Apocalypses écologiques : quels fondements ?(IIIème partie)
Globalité des fondements renversants.(chapitre 4)
Introduction.
Nous voulions pour terminer cette III ème partie montrer la complexité et la force des fondements contre le productivisme,le capitalisme et l'anthropocène,c'est à dire ce trio infernal de l'autodestruction.
Penser c'est s'affronter à la complexité, c'est avec cette méthode qu'on fera les choix d'un monde viable à travers des moyens viables.
Quant à dire qu'on change sans bouleversements,que l'on peut arrêter la débâcle écologique sans remises en cause
c'est montrer une nullité sans bornes , une paresse intellectuelle lamentable ou faire preuve d' un mensonge affligeant et d'un manque consternant de courage politique.
Ranger,conserver l'ordre dominant porteur de tant de souffrances,de drames et de menaces?Non.
C'est déranger qui fait surtout venir au monde,cela en remettant en cause les mécanismes accélérés des apocalypses écologiques.
Les fondements d’un monde viable n’ont-ils pas quelque chose de renversant dans la mesure où ils reposent sur des logiques contraires à celles du productivisme ?
Le productivisme est porteur de multiples confusions entre les fins et les moyens,
au contraire un monde viable met en avant des moyens qui doivent être conformes aux fins proclamées.(I).
Le productivisme se veut sans limites,
au contraire un monde viable met en avant des moyens qui doivent tenir compte de multiples limites (II).
Le productivisme multiplie les fractures dans l’espèce humaine, par exemple entre pays, et détruit de nombreuses diversités par exemple écologiques,
au contraire un monde viable met en avant recherche de l’unité de l’humanité et respect des diversités.(III)
Le productivisme ne tient pas compte de la nécessité d’interdépendances respectueuses les unes des autres,
au contraire un monde viable met en avant un respect de principes anti productivistes à chaque niveau d’action, du local au global .(IV)
Le productivisme ne tient pas compte de la globalité du monde, par exemple de la biodiversité, par exemple des liens entre misère et course aux armements, il ne tient compte que de quelques dégâts en aval et ne remet que rarement en cause ses logiques de l’amont,
au contraire un monde viable suppose une globalité et une radicalité des moyens qui se veulent viables. ( V).
Le productivisme est pour une très large part un monde de compétition à tous les niveaux, dans l’ensemble des activités,
au contraire un monde viable repose sur de multiples remises en cause de la compétition (VI).
I-Un principe anti productiviste : des moyens conformes aux fins mises en avant.
Nous examinerons les fondements de nouveaux rapports entre les fins et les moyens dans un autre système se voulant viable.
Il s’agit de partir du principe selon lequel aucun moyen n’est neutre (A)
puis de penser la remise des moyens à leur place, la techno science (B) , le marché mondial (C), les marchés financiers (D)
il s’agit de respecter les fins, c'est-à-dire les droits de l’homme et ceux des peuples (E) sans oublier ceux aussi de l’humanité (F).
A- Aucun moyen n’est neutre par rapport aux fins.
1-Cette question des rapports entre les moyens et les fins a été pensée bien sûr en particulier par des philosophes.
Nous n’en citerons ici deux, Kant et Jonas.
a- Ainsi Emmanuel Kant dans ce passage célèbre :
« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre,
(Fondation de la métaphysique des mœurs(1785) traduction par A. Renault, Flammarion, 1994, p.108).
b-Plus proche de nous dans le temps Hans Jonas dans ce passage connu :
« Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. » (Le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique, Cerf, 1979, p30).
Ainsi la dignité humaine chez le premier, la responsabilité chez le second sont au cœur de leurs philosophies.
Mais la philosophie n’est pas la seule à interroger ces rapports. De façon globale les activités humaines, dans les théories comme dans les pratiques, ont été et sont présentes au cœur de cette question, comment ?
2-On peut ainsi penser que la légitimité d’une cause n’implique pas la légitimité de tous les moyens pour la faire triompher.
- Par exemple s’il était oh combien légitime de lutter contre le totalitarisme nazi, certains, dont nous sommes, penseront qu’il n’était pas légitime d’envoyer des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki (avec d’ailleurs pour objectif de montrer sa puissance face à l’Union soviétique).
-C’est d’ailleurs ce qui condamne le terrorisme, que ce soit celui de réseau ou celui d’Etat. Le terrorisme peut mettre en avant une cause illégitime, par exemple la disparition d’une race, ou une cause légitime, par exemple la lutte contre une occupation armée étrangère, les moyens de terreur employés contre les personnes peuvent être considérés à juste titre comme illégitimes.
3- Cette série de théories et de pratiques selon laquelle la fin ne justifie pas tous les moyens est, pour l’instant , minoritaire dans le monde mais depuis plus d’ une trentaine d’années (1989, révolutions fondées sur la désobéissance civile à l’Est) elle prend de plus en plus une certaine ampleur.
Elle consiste à affirmer qu’aucun moyen n’est neutre et en lui-même et par rapport à la société qui va en sortir.
La force qu’elle représente se retrouve par exemple à travers des révolutions non-violentes fondées sur des résistances actives, des désobéissances massives. Deux des exemples les plus connus sont ceux, contre l’empire britannique, de l’indépendance de l’Inde et, contre le régime soviétique, des révolutions à l’Est.
