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Billet de blog 19 mai 2019

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la DEUTSCHE BANK rattrapée par le CJUE en Espagne

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Afin d’assurer l’effet utile des droits conférés par la directive sur le temps de travail et par la Charte, les États membres doivent imposer aux employeurs l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.

La Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu un arrêt important le 14 mai dernier.

La durée du travail a quelque chose à voir avec la santé. C’est ce qu’affirme avec force la Cour de justice de l’union européenne dans l’arrêt qu’elle a rendu le 14 mai dernier.

C’est un vieux débat : en France en 1841, c’est le constat de l’état de santé déplorable des enfants et des adolescents qui a dicté la limitation de la durée journalière de travail à 8h pour les enfants de moins de 12 ans et à 12 h pour les enfants de moins de 16 ans.

Lorsque la loi pose des limites contraignantes, le juge doit pourvoir contrôler qu’elles sont respectées. Au sein de l’Union Européenne la directive n° 2003/88/CE fixe notre droit « commun » et la Charte des droits fondamentaux doit inspirer les législations nationales.

En Espagne, à la DEUTSCHE BANK, il n’y a pas de système d’enregistrement du temps de travail journalier effectué par les salariés.

Le syndicat CCOO a saisi la Cour Centrale car il considère que le droit du travail espagnol mais aussi la Charte européenne l’exigent.

La Banque d’Allemagne se réfugie derrière la jurisprudence du Tribunal Supremo selon laquelle un registre ne serait obligatoire que pour le décompte des heures supplémentaires.

L’Audienca nacional a émis des doutes sur la légitimé de la position de la cour suprême et elle a posé une question préjudicielle à la CJUE.

Elle produit à la Cour de Luxembourg une étude selon laquelle en Espagne, 53,7 % des heures supplémentaires ne sont pas enregistrées.

La CJUE répond clairement dans son arrêt que la directive 2003/88 sur la durée du travail mais aussi la directive n° 89/391 sur la sécurité et la santé des travailleurs lues à l’aune de la Charte exigent des Etat membres qu’ils imposent aux employeurs l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.

On pourrait penser que la France est à l’abri d’une telle difficulté car en cas de contestation sur le nombre d’heures de travail accomplies, l’article L3171-4 du code du travail prévoit :

«  En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Ce texte serait la réécriture dans notre droit des exigences du droit de l’Union.

Pourtant la Cour de cassation française prend ce texte à contrepied. Depuis un arrêt de 2013, elle rappelle qu’  « en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments. »

Elle oublie par cette formule creuse que c’est d’abord à l’employeur qu’il incombe d’être en mesure de justifier des heures de travail qu’il demande effectivement à ses collaborateurs.

Ce faisant elle ne se préoccupe pas de savoir comment va procéder le salarié dont la durée du travail n’est pas enregistrée, pour « étayer  sa demande ». S’il ne franchit pas cette première marche, l’employeur échappe alors à l’obligation de se justifier ou de « répondre en fournissant ses propres éléments ». L’aménagement de la charge de la preuve en matière de durée du travail est une valse à deux temps certes, mais l’employeur marche sur les pieds de son cavalier.

En rappelant avec force, au visa du droit fondamental à la santé et à la sécurité du travailleur, que l’employeur doit mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur, la CJUE place cette obligation en amont du droit de la preuve en cas de contentieux.

La jurisprudence jésuitique de la Cour de cassation ne semble plus tenable. De cela on peut débattre.

Le droit européen s’écrit là concrètement, pour les salariés espagnols de la DEUTSCHE BANK et au-delà d’eux, pour tous les salariés de l’Union à 15 jours d’élections capitales.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.