Les lois en vigueur, en effet, rendent semé d’embuches le parcours de ces personnels diplômés, compétents et parfois même chevronnés.
Les lois en vigueur.
Les lois qui traitent de la démission des fonctionnaires sont sans appel.
L’article 24 de la loi du 13 juillet 1983 fait référence. Il stipule :
[La cessation définitive de fonctions qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire résulte :
1° De l'admission à la retraite ;
2° De la démission régulièrement acceptée ;
3° Du licenciement ;
4° De la révocation.
La perte de la nationalité française, la déchéance des droits civiques, l'interdiction par décision de justice d'exercer un emploi public et la non-réintégration à l'issue d'une période de disponibilité produisent les mêmes effets. Toutefois, l'intéressé peut solliciter auprès de l'autorité ayant pouvoir de nomination, qui recueille l'avis de la commission administrative paritaire, sa réintégration à l'issue de la période de privation des droits civiques ou de la période d'interdiction d'exercer un emploi public ou en cas de réintégration dans la nationalité française….]
On peut noter que le fonctionnaire qui présente sa démission est comparé à une personne qui aurait perdu la nationalité française ou aurait été déchu de ses droits civiques. A la suite d’une démission, l’agent n’a pas le droit d’exercer dans la fonction publique pendant cinq ans. Ainsi, un enseignant qui aurait démissionné en 2018 n’aurait pas le droit de reprendre du service dans le cadre des recrutements actuels.
De plus, l’article L551-1 du 24 novembre 2021 souligne le caractère irrévocable de la démission et rend caduque la possibilité de demander une réintégration auprès d’une commission paritaire. Le fonctionnaire est « radié des cadres ».
La seule façon de retrouver un emploi dans l’enseignement pour un professeur démissionnaire est donc, à l’issue des cinq années d’interdiction, de trouver un poste en tant que contractuel, ou de passer à nouveau les concours d’accès.
Là encore, les embûches sont nombreuses : la personne qui réussit (une deuxième fois, donc), le concours d’entrée dans ces conditions, est embauché comme un débutant, quelques soient les années d’expérience qu’il possède. Il doit faire une année de stage « en responsabilité », c’est-à-dire à mi-temps devant des classes et à mi-temps en formation. De plus, il démarre « une nouvelle carrière », à l’échelon 1. La jurisprudence est constante dans le fait que la démission signifie le renoncement aux droits statutaires acquis dans le déroulement de la (première) carrière.
Enfin, l’enseignant qui souhaiterait réintégrer les rangs de l’Education Nationale se trouve grandement pénalisé au vu de sa pension de retraite. En effet, l’article 115 de la loi n°2003-775 du 21 août 2003 stipule que : […Aux fins de liquidation de la pension, le montant de celle-ci est calculé en multipliant le pourcentage de liquidation tel qu'il résulte de l'application de l'article L. 13 par le traitement ou la solde soumis à retenue afférents à l'indice correspondant à l'emploi, grade, classe et échelon effectivement détenus depuis six mois au moins par le fonctionnaire ou militaire au moment de la cessation des services valables pour la retraite ou, à défaut, par le traitement ou la solde soumis à retenue afférents à l'emploi, grade, classe et échelon antérieurement occupés d'une manière effective, sauf s'il y a eu rétrogradation par mesure disciplinaire…]
En lisant ce texte, on pourrait s’attendre à ce que, dans le cas d’une démission, le calcul de la pension soit indexé sur l’indice le plus haut détenu au cours de la carrière. Mais cet article est contrecarré par la fameuse loi du 13 juillet 1983. Il est considéré que l’enseignant a deux carrières différentes, et le calcul se fait en deux parties : une première partie pour le premier temps d’enseignement, indexée sur le dernier indice obtenu, et une deuxième partie pour la deuxième période, indexée sur le dernier indice obtenu au cours de ce laps de temps.
Prenons la mesure de la situation par des exemples concrets.
Des cas concrets :
Le cas de Mme J
Le cabinet Lapuelle, avocats au barreau de Toulouse, relate le jugement au tribunal administratif de Toulouse de Mme J, en date du 16 avril 2008 (n°0502098).
« Nommée dans le corps des professeurs certifiés à compter du 1er septembre 2003, la requérante sollicitait la prise en compte dans son classement des services qu'elle avait accompli de 1981 à 1992 en qualité de professeur certifié titulaire avant sa démission.
Le tribunal administratif a considéré en premier lieu que : « …ne peuvent prétendre à la prise en compte de leur ancienneté que les agents qui à la date de leur nomination dans un nouveau grade, avaient la qualité de fonctionnaire »
En dernier lieu, « …A la suite de sa démission régulièrement acceptée, la requérante a été radiée des cadres à compter du 1er septembre 1992 . Ce faisant Mme J. a rompu tout lien avec la fonction publique et a renoncé ainsi au bénéfice des droits statutaires acquis dans le cadre de son déroulement de carrière… »
Le cas de Mme C.
Mme C a été titulaire du Capes de 1985 à 2010, date de sa démission. En 2016 elle a passé à nouveau le concours d’entrée et a été reçue. Comme Mme J, elle a « commencé » une « deuxième » carrière à l’échelon 1. Active au sein de son académie, elle est porteuse de projets novateurs et anime des formations, mettant clairement ses compétences professionnelles au service de la communauté éducative. Elle doit cependant suivre l’avancement imposé par l’Education Nationale, le même pour tous les agents, qui ne lui permettra pas d’obtenir un échelon supérieur à 7 lorsqu’elle aura, en 2024, cumulé les 42 annuités nécessaires pour prétendre à une retraite à taux plein. Le calcul de sa pension de retraite suivant les règles précitées lui assure un montant de 1356€ net, après pratiquement toute une vie professionnelle au service de l’Education Nationale. Il aurait été de 1814€ net, à la même date, si la loi du 21 aout 2003 avait pu s’appliquer. De quoi remettre en cause l’aura dont est entourée la retraite des agents de l’Etat.
Conclusion.
La rentrée scolaire 2022, marquée par la pénurie d’enseignants, a conduit le ministre de l’Education Nationale, Pap Ndiaye, à recruter des agents contractuels, issus d’horizons divers, mais sans expérience en matière d’éducation, et à leur proposer une formation rapide de quelques jours. Un enseignant qui réussit le concours par la voie classique bénéficie d’une année de formation avec un tuteur chargé de le guider pédagogiquement mais aussi dans l’exercice de son autorité au quotidien dans ses classes. Or, un vivier d’enseignants formés, compétents, connaissant le métier et qui pourraient être en fonction rapidement et efficacement si on leur offrait de meilleures conditions de réintégration, existe. Ne serait-il pas temps d’examiner sous un autre angle leur reprise d’activité au sein de l’Education Nationale ?