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Billet de blog 17 octobre 2025

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Le Rassemblement National n’est pas un parti, c’est une entreprise de déconstruction.

Le Rassemblement national, héritier direct du Front national de Jean-Marie Le Pen, est un pseudo parti politique, un mouvement dit « patriote », contestant l’ordre établi. En vérité, le RN n’est pas un parti, mais une entreprise politique de déconstruction.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

— Alors ? Tu vas voter FN… heu, pardon, RN ?

— Ben ouais, t’as vu l’état du pays ? Faut du changement !

— Du changement ? Avec les mêmes têtes depuis trente ans ?

— Ouais mais bon, eux au moins, ils parlent vrai.

— Ils parlent fort, surtout. Mais c’est pas la même chose.

— De toute façon, les autres, c’est des pourris. Au moins, ceux-là, ils n’ont jamais gouverné.

— Justement ! Et si c’était fait exprès qu’ils ne gouvernent jamais ?

— Hein ? Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Je veux dire que ça fait quarante ans qu’on nous rejoue le même film.

À chaque fois, on te dit : “Attention, le RN arrive !”, tu trembles, tu votes contre, et hop, les mêmes restent au pouvoir.

C’est devenu un business : le RN fait peur, les autres récoltent.

— Tu veux dire qu’ils sont de mèche ?

— Pas besoin d’être de mèche. Ils se nourrissent l’un de l’autre.

Le système a besoin d’un monstre pour se dire “démocratique”.

Et le RN a besoin du système pour exister.

— Mouais… t’es toujours dans tes théories, toi. Moi, j’veux du concret. Le pouvoir d’achat, la sécurité, la France quoi !

— Et tu crois qu’ils vont te le donner ? Ils vivent de ta colère, pas de ta confiance.

Le jour où t’es heureux, ils ferment boutique.

— Ouais, mais faut bien voter pour quelqu’un.

— Non, faut voter pour quelque chose.

Pas pour une marque, un slogan ou une colère recyclée.

— T’es un peu dur. Ils sont peut-être sincères.

— Sincères ? Comme une entreprise qui promet de tout changer sans jamais rien livrer ?

Le RN, c’est Amazon de la politique : ils vendent du rêve en rupture de stock.

— Et donc toi, tu votes pour qui ?

— Pour personne qui me prend pour un client.

— Ouais, ben pendant que tu réfléchis, eux ils avancent.

— Non. Pendant que je réfléchis, eux stagnent.

Ils ont besoin de ta peur pour grandir, pas de ton espoir.

— T’es sûr ? Parce que là, moi j’en ai marre, j’me dis “pourquoi pas essayer ?”

— Parce qu’on n’essaie pas une illusion. On la débranche.

— T’as des phrases, toi…

— Et toi, t’as un bulletin. C’est pas pareil.......😕

Un produit d’entretien du système

Depuis quarante ans, le RN remplit une fonction essentielle dans le théâtre politique français : canaliser la colère pour mieux neutraliser le changement.

À chaque présidentielle, la même mise en scène se répète avec une précision d’horloger :

une montée orchestrée des tensions,

un discours apocalyptique sur le « danger fasciste », et enfin, l’appel solennel à « faire barrage ».

Résultat ? Le pouvoir se recycle, les élites se rassurent, et la démocratie se réduit à une pièce jouée d’avance.

Le peuple, lui, n’a plus qu’un rôle : celui du figurant qu’on convoque à chaque scrutin pour légitimer un scénario déjà écrit.

Ce mécanisme, inauguré sous François Mitterrand dans les années 1980, reste d’une efficacité redoutable. En favorisant l’ascension médiatique du Front national, le président socialiste divisait la droite et s’assurait un boulevard électoral. Il avait ouvert une boîte de Pandore : depuis, tous les présidents ont profité de la même mécanique.

Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron : chacun d’eux a bâti son second tour sur le même adversaire, la même peur, le même mythe du péril brun qui menace toujours… sans jamais arriver.

L’entreprise de la peur

Le RN, c’est une fabrique d’angoisses calibrées.

On y distille savamment les mots qui blessent, on entretient les divisions, on manipule les fractures sociales et culturelles. Le tout dans un emballage pseudo-protecteur : la « défense du peuple », la « souveraineté », « l’amour de la France ».

Mais sous cette façade, il n’y a ni projet structuré, ni ambition de gouverner.

Il n’y a qu’un business électoral, alimenté par la peur, financé par l’État, et protégé par ses ennemis politiques.

Chaque élection devient alors une campagne publicitaire pour ce que j'appelle le RN S.A.

Chaque défaite, une opportunité de croissance.

Chaque crise nationale, un nouveau plan marketing.

La formule est imparable :

Plus la France va mal, plus le RN prospère.

Et plus il prospère, plus il garantit la survie de ceux qu’il prétend combattre.

Une entreprise rentable

Car ne nous y trompons pas : le RN vit très bien de ses échecs.

Les subventions publiques pleuvent à chaque élection, les financements européens complètent les caisses, les salaires tombent pour des cadres qui n’ont jamais exercé le pouvoir, et les procès se multiplient... sans conséquence durable.

Tout est prévu pour que l’entreprise tourne, même sans résultats politiques.

On a connu des entreprises zombies dans l’économie : maintenues en vie par des artifices comptables, incapables d’innover mais trop utiles pour disparaître.

Le RN, c’est la version politique du zombie d’État.

Toujours là, toujours menaçant, jamais au pouvoir.

Cette posture d’opposition permanente lui évite toute responsabilité, tout bilan, tout risque.

Pendant que les autres gouvernent, il récolte les dividendes du mécontentement.

