Laurent Lagrost est Directeur de Recherche à l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM). Il a dirigé le centre de recherche UMR1231 de l’Inserm et de l’Université de Bourgogne à Dijon et a coordonné le Laboratoire d’Excellence LipSTIC du Programme Investissements d’Avenir.
Louis Laborelli est Ingénieur de Recherche à l'Institut National de l’Audiovisuel (INA). Il est titulaire d’un Magistère Informatique et Sciences de l'Ingénieur, Spécialité Photonique.
Selon une étude chinoise s’appuyant sur des restes fossiles datant de plus de 100 millions d’années, les premiers oiseaux étaient dotés de quatre « ailes ». Nous avons donc ensemble utilisé nos quatre « L » et réveillé notre plume pour survoler la littérature dans le ciel bleu azur de ce printemps 2020, exceptionnellement ensoleillé malgré le drame qui nous touche. Le rayonnement UV pourrait être un de nos alliés dans la lutte contre la Covid-19 et la prévention de ses ravages. Explications.
La météo de mars et avril 2020 : un bombardement solaire exceptionnel ?
Nous avions initialement, avec Didier Payen, émit l’hypothèse que le SARS-CoV-2 responsable de la Covid-19 pourrait être un virus saisonnier. A l’appui de cette hypothèse, il était indiqué dans notre article « La Covid-19 est un réel danger ! » du 6 mars 2020 dans Le Quotidien du Médecin que « le SARS-CoV-2 pourrait être sensible aux UV » et que « la Covid-19 se limitait principalement à l’hémisphère nord en se propageant sur un axe est-ouest. La progression sur un axe nord-sud était très faible ». A l’époque ! Depuis, l’hémisphère nord est entré de plain-pied dans le printemps et l’Europe est sur le chemin de l’été. L’hémisphère sud, quant à lui, bascule aujourd’hui dans l’automne et l’hiver. Eh oui ! Ces fameuses et bonnes vieilles quatre saisons dues à vingt-trois petits degrés d’inclinaison de l’axe terrestre par rapport à la verticale, ou l’obliquité de la Terre.
Nous avions également évoqué le 6 mars 2020 qu’un temps chaud et sec pourrait possiblement être peu favorable au virus. Si les dernières données, celles de l’Université de Pékin, semblent montrer que c’est vrai pour la chaleur, çà l’est peut-être moins pour la faible hygrométrie. Du côté de la Grèce et de l’Université de Thessalonique, la saisonnalité de la Covid-19 reposerait davantage sur le rayonnement ultraviolet que sur la chaleur des beaux jours. Et voici donc un nouveau challenge qui s’ouvre dans le domaine de l’invisible. Tous ne sont donc pas sur la même longueur d’onde, tiraillés entre les infrarouges du spectre solaire, responsables de la transmission de chaleur avec leurs ondes électromagnétiques de faible énergie, et les ultra-violets, avec leurs ondes de haute énergie. La presse des dernières semaines a largement évoqué la saisonnalité de la Covid-19 et a focalisé son attention sur l’importance des températures élevées pour prévenir les ravages du SARS-CoV-2. Mais, la température ne serait pas la seule piste comme le suggèrent les études les plus récentes sur les UV de la lumière du jour.
Depuis le début du confinement à la mi-mars, la plupart des régions françaises ont enregistré des records d’ensoleillement. Une cruauté ou une générosité de la météorologie ? Ainsi, si certains français le vivent mal et auraient visiblement préféré profiter des beaux jours pour aller batifoler dans les jardins publics (comme certains l’ont d’ailleurs fait sans beaucoup de modération au début du confinement…), nous les invitons pour l’heure à rester à la maison même si l’ensoleillement exceptionnel et généreux est un don, un cadeau de Dame Nature pour nous aider à lutter contre le SARS-CoV-2. Il faut savoir nous en montrer reconnaissants et l’apprécier à sa juste valeur en cette période difficile que nous traversons.
Le rayonnement UV, de quoi s’agit-il ?
Le spectre solaire s’offre généreusement à tout le monde et ses rayons appartiennent à la grande bibliothèque de l’univers et du patrimoine de l’humanité. Le soleil émet de la lumière, de la chaleur et des rayons ultraviolets (UV). Tout comme la lumière visible qui décompose ses couleurs dans un arc-en-ciel, le spectre du rayonnement UV est constitué de plusieurs longueurs d’onde, les UVA, les UVB et les UVC, dans un ordre décroissant. Alors que les UVB et les UVC sont en grande partie absorbés, notamment par la fameuse couche d’ozone, les UVA sont filtrés moins efficacement par l’atmosphère. Sur le plan biologique, les UVC sont les plus nocifs, les plus germicides, les plus bactéricides, les plus virucides. Mais, il convient de noter que les UVB pourraient également participer à la destruction du virus, même si leur efficacité est moindre.
Effets germicides des UV
Le rayonnement UV est en fait le premier germicide dans l’environnement.
La sensibilité du SARS-CoV-2 aux UV n’a pas encore été testée et, donc, formellement démontrée. Mais les nombreux tests réalisés sur la famille des coronavirus laissent à penser qu’il devrait, fort logiquement, être lui aussi sensible. Des études en laboratoire ont démontré que certaines populations de virus, notamment certains coronavirus, peuvent être décimées après seulement quelques heures sous un soleil intense. La longueur d’onde classiquement utilisée en laboratoire est de 254 nm, courte donc, dans la gamme des UVC. Elle est ensuite extrapolée par le calcul aux UV solaires.
