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Billet de blog 14 décembre 2011

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Défendre la liberté de création...( chronique parue initialement dans l'hebdomadaire Cerises http://www.cerisesenligne.fr/)

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Attaquer une création artistique est insupportable. Nier la liberté d'expression et de création, voir resurgir les vieilles peurs fondamentalistes, c'est irrespirable. Nous sommes sans hésitation au côté du Théâtre de la Ville et de l'équipe artistique de Roméo Castelluci ( et à présent Rodrigo Garcia) qui subissent les attaques nauséabondes de plusieurs dizaines d'agités du bénitier. (Notons au passage que l'immense majorité des responsables de l'église catholique condamne ces « manifestations »).

Je ne suis pas un spécialiste de ces questions, ce qui apparaît évident c'est qu'à gauche le sujet ne fait pas débat. Ce qui m'interroge dans cette actualité c'est l'impression profonde que tout cela ne résonne pas. La liberté d'expression ou plutôt « de création » est le plus petit dénominateur commun de toute politique culturelle. Il y a quelques années un dirigeant communiste ne pouvait commencer une intervention sur la création artistique sans insister sur l'importance de la liberté des « créateurs ». Il suffit que Jean-Luc Mélanchon tourne mal une phrase dans un débat pour qu'on le soupçonne d'en vouloir à cette sacro-sainte liberté...Évidemment il y a eu l'Est et la pente raide de la censure, il reste Cuba, la Chine...

Et c'est ainsi aujourd'hui que de nombreux débats sont verrouillés. Seuls les critiques peuvent avoir un avis, un élu doit aimer une création ou se taire... (Ne pas aimer l'acte d'un « créateur » c'est être populiste.) Le débat et la controverse autour des productions artistiques est confisqués par un petit monde de l'entre soit, un microcosme qui a ses codes, son histoire, sa langue...

Je navigue depuis quelques années entre le milieu du théâtre et celui de la musique (dite) actuelle. Dans le secteur de la musique, c'est le goût du public qui fait la programmation. Le marché mise donc sur des produits vendables ...rien de nouveau sous le soleil... sauf qu'évidemment rien n'est aussi simple. Les investisseurs se trompent souvent. Et même dans ce secteur là, les artistes ne sont

pas des marchandises. Certaines créations font leur chemin sans le soutien des « grosses productions ». Pourtant ici, c'est le public qui est roi. Il doit trouver dans son « zénith » local les artistes « vu à la télé » et gare aux élus qui oseraient demander « Pourquoi on n'a pas programmé Leprest avant qu'il disparaisse ? ».

Ce qui est étonnant, c'est qu'un élu qui oserait demander au directeur du «Théâtre Scène nationale » local : « pourquoi y a t-il autant de spectacles qui ne me concerne pas ? » recevrait un accueil pas plus amical. D'un côté la loi implacable du marché qui transforme le public en consommateur, de l'autre une pratique culturelle de classe destinée à une aristocratie et à ceux qui veulent la rejoindre. J'ai la dent dure. Rouge, aigre doux. Bien entendu, la réalité est complexe et ne tient pas dans une page de Cerises. Il y a des dizaines de contres exemples et de porosités. Mon inquiétude est centrée sur la confiscation du débat et donc du futur. Quel serait le bon fonctionnement pour des lieux culturels dans un monde humain, libéré du culte de l'argent et des dominations de classe ?

Une autre censure dans le spectacle vivant est celle, plus sournoise, que subissent les artistes au quotidien : ceux contraints par la précarité et qui pourtant rencontrent, écrivent, racontent...ceux qui émeuvent, partagent de la joie et de la colère. C'est la censure que subit la société dans son ensemble à qui on ne donne aucun espace de création, aucun souffle, aucune respiration, aucune « échappée vers le vaste monde » comme disait Jaurès. Combien d'années pour voir dans le mouvement Hip Hop autre chose qu'une pratique sociale ? Combien de temps pour le théâtre de rue ? Combien de refus pour les pratiques artistiques en milieu carcéral, hospitalier ? Combien de dossiers de subventions pour un atelier théâtre dans un collège ? La liberté de création ? oui, mais partout.

Laurent Eyraud-Chaume

comédien, directeur d’un lieu d’art et d’éducation populaire dans les Hautes-Alpes.

( chronique parue initialement dans l'hebdomadaire Cerises http://www.cerisesenligne.fr/)

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