Le RN, c’est la meilleure assurance-vie du pouvoir en place. Sans lui, plus de front républicain, plus de levier émotionnel pour maintenir les électeurs captifs. Sans lui, la colère populaire trouverait d’autres débouchés, peut-être plus radicaux, mais surtout plus sincères. Avec lui, tout est sous contrôle : les colères sont canalisées, les frustrations recyclées, et les élites peuvent continuer leur théâtre démocratique sans trop de dégâts.

Historiquement, tout prouve cette mécanique infernale.

Depuis Mitterrand, qui fit médiatiser le Front national pour fracturer la droite, jusqu’à Macron qui s’est fait réélire face à Marine Le Pen en 2022, chaque président doit une part de son destin politique au RN. Ce parti est un produit d’entretien du pouvoir. Un nettoyeur idéologique : il empêche l’émergence d’une véritable alternative.

Les électeurs, eux, n’y voient souvent qu’une opposition de façade. Ils croient choisir un contre-pouvoir, alors qu’ils valident en réalité la structure même qui les enferme. Le RN prospère sur la peur, mais c’est une peur entretenue, calibrée, presque scénarisée. À chaque montée de tension sociale, à chaque crise migratoire, on le ressort du placard comme un joker providentiel : il détourne les regards des vrais enjeux,  la captation des richesses, la corruption d’État, la mainmise des lobbies, et il rassure le système, qui retrouve dans cet adversaire parfait un allié déguisé.

Ne nous y trompons pas : le RN ne veut pas gouverner. Il n’a jamais eu de programme cohérent, encore moins de colonne vertébrale réformatrice. Son existence se nourrit de la posture, pas du pouvoir. Car accéder réellement à l’Élysée signifierait perdre sa fonction d’épouvantail, et donc sa raison d’être. C’est pourquoi ses dirigeants, de Jean-Marie à Marine, puis à Jordan Bardella, cultivent soigneusement cette zone grise : assez virulents pour entretenir la peur, jamais assez crédibles pour la dépasser.

Une opposition sous tutelle

Les électeurs sincères du RN, souvent issus des classes populaires abandonnées par la gauche et trahies par la droite, croient voter contre le système.

Mais en réalité, ils votent pour son maintien.

Le RN sert de cloison pare-feu : il empêche la colère sociale de se transformer en force politique cohérente.

C’est une soupape contrôlée.

Une opposition sous tutelle.

Et lorsque certains de ses cadres franchissent la ligne rouge, celle qui menacerait vraiment les équilibres, ils sont neutralisés par le système lui-même, récupérés, discrédités ou recyclés dans les médias.

Marine Le Pen a ainsi adouci l’image du parti jusqu’à en faire un produit électoral aseptisé, compatible avec le jeu institutionnel.

Jordan Bardella incarne maintenant la génération suivante, lisse, médiatique, parfaitement calibrée pour les plateaux télé et les réseaux sociaux.

Mais derrière le vernis, rien ne change : la ligne, la stratégie, la fonction demeurent.

Un hold-up sur la démocratie

La vérité, c’est que le RN a servi à truquer la démocratie sans jamais tricher officiellement.

Son rôle n’est pas de manipuler les urnes, mais les consciences.

À chaque scrutin, il transforme la peur en instrument de domination.

Et à force d’agiter le spectre de son arrivée au pouvoir, les autres partis ont vidé le mot « alternance » de tout sens.

On ne vote plus pour, on vote contre.

On ne choisit plus un projet, on évite un cauchemar.

Ce n’est plus une élection, c’est une opération de maintien d’ordre.

Les Français ne sont plus citoyens : ils sont otages d’un scénario.

Un scénario où le RN fait office de méchant officiel, et où chaque président peut endosser le rôle du sauveur républicain.

Un jeu cynique, tragique même, où la démocratie n’est plus qu’un décor de carton-pâte.

RN S.A. : le bras armé de la confusion

Ce que le RN détruit, ce n’est pas seulement la gauche, la droite ou le centre.

C’est la possibilité même du débat démocratique.

Il installe dans les esprits un climat de peur, une logique d’affrontement stérile où toute nuance devient suspecte, où toute critique devient complicité.

Il divise pour mieux régner, mais au profit de ceux qui détiennent réellement le pouvoir.

Dans cette guerre des illusions, les vrais perdants sont les citoyens.

Ils n’ont plus d’espace pour penser, plus de repères pour choisir, plus de voix pour se faire entendre.

Pendant que l’on parle immigration, identité, insécurité, on évite soigneusement de parler d’inégalités, de corruption, de dérives oligarchiques, de capture de l’État par les intérêts privés.

Le RN n’est donc pas un contre-pouvoir, mais un instrument de diversion massive.

Une entreprise de confusion politique, calibrée pour empêcher toute remise en cause de la pyramide du pouvoir.

Le grand piège français

La France vit aujourd’hui dans une démocratie piégée, où l’alternance n’est plus qu’un mot creux.

Les partis traditionnels sont épuisés, le débat public est saturé, les médias dominants recyclent la peur du RN pour faire de l’audience, et le peuple, las, finit par se détourner du vote.

Cette fatigue démocratique est voulue : elle rend le citoyen inoffensif, dépolitisé, et donc plus facile à gouverner.

Dans ce grand jeu d’ombres, le RN est le pivot central.

Sans lui, le pouvoir perdrait son alibi moral, ses faux combats, son théâtre.

Avec lui, tout reste sous contrôle.

Alors non, le RN n’est pas un parti politique.

C’est une franchise du pouvoir, un produit dérivé du système, un actionnaire caché de la République.

Et tant que cette entreprise de la peur continuera à prospérer sur nos urnes, la démocratie française restera une vitrine fissurée, un pays libre en apparence, mais prisonnier de son propre décor.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.