Plus d'un mois après son lancement, par la Ligue des Droits de l'Homme (LDH) et le « Collectif stop le contrôle au faciès », la pétition intitulée « La fin du contrôle au faciès, c'est maintenant ! » affiche plus de 8 500 signatures. Cette initiative dénonce l'attitude du gouvernement français, revenu sur la mise en place d'un récépissé pour tout contrôle d'identité sur la voie publique. A Marseille, associations et élus locaux réagissent, jeunes descendants d'immigrés témoignent.
Au mois de septembre dernier, Manuel Valls avait déclaré que l'instauration du récépissé en question était « trop bureaucratique et lourde à gérer ». A l'annonce du revirement du ministre de l'intérieur, des associations ont répliqué par un communiqué commun : elles estiment qu'un récépissé est nécessaire pour réduire les contrôles au faciès et réclament une réforme de la loi encadrant les contrôles d'identité (art. 78-2 du Code de procédure pénale), ainsi qu'un « suivi des contrôles par les superviseurs et cadres policiers, des rencontres régulières entre citoyens, police et élus pour discuter de la pratique des contrôles ».
Invité à la résidence de l'ambassadeur américain le 7 novembre, Manuel Valls a finalement annoncé qu'il recevrait le Collectif contre le contrôle au faciès, pour discuter à nouveau de la mise en place d'un récépissé. A Marseille, l'adjoint au maire Nassurdine Haidari a apposé son nom sur la pétition. Pourtant, ces contestations ne sont pas suivies de mesures pour contrer le phénomène dans la métropole cosmopolite.
Respectivement âgés de 25 et 18 ans, Mamadou et Karim résident à Marseille. Ils racontent les contrôles d'identité dont ils ont fait l'objet. La culpabilisation face aux demandes des policiers se fait ressentir.
Nassurdine Haidari, est adjoint au maire du premier secteur de Marseille et membre du Parti Socialiste. Il a pris le relais du Collectif stop le contrôle au faciès dans le département.
« Le récépissé, loin d'être une arme absolue, est une méthode qui a fait ses preuves dans plusieurs pays, notamment en Espagne, en Angleterre et en Irlande, où le nombre de contrôles au faciès a baissé mécaniquement », constate-t-il.
Il affirme qu' « en matière de discrimination, c'est toujours la même chose : on se demande comment savoir sans savoir ». Car le frein majeur aux dénonciations du comportement policier reste l'apport de preuves et de témoignages.
« Tout d'abord, nous voulons savoir combien de contrôles se font tout court, car pour le moment nous ne pouvons même pas quantifier », explique-t-il.
L'élu marseillais ajoute à cela le besoin de concertation, tout comme le Défenseur des Droits qui évoquait, dans son rapport du 16 octobre, le rétablissement « d'une indispensable compréhension mutuelle entre forces de l'ordre et population ». Nassurdine Haidari dit lui aussi vouloir entamer une discussion avec la police de Marseille, sans préciser quand cette dernière démarrera.
La discussion s'annonce d'emblée délicate, si l'on s'en réfère aux paroles du délégué PACA de l'Alliance Police Nationale, David-Olivier Reverdy :
« Nous sommes fermement opposés au récépissé : cela reviendrait à stigmatiser l'action des forces de l'ordre, c'est une suspicion insupportable. De plus, cela est quasiment impossible à faire sur la voie publique ».
Le policier marseillais considère que le problème est futile, comparé aux violences extrêmes qui se perpétuent dans la métropole. Il se révèle sceptique quant aux discriminations qui seraient liées au contrôle d'identité : « les personnes qui se plaignent d'un contrôle abusif sont celles qui ont été dérangées dans leurs activités délinquantes », affirme-t-il. Un moyen de soutenir que « la police républicaine applique strictement la loi ».
Étonnamment, un porte-parole du Président la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme des Bouches-du-Rhône (LICRA 13), qui a tenu à rester anonyme, rejoint la position du syndicat de police. Il assure que depuis quatre ans passés à récolter les plaintes à Marseille, il n'en n'a jamais enregistré une qui ait trait à un contrôle abusif d'identité :
« Nous recevons des plaintes de comportement de policier ou de gendarme, mais cela est très insignifiant et n'est jamais suivi de l'envoi d'un courrier. Cela montre que les récriminations n'étaient peut-être pas fondées », a-t-il indiqué.
Interrogé sur l'instauration d'un récépissé, il répond : « cela n'a pas d'intérêt et va inciter les forces de l'ordre à être plus méchantes, ou bien cela provoquera un laxisme. ». Et le porte-parole de finir en chantre des agents de l'Etat : « Je ne veux pas croire qu'un policier fasse des contrôles uniquement pour son plaisir ».
Chantal Mainguy ne l'entend pas de cette oreille. La directrice de l'Observatoire des violences policières illégitimes (OVPI) dans les Bouches-du-Rhône s'en réfère au rapport de René Lévy et Fabien Jobard, publié par l'Open Society Institute en 2009 et intitulé « Police et minorités visibles, les contrôles d'identité à Paris ». Les chercheurs du Centre de recherches Sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) montrent que la probabilité de contrôle est de quatre à douze fois supérieure pour un noir, et de deux à quinze fois supérieure pour un arabe : « A priori, nous ne voyons pas d'autre explication qu'un profilage racial de la part des fonctionnaires... », dit-elle.
L'OVPI a conservé des témoignages qui attestent que des dérives ont eu lieu dans la cité phocéenne. Dans son rapport d'activité de 2008-2009, l'Observatoire publie un chapitre consacré aux interpellations : le témoignage du 19 mai 2008, à Marseille, illustre le cas d'une interpellation qui semble avoir pour seul motif le désir de grossir les chiffres des expulsions.
Celle-ci est intervenue auprès d'une personne qui allait récupérer son enfant à la crèche et se dirigeait vers une borne de vélo. Encerclée par quatre policiers, elle a décliné son identité au moyen d'une carte de bus, ne possédant pas sa carte d'identité sur elle. Les policiers lui ont demandé de les suivre pour vérification, ce qu'elle a accepté. La personne a demandé pour quelle raison elle se faisait contrôler, mais n'a obtenu aucune réponse. S'en sont suivi des violences, de l'étranglement à l'aide d'une matraque aux insultes rapportées : « ta gueule, tu représentes une prime de cent euros pour nous […] va te faire, bougnoule ». Le témoin a en outre été mis en garde à vue pour « rébellion, résistance avec violence aux policiers et refus de décliner son identité », ce qu'il nie auprès de l'OVPI.
Une proposition de loi relative aux contrôles d'identité a été déposée au Sénat le 16 octobre dernier. Le texte vise à modifier l'article 78-2 du Code de procédure pénal, afin que les contrôles de police soient justifiés par des « raisons objectives et individualisées de soupçonner » les personnes arrêtées.