Imaginez une grande capitale d’Europe où l’air devient tellement irrespirable qu’il tue. Imaginez une mégalopole européenne, prise dans un anticyclone, sans un souffle de vent, une ville sous une cloche d’air froid encerclé d’air chaud. Un brouillard gris jaunâtre s’abat sur la ville. Au-delà de quelques mètres, on ne voit plus rien, les oiseaux s’écrasent contre les façades des immeubles. Les transports publics cessent – sauf le métro. Les écoles ferment, les manifestations sportives en plein air sont annulées.
Mais le pire, c’est qu’on ne peut plus respirer. Le brouillard est rempli de particules polluantes : infections des voies respiratoires, bronchites aiguës purulentes, broncho-pneumopathies, maladies cardio-vasculaires……Les habitants meurent asphyxiés.
En fait, c’est déjà arrivé. À Londres, en décembre 1952. Le « Smog » a tué entre 4000 et 12 000 personnes, causé des milliers d’hospitalisations et des dizaines de milliers d’arrêts de travail. Ceux qui veulent voir le « Smog » pour y croire pourront consulter le Guardian : (http://www.theguardian.com/environment/gallery/2012/dec/05/60-years-great-smog-london-in-pictures) : une série de photos hallucinantes, dignes d’une fiction. Sauf que ce n’est pas une fiction.
D’aucuns répondront que cette effroyable hécatombe était due en partie à l’utilisation de combustibles (le charbon) qu’on n’emploie plus aujourd’hui. N’empêche, la pollution qui tue, « ça » ne se passe pas seulement dans une de ces mégalopoles d’Asie que l’on entraperçoit dans un flash d’information.
Non, « ça » ce passe aussi en Europe. Peut être pas de manière aussi foudroyante qu’en 1952 à Londres, mais lentement, insidieusement, et avec des effets nocifs pour la santé.
Et pas seulement chez nos voisins londoniens. Comment respire t-on à Paris ? Mal, sans aucun doute. En mars 2015, L’indice de qualité de l’air ATMO a atteint le niveau 10, le pire qui soit. Paris et sa banlieue proche ont alors connu pour la troisième fois de leur histoire la circulation alternée (la dernière fois, c’était justement en mars 2014).
pour un aperçu du smog parisien millésime mars 2015: http://www.metronews.fr/paris/photos-de-la-pollution-a-paris-50-nuances-de-nuage-gris/mocs!YVfXcuCufqZ/Ou encore britannique:http://www.20minutes.fr/monde/diaporama-4602-photo-769146-angleterre-sous-smog).
Une petite journée de circulation alternée, comme en 2014, et, ouf, on respire ? Eh bien non.
En soi, la mesure de circulation « alternée » a un effet nécessairement réduit :
- effet d’autant plus réduit qu’un véhicule polluant pouvait circuler, pourvu qu’il soit muni d’une plaque impaire ;
- aux véhicules munis une plaque impaire, vient s’ajouter un catalogue d’exceptions, du co-voiturage au véhicule utilitaire de transport de produits frais, en passant par les convoyeurs de fonds.
Exceptions compréhensibles, mais qui limitent les effets de la circulation alternée. En 2014, la mesure avait permis une réduction de la circulation de l’ordre de 18 % à Paris. On attend les chiffres pour 2015.
La durée de la mesure ensuite : une journée et puis s’en va. Et encore, il a fallu l’insistance de la Maire et des élus parisiens pour que le gouvernement daigne donner le feu vert pour la circulation alternée, pour la journée du 23 mars et ce alors que l’indice de pollution crevait le plafond depuis plusieurs jours.
Mesure d’urgence, mais mesure insuffisante.
Sur le moyen terme, le débat de la qualité de l’air est un sujet d’importance vitale pour les parisiens comme pour tous les citadins. Car en France comme sur la planète, la majorité des habitants vit en ville.
Sur son blog, le scientifique Carlos Moreno alertait l’opinion sur l’urgence qu’il y a à traiter le problème en profondeur, et citait une étude publiée par l'Agence européenne pour l'environnement (AEE) selon laquelle près de 90 pour des citadins de l'Union européenne étaient exposés à l'un des polluants atmosphériques les plus nocifs, à des niveaux jugés dangereux pour la santé par l'Organisation mondiale de la santé (http://www.moreno-web.net/ville-vulnerabilite-ii-de-quoi-la-pollution-elle-le-nom).
La santé n’a pas de prix, dit-on facilement, mais la pollution a un coût sur la santé. Récemment, le Sénat a lancé une enquête sur le coût économique de la pollution. Les études ne manquent pas sur la question. Une étude du Commissariat Général au développement durable publiée en 2012 est sans équivoque : le coût sanitaire de la pollution de l’air en France est de 20 à 30 milliards d’euros par an. (http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_CCEE_sante_et_qualite_de_l_air_23_07_2012.pdf)
20 à 30 milliards de coût sanitaire chaque année ! Et malgré quelques bonnes volontés, nos gouvernants s’effacent trop vite devant le premier « lobby-qui-gueule-fort », parfois même au mépris de la législation.
Exemple : la directive européenne 2008/50/CE, concernant la qualité de l’air, qui impose aux Etats membres de limiter l’exposition de la population aux microparticules qui sont parmi les plus dangereuses, les particules appelées PM10.
La législation fixe des valeurs limites d’exposition de la population concernant à la fois la concentration annuelle : 40 microgrammes par mètre cube, et la concentration journalière : 50 microgrammes par mètre cube (50 µg/m³). Cette valeur journalière ne doit pas être dépassée plus de 35 fois au cours d’une même année civile.
Cette législation est entrée en vigueur en 2005.
Mais ces valeurs limites sont constamment dépassées en France, dans 16 zones urbaines, dont Marseille, Lyon, la région Rhône Alpes, la région Nord Pas de Calais, et bien sûr Paris.
La Commission Européenne a bien adressé un avis motivé à la France, la rappelant à ses obligations. Mais en France, si nos gouvernants ne sont pas (encore) eurosceptiques, ils sont eurosfeignants.
En 2011, la Commission Européenne, lassée par la posture des gouvernements français qui quémandaient délai sur délai (ça ne vous rappelle pas quelque chose ?), a fini par assigner la France devant la Cour de justice pour manquement aux règles de l'UE en matière de qualité de l'air. A la clé, de possibles amendes de plusieurs dizaines de millions d’euros menacent la France. (http://europa.eu/rapid/press-release_IP-11-596_fr.htm?locale=en).
Il est temps de traiter ce problème autrement que par des petites mesures d’urgence sans effets concrets sur le long terme.
Du 30 novembre au 15 décembre 2015, Paris (Le Bourget) doit accueillir la Conférence de Paris sur les changements climatiques : c’est à la fois la « COP 21 » (conférence des Parties) : 21ème conférence des pays signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, et la « CRP 11 » : la 11ème Conférence des Etats signataires protocole de Kyoto.
Le gouvernement français présente sans doute à juste titre cette conférence comme l’une des plus grandes jamais organisée sur le climat ( http://www.cop21.gouv.fr/fr/cop21-cmp11/enjeux ) et annonce que la conférence Paris 2015 doit conduire à l’adoption d’un accord international pour une transition vers des sociétés et des économies résilientes et sobres en carbone.
Des mots qui se veulent valeur d’exemples.
Prenons le gouvernement au mot. Demandons lui des actes responsables. Des actes d’avenir. Tout de suite. Pour nous, pour nos enfants. Pour mieux respirer, pour mieux vivre.
Et peut être qu’en décembre il fera beau à Paris. Laurent TrastourAvocat au Barreau de Paris