C’est certainement sous l’influence des problèmes, des menaces et des drames environnementaux que l’on a été amené à protester contre de nombreux moyens, en particulier énergétiques, et qu’on en propose de nouveaux qui se veulent respectueux de la nature. On a alors conscience de ces liens entre les fins et les moyens et on va souvent utiliser des résistances et des désobéissances qui, elles aussi , ne seront pas neutres. Les manifestations de jeunes face à la faiblesse ou l’irresponsabilité de politiques étatiques contre le réchauffement climatique s’inscrit dans ce cadre des résistantes non-violentes.
4-On peut donc penser qu’aucun moyen n’est neutre par rapport aux objectifs proclamés.
Gandhi, dans l’ouvrage posthume réunissant ses écrits « Tous les hommes sont frères » (première parution en 1969, puis folio essais , Gallimard,1990, p.147) affirme de façon radicale et lumineuse :
« On entend dire « les moyens, après tout, ne sont que des moyens ». Moi je vous dirai plutôt : « tout, en définitive, est dans les moyens. La fin vaut ce que valent les moyens. Il n’existe aucune cloison entre les deux catégories » (…) Votre grande erreur est de croire qu’il n’y a aucun rapport entre la fin et les moyens (…) Les moyens sont comme le grain et la fin comme l’arbre. Le rapport est aussi inéluctable entre la fin et les moyens qu’entre l’arbre et la semence. Ceux qui, au contraire, s’abaissent à employer n’importe quel moyen pour arracher une victoire ou qui se permettent d’exploiter d’autres peuples ou d’autres personnes plus faibles, ceux-là non seulement se dégradent eux-mêmes, mais aussi toute l’humanité. Qui pourrait donc se réjouir de voir l’homme ainsi bafoué ? »
5-Un témoignage personnel de l’auteur de cette analyse.
Lorsqu’en septembre 1972, alors que je commençais à enseigner les relations internationales et le droit international public, je me suis aussi plongé dans des lectures tiers-mondistes et non-violentes. C’est alors que j’ai découvert cette pensée de Gandhi : « Les fins sont dans les moyens comme l’arbre est dans la semence ».
Je crois que c’est elle qui a contribué à bouleverser ma vie, en quelques années tout s’est enchainé : luttes pour la démocratie (contre la dictature au Chili ), pour la justice (contre la misère dans un voyage associatif au Bangladesh), pour le désarmement (contre les ventes d’armes au salon du Bourget), pour l’environnement ( contre le réacteur nucléaire de Creys Malville). Dans les cours, les interventions et les écrits je n’ai cessé de partager cette question, celle des rapports entre les moyens et les fins.
6-La complexité de certains rapports entre les moyens et les fins
Il y a deux types d’abus possibles, les uns sur les moyens, les autres sur les fins.(a)
Il y a ensuite une situation évoquée par exemple par un non-violent célèbre.(b)
Sans oublier la complexité des marges de manœuvres des acteurs et celle des choix liés au temps.(c)
a-Un moyen ou une fin que l’on pensait acceptable se révèle inacceptable
.Au niveau des moyens : par exemple un embargo l’on pensait juste finit par porter atteinte aux droits des plus faibles. Par exemple une loi de protection de l’environnement peut être injuste en portant atteinte aux plus démunis. D’ou la nécessité souvent soulignée de conjuguer écologie et justice.
Au niveau d’une fin : par exemple une organisation qui était censée protéger des enfants peut avoir demandé une aide qui , en fait, participe à un trafic d’enfants.
b-Des moyens acceptables pour des fins inacceptables…
Martin Luther King écrivait dans « Révolution non-violente », (éditions Payot, 1965) « Ces dernières années j’ai constamment insisté sur le fait que les moyens que nous utilisons doivent être aussi purs que les buts que nous voulons atteindre. J’ai tenté de démontrer qu’il ne fallait pas utiliser des moyens immoraux pour atteindre des buts moraux. Mais aujourd’hui j’affirme qu’il serait encore plus faux d’utiliser des moyens moraux pour atteindre un but immoral. Vous voulez l’ordre dans la rue, vous êtes contre les manifestations non-violentes que nous organisons , tout cela pour « la paix publique » dites-vous mais celle-ci n’est pas morale.» Ce qui est immorale c’est une violence structurelle selon laquelle les noirs n’ont pas les mêmes droits que les blancs.
-Complexité aussi des marges de manœuvres des différents acteurs
Le productivisme a les moyens de réduire les marges de manœuvres d’acteurs qui en appellent aux résistances actives.
Parmi ces moyens citons des répressions sur des ONG et des militants.
Par rapport à des Etats qui en appellent aux luttes contre des injustices internationales existent également au moins trois moyens de réduire leurs marges de manœuvres : d’une part des augmentations bilatérales ou internationales de taxes douanières, d’autre part une réduction de l’aide internationale ou bilatérale, enfin l’augmentation de la charge de la dette qui est une forme de mise sous tutelle des économies.
