Ma grand-mère m'a conseillée vingt fois de regarder les nuages, d'écouter parler les meubles, de m'allonger sous un arbre. « Tu vois, nous les paysans, on travaille beaucoup mais on n'a pas de patron.». Elle ne comprend pas tout à la politique mais elle sait où est l'essentiel. J'ai grandi entre cette histoire là et l'engagement syndical de mon paternel. Lui, il ne laisse rien passer. Chaque injustice, chaque mensonge est un défi à relever. Il m'a donné le goût des luttes collectives et de l'intelligence en action. Je me suis bricolé petit à petit un équilibre instable entre ce désir de goûter la vie et celui de la transformer. Comme vous peut-être ?
Je crois qu'on ne dit jamais assez que tous les combats que nous menons sont portés par l'amour que nous avons pour la vie. Une soirée en terrasse qui s'éternise, un mot d'enfant à hurler de rire, un livre qu'on ne peut quitter... C'est contre tout ce qui empêche ces moments là que nous luttons : la bêtise qui nous divise, le temps de travail ni réfléchi ni partagé, les lois stupides, les frontières aveugles, les mots qui manquent pour nous parler.
Comme l'écrivait joliment Lucien Sève, il nous faut sans cesse commencer par les fins. Dans quel monde voulons-nous vivre ? Et qu'est ce qui aujourd'hui est déjà un bout de demain ? Moi, ce que je souhaiterai garder et voir grandir dans cet à venir : ce sont les moments d'humanité où nous sommes capables de poétiser et de questionner nos vies. C'est cette humanité, cet état un peu étrange, « qui n'existe pas ou qui existe à peine » comme le disait déjà Jaurès. Ce sont ces moments si courts et trop rare où nous nous sentons vivre plus fort, où nous nous savons uniques et communs. Ce n'est certes pas un hasard si on nous offre des plaisirs sur catalogue, des heures de compétitions et des histoires de princesses. Leur définition du bonheur consommable n'a que faire des désirs de notre fragile humanité.
Chronique parue dans le quotidien l'Humanité dans la rubrique l'invité de la semaine le lundi 25 juin.