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Il est 8 heures du matin au marché de bestiaux de Saint-Christophe-en-Brionnais, au cœur du Charolais (Bourgogne). Comme chaque mercredi, des centaines de bovins de cette race, la plus consommée en France, sont vendus aux enchères. Ils finiront en bavette, bifteck, entrecôte ou faux filet. Ce 22 avril, ce n'est pas la cohue des grands jours. Fermé au début du confinement, le marché a tout juste rouvert ses portes avec des règles strictes et un quota maximum de spectateurs au cœur du « ring » où défilent les bestiaux.
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Le ring est une sorte de petite arène où arrivent les animaux. Les plus stressés en font plusieurs fois le tour au galop, tandis que d'autres plus nonchalants sont stimulés par la baguette du bouvier. Au dessus, un panneau électronique permet de suivre les enchères. Dans les gradins, une quarantaine d'acheteurs, certains masqués, tâchent de s'assoir à distance pour respecter les mesures de sécurité. Des geste barrières difficile à tenir longtemps. On se glisse un mot à l'oreille, on s'échange un téléphone, on tripote son masque pas toujours bien ajusté.
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Les organisateurs s'attendaient à 600 veaux et génisses. Au final, plus de 800 bêtes sont arrivées. Ce qui inquiète un peu Pascal Pierre, le directeur du marché : « Trop d'animaux, ça peut faire baisser le prix de vente. Il faut avoir assez d'acheteurs en face ». Depuis le début de la crise du coronavirus, ces éleveurs sont inquiets : la chute des prix ne couvre pas leurs coûts de production. La Fédération nationale bovine les a même appelés à ne pas vendre leurs animaux afin de faire pression sur le gouvernement. Sans succès pour l'instant car le moment est mal choisi : beaucoup de vaches sont « mûres » pour l'abattoir. « Les garder trop longtemps dans les prés engendrerait une perte financière. C'est un peu comme un abricot : vendu trop tôt il n'est pas bon, vendu trop tard il est presque pourri », explique Jean-François Jacob ancien éleveur, devenu marchand de bestiaux.
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Enfermé dans une petite cage de verre, installée sur le coté gauche du ring, Jérémy Sauvant est le crieur du marché. Il débite à la vitesse de l'éclair les informations essentielles des bêtes qui défilent sous ses yeux : poids, âge, prix provenance. En moins de 30 secondes l'affaire est pliée, les animaux vendus sont poussés vers la sortie.
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Derrière la scène, un dédale de couloirs en barres de fer, dans lesquels les animaux patientent plus ou moins calmement sous la garde des bouviers. Pascal Pierre, le directeur du marché, n'a pas trop envie qu'on prenne des photos, craignant la réaction des associations de défense des animaux. D'ailleurs, les bouviers ont déjà reçu des crachats de tourismes qui venaient avant le confinement suivre des visites guidées. Un choc pour ces gens, souvent eux-mêmes paysans, qui estiment bien faire leur travail dans le respect de l'animal.
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Tous les animaux vendus aujourd'hui sont des broutards destinés à l'exportation, en majorité vers l'Italie. Ils y seront engraissés puis consommés sur place. Cette activité n'a pas tant souffert de la fermeture des frontières. « Les chauffeurs continuent de travailler ; simplement ils ne rentrent plus dans nos bureaux. On fait de la distanciation pour éviter les risques », confie Thierry Richonnier, un exportateur.
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Si à l'export, les affaires semblent pour l'instant se maintenir, en France il a fallu se réorganiser face à la fermeture des restaurants où sont consommées les plus belles pièces de viande et surtout les plus onéreuses. « Tout ça va finir en steak haché et ça sera vendu moins cher », grommelle Pascal Boer, de la ferme Collonges. Lui, comme d'autres, en veut à la grande distribution et aux groupes industriels comme Bigard, qui tirent leur épingle du jeu avec la fermeture des marchés. « Ils ont beau mettre des belles photos en disant qu'ils travaillent avec les producteurs, c'est eux qui tiennent tout et tirent les prix vers le bas. » D'autres s'inquiètent d'une prochaine sécheresse pour la troisième année consécutive. « Déjà que c'est compliqué en temps normal, qu'on peine à s'en sortir, c'est une crise de plus. Je ne serai pas surpris que certains jettent l'éponge », confie Robert Prévost, éleveur à Vareilles. « Le nombre de têtes de bétail a déjà diminué l'an passé, cela ne m'étonnerait pas que ce soit encore le cas cette année », craint Matthieu Durris, exportateur chez Europagri.
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A la sortie du ring, dans la grande salle d'entrée, des paysans patientent en attendant que « leur lot » arrive dans l'arène. « Moi j'ai 60 ans de marché au compteur », nous glisse un homme aux cheveux blancs. « Je ne l'avais jamais vu fermer, sauf pendant la fièvre aphteuse. Et là ils ne veulent pas me laisser entrer », grommelle-t-il. Comme il n'a aucun animal à vendre, il doit donc patienter comme d'autres devant l'écran installé pour suivre les enchères. Et les mesures de sécurité prises pour endiguer l'épidémie de coronavirus lui semblent bien encombrantes car « de toute façon, il faut bien mourir de quelque chose.»