7-Complexité des choix liés au temps
Moins on tient compte du long terme plus on peut se retrouver dans des situations d’urgence avec des choix plus limités. Plus on attend pour résister plus c’est difficile de le faire. Des chemins de bonnes intentions sont parfois pavés de renoncements successifs.
Remettre à leur place les moyens, respecter les fins ; telles sont les deux séries de remises en cause vitales, cela signifie une techno-science et un marché au service des êtres humains et non le contraire.
B- La remise à sa place de la techno science.
1- Comme on s’en remet au marché on s’en remet souvent aussi à la techno-science. Les recherches et les technologies aux différents niveaux géographiques, à travers des phénomènes de concentrations et de groupes dominants (firmes multinationales, laboratoires) ont tendance à s’auto reproduire parfois, voire souvent, indépendamment des véritables besoins des êtres humains.
2- La techno-science ne tend-t-elle pas à échapper de plus en plus aux acteurs humains ? Après les phases de mécanisation, de motorisation, d’automatisation est venue celle de la cybernétisation c’est-à-dire de mécanismes de régulation des machines et des êtres vivants. La cybernétisation des technologies avancées n’amène-t-elle pas à enlever des possibilités d’appréciation et de décision à ceux qui sont censés les contrôler ?
Dès lors une question vitale est la suivante : les acteurs humains doivent-ils, veulent-ils, peuvent-ils mettre en œuvre un véritable contrôle de la techno-science à tous les niveaux géographiques ?
3- Nous citerons au moins six séries de contrôles cruciaux, décisifs :
la recherche scientifique militaire sur les armes de destruction massive, les graves problèmes drames et menaces posés par les déchets radioactifs et donc par l’énergie nucléaire, les pollutions de l’air causées entre autres par des moyens de transports écologiquement non viables, la marchandisation de la faune et de la flore , l’exclusion du travail par la technique (une des grandes causes du chômage), et déjà le déploiement ici ou là, hors encadrement juridique rigoureux ,de manipulations du génome, des nanotechnologies et de certains projets de géo-ingénierie…Nous pourrions prolonger la liste.
La gravité des menaces, la complexité des défis, les souffrances causées par divers drames exigent une techno-science ramenée au rang de moyen au service des êtres humains.
4-Il y a ainsi au moins deux grands axes pour mettre en œuvre un contrôle de la techno-science ou, de façon plus radicale, pour la remettre à sa place.
a-Le premier axe se situe en termes de priorités c’est-à-dire que les efforts de recherches et de nouvelles technologies doivent être orientés en fonction des priorités liées à l’intérêt commun de l’humanité, les activités de la techno-science doivent s’inscrire dans des contrats à tous les niveaux géographiques, contrats mettant en avant ces priorités et décidés par des processus démocratiques. Un critère significatif est, par exemple, dans un pays donné , celui consacré aux dépenses de santé par rapport aux dépenses militaires.
b- Le second axe se situe en termes d’interdictions : la sacro-sainte liberté de la recherche scientifique doit être remise en cause quand elle menace la dignité des personnes ou l’intérêt commun de l’humanité.
5- La remise à sa place du transhumanisme.
Jusque vers 1950 le transhumanisme était de la science-fiction sous forme de livres et de films. Depuis plus de 70 ans c’est une puissante réalité en marche à travers des moyens et des théories qui posent de multiples questions et demandent des réponses globales et précises.
a- 1er élément : le transhumanisme est d’abord un ensemble gigantesque de moyens scientifiques et techniques ayant pour fonction l’amélioration illimitée des facultés humaines.
Cet ensemble se développe sous quatre formes.1ère forme : celle des transformations d’un corps plus performant (courir plus vite, avoir plus de force, augmenter sa mémoire, restaurer certaines fonctions chez des malades et des handicapés, augmenter l’espérance de vie, se faire conserver dans le froid(la cryonie) pour réapparaitre plus tard…),2èmeforme : celle des transformations psychiques et émotionnelles (ainsi des nanorobots dans le cerveau peuvent stimuler diverses zones, par exemple créer, pourquoi pas, une sorte de félicité perpétuelle),3ème forme : celle de la vie avec les robots (par exemple devenus compagnons domestiques, assistants médicaux, partenaires sexuels),4èmeforme : celle de la robotisation de l’humain (on crée des êtres hybrides, autrement dit des hommes-machines composés d’organes et de gènes biologiques et non biologiques synthétiques, des cyborgs, organismes cybernétiques de commande et d’information issus de la rencontre de multiples disciplines, et demain peut venir aussi un téléchargement de l’esprit dans un substrat non biologique).
Ces moyens se déploient à travers ce qui est appelée « la grande convergence » de quatre domaines dits NBIC ,les nanotechnologies avec des puces intégrées, les biotechnologies avec des clonages, des interventions sur l’embryon, des modifications d’ADN, les technologies de l’information et les sciences cognitives avec l’intelligence artificielle capable de simuler l’intelligence humaine. Il y a ainsi des interconnexions entre l’infiniment petit, la fabrication du vivant, les machines pensantes et l’étude du cerveau humain. Les nanotechnologies manipulent les atomes, les biotechnologies s’appliquent aux gènes, l’informatique s’appuie sur la quantité d’information transmise par un message et les sciences cognitives s’exercent à partir des neurones biologiques. Aux intersections se trouvent ainsi la nano-bio-médecine, la nano-bio-informatique…
b- 2nd élément : le transhumanisme c’est aussi un ensemble de théories.
