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Billet de blog 17 octobre 2025

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Une démocratie en lambeaux : quand la France gouverne par réflexe de survie.

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Illustration 1

"C’est douloureux pour nous tous", a reconnu Emmanuel Macron devant ses ministres, après la suspension de la réforme des retraites. Douloureux, certes. Mais surtout révélateur : la douleur est celle d’un système qui n’en peut plus, d’une démocratie qui s’essouffle, d’un pouvoir qui survit à lui-même.

Depuis plusieurs mois, la France donne le spectacle désolant d’une démocratie en panne. Une République qui, faute de sens, ne tient plus que par ses procédures. On gouverne par ordonnances, on légifère à coups de 49.3, on promet des « pauses » pour mieux reculer ensuite. La « réforme » n’est plus synonyme de progrès, mais de crispation. Et les institutions, censées arbitrer et équilibrer, sont devenues les couloirs d’un théâtre où chacun joue son rôle en attendant la prochaine crise.

À l’Assemblée nationale, les députés s’invectivent, se soupçonnent, se neutralisent. Le débat public n’existe plus : il est remplacé par la communication, par l’élément de langage et la posture. Le Sénat, lui, ressemble à une antichambre du renoncement. On y parle lentement, on y débat poliment, pendant que le réel brûle dehors.

Le Parlement, censé incarner la souveraineté populaire, ne produit plus que des compromis sans âme, des textes rabotés, des réformes suspendues. Les élus semblent assister à la lente désagrégation d’un État qu’ils ne contrôlent plus.

Pendant ce temps, le pays tangue.

Les inégalités explosent, la colère sociale s’étouffe faute de débouché politique, et le fossé entre le pouvoir et la rue s’élargit. La France ne débat plus : elle s’éteint, lentement, dans une torpeur démocratique où l’on préfère éviter la tempête que d’y faire face.

Les citoyens, eux, ne votent plus ou votent contre. Les syndicats, réduits à l’impuissance, peinent à mobiliser. Les partis politiques ressemblent à des marques commerciales : sans idéologie, sans ancrage, sans souffle. Et dans ce désert, le pouvoir macronien s’accroche à une verticalité de plus en plus désincarnée, sans relais, sans confiance, sans légitimité réelle.

La suspension de la réforme des retraites n’est pas un simple contretemps politique : c’est le symbole d’une gouvernance à bout de souffle. Une présidence qui avance par réflexe, sans cap, dans une atmosphère de plus en plus irrespirable. Le Président parle de « responsabilité », mais il gouverne par contournement. Il parle d’« écoute », mais ne consulte plus que ceux qui pensent comme lui.

La République en vient à ressembler à une forteresse administrative : fermée sur elle-même, défendue par une élite qui se regarde gouverner.

Et les deux chambres, censées être le cœur battant du débat démocratique, ne sont plus que des anti-chambres du pouvoir exécutif.

Le Parlement ne délibère plus, il entérine. Les commissions préparent, les amendements s’effacent, les décisions tombent d’en haut. C’est une démocratie d’apparat, où tout semble fonctionner mais où plus rien ne vit.

Dans ce climat, les Français ne s’opposent plus frontalement : ils se détournent. Ce désengagement silencieux est la plus grande victoire du cynisme politique.

Le mal est profond, structurel. Il ne se guérit pas par une énième réforme des retraites, ni par un remaniement ministériel. Il se soigne par une refondation du lien entre le pouvoir et la société, entre la parole publique et la réalité vécue.

Or, rien n’indique que ce chantier soit même envisagé.

On bricole, on commente, on temporise — pendant que la maison République prend l’eau.

La France traverse aujourd’hui une crise politique majeure, mais feutrée. Pas de grand fracas, pas de putsch, pas de révolution : juste un effritement lent, une fatigue institutionnelle qui s’installe et ronge le sens même du mot démocratie.

Car à force de gouverner sans le peuple, on finit toujours par gouverner contre lui.

La République française n’est plus un idéal, elle est devenue une procédure.

Elle ne décide plus, elle gère.

Elle ne gouverne plus, elle temporise.

Sous couvert de stabilité, elle s’enlise dans la peur de déplaire et dans la dépendance aux technostructures.

Et pendant que les élites politiques s’auto-congratulant de leur « sens de la responsabilité », le pays réel s’enfonce dans la désillusion.

La République n’est plus une promesse. Elle est devenue une administration.

Une administration du vide, une gestion de l’impuissance, où chaque décision repoussée n’est qu’un report de vérité.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.