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Billet de blog 16 janvier 2012

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Bayrou est-il libéral ? Oui, mais si on définissait de quoi on parle.

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Il faut d'abord souligner un fait assez rare sous nos climats politiques contemporains : François Bayrou est un homme qui signe des livres. Auteur d'une biographie consacrée à Henri IV, le Béarnais Bayrou possède un atout supplémentaire : il écrit lui-même ses livres. Le citoyen qui sait prendre le temps de lire les écrits de François Bayrou constate aisément et avec intérêt que cela lui évite de tomber dans la caricature ou dans les opinions médiatiques majoritaire sur le personnage Bayrou.

Cette précaution prise, que voit-on dans la pensée de l'ancien ministre de l'Education nationale ? Des convictions fortes, des engagements raisonnés dans des gouvernements dits de droite, et des idées qui évoluent. Par exemple, Bayrou n'a pas toujours été favorable au scrutin proportionnel. Mais il s'est rendu compte, au fil de l'exercice de la Vè République, que ce mode électoral consolidait le régime bipolaire partisan, que le député démocrate combat depuis longtemps. L'absence de dialogue démocratique dès qu'un camp a pris le pouvoir, cela ne peut plus durer, selon François Bayrou. Le député centriste écrit avec un accent révolutionnaire : "le pouvoir est verrouillé, le peuple n'y a plus aucune place, on est revenu à l'Ancien Régime". Nous sommes en 2006, le livre publié s'appelle Au nom du Tiers Etat. On pourra, si on veut chercher des poux dans la tête à Bayrou, lui reprocher d'adopter une simple posture, au service de son (futur) petit parti, le Mouvement Démocrate, qui naît de la mort de l'UDF. L'objection pourrait - à la limite - être retenue si le Modem était un repaire d'opportunistes, un parti hyper-structuré, bâti comme une machine à écraser les autres. Mais ce n'est pas le cas. Il y a trop de liberté là-dedans pour que ça marche comme avant et comme ailleurs. Même les anciens UDF restés fidèles à François Bayrou s'en plaignent parfois...

Liberté, donc.

"C'est un grande aventure de l'humanité que la conquête de l'identité personnelle". Cette phrase, Bayrou la couche dans un ouvrage plus ancien encore, joliment intitulé Le Droit au Sens (Flammarion - 1996). Même un électeur dubitatif reconnaîtra que la quête de sens n'est pas le pire moteur de l'ambition politique, surtout à l'heure où les gestionnaires de tout poil ont pris la place des visions de société.

La quête de sens est un axe philosophique majeur dans la pensée politique européenne, mêlé aux influences religieuses multiples, nourris de nos désirs historiques de République et de laïcité. Il se trouve que François Bayrou, catholique pratiquant dans la privée, est l'un des hommes publiques français les plus attachés à l'ancrage laïque de la République. Traduction : le respect de chacun dans la République est plus important que l'écrasement de tous au nom de la raison d'Etat. On a beacoup critiqué le ministre François Bayrou pour sa volonté de rénover la Loi Falloux. Le texte permettait, dans le cadre de la décentralisation, de donner la possibilité aux collectivités locales de subventionner les bâtiments des établissements privés sous contrat. Il ne s'agissait donc pas de favoriser le privé au détriment de l'école publique, mais d'introduire une égalité pratique au nom de la liberté. Mais François Bayrou était peut-être un peu naïf de croire à cette possibilité.

La liberté est l'un des principes fondateurs de la République démocratique et du dynamisme de la société civile. Si je ne reconnais pas la liberté de mon concitoyen, je ne peux pas demander à l'Etat d'assurer un rôle essentiel et premier : élaborer des lois justes, qui fondent l'égalité des citoyens libres devant la règle de droit et la redistribution sociale. Si je ne reconnais pas la liberté de mon concitoyen, je ne peux pas bâtir la fraternité, qui limitera les exclusions et les connivences. Si je ne reconnais pas la liberté comme fondement de la société, j'ouvre la porte aux discours extrêmistes qui adorent le pire : monter les uns contre les autres. Si je ne reconnais pas la liberté comme une valeur dans le travail (le travail n'est pas une valeur en soi !), je ne peux pas garantir que la compétence professionnelle et le projet d'entreprise seront plus important que le pouvoir et la possession de l'outil de travail (l'artisan courageux et le salarié imaginatif savent bien ce qu'il en est).

Nous sommes en crise, et nous voyons bien que notre liberté est menacée. Les personnels de la Justice eux-mêmes pointent les dérives des pouvoirs au plus haut niveau de l'exercice de l'Etat. Car même l'Etat n'est plus libre d'administrer correctement le pays.

Le droit au sens se nourrit de liberté. Et la liberté est garantie par la loi. 

La crise - ou plutôt les crises -  nous y sommes plognés parce que la France - et l'Europe ! - a trop vécu sous le règne des conservatismes, de gauche comme de droite, qui ont laissé la société se racornir dans des clivages mortels. Conservation des privilèges et des acquis au détriment des idées, des projets, des compétences humaines.

La place de l'Etat peut - et doit - être juste pour que les fonctionnaires soient réellement au service du citoyen. Un ami enseignant m'explique souvent la difficulté de son métier parce qu'on lui demande de se taire plutôt que de professer et de tenir un rôle de modèle pour les enfants.

Au nom de la liberté, le rôle de l'argent doit être remis à sa juste place. Une de mes relations qui travaille dans le secteur bancaire s'étonne que les riches ne l'ont jamais autant qu'aujourd'hui ! Pour quel résultat économique et social ?

Au nom de la liberté des peuples dans l'espace européen, nous pouvons instaurer des outils de régulation commune. Et les peuples doivent pouvoir en décider librement ! C'est pourquoi François Bayrou pose la question du fédéralisme européen, tout en prenant comme préalable que la Nation c'est notre affaire. Avant de donner des leçons au monde entier, il faut peut-être corriger ses propres défauts, non ?

Oui, le projet humaniste de "l'homme du centre" est un projet libéral au sens philosophique du terme. J'en discutait récemment avec un ami qui se disait volontiers communiste il y a quelques années. Comme quoi, les clivages anciens ont fait leur temps, non ?... Nous sommes des millions à vouloir recouvrer la liberté. Alors, oui, cette année, pour sortir de nos crises, pourquoi pas le libéral François Bayrou !  

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