L’humanisme, en se fondant sur des textes antiques, s’était épanoui au XVIème siècle sous la forme d’un mouvement philosophique, culturel et artistique qui mettait en avant la primauté de l’homme et des valeurs humaines.
Au XVIIIème le siècle des Lumières avait valorisé l’action de l’être humain, sa capacité à connaitre, à agir sur lui et sur le monde.
Mais à la fin du XIXème et au début du XXème des théories antihumanistes apparaissent ,ce sont celles du darwinisme social qui affirme que la lutte pour la vie correspond à l’état naturel des sociétés et celles de l’eugénisme pour lequel la perfectibilité est réduite à un projet biologique et médical qui a pour but de sélectionner les plus forts et d’éliminer les plus faibles, suivront en ce domaine les pratiques épouvantables des nazis.
Aldous Huxley en 1932 , dans le roman génial d’anticipation « Le meilleur des mondes », dénonçait radicalement la manipulation de l’homme par l’homme. A l’opposé en 1941 son frère, Julian Huxley, biologiste, dans son ouvrage « L’homme cet être unique », se déclarait partisan de l’eugénisme comme moyen d’amélioration de la population humaine.
Après la Seconde guerre mondiale la techno science se développe à une allure vertigineuse et en 1957 dans un texte fondateur, « Nouvelles bouteilles pour un nouveau vin », ce biologiste, Julian Huxley, propose le mot transhumanisme qui signifie selon lui que « l’homme reste l’homme mais se transcende par la réalisation de nouvelles possibilités de et pour sa nature. », ce transhumanisme a pour « devoir cosmique » la « promotion du bien-être des générations à venir pour l’avancement de notre espèce .»
A partir des années 1980-90 des philosophes, des ingénieurs liés parfois aux armées, et aussi des start-ups, des firmes multinationales, en particulier en Californie dans la Silicon Valley, deviennent transhumanistes. Google soutient ce mouvement et par exemple crée en 2013 une société de biotechnologies, Calico, dont le projet est de « Tuer la mort ».
Les transhumanistes pensent que nous sommes limités par la souffrance, la maladie, le handicap, le vieillissement, la mort , mais que la techno science peut tout changer, elle peut repousser, de façon illimitée, ces « insuffisances» . « La grande convergence» aboutira à « la singularité technologique » c'est-à-dire à une entité supérieure à l’homo sapiens, qui sera omnisciente, omnipotente, omniprésente et, comme des dieux, ces hommes-machines pourront atteindre le ciel, au sens propre d’ailleurs puisque certains pensent que des intelligences artificielles peupleront des galaxies en se déplaçant à la vitesse de la lumière…
c- 3ème élément : existent au moins deux séries de questions posées par le transhumanisme , les unes relatives à son contexte, les autres à son contenu. Nous ne ferons qu’en souligner quelques unes à titre indicatif.
Le contexte n’est pas neutre. Est-ce que ces complexes techno-scientifiques ne sont pas liés à l’ultra libéralisme, à un homme « augmenté » adapté à des perspectives de performance, de croissance, de compétition, de productivité illimitées ? S’en remet-on à l’économie de marché pour décider des innovations ? S’en remet-on à l’intelligence artificielle, à son éventuelle utilisation guerrière ? Qu’en est-il de l’usage privé de ces données et de leur marchandisation ? Est-ce que le transhumanisme ne renforce pas les inégalités en créant un nouveau prolétariat de pauvres non « augmentés », devenant une sous-espèce au service d’une nouvelle oligarchie ? Enfin quels silences criants par rapport aux défis de l’humanité, ceux de la justice, de la démocratie, de la paix, de l’environnement ! Que serait ainsi un homme-machine dans une apocalypse écologique, serait-il plus heureux qu’un « non implanté » à son service ?
Le contenu du transhumanisme est aussi en questions. Les transhumanistes s’intéressent-ils à l’humanité de l’homme ou bien à son seul changement technique ? S’intéressent-ils à l’identité profonde, aux émotions authentiques, aux vertus porteuses de changements, aux solidarités à construire ou bien exclusivement au toujours plus ? Veulent-ils un homme conçu comme une fin ou bien comme un moyen ? Quelle humanité voulons-nous : celle de sociétés sans limites, sans finitudes, sociétés qui ne retiennent plus leurs puissances, celle de générations irresponsables ou bien une humanité déterminant des limites au sein des activités humaines ?
Voulons-nous être des Icares, brûlés par les soleils du pouvoir et de l’argent, ou bien des Daphnis, fraternels et respectueux du vivant ?
Ces questions appellent des réponses à la fois globales et précises.
Si l’on met de coté le scientisme et l’anti scientisme, on se prononce alors pour une critique à l’intérieur de la techno science en distinguant, autant que faire se peut, les recherches et les techniques positives ou, au contraire, néfastes pour les êtres humains et le vivant. On ne peut pas confier le vivant à « l’autonomie » de la techno science et du marché, lucidement analysée en particulier par Jacques Ellul.
