Paumés, les flics de base. Egarés, désarmés, expropriés de leur mission républicaine de service public par un pouvoir politique qui les pressure, les instrumentalise et les méprise.
Ils sont las, les flics.
Lassés de ce qu’ils subissent, de ce qu’on leur fait faire, qui abuse cette fonction de gardien de la paix à laquelle ils tiennent tant et qui n’a rien à voir avec ces contrôles à la chaîne, ces interpellations abusives, juste pour assurer le spectacle d’une sécurité de façade.
Ils sont las, les flics.
Lassés des indicateurs de performance, des directives aberrantes édictées pour faire du chiffre, toujours et encore du chiffre, même si cette addiction comptable ne correspond à rien et alimente les tricheries pour fabriquer les bonnes statistiques.
Lassés des primes qui sèment la concurrence et la division dans leurs rangs, lassés des sous-effectifs qui les empêchent de faire leur métier et qui les mettent en danger, lassés des humiliations de la hiérarchie, des pressions et des mauvais procès en loyauté pour obtenir d’eux leur adhésion à une culture du résultat qu’ils désapprouvent.
Et puis… ils sont las des injures, des outrages, des violences qu’ils subissent en retour, des pierres lancées du haut des toits des immeubles, des guets-apens qui leur sont tendus, de la méfiance qu’ils inspirent, du fossé qui se creuse avec les citoyens.
Mais ils sont las aussi des brebis galeuses de la profession, de ceux qui la ternissent en jouant les cow-boys, arrogants, insultants, dopés au rapport de force parce qu’ils ont en haut lieu de si mauvais exemples. Alors, ils sont perdus, livrés à une population elle-même en perdition, engluée dans une incroyable crise de société.
Elisabeth Weissman, Flics. Chronique d’un désastre annoncé, Editions Stock, 2012 , prologue, pages 7 et 8.
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