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Depuis plus de quarante ans, les associations de lutte contre le racisme, de défense des Droits de l’homme, de la Palestine et du Liban ainsi que le Parti communiste attendent la libération de Georges Ibrahim Abdallah. Les décisions des tribunaux de le libérer sont sans cesse rejetées par les demandes d’appel du parquet Anti-terroriste. Et la décision du jeudi 20 février n’aura pas été différente : Georges Ibrahim Abdallah doit être maintenu en prison au moins jusqu’en 19 juin afin que ce dernier fasse un « effort conséquent d’indemnisation des parties civiles ». Le dernier obstacle en date : une exigence d'indemnisation des parties civiles, que Georges Ibrahim Abdallah refuse, considérant qu'elle équivaudrait à reconnaître des accusations de crime qu'il conteste.
Son incarcération a fait de lui un symbole : « prisonnier politique le plus ancien dans une prison française [1]», puis en Europe, et probablement aujourd'hui dans « le monde[2] ». Le tribunal d'application des peines a pourtant reconnu à plusieurs reprises son droit à une vie libre au Liban, auprès de sa famille. Son engagement auprès des Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL), groupe communiste et laïque luttant contre l'occupation israélienne, appartient à une histoire passée. Sa détention est jugée « disproportionnée au regard des faits commis et de sa dangerosité actuelle ». Georges Abdallah appartient « à l’histoire aujourd’hui révolue de l’activisme violent de l’ultra-gauche » libanaise et palestinienne, « à l’origine d’aucun attentat en France ni ailleurs depuis 1984 », avait estimé le tribunal.

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Pourtant, le parquet antiterroriste fait systématiquement appel, cédant aux pressions des ambassades américaine et israélienne. Les révélations de Wikileaks avaient confirmé que le dossier de Georges Ibrahim Abdallah dépassait allègrement celui de la justice française. Hillary Clinton[3], alors secrétaire d’État, avait suggéré au ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, de trouver une solution pour le maintenir en prison. Partie civile des différents procès, la position américaine est sans équivoque, et ce, depuis 1987 : « Les représentants diplomatiques » américains ont « été protégés des attaques de M. Abdallah tant qu’il est resté détenu » mais seraient « exposés à un danger accru » s’il était « libre de reprendre ses anciens desseins violents sans surveillance effective par les juridictions françaises », écrit le ministère américain de la Justice. Son retour au Liban, alors qu’il « n’a jamais désavoué » son positionnement de « combattant » et au vu du conflit récent entre le Hezbollah et Israël, « constituerait une force déstabilisatrice dans une région déjà instable et entraînerait un risque grave de trouble à l’ordre public », poursuit-il dans un courrier adressé au tribunal[4]. Un argument qui occulte les véritables enjeux de cette affaire : le passé colonial de la France, son soutien à la politique israélienne et les pressions internationales qui s'exercent sur sa Justice.
Comme le soulignait Pierre Carles dans Le Monde Diplomatique, dans son article, « Terroriste un jour, terroriste toujours[5] », le pouvoir exécutif français n'a cessé d'interférer dans le travail du pouvoir judiciaire, au mépris de la Constitution, pour maintenir Georges Ibrahim Abdallah en prison. De plus, de quels actes terroristes est-il question ? s’interrogeait Pierre Carles. « Bien que le groupe armé auquel M. Abdallah est censé avoir appartenu n’ait pas commis d’actions terroristes au sens où on l’entend habituellement (attentats aveugles, pose de bombe dans la rue, assassinats de civils destinés à terroriser la population), la justice française le qualifie de « terroriste ». Pourquoi ? En raison d’actes assurément criminels, mais dont les FARL ne sont pas les auteurs[6]… ». Comme le révèle le ministre délégué Robert Pandraud de la sécurité, « tous les barbus se ressemblent [7] », alors pourquoi ne pas attribuer des attentats aux frères libanais Abdallah plutôt que d’accuser les fractions du Hezbollah[8], soutenues par l’Iran, d’avoir commis ces crimes en raison du soutien de la France à l’Irak? Les accusations de terrorisme à l’encontre de G.Ibrahim Abdallah auront surtout servi à empêcher d’interroger les orientations, les choix et les soutiens internationaux des différents gouvernements français, et ce, depuis François Mitterrand.