Cette critique peut se faire de façon modérée en espérant réguler le transhumanisme, par exemple en fixant des priorités financières entre des projets, ou bien sous la forme de la mise en œuvre du principe de précaution.
Elle peut aussi se faire de façon plus radicale par de véritables remises en cause sous la forme de certaines interdictions de projets, interdictions mondiales, privées et publiques, contrôlées et sanctionnées. Ainsi à ce jour le clonage reproductif de l’être humain est en voie d'interdiction.
Le critère serait donc celui de recherches et de techniques déclarées contraires à l’intérêt commun de l’humanité, c'est-à-dire portant une atteinte grave et irréversible à la paix, la démocratie, la justice ou l’environnement.
On veut alors non seulement garder un contrôle sur la techno science mais confier à un organe, agissant au nom de l’humanité, un droit et un devoir de remise en cause de recherches et de techniques inhumaines.
C- La remise à sa place d’un autre moyen gigantesque : le marché mondial.
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1- Face à l’économisme triomphant, à la recherche du profit, à la société du marché qui a tendance à occuper toute la place, un certain nombre d’auteurs, d’organisations non gouvernementales (ONG), de citoyen(ne)s, et d’autres acteurs proposent ou contribuent à mettre en œuvre ici ou là une « économie plurielle ».
Face au libre-échange généralisé, face aux logiques de guerre économique et de compétition, il s’agit de remettre le marché à sa place et de créer ou de développer des logiques de coopération.
2- Il y a ainsi au moins quatre grands axes pour mettre en œuvre ce contrôle du marché ou, de façon plus radicale, pour remettre le marché à sa place.
a-Il est nécessaire de subordonner le libre-échange à ce qui deviendrait la primauté de la protection de l’environnement et de la santé.
b-Il est nécessaire que soient créés ou se développent des éléments de « l’économie plurielle » c’est à dire des formes d’économie solidaire et sociale, des entreprises coopératives, des services publics, des systèmes d’échanges locaux (à travers des associations dont les membres échangent des biens et des services, hors du marché),des pratiques de commerce équitable et des mécanismes de juste-échange, des pratiques d’économie collaborative en matière de transports(covoiturage)de logements( colocation) de nourriture, d’éducation…
c-Le troisième axe consiste à « désarmer le pouvoir financier » en adoptant entre autres une taxe massive sur les transactions financières et en remettant en cause les paradis fiscaux. Ces contre-mécanismes à créer sont connus mais les rapports de force sont à renverser, c’est un combat gigantesque mais vital.
d- Le quatrième axe est constitué par le fait que certaines productions du marché sont, par nature, plus ou moins nuisibles aux acteurs humains. Dans l’économie plurielle, les reconversions – par exemple des industries d’armements – contribuent à l’avènement d’un monde responsable et solidaire, reconversions socialement et écologiquement porteuses.
D- Les tentatives de contrôles et de remises en cause des marchés financiers.
Rappelons la nature et la puissance de ces marchés financiers (1), récapitulons quelques mécanismes pour tenter non seulement de les contrôler mais pour aller dans le sens de leurs remises en cause (2).
1-La nature et la puissance de ces marchés financiers
Ces marchés financiers comprennent six classes d'actifs : le marché actions, le marché obligataire, le marché monétaire, le marché des dérivés, le marché des changes, le marché des matières premières.
Deux chiffres symboliques de cette force : en avril 2016 les transactions quotidiennes(!) sur le marché des changes étaient de 5100 milliards de dollars, pour l'année 2017 le gestionnaire américain d'actifs BlackRock gérait 6000 milliards de dollars et réalisait un bénéfice de 3,7 milliards.
A titre de comparaisons le chiffre d'affaires annuel en 2017 des dix premières entreprises du monde allait de 200 à 500 milliards de dollars, le PIB en 2017 était pour 139 Etats inférieur à 10 milliards de dollars dont 30 inférieur à 3 , alors que le PIB des Etats-Unis était de 19362 et celui de la France( cinquième dans la liste des 193 Etats) de 2574, le budget bi annuel des Nations Unies pour 2018-2019 est de 5,4 milliards de dollars, ce sont là quelques rapports de forces financiers qui en disent longs sur cette partie de la vie internationale.
2-Une liste indicative de quelques tentatives de contrôle ou de remise en cause.
Le "désarmement du pouvoir financier" a toujours de grandes difficultés à se mettre en route. Les Etats à ce jour ( juin 2019) n'ont pas encore les volontés massives et radicales de faire face aux nouveaux conducteurs de la planète, les marchés financiers, de plus en plus puissants depuis 1971 ( la fin de la convertibilité du dollar en or précipite la spéculation internationale sur les monnaies et amplifie la puissance des bourses, des banques et des marchés financiers).
a-Voilà certes quelques avancées de levées partielles des secrets bancaire et judiciaire, qui est un des contre-mécanismes des paradis fiscaux, mais on est encore très loin d'une véritable remise en cause que serait une transparence généralisée .Les sommes abritées dans les paradis fiscaux en 2018,c'est à dire dans plus d'une soixantaine de pays et territoires(?), seraient de l'ordre de 15.000(?) à 40.000(?) milliards de dollars!!! C'est l'une des sommes les plus gigantesques que l'on puisse imaginer. Il est vrai que l'on est encore loin des 226.000 milliards de dollars(192.000 milliards d'euros) du total de la dette mondiale, soit trois fois le PIB mondial...On notera l'imprécision, opacité oblige, des sommes cachées dans les paradis fiscaux.