Si le rayonnement UV a des propriétés virucides, il convient de rappeler qu’il a également des propriétés potentiellement bénéfiques sur nos organismes, à condition de ne pas en abuser bien sûr. Ainsi, les UV sont utilisés en photothérapie pour traiter des dermatoses. Selon diverses sources, ils pourraient protéger de certains cancers (tel que le cancer du côlon) et stimuleraient le système immunitaire, notamment à travers l’augmentation de synthèse de vitamine D. Mais attention, ici comme ailleurs, tout est question de dose et une surexposition peut être source de maladies, au premier rang desquels les cancers cutanés et les mélanomes.
Les UV n’ont aucune chance d’atteindre directement les particules virales infectant les tissus et les organes des sujets porteurs. Inutile donc de s’exposer au soleil pour traiter la Covid-19. En revanche, les UV pourraient se révéler très utiles pour tuer le SARS-CoV-2 dans l’environnement. Ainsi, dans notre article du 12 mars 2020, nous indiquions que les UV pourraient être indiqués pour « désinfecter les effets et les objets potentiellement contaminés ».
Des armes de destruction massive
Depuis le début de la crise sanitaire, la Chine, premier pays touché par la Covid-19, expérimente, en partenariat avec d’autres pays qui aident à éclairer le chemin. Ainsi, l’armée des nettoyeurs, des pulvérisateurs de désinfectants et de détergents pourrait être avantageusement complétée par des robots d’une génération nouvelle, vendus par les fournisseurs de matériel médical. Ils serviront à désactiver le SARS-CoV-2 dans les services hospitaliers et à réduire le risque d’infection nosocomiale au cours des procédures invasives. La désinfection UV est aujourd’hui pratiquée dans certaines structures hospitalières en France (bloc opératoire, services de réanimation) et les robots pourraient permettre de faciliter et d’étendre la procédure à toutes les surfaces. De plus, le rayonnement UV pourrait constituer un allié de choix pour le retour à une activité normale dans tous les lieux partagés tels que les transports, les entreprises et les établissements d’enseignement, ainsi que dans de nombreux secteurs d’activité tels que l’industrie et les loisirs.
Il existe sur le marché de nombreux fournisseurs de lampes et tubes UVC, spécifiquement destinés et adaptés à la décontamination. Celle-ci peut être opérée par des agents qui, formés et protégés, peuvent accéder à tous les espaces et aux moindres recoins, en observant un processus de traitement prédéfini, systématique et garanti. Rappelons ici que le SARS-CoV-2 peut rester viable plusieurs jours sur des surfaces inertes. Les expositions assurant une inactivation à 90% (la valeur D90) pour les coronavirus provenant de données publiées sont de l’ordre de 7 à 241 J/m2 (fluence ou unités d’énergie en Joule par mètre carré), avec une moyenne de 67 J/m2, ce qui pourrait correspondre raisonnablement à la sensibilité du virus SARS-CoV-2, valeur qui devra être confirmée par des futures expériences. La réduction de la quantité virale est d’autant plus importante que l’exposition aux UVC est prolongée. Dans le flux des mauvaises nouvelles des dernières semaines, nous avons un peu de chance : le SARS-CoV-2 est un virus enveloppé par une couche externe lipidique qui montre des signes de fragilité. De plus, il comporte un ARN simple-brin de 30 Kilobases, assez long relativement à d’autres virus, et, donc, davantage exposé aux dommages tels que ceux causés par les UV.
Comme il a déjà été démontré en Asie, les tubes UVC peuvent être montés sur des chariots motorisés et bardés de capteurs afin de les piloter à distance, éliminant ainsi le danger pour un opérateur. Plusieurs entreprises innovantes ont développé des chariots totalement autonomes. Ils sont capables d'acquérir, d’analyser la géométrie de l’espace à décontaminer, de s’y positionner et d’assurer ainsi un traitement approprié selon le principe du SLAM (Simultaneous Localization And Mapping ou cartographie et localisation simultanées).
Il est indispensable pour le robot de pouvoir se mouvoir librement afin de traiter toutes les surfaces et d’éviter toute zone d’ombre, telles que celles immanquablement laissées par un éclairage fixe. En complément, les UVA peuvent servir à identifier, par fluorescence, les endroits qui n’auraient pas été suffisamment traités par les UVC, selon le même principe que celui utilisé par la police scientifique pour révéler les traces de substances organiques.
Nous pensons qu’à l’avenir des techniques intelligentes et adaptatives de traitement des surfaces contaminées émergeront. L’intelligence artificielle aura bien sûr un rôle à jouer. Ainsi, les robots asservis devront collaborer avec les humains en leur évitant d’être exposés aux rayonnements UVC dangereux et en leur indiquant les surfaces et les objets à traiter de façon manuelle. Vive les cobots !
Automne 2020 : il ne faudra pas se relâcher au dernier trimestre !
Dans notre article du 12 mars 2020, nous évoquions « ce bon vieux soleil pour aider à enrayer le SARS-CoV-2 ». Si la progression de l’épidémie (et peut-être également celle des formes sévères de la Covid-19) décroissait avec le beau temps, un coup d’arrêt, ou au moins une pause, pourrait être marqué. Mais, il faut néanmoins garder à l’esprit que si le soleil et ses UV peuvent tuer le virus, la population pourrait être tentée de sortir dans les parcs et de se mélanger. Il faudra, à l’heure du déconfinement, trouver le juste équilibre, pratiquer des tests et adopter les bonnes habitudes et les bons réflexes, ceux des gestes barrières et du port de masque obligatoire. L’accalmie estivale, qui reste à confirmer, ne pourrait être que temporaire, malheureusement. Il ne faudra donc pas baisser la garde à l’approche du solstice d’hiver.