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Billet de blog 17 octobre 2023

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Un hébergement d'urgence indigne

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis éducatrice spécialisée avec six années d’expériences et j’ai eu l’opportunité d’explorer divers environnements, chacun abritant des publics uniques. J’ai travaillé auprès de jeunes pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance, de jeunes et d’adultes en situation de handicap, de public précaire ayant un hébergement pour du moyen/long terme. Aujourd’hui, j’interviens au sein d’une association militant contre l’exclusion des personnes et des familles qui sont sans domicile fixe. Nous leur proposons une écoute attentive et bienveillante, une évaluation de leur situation, un hébergement d’urgence, un soin, une orientation adaptée.

Le secteur du sanitaire et du social est confronté à divers obstacles : une pénurie de ressources humaines et financières, des politiques publiques parfois défavorables et un manque de reconnaissance qui entraîne un turnover des professionnels. Travailler dans de telles conditions n’est pas toujours aisé, mais le soutien, l’entraide au sein des équipes et la créativité nous aident à surmonter ces défis. Toutefois, il existe des problèmes que nous ne pouvons ignorer et dépasser et c’est précisément ce que je souhaite tenter de mettre en lumière et dénoncer. 

Ici, je souhaite exposer le problème des hébergements à l’hôtel. Les hôtels sociaux sont - en théorie - des hébergements temporaires pour les personnes en situation de précarité et une des premières étapes pour l’accession à un logement pérenne. 

Il y a peu de temps, lors d’une nuit de travail, j’ai eu l’occasion de retrouver Eric (prénom modifié) après plusieurs mois sans le voir. C’est seulement quand il a prononcé son nom que j’ai pu le reconnaître. Ses cheveux, cils et sourcils ont disparu suite à un événement traumatisant survenu près d’un an plus tôt. Après une absence motivée par des raisons personnelles, cet homme dans la quarantaine est de retour dans le quartier. Il bénéficie d'un suivi médical et social dans lequel il est investi. L'hiver précédent, il a obtenu une place d’hébergement dans un hôtel au mois du Val-de-Marne (94) par le biais d'une association.

C’est en novembre 2022 qu’Eric a emménagé dans cet hôtel moyennant une participation financière de 90 euros par mois, calculée en fonction de ses ressources. Sa chambre d'environ 20 mètres carrés était bien équipée, comprenant une kitchenette, une douche et un lit. Généralement, la plupart des chambres d’hôtel sont petites avec peu ou pas d’équipement. Ici, seules les toilettes étaient partagées. Initialement enchanté par cet hébergement, il a rapidement découvert que l'eau était glaciale et que le chauffage faisait défaut malgré l’hiver arrivant.

Un voisin de chambre l'a averti : "Tu ne tiendras pas quatre mois ici." Les problèmes d'eau chaude, de chauffage et la présence de punaises de lit ont transformé cet hébergement en un véritable cauchemar pour Eric qui devait être un endroit sécurisant, reposant et lui permettre d’aller de l’avant. Il y est resté quatre mois, endurant des douches froides et des nuits troublées par les piqûres des punaises.

Malheureusement, malgré ses appels répétés à l'association qui l'avait placée là, aucune mesure n'a été entreprise par l’hôtelier. Eric s'est ainsi retrouvé dans un environnement insalubre et indigne et a fait le choix de retourner à la rue. Aucune autre proposition d’hébergement ne lui a été faite par l’association. 

Ces problèmes se révèlent être monnaie courante dans les hôtels sociaux. De ma brève expérience, j'ai visité et travaillé avec plusieurs d'entre eux et recueilli divers témoignages. Les chambres sont fréquemment exiguës, humides, infestées de moisissures, avec des sanitaires communs mal entretenus et à l’hygiène douteuse et une infestation de nuisibles récurrente et persistante. De surcroît, la collaboration avec les gestionnaires d'hôtel s'avère souvent complexe, car nous ne disposons que de la possibilité de signaler les problèmes, qui sont bien souvent déjà connus de leur part.

En janvier 2021, un article des Echos révélait qu'en Île-de-France, 53 000 personnes étaient hébergées quotidiennement dans des hôtels sociaux faute de places disponibles dans les structures d'hébergement d'urgence. À Paris, le service Delta du Samu Social - service dédié à l’hébergement - a logé 96 679 personnes dans 887 hôtels en 2021 (chiffre du rapport d’activité 2021 du Samu social de Paris). Face à une demande aussi considérable, il devient difficile de sélectionner des établissements offrant des conditions d'accueil satisfaisantes et adaptées. Ainsi, certains hôtels se sont spécialisés dans l’hébergement d’urgence, en raison de la forte demande. Beaucoup d’entre eux sont devenus des “marchands de sommeil”. Les associations et l’État sont complices de cette situation et préfèrent fermer les yeux. Le budget alloué à l’hébergement hôtelier est considérable. Par mois, et par personne, l’État paierait plus de 600 euros pour une chambre. D’un hébergement transitoire devant être un simple tremplin pour l’accès à un logement, le recours aux hôtels sociaux devient quasi pérenne et dure dans le temps de plusieurs mois à plusieurs années pour un même ménage, dans des conditions peu ou pas favorables.

Comment est-il possible d’évoluer, de se reconstruire, de grandir pour des enfants dans une chambre d’hôtel exiguë avec tous les problèmes cités précédemment ?

L’histoire d’Eric n’est malheureusement pas isolée. Encore aujourd’hui, en 2023, nous proposons des hébergements indignes mettant la santé et la sécurité des hébergés en danger.  Ces problèmes soulignent la nécessité de repenser les politiques de logement et de soutien et d’accompagnement des personnes en situation de précarité afin de garantir des conditions de vie dignes pour toutes et tous. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.