b-Voilà certes quelques timides tentatives de luttes contre l'évasion fiscale de grandes firmes multinationales, ainsi le G 20 en novembre 2015 a adopté un plan de l'OCDE en vue de pousser ces entreprises à déclarer leurs bénéfices pays par pays, de même la Commission de l'Union européenne va dans ce sens fin 2015 et début 2016 par exemple en critiquant des pays (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg...) qui sont accusés de soutenir de telles pratiques, mais on est encore loin d'une véritable convention mondiale accompagnée de sanctions.
En mars 2018 la Commission de l'UE propose de taxer de 3% les revenus des géants numériques, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), cela dans les pays de leurs utilisateurs, et au delà 200 groupes ayant un chiffre d'affaires annuel de plus de 750 millions d'euros et de plus de 50 millions d'euros dans l'Union européenne, cette taxe, rapporterait 5 milliards d'euros par an. La France en 2019 commence à prélever une taxe sur les géants du numérique, c’est le début d’un long chemin légitime et légal consacré en avril 2019.
Si la taxe précédente est à l'initiative de la France, l'Allemagne par contre semble se déclarer favorable à "un impôt minimum mondial sur les bénéfices des multinationales du numérique". La proposition française beaucoup plus cadrée va donner lieu à un rapport de forces gigantesque aux enjeux importants entre des Etats européens et les GAFA.
c-Ce rapport de forces on le voit déjà au niveau d'amendes en juin 2017 (2,47 milliards d'euros) et juillet 2018(4,3 milliards d'euros) infligées par la Commission à Google pour abus de position dominante, ainsi pour la seconde amende l'abus concerne le système d'exploitation pour smartphones , Android. Google verse les amendes pour éviter d'énormes astreintes mais fait appel devant la Cour de justice de l'Union européenne. En février 2019 le géant bancaire suisse UBS a été condamné par le tribunal de grande instance de Paris à une amende de 3,7 milliards d'euros pour démarchage bancaire illégal et pour blanchiment aggravé de fraude fiscale. Les premiers pas des uns et des autres sur ce chemin peuvent être prometteurs.
d-Voilà certes les premières taxes sur les transactions financières(TTF) d'un certain nombre d'Etats encore très minoritaires (ainsi par exemple à ce jour deux sur 28 dans l'Union européenne) mais on est encore loin d'une véritable TTF qui serait mondiale dans sa portée et radicale dans son assiette. C'est très certainement un des grands espoirs de véritables alternatives mondiales, espoir porté par exemple par une ONG telle que ATTAC, qui contribuerait à construire une communauté mondiale humainement viable dans la mesure où des sommes gigantesques, dégagées par ces TTF, seraient consacrées à des besoins criants, en particulier sanitaires et environnementaux...
e-Certains auteurs proposent « une utopie utile »qui encore au-delà des remèdes partiels et des marchés financiers . « L’outil idéal serait un impôt mondial et progressif sur le capital accompagné d’une très grande transparence financière internationale. Une telle institution permettrait d’éviter une spirale inégalitaire sans fin et de réguler efficacement l’inquiétante dynamique de la concentration mondiale des patrimoines. » (Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, Editions du Seuil, 2013, p.835
En tous les cas, ne l’oublions pas, si les liens entre des Etats, des firmes multinationales et les marchés financiers contribuent à transformer l'ensemble en géants , ne s'agit-il pas, aussi, de géants aux pieds d'argile dans la mesure où, en fin de compte, des logiques terricides et humanicides sont à l'œuvre ?
E- Le respect des fins : des êtres humains et des peuples libres, debout, solidaires.
1- Il s’agit de consacrer, encore mieux et à tous les niveaux géographiques, les trois générations de droits humains : les droits civils et politiques (libertés), les droits économiques sociaux et culturels (égalités), le droit à l’environnement, le droit au développement et le droit à la paix (solidarités).Les droits de l’homme s’appuient sur les droits des peuples et réciproquement.
2-- Il s’agit de préparer la consécration d’une quatrième génération de droits, ceux des personnes par rapport à la techno science, par exemple l’interdiction de recherches sur les armes de destruction massive comme portant atteinte à la dignité humaine, par exemple les droits des personnes par rapport aux robots…Cette quatrième génération a commencé à voir le jour dans le domaine de la biologie, par exemple à travers la Déclaration( texte donc non contraignant) universelle sur le génome humain et les droits de l’homme(11-11-1997) .
3- Il s’agit bien sûr, aussi et surtout, de mettre en œuvre ces générations de droits, de les faire vivre. Résister c’est dire non à l’inacceptable, à toutes les formes d’atteintes à la dignité humaine.
Les rôles des juges, des ONG, des réseaux, des citoyen(ne)s, certes différents, sont ici essentiels. Ainsi le droit à l’environnement est indirectement appliqué par de plus en plus de tribunaux qui obligent des Etats à respecter leurs engagements internationaux de mise en œuvre de politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
F-Le respect des fins : une nouvelle prise en compte, celle de l’humanité.
