Laurent Eyraud-Chaume (avatar)

Laurent Eyraud-Chaume

comédien/conteur au sein de la compagnie Le pas de l'oiseau, rédacteur en chef d'Alp'ternatives

Abonné·e de Mediapart

32 Billets

1 Éditions

Billet de blog 11 décembre 2011

Laurent Eyraud-Chaume (avatar)

Laurent Eyraud-Chaume

comédien/conteur au sein de la compagnie Le pas de l'oiseau, rédacteur en chef d'Alp'ternatives

Abonné·e de Mediapart

Politiques culturelles: on se cogne ?

Politiques culturelles : on se cogne ? Nous sommes un certain nombre à tenter de marier notre action dans le réel et les recherchesthéoriques de différentes disciplines.

Laurent Eyraud-Chaume (avatar)

Laurent Eyraud-Chaume

comédien/conteur au sein de la compagnie Le pas de l'oiseau, rédacteur en chef d'Alp'ternatives

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Politiques culturelles : on se cogne ? Nous sommes un certain nombre à tenter de marier notre action dans le réel et les recherches

théoriques de différentes disciplines. Lucien Sève nous encourage depuis quelques années à « commencer par les fins ». Se demander

sans cesse : « dans quel monde souhaiterions-nous vivre ? » est un exercice stimulant.

Évidemment pas pour cadenasser un futur étatiste mais bien au contraire pour mettre nos valeurs philosophiques

à l'épreuve de la réalité. Cette découverte a eu sur moi un double impact : la rigueur d'une feuille de

route (quand je tourne en rond, je retrouve le chemin de l'action) et l'impact d'une machine à « faire

tomber les masques ». (Derrière chaque déclarations et discours, la portée philosophique s'effiloche

(ou pas).) Critique et constructive, j'ai trouver avec cette méthode assez simple un outil pour habiter

le monde.

Alain Badiou nous a appeler à « tenir des positions ». Je participe à la construction dans mon

village d'un projet un peu fou, la ré-ouverture du Café du Peuple (lieu historique du mouvement

ouvrier et laïque local) autour d'un projet associatif qui réunit des spect'acteurs et des artistes. C'est

la « position » dont je m'occupe...tout à fait à contre époque, à première vue minoritaire. Nous

n'inventons rien. Nous métissons l'éducation populaire et l'art, la démocratie associative et la

création à échelle humaine. Rien de parfait, une tentative parmi des centaines d'autres, mais le cap

est clair : émancipation humaine. Cette projet a grandi, les spectateurs sont nombreux, une

coopérative d'artistes émerge, 900 adhérents ont rejoints les 40 premiers et 7 salariés font vivre cette

petite « entreprise ».

Jacques Lacan disait « le réel, c'est quand on se cogne. ». Si cette vérité fonctionne à merveille dans

notre vie intime, elle est également opérationnelle dans l'espace feutré de la politique culturelle. Ici,

on se cogne rarement. Quand le réel frappe à la porte c'est au travers des manifestations de salariés

qui luttent contre la précarité de leur situation. A l'échelle locale, si le consensus est la règle,

l'incompétence de la plus part des élus est abyssale et le débat citoyen reste inexistant. Les enjeux

sont plus que méconnus : ignorés.

Il ne suffira pas de « tenir des points », il faudra les unir. Et si nous commençons par les fins, cela

saute aux yeux, dans une société libérée du culte de la marchandise et de toutes formes de

dominations, l'art et le savoir seront au cœur de nos vies. Nous aurons du temps pour la rencontre, le

partage et la poésie. Le combat culturel ne doit pas être le combat du « secteur culturel » mais celui

de toute la société. C'est un espace à libérer à la fois de la marchandisation de l'imaginaire mais

aussi de la domination de classe qui en fait bien souvent une enclave sociale. Il ne suffit pas de

plaider, comme nous y invite fort justement Alain Hayot dans l'Humanité, pour la liberté de création

et la démocratie culturelle. Il faut bâtir dans le réel des hypothèses de transformation.

Un programme ne suffit pas, il nous faut un mouvement culturel large qui se réunisse, accepte le débat

et la contradiction, tire des bilans, décide enfin de commencer par les fins. Évidemment, il est plus

facile d'écrire un programme que de faire entrée une MJC dans un conseil d'administration de Scène

Nationale. Il est plus valorisant d'écrire une chronique (même dans Cerises...) que de lutter contre la

main mise des sociétés de productions sur les programmations de la salle de concert locale. Cette

lutte est pourtant une des lignes de démarcation entre l'humain et la marchandise, un repère dans la

société que nous souhaitons construire ensemble.

Il nous reste a trouver du plaisir dans le fait de se cogner à la réalité. Peut-être en trouvant des outils

pour partager nos doutes, nos petites victoires et nos grandes colères ? En se sentant plus nombreux

à partager ce chemin fragile ?

Laurent Eyraud-Chaume

comédien, directeur d’un lieu d’art et d’éducation populaire dans les Hautes-Alpes.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.