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Billet de blog 7 janvier 2019

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Au rythme fragile de nos horloges circadiennes

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans son traité sur les maladies des artisans (1712), RAMAZZINI consacre un chapitre aux boulangers qui «  sont pour la plupart des ouvriers nocturnes, tandis que le reste des hommes, débarrassés de leurs peines, se livrent au sommeil et réparent leurs force, ces ouvriers travaillent ; et pendant le jour, semblables à ces animaux qui fuient la lumière, ils sont forcés de dormir et sont ainsi au milieu des villes des antipodes, dont la façon de vivre est opposée et contraire à celle de tous les autres habitants». Peut-on mieux dire la peine de ceux qui travaillent la nuit ?

L’INRS publie les résultats d’une enquête menée en Alsace sur le travail de nuit « quelles pratiques de prévention ? » au dernier numéro de sa Revue Trimestrielle (page 47).

Un constat : en 2012, selon l’enquête SUMER, 3,5 millions de personnes travaillent la nuit, soit un million de plus qu’en 1991. Le nombre des femmes qui travaillent la nuit augmente très vite. Et « ces organisations du travail en horaires atypiques s’accompagnent d’une désynchronisation des rythmes biologiques, sociaux et familiaux pouvant conduire à des altérations de la santé. »

L’article rappelle que « l’organisation temporelle de tous les êtres vivants, de la bactérie à l’humain repose sur un système complexe de mesures du temps dont le rôle est de coordonner les fonctions du vivant.» Ce système repose sur nos horloges circadiennes qui sont organisées en réseau : une horloge centrale située dans les noyaux suprachiasmatiques de l’hypothalamus et, autour, des horloges secondaires dans presque tous les tissus de notre corps. L’ensemble harmoniserait le fonctionnement physiologique et comportemental de l’organisme suivant un rythme proche de 24 heures. « L’homme est une espèce diurne, conçu pour vivre le jour et dormir la nuit. »

(Pour une très belle leçon de choses, il faut écouter à nouveau l’émission de Jean Claude AMEISEN – Sur les épaules de Darwin – du 14 octobre 2017 - France Inter.)

Les auteurs vont constater, comme RAMAZZINI il y a 300 ans, que le rythme de vie des travailleurs nocturnes « semblables à ces animaux qui fuient la lumière » souffre d’une « exposition à la lumière bouleversée.»

Un regret : les auteurs alertent sur les effets sur la santé des travailleurs postés de nuit car « ils cumulent les effets néfastes des désynchronisations circadiennes et d’une dette chronique de sommeil » et ils constatent pour la déplorer « une prévention timide ». L’enquête réalisée en Alsace donne des résultats décevants : Peu d’entreprises ont répondu à l’enquête. Sur 59 entreprises avec exposition au travail de nuit identifiées et ayant donné lieu à une réflexion autour du travail de nuit, 13 seulement ont mis en place des mesures de prévention primaires, 12 ont ciblé une prévention secondaire et pour 18 alors que des mesures de prévention avaient été proposées, elles ont été refusées.

Gageons que d’ici 2318, alors que jour et nuit seront confondus, notre rythme biologique, enfin calé sur les exigences du Grand marché, nos horloges circadiennes iront au rebut.

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