La "Class Action à la Française", l’action de groupe, est très récente, et elle est limitée au domaine de la consommation et aux produits de santé. Va-t-elle être étendue à la lutte contre les discriminations et les inégalités dans les entreprises ? Récemment, le Président François Hollande a émis le souhait que l’action de groupe soit étendue aux cas de discriminations en entreprise. Souhait dont le premier ministre Manuel Valls s’est aussi fait l’écho.
Un rapport établi le 2 avril 2015 par le ministère du Travail et de l’Emploi et le ministère de la Ville propose d’instaurer une nouvelle action de groupe, qui permettrait à toute partie qui a intérêt à agir de faire cesser une pratique discriminatoire dans une entreprise et d’obtenir réparation du préjudice subi.
Il est encore un peu tôt pour savoir si ce rapport donnera lieu à la création d’une nouvelle action de groupe. Une chose est sûre, la class action a le vent en poupe auprès de l’opinion, et le législateur est bien tenté de la lui servir, à la sauce française. Mais au fait, qu’est-ce que c’est qu’une class action ?
La Class Action est une procédure exceptionnelle par laquelle des personnes qui ne sont pas parties à la procédure sont liées par la décision qui sera rendue. Si la class action trouve son origine ancienne en Angleterre, c’est aux États-Unis qu’elle a pris son essor, dans les années 60 grâce à l’activisme judiciaire de l’avocat Ralph Nader.
Il n’y a pas une class action, il y en a plusieurs, étant donné qu’aux États-Unis, chaque État fédéré a sa propre procédure, qui varie d’un État à l’autre. Mais les États font souvent référence aux règles de procédures applicables devant les juridictions fédérales : la règle dite "23" du Code fédéral de procédure ("Federal Rules of Procedure, Rule 23"). La procédure de Class Action se déroule en général en trois temps.
Le premier temps est celui de l’introduction de la Class Action. Prenons l’exemple de cinq plaignantes, des femmes salariées d’un grand groupe, qui assignent leur employeur au motif qu’elles seraient victimes de discrimination salariale : à travail égal, elles seraient moins bien payées que leurs collègues masculins.
Dans leur assignation, les plaignantes affirment qu’il y aurait des centaines d’autres femmes salariées du groupe qui seraient également victimes de discrimination salariale. Les plaignantes agissent en leur nom, mais aussi au nom de ce groupe ("class") de femmes qui n’est pas partie à la procédure, et dont on ne connaît pas encore tous les membres.
La Class Action commence donc par une assignation ("filing of complaint"), signifiée au défendeur – l’entreprise – qui a un délai de 30 jours pour répondre, mais il peut solliciter un délai supplémentaire. L’assignation est déposée au nom des cinq plaignantes, et elle indique que de nombreuses autres personnes sont concernées, sans toutefois les citer toutes nommément.
Puis vient le second temps, qui est fondamental : c’est celui de la certification. Le juge va vérifier s’il y a bien matière à Class Action. Pour qu’il y ait Class Action, il faut tout d’abord que quatre conditions soient remplies. Tout d’abord, quatre conditions sont nécessaires pour qu’une class action soit recevable :
- 1ère condition : "numerosity". Le nombre de plaignants potentiels doit être important pour que le juge considère qu’il y a Class Action. Autrement dit, les plaignantes doivent démontrer qu’il existe de nombreuses autres personnes qui sont dans le même cas qu’elles, ce qui rendrait très difficile l’exercice de recours individuels.
- 2e condition : "commonality". Il doit y avoir au moins une question de droit ou de fait qui soit commune à tous membres du groupe : les plaignantes, et les autres victimes potentielles.
- 3e condition : "typicality". Les moyens de droit et de fait qui sont présentés au juge ainsi qu’au défendeur doivent être similaires.