1- Voici l’arrivée dramatiquement trop lente de l’humanité dans l’ensemble des droits. Les droits de l’homme et les droits des peuples doivent s’appuyer sur ceux de l’humanité et réciproquement.(voir si besoin sur ce blog de nombreux articles écrits sur l’humanité)
L’humanité deviendra une forme de garantie (encore faible) de la survie de tous. Un juriste, René Jean Dupuy, écrivait : « Passer de l’homme aux groupes familial, régional, national, international résulte d’une progression quantitative. Accéder à l’Humanité‚ suppose un saut qualitatif. Dès lors qu’il est franchi, l’humanité doit, elle-même, jouir de droits faute de quoi les hommes perdraient les leurs. »
2- Quelle est la situation du droit international en vigueur ?
L’humanité est entrée dans le droit international public par la porte du drame puis celle de la possession.
a-D’abord les crimes contre l’humanité. Après les crimes nazis le Tribunal militaire international de Nuremberg a consacré dans le droit positif cette définition reprise et développée par l’article 7 paragraphe 1 du Statut de 1998 de la Cour pénale internationale. «On entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile, et suivent onze crimes contre l’humanité (extermination, réduction en esclavage, déportation, la 11ème qualification est celle des « Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. »
b- Voilà ensuite, toujours en droit international public, le patrimoine commun de l’humanité (PCH) qui est consacré en droit positif. Le PCH au sens propre est celui d’éléments qui appartiennent juridiquement à l’humanité. Il s’agit des fonds marins, de la Lune , des autres corps célestes, et du génome humain .Beaucoup d’auteurs s’arrêtent là et n’ont pas une vue d’ensemble d’autres formes qui se rattachent au PCH. En effet le PCH au sens large comprend aussi des éléments constitués par des espaces internationalisés qui doivent être explorés et exploités dans l’intérêt de l’humanité. Il s’agit de l’espace extra atmosphérique et de l’Antarctique. Vient ensuite le PCH au sens plus large, c’est la Convention sur le Patrimoine mondial conclue dans le cadre de l’UNESCO, patrimoine constitué par certains biens naturels (à ce jour 197) et culturels(802) ou mixtes (32), qui restent sous les souverainetés étatiques, mais qui nécessitent d’être protégés dans l’intérêt de l’humanité parce qu’ils présentent un intérêt exceptionnel.
c-Avec les crimes contre l’humanité et le PCH il faut ajouter le droit humanitaire qui repose surtout sur les quatre conventions de Genève de 1949, par exemple celle sur la protection des populations civiles pendant les conflits armés. L’humanité est là puisque l’on fait référence à tout le genre humain sans discrimination.
d-Il faut ajouter enfin le droit international de l’environnement dans lequel les générations présentes et futures sont souvent consacrées dans des déclarations et des conventions internationales ou régionales.
3- L’arrivée des droits et des devoirs relatifs à l’humanité
a-En premier lieu dans quels textes trouve-t-on ces droits ? Dans des conventions mais elles sont rares, ainsi par exemple dans la Convention de Bonn de 1979 sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, un préambule affirme que « Chaque génération humaine détient les ressources de la terre pour les générations futures et a la mission de faire en sorte que ce legs soit préservé et que, lorsqu’il en est fait usage, cet usage soit fait avec prudence. » Existent également quelques déclarations comme celle de Stockholm de 1972 sur l’environnement qui en appelle à « l’homme » et à son « devoir solennel de préserver et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures »,la Déclaration de l’UNESCO de 1997 sur « les responsabilités des générations présentes envers les générations futures », de façon globale le projet de « Déclaration universelle des droits de l’humanité » de décembre 2015 (écriture à laquelle j’ai eu la joie de participer) et qui sera peut-être un jour modifiée et adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies .
b-En deuxième lieu quel est le contenu des droits et des devoirs, qui sont donc en gestation, et que l’on trouve dans cette dernière déclaration ? Le droit à la non-discrimination générationnelle qui exige que les activités ou mesures entreprises par les générations présentes n’aient pas pour effet de provoquer ou de perpétuer une réduction excessive des ressources et des choix pour les générations futures. Et puis suivent quatre autres droits : à la démocratie, à la justice, à l’environnement, à la paix. Quant aux devoirs les générations présentes ont le devoir d’assurer le respect des droits de l’humanité. Elles sont aussi garantes des ressources écologiques et du patrimoine commun. Afin d’assurer la pérennité de la vie sur terre, les générations présentes ont le devoir de tout mettre en œuvre pour préserver les équilibres climatiques, et élaborer un statut international des déplacés environnementaux. Les générations présentes ont le devoir d’orienter le progrès scientifique et technique vers la préservation de la santé de l’espèce humaine et des autres espèces. Les Etats et les acteurs publics et privés ont le devoir d’intégrer le long terme dans leurs décisions.
