
Baxter: un nouveau robot à qui les ouvriers eux-mêmes pourront enseigner sa mission, les remplacer!
(crédit: ReThinks Robotics, http://www.rethinkrobotics.com/)
Monsieur le ministre,
La crise économique qui frappe le monde occidental depuis 2007 n'est comparable en gravité qu'à celle des années 30. Il y a cependant aussi de profondes différences. L'économie globale s'étend maintenant aussi à un ensemble de pays qui dans les années 30 n'en participaient qu'à titre de réservoirs de matières premières exploitées par des puissances coloniales, ou s'étaient volontairement retirés de l'économie capitaliste (URSS, Chine). L'économie globalisée est maintenant véritablement mondiale et selon toute vraisemblance, la Chine sera, dès 2017, le fer de lance du monde industriel. Il importe donc d'être particulièrement vigilant et réactif à l'égard de la politique économique de la future locomotive mondiale.
L'Europe, enfin, à la suite des Etats-Unis d'Amérique, ose adresser la question du dumping économique exercé par la Chine sur certains secteurs clé pour l'avenir comme les panneaux solaires ou des filières entières comme l'industrie automobile.
Mais je voudrais concentrer mon propos sur un autre point encore trop négligé à mon sens et je vais l'introduire par l'histoire vraie suivante.
Pour la production de son dernier iPhone, la société Apple a, comme pour les précédents, dévolu la production de ce petit bijou high tech à son sous-traitant, Foxconn, principalement installé en Chine même si il est d'origine coréenne.
Foxconn, au début de cet été, peinait à assurer le volume de production souhaité et il lui manquait 10'000 ouvriers qu'il ne trouvait pas à embaucher. Le problème s'est résolu avec l'aide de l'Etat chinois qui a sommé 10'000 étudiants normalement en "vacances" de rejoindre bon gré mal gré Foxconn. Ceux-ci ont travaillé de 10 à 12 heures par jour, 6 jours sur 7 pendant 2 mois pour un salaire mensuel inférieur à 200 euros! Foxconn a livré les 5 millions d'iPhone dans les délais, très bien.Cependant, malgré ce succès, la société entend remplacer les ouvriers dès que possible par un recours massif (jusqu'à un million d'unités) à des robots industriels remplaçant la main d'oeuvre humaine, au motif qu'elle est encore trop chère ou autrement dit qu'il est tout à fait possible de produire encore moins cher qu'en recourant à ce servage institutionnalisé!
A ce jour, le nombre de robots industriels en occident est d'environ 1.5 millions. Il ont commencé à faire leur apparition dans les ateliers de production dès les années 70 mais n'ont essaimé que lentement: jusqu'il y a peu cela restait des machines très chères, compliquées à programmer, monotâches et difficilement reconfigurables.
Mais de même que nous avons vécu la révolution de la micro-informatique à la fin des années 70 puis celle de la bureautique dans les entreprises, nous sommes à l'orée d'une révolution robotique générale.
La puissance de calcul embarquée ne cessant de croître (d'un facteur 2 tous les 18 mois, selon la loi de Moore), les robots deviennent toujours plus intelligents. Il y a aussi une révolution dans les capteurs ou ce qui fait office d'appareil sensoriel chez les robots: ceux-ci sont dotés de sens multiples toujours à moindre frais. L'un des pionniers de la robotique Rodney Brooks du MIT, après avoir fondé avec succès iRobots (d'où est issu le fameux aspirateur domestique Roomba) a présenté récemment "Baxter" (c.f. http://www.technologyreview.com/news/429248/this-robot-could-transform-manufacturing/) qui pourra être déployé sans précaution particulière (comme l'habituelle cage de protection isolante) au sein des ateliers et programmé par les ouvriers eux-mêmes: il suffira de montrer par l'exemple au robot la tâche à exécuter.
Tout ceci Monsieur le ministre, doit vous faire réfléchir.