- 4e condition : "adequacy". Les plaignantes doivent représenter de manière sérieuse l’ensemble du groupe : elles doivent démontrer qu’elles ont un intérêt personnel à agir, elles doivent présenter des garanties de sérieux, et elles doivent aussi démontrer qu’elles ont les moyens suffisants pour se lancer dans une Class Action, car une class action coûte cher, parfois très cher. Ces moyens seront le plus souvent assurés par les avocats qui les représentent, et qui en contrepartie, se feront rémunérer par des honoraires de résultat : un pourcentage des sommes obtenues.
Un groupe important de personnes, un problème de droit et de fait commun à toutes les victimes, une représentation sérieuse… Mais ce n’est pas tout, la Class Action doit aussi correspondre à l’une des trois situations suivantes :
1) Éviter une multiplicité de recours individuels qui risqueraient d’entraîner des décisions de justice contradictoires ;
2) Lorsqu’il est utile qu’une seule décision de justice soit opposable à tous les membres du groupe. Par exemple, s’il est démontré que la loi a été violée, dans le cas par exemple d’une discrimination, le juge pourra rendre une décision qui ordonne à l’entreprise de cesser la pratique discriminatoire vis-à-vis de toutes les femmes concernées par cette pratique discriminatoire.
3/ Le dommage subi est individuellement trop peu élevé mais globalement assez important pour considérer que le régime de la Class Action est plus approprié.
Si la Class Action correspond à l’une de ces trois situations, et si les quatre conditions vues plus haut sont remplies, le juge rend une ordonnance de certification. Les avocats des plaignants doivent alors se charger d’informer les personnes potentiellement concernées de l’ouverture d’une class action.
Lorsqu’il y en a des centaines, voire des milliers, et que l’on ne les connait pas toutes, le juge autorise une notification par le biais des médias, et par le net. Une fois que les victimes sont informées de la procédure de Class Action, elles doivent se joindre à la procédure. En général, le droit américain fonctionne avec le système de "l’opt out".
Sont membres du groupe et considérées comme représentées toutes les victimes, même celles qui ont gardé le silence, à l’exception de celles qui ont expressément déclaré ne pas vouloir agir. Le silence vaut acceptation.
Avec ce système, c’est l’assignation et la certification de la Class Action par le juge qui créent le groupe et qui valent représentation de tous à l’initiative de quelques plaignantes. C’est donc une dérogation au droit d’action individuel.
Le troisième et dernier temps est celui de l’issue de la class action.
Les Class Actions se terminent dans la plupart des cas par un accord. Mais à défaut d’accord, le procès a lieu, et le juge décidera de reconnaitre ou non le bien-fondé de la demande. Si le juge donne satisfaction aux demandeurs :
- Soit le juge fixe un montant global de dommages et intérêts, décidant de ce qui revient à chaque victime.
- Soit le juge statue uniquement sur le principe de la responsabilité, et les membres du groupe disposent ensuite d’un recours individuel pour faire fixer le montant des dommages et intérêts qui leur sont propres.
En France, l’action de groupe a eu toutes les difficultés à être instaurée, et encore de manière très limitative.
L’action de groupe se heurte en France au principe juridique qui veut que nul ne peut engager une action à la place de quelqu’un d’autre. Chaque victime agit individuellement, chacune de son côté.
Les Class Actions font aussi l’objet de vives critiques, y compris aux États-Unis. Certains affirment qu’elles sont devenues un instrument de pression contre les entreprises les plus solvables, et bien assurées ; face au risque d’atteinte à la réputation et de chute des cours de la bourse, les entreprises ciblées par une class action préféreraient transiger dans la plupart des cas...
Pourtant, les class action sont déjà largement répandues en Europe, que ce soit au Royaume-Uni, en Italie, en Suède, aux Pays-Bas... généralement plus restreintes et plus limitées qu’aux États-Unis. La tendance est générale, et de plus en plus de pays se dotent de lois permettant le recours aux Class Actions.
La France, qui était en retrait, semble désormais décidée à suivre ce mouvement.
Laurent Trastour