L’assassinat de Charlie Kirk n’était pas un acte de « violence politique », malgré ce qu’on répète dans plusieurs chroniques. On est aussi très loin de voir naître aux États-Unis une époque telle que le « Trouble » irlandais ou les années de plomb en Italie.
Sociologiquement, on pourrait qualifier de « violence politique » une violence qui est : organisée et structurée par un groupe ; revendiquée et exécutée pour obtenir le pouvoir sur les masses, en vue d’un projet de société explicite ; et présentée par le groupe organisé qui l’exécute comme étant légitime et nécessaire.
Rien dans l’assassinat de Kirk n’y correspond.
Toutes les personnes impliquées dans la politique américaine ont condamné l’acte, celles de gauche comme celles de droite. Ce n’est pas « la gauche » qui a assassiné : c’est un tireur solitaire, comme d’habitude. On a affaire ici à un énième Étatsunien qui a utilisé une arme pour sublimer sa frustration et son vécu d’impuissance.
Aussi, et malgré ce qu’on sous-entend souvent, les internautes qui « aiment » des publications et qui laissent des commentaires plus ou moins anonymes sur les réseaux sociaux ne constituent pas une force politique. Ce sont des individus isolés qui ne font pas la différence entre l’information et le divertissement.
Ce qui est cependant nouveau et inquiétant, c’est la politisation qu’on fait d’un évènement de ce type, qui est pourtant tragiquement commun dans ce pays. C’est qu’on a fait de cet homme polémiste un « martyr de la vérité ». On désigne du même coup un coupable abstrait : « la gauche », les « wokes », les « socialistes » … On profite d’un assassinat pour désigner un ennemi vague qui serait interne à la nation, et qui servira de prétexte pour faire peser encore plus lourdement cette violence politique qui écrase la société américaine de manière grossière depuis quelques mois.
Pour expliquer cette idée d’une « gauche » devenue violente et incontrôlable, on évoque souvent l’assassinat de Brian Thompson, perpétré par Luigi Mangione en décembre 2024. Or, Mangione n’avait pas non plus de projet de société alternatif « de gauche ». Il était frustré du système d’assurance parce qu’un de ses proches s’était fait refuser une réclamation. Il se sentait impuissant, il avait une arme à feu à portée de main, et quelques synapses mal organisées. Ce n’était pas une « violence politique de gauche » ; c’était un autre américain impuissant qui a pris une arme pour sublimer sa souffrance. Mangione était apolitique, même s’il propageait des prises de position plutôt « de droite » dans ses réseaux…
On ne connaît pas encore les motifs ou la couleur des opinions de l’assassin de Kirk. L’histoire nous montre cependant que ce n’est pas parce que la victime se situe à l’extrémité du champ politique que son assassin est nécessairement dans l’autre. Et même s’il s’avérait que le meurtrier de Kirk a une vision du monde antagonique à celle de sa victime, son acte odieux n’en deviendrait pas pour autant une pièce maîtresse d’un projet politique. Ce qui serait d’autant plus surprenant, c’est que cet assassinat non revendiqué ait été élaboré et exécuté par une organisation sociopolitique dans le but d’imposer par la force un projet de société.
Je pense ainsi qu’il faudrait distinguer la « violence politique » de la violence qui atteint les personnes disposant d’un certain pouvoir politique. La deuxième forme, contrairement à la première, n’est pas structurée, ni légitimée, ni prétendante au pouvoir. En confondant la violence civile exacerbée et la violence politique, on rend toutes les deux plus insaisissables, et on n’est donc pas en mesure de bien diagnostiquer les maux de la société voisine. On ne peut donc pas apprendre de sa pénible condition. Dans le contexte actuel, cette confusion risquerait en outre de nous rendre complices, au moins tacitement, d’une oppression grandissante de l’État envers tous ceux et celles qui pourraient être considérés, à un moment ou un autre, comme étant « de gauche ».
Je suis donc d’avis qu’il faut arrêter d’avaler le discours de cette présidence autoritaire (et des autres opportunistes qui profitent de la division sociale) qui affirme que « la gauche tue », qu’une « violence politique de gauche » a émergé et se repend aujourd’hui. Puisque c’est inexact, et parce que cette rhétorique ne sert qu’à inoculer l’idée qu’« ils » (les gens « de gauche », whomever they are) sont des ennemis de la nation qu’on se doit de combattre (voire d’éliminer).
Accepter et répéter ce type de discours, même dans ses formes les plus douces et subtiles, c’est tomber dans le panneau. C’est adhérer à leur projet totalitaire. C’est s’écarter du chemin pour donner la voie à encore plus de répression arbitraire.