laurent pate (avatar)

laurent pate

avocat spécialiste en droit du travail et de la protection sociale

Abonné·e de Mediapart

8 Billets

0 Édition

Billet de blog 25 janvier 2019

laurent pate (avatar)

laurent pate

avocat spécialiste en droit du travail et de la protection sociale

Abonné·e de Mediapart

Cour de cassation et université : le droit du travail est un « si petit monde »

Un litige oppose les syndicats de salariés du groupe de presse Wolters Kluwer, leader européen de l’information juridique et fiscal, à leur employeur. Le Canard enchaîné a révélé que parmi les dix hauts magistrats qui ont eu à juger l’affaire, trois étaient rémunérés par le groupe de presse partie au procès.

laurent pate (avatar)

laurent pate

avocat spécialiste en droit du travail et de la protection sociale

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un litige oppose les syndicats de salariés du groupe de presse Wolters Kluwer, leader européen de l’information juridique et fiscal, à leur employeur. Un montage financier complexe a eu pour effet de priver les salariés des filiales françaises de cette société de leur droit à participer aux bénéfices. Un procès s’en est suivi. 

La Cour d’appel de Versailles a entendu les syndicats qui invoquaient la fraude  et demandaient la constitution d’une réserve permettant aux salariés spoliés de retrouver leur participation aux résultats, jusqu’en 2022. Par un arrêt  cinglant, sans renvoi, rendu le 28 février 2018, la Chambre sociale de la Cour de cassation a annulé l’arrêt de la cour de Versailles et déclaré irrecevable la demande des syndicats.

Le Canard enchaîné a révélé que parmi les dix hauts magistrats qui ont eu à juger l’affaire, trois, dont le président de la chambre, étaient régulièrement rémunérés par le groupe de presse partie au procès, pour des « piges » ou leur participation à des colloques et formations ; Alternatives Economiques, dès le 18 avril dernier, se demandait si les magistrats de la Cour de cassation n’avaient pas été « juges et parties ». C’est une question essentielle qui est posée là : ces  trois magistrats n’auraient-ils pas mieux fait de s’abstenir de siéger en se « déportant », autrement dit en laissant le soin à d’autres de trancher le litige dès lors que, de près ou de loin, la solution de l’affaire ne leur était pas « indifférente ».

La solution relève maintenant de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et du Conseil supérieur de la Magistrature qui ont été saisis.

Ce qui trouble singulièrement dans cette affaire, c’est le soutien universitaire apporté aux trois hauts magistrats mis en cause. Cet inattendu secours prend la forme d’une tribune publiée dans la revue Droit social et signée par d’éminents professeurs en droit du travail des facultés françaises. Il y est solennellement affirmé in fine : « Une certitude pour conclure, en forme de vérité d’évidence partagée par tous les universitaires signataires : jamais la droiture, l’indépendance et l’impartialité [des] magistrats [épinglés] n’ont été, et ne peuvent être mises en doute. »

Fermer le ban !

Le ton de cette tribune est si péremptoire, si impérieux, qu’il en devient suspect : faut-il croire à la « vérité d’évidence (…) » ? Doit-on craindre de se demander, après cette sentence sans appel, si c’était bien à l’Université de venir en aide aux trois hauts magistrats de la chambre sociale de la Cour de Cassation?

L’empressement avec lequel les pétitionnaires prennent parti pour défendre l’honorabilité des trois juges de la Juridiction Suprême (dont personne n’a jamais douté), alors même que l’affaire n’est pas jugée et que nombre d’entre eux cachetonnent auprès du même groupe de presse, prête à la suspicion.

Jadis, de grands professeurs de Droit plaçaient la doctrine, c’est-à-dire la critique savante des décisions de justice, au rang des sources indirectes du droit car ils estimaient que leur avis d’enseignant et de chercheur pouvait avoir prise sur la jurisprudence de la Cour de Cassation. Alors, l’Université et la Haute juridiction, dans un respect mutuel, dialoguaient,  par le truchement de revues telles que Droit Social dont Paul DURANT, professeur à la faculté de Droit de Nancy, fut le directeur et ou Droit Ouvrier. Cet échange supposait à la fois proximité (des savoirs) et distance – (des acteurs) : le juste écart que revendiquent le sens critique et la liberté d’esprit.

La doctrine universitaire vient de s’afficher en lobby mettant à jour d’anciennes connivences intéressées. Elle y a perdu son crédit.

Le professeur DUPEYROUX sauve l’honneur dans un article percutant à la même Revue le mois suivant, mais il est bien seul à s’interroger sur la place des « juges dans la citée ».

Le Conseil supérieur de la magistrature - nouvelle mouture -  est maintenant sous l'oeil de la Cour européenne.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.