Laurent Cuenca (avatar)

Laurent Cuenca

Ecrivain / Voyageur

Abonné·e de Mediapart

36 Billets

0 Édition

Billet de blog 4 novembre 2025

Laurent Cuenca (avatar)

Laurent Cuenca

Ecrivain / Voyageur

Abonné·e de Mediapart

28 ans de Police : le droit pénal au service… de qui ?

Pendant près de trois décennies, j’ai parcouru les couloirs des commissariats et les tribunaux de France. J’ai vu le droit pénal et la procédure évoluer, se complexifier, se réécrire…

Laurent Cuenca (avatar)

Laurent Cuenca

Ecrivain / Voyageur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Quand on entre dans la Police, on croit à la justice.

On croit à la possibilité d’aider, de protéger, de faire respecter la loi. Mais très vite, la réalité frappe. En 28 ans, j’ai vu défiler lois sur lois, codes réécrits, procédures « modernisées ».

À chaque réforme, la promesse semblait la même : simplifier le travail des enquêteurs, protéger les citoyens, défendre les victimes.

La vérité ? Le droit pénal et la procédure pénale ne cessent de se complexifier… pour mieux embrouiller ceux qui devraient y trouver refuge.

Les victimes se perdent dans des formulaires, des délais, des autorisations.

Les policiers voient leur marge de manœuvre réduite à une suite de contraintes administratives, de cases à cocher, de procédures à respecter avant même de pouvoir agir.

Chaque évolution législative prétend être une avancée sociale ou humaniste. Mais sur le terrain, le résultat est limpide : la justice devient inaccessible, lente, et souvent impuissante face à la violence réelle.

Les victimes attendent des mois, parfois des années, pour que leur plainte soit entendue, pendant que les auteurs se déplacent presque librement dans un labyrinthe de procédures.

Le droit évolue… mais pas pour ceux qui en ont besoin.

Il devient un instrument de technocratie, un outil de contrôle, et un frein à la justice concrète. Ceux qui espèrent protection et réparation s’y perdent, tandis que nous, policiers, nous débattons dans un système pensé pour le formalisme plutôt que pour l’humain.

La justice française n’est plus qu’un simulacre, une mécanique rouillée au service d’une élite déconnectée.

Ses tribunaux engorgés, ses jugements à deux vitesses, et son incapacité chronique à faire respecter la loi sont les symptômes d’un système qui a choisi l’échec.

Cet effondrement n’est pas une fatalité : il est voulu, orchestré, et entretenu pour servir des intérêts bien précis.

Les victimes sont abandonnées, les délinquants récidivent dans l’impunité, et les citoyens, eux, sont spectateurs d’une farce qui se joue à leurs dépens. La lenteur des procédures, les classements sans suite absurdes, et les peines ridicules ne sont pas des accidents, mais des outils d’un pouvoir qui a renoncé à garantir la justice.

Pendant ce temps, ceux qui devraient répondre de leurs crimes économiques, politiques ou financiers bénéficient d’une immunité de fait.

Et que dire du milieu carcéral ?

Les prisons ne sont plus des lieux de réinsertion mais des fabriques à monstres. Surpeuplées, gangrénées par la violence, elles transforment des délinquants en criminels aguerris.

La réhabilitation est un mythe, et la sécurité publique est sacrifiée sur l’autel de l’inaction.

Ce n’est pas un dysfonctionnement, mais un choix cynique : maintenir les prisons dans cet état permet de justifier l’inaction en aval, tout en alimentant un cercle vicieux de criminalité et de peur.

Le plus cynique dans tout cela, c’est que l’État sait parfaitement que la justice est inefficace pour les victimes. Il sait que les plaintes stagnent, que les enquêtes s’éternisent, que les coupables échappent souvent aux sanctions. Et pourtant, il ne change pas le système. Au contraire, il l’utilise.

Comment ? En jouant sur la peur.

Chaque année, les rapports officiels abondent en chiffres alarmants : « X milliers d’infractions », « augmentation de X % de la délinquance », « hausse inquiétante des violences ».

Ces chiffres sont brandis dans les médias, dans les discours politiques, comme s’ils traduisaient une urgence sociale… mais ils ne traduisent rien de concret pour les victimes.

La peur devient alors un outil de contrôle : peur des autres, peur du crime, peur de ne pas être protégé. Pendant ce temps, les véritables mesures de protection, d’accompagnement, de réparation, elles, restent marginales ou purement symboliques.

Les lois se succèdent, les campagnes de communication fleurissent, mais les victimes continuent de souffrir dans le silence.

Au fond, ce système fonctionne parce qu’il transforme l’impuissance en chiffre et la détresse en statistique. La peur collective justifie tout : surveillance accrue, lois sécuritaires, budgets gonflés… sans jamais résoudre le problème réel : la justice et la protection des victimes.

Aujourd'hui, je peux l’affirmer : l’État ne cherche pas à protéger. Il cherche à mesurer la peur, à l’exploiter, et à en tirer un pouvoir qui se nourrit de l’angoisse de la population.

Les victimes ? Elles restent au bord du chemin, coincées entre procédures complexes et chiffres manipulateurs.

Après 28 ans à marcher dans les couloirs de la justice, à observer la mécanique se gripper et les victimes se perdre, une certitude s’impose : le droit pénal n’a jamais été conçu pour protéger.

Il sert d’abord à protéger le système, ses chiffres, ses apparences, et les carrières qu’il nourrit. Les victimes ne sont qu’un décor, les policiers des figurants obligés de suivre des règles qui les paralysent.

L’État, lui, a compris depuis longtemps que la peur est plus rentable que la protection.

Il compte, chiffre, communique, terrorise… et ferme les yeux sur la souffrance réelle. Dans ce théâtre, chacun joue son rôle : les victimes se taisent, les policiers s’épuisent, et le système prospère sur l’illusion d’une justice qui n’existe que sur le papier.

Après tant d’années à voir ce manège, je peux le dire sans détour : il n’y a rien à attendre d’un système qui préfère gérer la peur plutôt que la douleur.

La justice en France n’est pas un rempart : c’est un spectacle, froid, distant, et profondément indifférent à ceux qu’elle devrait servir.

Laurent Cuenca ( ex-lanceur d'alerte...)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.