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Elle s’appelle Élodie, trente-sept ans, professeure des écoles, un métier que l’on dit “de vocation” mais qui, aujourd’hui, ressemble à un sacerdoce.
Depuis le 14 octobre, elle est là, assise sur les marches froides du Carré d’Art à Nîmes, avec sa pancarte, son gobelet d’eau et son courage pour seul repas. Elle ne mange plus.
Pas pour maigrir, pas pour plaire, pas pour prouver mais pour protester.
Contre quoi ?
Contre un gouvernement qui, selon elle, s’éloigne du peuple, ment, infantilise, surveille et sanctionne.
En somme, contre ce qu’elle appelle “un autoritarisme qui ne dit pas son nom”.
Et pendant qu’elle s’affaiblit dans son corps, la société, elle, continue de consommer, de scroller, de s’agiter sans agir.
On regarde cette femme comme une curiosité, une anomalie.
Mais si, au lieu de la regarder, on se regardait, nous ?
Une femme seule face à un pays résigné
Son geste n’est pas fou, il est logique. Quand tout dialogue est rompu, quand la parole citoyenne est piétinée sous des tonnes de procédures, de QR codes et de promesses non tenues, que reste-t-il sinon le corps ?
Le sien est devenu une banderole, une arme pacifique mais tranchante : elle s’efface pour rappeler que nous existons.
Une seule femme, seule sur des marches, vaut parfois plus que mille pétitions en ligne.
Parce qu’elle ne clique pas, elle agit.
Parce qu’elle ne s’indigne pas derrière un écran, elle se met en danger.
Parce qu’elle incarne ce que tant ressentent sans oser le dire : un désenchantement profond, une lassitude politique, un sentiment d’avoir été dépossédé de tout sauf de sa peau.
Et c’est précisément ce qu’elle offre : sa peau.
Et si tout un peuple faisait comme elle ?
La question n’est pas naïve. Elle est vertigineuse.
Que se passerait-il si, demain, des milliers de Français posaient leurs couverts, leurs smartphones et leurs télécommandes pour dire :
“Nous ne mangerons plus tant que vous ne nous écoutez plus.”
Non pas une grève de la faim pour obtenir un poste, un salaire ou un privilège.
Mais une grève de la faim existentielle, collective, massive : un peuple qui refuserait de s’alimenter dans un système qui l’affame spirituellement.
Car de quoi nous nourrit-on aujourd’hui ?
De peur, de dette, de culpabilité climatique, de distractions toxiques et de polémiques de surface.
Nous avalons du vide, du mensonge et de la résignation.
Alors oui, la question se pose : le vrai jeûne n’est-il pas déjà en cours ?
Le peuple a cessé depuis longtemps de se nourrir de vérité, d’idéal et de dignité.
Élodie ne fait que le rendre visible.
Une faim de justice plus qu’une grève de la faim
La faim, dans son cas, n’est pas un manque de calories, c’est un cri.
Une façon de dire : “Vous m’avez tout pris sauf mon libre arbitre, et c’est lui que je vous oppose.”
Cette femme ne cherche pas la pitié, elle cherche la conscience.
Et c’est précisément pour cela que son geste dérange : il n’appartient à aucun camp, ne sert aucun parti, ne s’appuie sur aucun dogme.
Il est nu.
Radical dans sa simplicité.
Intolérable pour ceux qui ont fait de la communication une arme et de la gestion du silence un art.
Car face à une société anesthésiée par le confort, un corps qui dit “non” devient révolutionnaire.
Et cela, les puissants ne le tolèrent pas.
Mais où est le peuple ?
Où sont les milliers d’Élodie que compte ce pays ?
Les soignants laminés, les enseignants découragés, les petits artisans étranglés, les jeunes désillusionnés ?
Chacun a sa colère, mais tous la taisent.
Chacun a sa douleur, mais tous la gèrent.
On manifeste un jour, on retourne travailler le lendemain.
On gueule sur Internet, puis on obéit docilement à la réalité.
Nous sommes devenus des esclaves polis, des rebelles connectés, des indignés de canapé.
Pendant qu’Élodie se vide de sa force sur les marches de Nîmes, la République, elle, se vide de sens.
Et si c’était cela, le vrai drame : que le courage soit devenu marginal, et l’indifférence, la norme ?
Faire comme elle, mais autrement
Non, tout le monde ne peut pas faire une grève de la faim.
Mais tout le monde peut cesser de nourrir le système.
Cesser de nourrir les mensonges médiatiques, les achats inutiles, les peurs entretenues, les obéissances automatiques.
Faire grève de la consommation, de la docilité, de la peur.
Se nourrir autrement : de lectures, de débats, d’entraide, de vérité.
C’est cela, “faire comme elle”.
Pas mourir de faim ,mais revivre de sens.
Élodie, un prénom pour mémoire
Peut-être qu’elle retombera dans l’oubli, comme tant d’autres.
Peut-être que son nom ne sera qu’une note de bas de page dans un journal local.
Mais les civilisations tiennent parfois à un fil, ou à une femme assise sur des marches.
Car il faut parfois qu’une seule se dresse pour rappeler aux autres qu’ils sont vivants.
Et si, au fond, la question n’était pas :
“Pourquoi Élodie fait-elle la grève de la faim ?”
Mais plutôt :
“Pourquoi sommes-nous encore rassasiés ?”
Après tout, nous avons déjà prouvé que nous étions capables de nous soumettre à l’extrême.
Nous avons accepté de nous enfermer, de ne plus consommer, de ne plus nous toucher, ni nous sourire, pour un pseudo-virus qu’on a érigé en religion de la peur.
Nous avons cessé de vivre pour “sauver la vie”.
Et nous l’avons fait sans protester, sans discuter, presque avec fierté.
Alors pourquoi serions-nous incapables, aujourd’hui, de nous unir non plus par peur, mais par lucidité ?
Pourquoi ne pas transformer le combat d’Élodie en symbole collectif, non de résignation, mais de renaissance ?
Pourquoi ne pas faire de cette faim une arme pacifique, une étincelle de rassemblement, un cri commun pour la fin de ce régime, sans jeu de mots, mais avec tout le sérieux qu’impose la décadence ?
Ce qu’Élodie fait seule sur les marches de Nîmes, c’est ce que tout un peuple devrait faire dans sa conscience : refuser de se nourrir du mensonge, du mépris et de la peur.
Refuser d’avaler ce qu’on nous sert depuis trop longtemps.
Car oui, la faim justifie les moyens.
Et parfois, il faut avoir faim de justice pour mériter la liberté.
Merci Élodie