« Le plus dur n'est pas de rentrer en résistance, le plus dur reste à tenir la distance. »
La Canaille.
Ça y est, les petit pois sortent de terre, la serre est installée, les oignons dans leurs buttes et les tomates dans leurs godets. J'ai stoppé la course 2 ou 3 fois pour respirer un moment. Ici, les camarades du Front de gauche désespèrent de ne pas me voir... Mon travail est épuisant, nous essayons de faire tenir sur pied un lieu d'art et d'éducation populaire. C'est un combat quotidien contre les lourdeurs administratives, les frilosités des élus locaux et l'arrogance des banques. Quand j'étais en première ligne, durant les luttes des intermittents, je ne supportais pas cette phrase : « Je ne milite par mon théâtre, pas besoin de syndicat ! ». Je dois vieillir...
Étonnante dialectique, nous œuvrons pour le « buen-vivir », cher à Paul Ariès, mais notre vie, notre quotidien, notre militantisme nous obligent sans cesse à sacrifier l'urgent à l'essentiel. Et dans un même temps, un même mouvement, si nous souhaitons transformer le réel, nous savons qu'il ne peut en être autrement. Il faut du temps, de la sueur, des portes à portes, des efforts physiques et cérébraux. Il faut rassembler, convaincre, trouver les mots, … et ne pas oublier d'être humain. Étonnante dialectique.
Nous traversons un moment d'enthousiasme et de légèreté militante. Nous nous souviendrons longtemps de ce printemps 2012 où nous avons repris espoir. Le plaisir et le militantisme sont à nouveau unis. Nous pouvons mêler humour et réflexion, fêtes et meetings... Ne sous-estimons pas l'importance de cette orientation et son effet d’entraînement. La politique n'est pas hors de la vie. C'est pour cela que nous œuvrons à ce "déjà là" du communisme. Toutes ces petites initiatives dans le réel (les Amap, les coopératives, les îlots de démocratie locale...) sont un bout de futur perdus dans le présent. Elles nous incitent à porter plus loin la mobilisation.
Aujourd'hui, je voudrais porter un "déjà-là" plus quotidien que le flot militant tend à minimiser. Être vivant et humain, n'est-ce pas déjà une victoire politique ? Préserver du temps pour les siens quand tout pousse à courir, prendre le temps de l'écoute, du partage, d'un repas, marcher et voir la terre, sentir le printemps arriver, changer son planning pour respirer à 2, n'est-ce pas politique ? Peut-être un peu fleur bleue face au pouvoir de l'argent ? Mais si nous oublions que c'est pour cela que nous nous battons, nous avons déjà perdu. Il faut raconter à chacune de nos interventions cette ligne de démarcation que chacun peut comprendre. C'est une fracture culturelle qui montre que rien ne justifie la négation de notre humanité, l'amoindrissement de nos émancipations successives. Cette idée simple et forte, que c'est parce que nous aimons la vie que nous luttons, doit être une pierre d'angle de cette nouvelle maison que doit devenir le Front de gauche. Il nous reste à présent à tenir la distance, comme nous y incite le rappeur la Canaille.
Chaque matin, la force est là dans nos jardins, au creux de nos vies.
Laurent Eyraud-Chaume.