Il neige. Je suis resté là. Une seconde. Les enfants ne m'ont pas laissé le choix. Le temps d'une respiration, j'ai dû sortir les luges. Je les ai tirés jusqu'à la rivière et nous sommes revenus. La neige était trop légère pour faire des bonshommes.
Hier, à la réunion du Front de gauche de notre vallée (le Buëch), nous avons eu un débat autour des périmètres des futures intercommunalités. Dis comme ça, ce n'est pas très glamour ! Les couches successives, les compétences, la fiscalité, les frontières et le préfet... c'est certain qu'un petit nouveau serait un peu refroidi par un débat technique et dans une langue étrange. Et pourtant, de fil en aiguille, la vie entière se déroule dans la discussion : la santé de proximité, les transports, l'école... l'histoire des communes, des impôts et de l'État.
Assez rapidement, un exemple en amenant un autre, la discussion se tend autour du "que faire". L'alliance avec le PS ne fait plus débat. (Le gouvernement Ayrault aide à clarifier les espaces politiques...) Nous sommes ici face à la question "être élu : pour quoi faire ? " et pour quels compromis ? Les reculs ne manquent pas et chaque avancée semble valider le recul précédent. C'est sans fin. Nous sommes contre la privatisation de la Poste, donc nous devrions refuser que les salariés communaux assurent les missions de la Poste. Nous sommes contre la régionalisation des transports ferroviaires, alors pourquoi valoriser le travail de nos élus à la région en matière de tarifs ?
Évidemment nous devons nous battre sur tous les tableaux, mais la question semble plus profonde. Ici, une vallée se meurt. La paupérisation de ce village ouvrier (Veynes) est immense. Les services publics ont longtemps été la dernière digue avant cette impression de désastre. Les bars et les commerces ferment. Nous avons l'impression tenace qu'il faut agir, ici et maintenant. Bien sûr, ces nouveaux périmètres pour l'intercommunalité ont été proposés d'en haut (Gap, la préfecture...), mais il faut avancer. De nombreux financements pour aider nos territoires ruraux ne peuvent être captés que par des intercommunalités puissantes et "compétentes". Bien sûr, la démocratie reste partielle, mais où est-elle idéale ? Bien entendu les mécanismes fiscaux sont injustes, mais il y a urgence à agir. Les élus ruraux sont comme des marins qui doivent écoper et fixer un cap dans un même mouvement.
J'avoue que je manque souvent de patience face à ceux qui demandent sans cesse à l’État de tenir son rôle. Ici, je ne vois plus d’État, je ne vois plus rien... Nous sommes face à nous-mêmes et face à nos demi-solutions. Pour que ces solutions soient de vraies alternatives, il faut un mouvement citoyen puissant qui sache dire dans quel monde il souhaite vivre et tordre le cou aux logiques d'austérité. C'est le peuple qui décide de ses espaces de démocratie. Il faut des territoires de projet et il semble évident que les seules communes ne sont pas ces territoires. Le financement est un autre débat. Il faut un partage national (ou européen) des richesses et une grande solidarité entre les territoires. C'est sans doute une chance à saisir de devoir réinventer à échelle humaine les fonctionnements du commun. Si la SNCF doit rester (ou redevenir...) nationale, nous sommes seuls à savoir ce qui peut être bon pour qu'elle fonctionne ici.
C'est en partant du projet et des utopies de demain qu'un pays se construit, formel ou symbolique. À nous de savoir si nous construirons les identités du futur sur les flux économiques libérés et la peur du voisin ou sur une terre solidaire et hospitalière. Le vieux monde est derrière nous.
C'est la nuit. Il neige. J'aime les saisons. Ce que je préfère dans l'hiver ? Les jours rallongent.
Laurent Eyraud-Chaume