Si même les Chinois trouvent leur main d'oeuvre trop chère pour rester compétitifs et veulent lui substituer des robots, bien évidemment la France avec des coûts salariaux au moins 15 fois plus élevés ne peut que lui emboîter le pas et se doit de recourir elle aussi et massivement, à la nouvelle robotique industrielle pour restaurer sa compétitivité.
La France a une chance unique ici car la robotique est bien représentée dans la recherche française, et, une fois n'est pas coutume, le transfert de la recherche à l'industrie s'opère relativement bien. Ici, tout particulièrement avec des moyens aussi limités, l'Etat se doit d'être véritablement stratège, il convient d'améliorer encore les opportunités de transfert de la recherche à l'industrie par exemple avec une structure de financement spéciale pour des laboratoires qui pourraient accueillir en "incubation" de futur startups ou à l'inverse, de jeunes entreprises innovantes qui pourraient bénéficier à titre temporaire de l'expertise, en partie rémunérée par l'Etat, de chercheurs appartenant à des instituts du monde académique.
Certains économistes s'étonnent encore que la reprise de la croissance au Etats-Unis ne soit pas accompagnée d'une vraie baisse du chômage. C'est justement l'effet d'une compétitivité accrue avec une production nécessitant de moins en moins d'intervention humaine.
Car le revers de la médaille de la révolution imminente de la robotique industrielle est bien évidemment le nombre très important d'emplois que cette nouvelle rationalisation des processus de production condura à supprimer.
Un exemple parmi tant d'autres à méditer. Un des nouveaux fleurons de l'industrie automobile américaine, Tesla, est peut-être le seul constructeur de voitures exclusivement électriques qui ait rendu ces véhicules à la fois attractifs, efficaces en termes d'autonomie et relativement abordables avec le tout dernier modèle S. Après le succès de prestige du modèle qui a ouvert la voie et permis à l'entreprise de consolider son savoir faire, une compétitivité redoutable a été obtenu en équipant la toute nouvelle usine de Freemont, Californie, par des robots assurant jusqu'à quatre tâches différentes sur les chaînes de montage et remplaçant chacun huit ouvriers.
Face à cela, l'usine PSA d'Aulnay-sous-Bois n'a qu'à mourir de sa belle mort. L'Etat semble bien l'avoir compris mais il lui reste à instaurer une véritable filière de formation continue et de flexibilisation du travail susceptibles d'éviter des blocages sociaux qui ne peuvent que renforcer l'envie des entrepreneurs de s'affranchir encore plus vite d'une main d'oeuvre humaine beaucoup trop enkystée en France dans des schémas de productions devenus désuets.
Pour contrer la résistance au progrès technique par peur du chômage qu'il génèrerait, on a souvent invoqué l'argument de l'effet multiplicateur: le progrès technique engendre de nouvelles niches de travail dont celles d'assurer la création, la diffusion et la maintenance des nouveaux outils de production. Mais avec des robots de plus en plus versatiles, intelligents, énergétiquement efficaces et autonomes, l'effet multiplicateur ne suffit plus à compenser la compression ou la destruction pure et simple des postes de travail humain car les progrès de la machine tendent à devenir plus rapides que l'adaptation humaine.
A terme, la mécanisation de la production sera telle qu'il faudra totalement repenser le rôle du travail dans la vie humaine. Il faudra cesser de lui voir associé ces poncifs de "réalisation dans le travail", "dignité humaine par le travail", lorsque le travail en question englobe un ensemble de tâches sous-qualifiées, répétitives et mécaniques. Il n'y a aucune dignité dans le servage et on peut bien oser le dire quand ce type de labeur humain peut être définitivement dépassé par le progrès technique.
Il sera alors temps de rappeler l'une des propositions visionnaires de Dominique de Villepin: l'allocation universelle de subsistance. Ceci, ne concernera pas ce quinquennat, ni même probablement le suivant, mais il incombe au politique de dépasser l'horizon égoïste du mandat électoral pour préparer sans trop de heurt les mentalités à un avenir qui semble en l'occurrence inéluctable.