaucoup glosé sur ce corollaire de nouvelle condition existentielle postmoderne qu'elle institue de facto, on parle moins des impératifs moraux qu'elle suggère: un nouveau code de conduite correspondant à nouvel ethos global en voie de constitution mais aux caratéristiques encore trop diffuses pour faire l'objet d'une vraie prise de conscience collective...
La responsabilité aussi devient globale
C'est le vent qui propage au loin les mauvais germes, et dans le village global, le vent, ce sont les médias. Il appartient donc aux médias de reconnaître en priorité que sur une planète connectée, les nouvelles ne s'arrêtent pas un instant aux frontière de l'Etat d'où elles tirent leur origine et aux citoyens auxquelles elles sont d'abord adressées, mais diffusent à la vitesse de la lumière en réverbérations fragmentées, partout. C'est pourquoi, alors même qu'on s'adresse à un public français, et même si l'on veut, sciemment, oublier tous les communautarismes de France métropolitaine, il ne faut cependant jamais oublier qu'on touchera aussi l'Algérie, la Libye, l'Arabie Saoudite, la Malaisie..., autant de pays dont on pourra heurter la susceptibilité définie comme l'état de culture prévalent. C'est la nouvelle responsabilité des médias de reconnaître qu'à priori, ils sont susceptibles de toucher tous les citoyens du monde. Ce n'est pas une petite responsabilité car avant que cet ethos global, encore inchoatif, ne se cristallise en un véritable schéma d'intercompréhension, le message de Charlie Hebdo, ailleurs, risque d'être très mal reçu.
Conclusion
C'est pourquoi dans le néo-tribalisme du village global, la liberté doit parfois se figer, un peu, pour s'imprégner de responsabilité. Dès lors, on s'abstiendra de faire résonner un tam-tam peut-être amusant ici, et encore pas pour tous, mais un tam-tam que le vent malicieux portera comme une véritable déclaration de guerre aux oreilles de tribus plus lointaines!