Depuis 1996, La Via Campesina, mouvement paysan mondial[1] dont la Confédération paysanne fait partie, défend la souveraineté alimentaire des peuples contre la globalisation des échanges agricoles dominée par l’agro-business. Le 16 octobre est la journée mondiale de l’alimentation. Mais pour nous, paysan·nes, c’est avant tout la journée internationale d’actions pour le droit à la souveraineté alimentaire. Ce droit est fondamental pour garantir l’alimentation sur le long terme, la reconnaissance des paysan·nes qui la produisent. Grâce à nos actions, il est devenu un thème majeur du débat agricole.
Depuis 2018, la souveraineté alimentaire est reconnue comme un droit dans la Déclaration des Nations Unies des droits des paysans et des autres populations travaillant en zone rurale (UNDROP). L’article 15 de l’UNDROP affirme : « Les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales ont le droit de définir leurs systèmes alimentaires et agricoles, droit reconnu par de nombreux États et régions comme le droit à la souveraineté alimentaire ». Ceci inclut le droit à « une nourriture saine et suffisante produite par des méthodes écologiques et durables respectueuses de leur culture. »
Cependant, aujourd’hui, le gouvernement français cherche à nous vendre une vision de la souveraineté alimentaire aux antipodes de cette définition. Suivant les demandes de la FNSEA, qui s’affole de la perte de compétitivité de l’agriculture française et de la dégringolade de la balance commerciale, la « souveraineté alimentaire » justifierait la « maîtrise des dépendances nécessaires ou stratégiques en matière d’importations et d’exportations ». Ainsi, comble de l’ironie, leur « souveraineté alimentaire » justifierait de signer des accords de libre-échange et d’accroître nos dépendances internationales en matière agricole et alimentaire !
Autre tour de force, cette souveraineté alimentaire à la sauce Macron acterait la fin de la priorité absolue accordée à la production alimentaire au profit d’une inflexion vers des productions agricoles de plus en plus tournées vers des usages énergétiques. C’est comme cela qu’il faut comprendre « la stratégie nationale » de la biomasse. La concurrence des productions énergétiques, aux prix garantis et stables, risque de mener à une baisse rapide des productions alimentaires, de moins en moins rémunératrices pour les paysan·nes. Ce changement, s’il se confirme, serait une catastrophe, en priorité pour les millions de Français·es qui, d’ores et déjà, éprouvent des difficultés à manger correctement trois fois par jour. L’inflation sur le prix des produits alimentaires pourrait encore augmenter, l’alimentation des uns se retrouvant dans la cuve à carburant des autres.
Enfin, dernière arnaque : cette souveraineté alimentaire détournée fait l’impasse sur l’impératif démocratique. En France, le peuple est souverain. La souveraineté alimentaire devrait donc logiquement mener à une participation active de la totalité de la population, avec une vigilance particulière pour y associer les plus démunis, dans les grandes orientations des politiques agricoles et alimentaires du pays. OGM, artificialisation des terres, glyphosate, méga-bassines : ces questions font débats en France et c’est heureux. Or, le gouvernement veut fixer l’impératif productiviste comme la loi d’airain de la politique agricole, si nécessaire contre la volonté d’une majorité des citoyen·nes français·es. Quelle manipulation !
Face à cet ersatz douteux, défendre la souveraineté alimentaire des peuples
Nous, paysan·nes de la Confédération paysanne et de La Via Campesina, ne pouvons tolérer ce dévoiement et cette tromperie.
Nous continuerons à défendre la souveraineté alimentaire de tous les peuples et à nous opposer aux politiques commerciales qui mettent en concurrence, via le dumping social et économique, les paysan·nes d’un continent avec ceux des autres régions du monde. Nous avons le droit en France de définir nos politiques agricoles et alimentaires en fonction de nos préférences collectives. Ce droit, nous devons aussi le reconnaître aux autres peuples, et notamment aux pays du Sud, et cesser de considérer leurs territoires, leurs ressources et leurs marchés comme des chasses-gardées à défendre.
Nous continuerons à défendre la démocratisation des débats sur les questions agricoles et alimentaires, car ces sujets impactent le quotidien de chacun. Plaisir de manger, santé, paysages, biodiversité… Cela nous concerne toutes et tous !
Et comme il n’y a pas de souveraineté alimentaire sans paysan·nes nombreux·euses, nous continuerons à défendre nos droits à un revenu digne, à l’accès à la terre et l’eau, à une retraite décente ; de même que nous continuerons à œuvrer à l’installation de centaines de milliers de nouvelles personnes sur des fermes vivantes et diverses.
Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne
Morgan Ody, Coordinatrice générale de La Via Campesina
[1] Via Campesina est composée de 182 organisations locales et nationales dans 81 pays d’Afrique, d’Afrique, d’Asie, d’Europe et des Amériques. Elle représente environ 200 millions de petits producteur·trices alimentaires.