Les accusations de terrorisme portées à l’encontre de Georges Ibrahim Abdallah sont totalement fausses, et les crimes qui lui sont reprochés n'ont jamais été clairement établis. Georges Ibrahim Abdallah est la mauvaise conscience de la France à travers sa politique internationale et les qualificatifs de « terroriste », « d’ennemi numéro 1 », confirment à quel point la raison d’État prévaut sur la justice : il est préférable de maintenir à perpétuité un homme en prison plutôt que de voir ressurgir l’élan de sa lutte, ce mouvement qui vit en dehors des nations, une énergie capable de rappeler aux démocraties occidentales que leur soutien à la politique du pire ne saurait être le choix des peuples.

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Malgré les interdictions, les manifestations, les actions de soutien vont continuer de se tenir à travers les rues de France tant l’affaire de Georges Ibrahim Abdallah dépasse l’homme, tant elle met en exergue le passé colonial de la France, le soutien indéfectible de la France à la politique de colonisation des territoires palestiniens.
À l’heure où Donald Trump menace les habitants de Gaza de nettoyage ethnique, cela aurait pourtant été un geste fort de la part de la France, un geste courageux de signifier son désaccord face à cette nouvelle administration américaine devenue si hostile à l’encontre de l’Europe.
Notes
[1]SORTIR DE L’IMPASSE POUR LA LIBÉRATION DE GEORGES ABDALLAH https://www.ldh-france.org/sortir-de-limpasse-pour-la-liberation-de-georges-abdallah-2/
[2]Journal L’Humanité : https://www.humanite.fr/monde/etat-palestinien/lexamen-de-la-demande-de-liberation-de-georges-ibrahim-abdallah-reportee-au-19-juin
[3]« Abdallah est réputé être l'un des prisonniers les plus anciens d'Europe occidentale. Il est devenu éligible à la libération en 1999, mais sept appels successifs ont été constamment rejetés au motif qu'il n'a manifesté aucun remords pour son crime et qu'il reprendra probablement sa lutte révolutionnaire s'il était libéré et expulsé au Liban. Bien que le gouvernement français n'ait aucune autorité légale pour annuler la décision de la Cour d'appel du 10 janvier, nous espérons que les responsables français trouveront une autre base pour contester la légalité de la décision. https://wikileaks.org/clinton-emails/emailid/17276
[4]Libération de Georges Abdallah: Washington écrit à la justice française pour s’y « opposer vigoureusement », 20 décembre 2024.https://www.mediapart.fr/journal/fil-dactualites/201224/liberation-de-georges-abdallah-washington-ecrit-la-justice-francaise-pour-s-y-opposer-vigoureusem
[5]Terroriste un jour, terroriste toujours, Le Monde Diplomatique, août 2020.https://www.monde-diplomatique.fr/2020/08/CARLES/62066
[6] Terroriste un jour, terroriste toujours, Le Monde Diplomatique, août 2020.https://www.monde-diplomatique.fr/2020/08/CARLES/62066
[7]Cité dans Pierre Favier et Michel Martin-Roland, La Décennie Mitterrand, Seuil, Paris, 1996. « Nous avions lancé la piste des FARL sur la base des premiers témoignages, même si nous savions que pour des Français, qui pensaient avoir reconnu les frères Abdallah sur les lieux des attentats, tous les barbus proche-orientaux se ressemblent, reconnaît Pandraud. Je me suis dit que mettre en avant la piste Abdallah ne ferait pas de mal, même si ça ne faisait pas de bien. En réalité, nous n’avions alors aucune piste (3). »
[8]« À la même époque, les intérêts français au Liban puis en France sont frappés par le Hezbollah. En 1986, un réseau terroriste qui lui est lié commet une série d’attentats à la bombe en France : 10 attaques causent la mort de 14 personnes et en blessent 300 autres, notamment rue de Rennes à Paris, le 17 septembre 1986. » https://www.dgsi.interieur.gouv.fr/decouvrir-dgsi/notre-histoire/france-face-au-defi-du-jihadisme#:~:text=En%201986%2C%20un%20r%C3%A9seau%20terroriste,Paris%2C%20le%2017%20septembre%201986.
À écouter : Les derniers secrets de l’affaire Georges Ibrahim Abdallah : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/secrets-d-info/secrets-d-info-du-samedi-22-juin-2024-7526241
A lire : Georges Ibrahim Abdallah : « Face à la situation du monde, ma libération est un détail » : https://www.humanite.fr/monde/etats-unis/georges-ibrahim-abdallah-face-a-la-situation-du-monde-ma-liberation-est-un-detail