4- Quel droit en gestation imaginer et adopter ?
a-D’abord l’humanité ne devrait-elle pas avoir la personnalité juridique pour défendre ses droits ? Le fait aussi que l’humanité et le vivant soient côte à côte dans cette défense serait symbolique, ils dépendent l’un de l’autre, leur sort est lié, leur défense serait conjointe.
b-Ensuite la représentation est une difficulté connue, on est dans le droit prospectif, dans l’imagination juridique. Qui va être légitime pour représenter l’humanité c'est-à-dire les humains qui existent (c’est déjà difficile) et aussi ceux qui n’existent plus et ceux qui n’existent pas encore ? Le droit international public a déjà répondu, à sa façon, à la question de la représentation. En effet qui représente l’humanité à laquelle appartiennent les fonds marins ? Les Etats ont répondu par un tour de passe passe. Humanité es-tu là ? Pas de réponse. Il est donc logique que nous, Etats à travers l’Autorité des fonds marins, nous décidions à la place de l’humanité irreprésentable. Lorsqu’un jour il sera question de représenter l’humanité il n’est pas sûr que l’Assemblée générale des Etats de la future Organisation mondiale de l’environnement(OME), suffise à le faire. Il sera souhaitable qu’interviennent aussi des acteurs autres que les Etats, par exemple des ONG, des gardiens de l’humanité...Votre imagination juridique fera le reste.
c-Enfin quelles juridictions ? L’Organisation mondiale de l’environnement pourra alors, au nom de l’humanité et du vivant, engager un recours devant la justice mondiale, une juridiction spécifique sera peut-être créée, la Cour mondiale de l’environnement(CME).
En attendant cela des ONG et des mouvements sociaux ont commencé à poser des cailloux blancs sur ce chemin, à travers les créations de tribunaux, en particulier sur la justice climatique, qui participent à ces prises de conscience. Parmi d’autres, fondé en Equateur en octobre 2012 , un « tribunal pour les crimes contre la nature et contre le futur de l’humanité », des dossiers sont constitués, des victimes écoutées, les condamnations sont éthiques, morales.
Enfin des ONG et des citoyens, par exemple aux Pays-Bas en 2015, ont fait condamner par un tribunal cet Etat qui ne respectait pas ses engagements de réduction de gaz à effet de serre, cela au nom des générations présentes et futures. D’autres condamnations sont en route dans d’autres pays.
Ce moyen juridique est en route pour trouver les moyens de condamner des complexes industriels pour absence de remise en cause d’émissions de gaz à effet de serre. Demain se développeront les premières attaques juridiques de paradis fiscaux allant dans le même sens.
Tel est ce principe des moyens conformes aux fins mises en avant. Dès lors nous pouvons souligner le second fondement de ces moyens pour un monde viable .
II-Un choix vital anti productiviste : la détermination de limites des activités humaines.
Nous constatons que des philosophes, des économistes, des sociologues, des anthropologues et d’autres auteurs analysent de façon radicale le système qu’ils qualifient selon les cas de capitaliste, de néo libéral, de technoscientiste, ou de productiviste, système qui a étendu son emprise sur la Terre.
Chaque auteur le fait dans la cadre de sa pensée générale et en insistant sur tel et tel élément mais ce point commun saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre.
Nombreux ont été ces auteurs, ainsi Claude Levi Strauss, Jacques Ellul, Ivan Illich, Guy Debord , Bernard Charbonneau, Edgar Morin, Herbert Marcuse, André Gorz, Cornelius Castoriadis , François Partant, René Dumont, Théodore Monod, Jean Rostand, Kostas Axelos, Paul Virilio, Serge Latouche…
Deux idées fortes, entre autres, sont présentes dans leurs écrits :
d’une part le système productiviste est lancé dans une course en avant autodestructrice, il faut donc être en rupture globale avec ce système,
d’autre part une croissance illimitée sur une planète limitée nous amène vers une gigantesque collision entre l’environnement et les activités humaines.
Il faut donc « retrouver le sens de la limite »(expression de l’introduction de l’ouvrage « Radicalité,20 penseurs vraiment critiques »collection Frankenstein,2013).
C’est donc la dénonciation de la fuite en avant(A), c’est également l’élaboration d’un concept porteur de principes (B).
A-La dénonciation de la fuite en avant.
1-Les logiques de la fuite en avant.
Ces logiques s’appellent : la recherche effrénée du profit, la course à la marchandisation du monde, la course à la mort sous la forme de certaines productions humanicides et terricides, la croissance sacro-sainte, la vitesse facteur de répartition de richesses et de pouvoirs, la dictature du court terme, le vertige de la puissance, la compétition élevée au rang d’impératif naturel de nos sociétés, l’accélération d’un système porteur d’une crise du temps.
Et puis, à travers une explosion démographique mondiale qui continue, cette fuite en avant est aussi celle d’une machine à gagner fonctionnant comme une lame qui met d’un côté ceux et celles dont les besoins fondamentaux sont plus ou moins satisfaits et de l’autre ceux et celles, de très loin les plus nombreux, dont les besoins fondamentaux restent criants.
2- Des dénis, des mensonges et des silences accompagnent cette fuite en avant.
Il n’est pas étonnant que cette fuite en avant s’accompagne de nombreux dénis personnels et collectifs de la réalité : on pense que la catastrophe ne se produira pas ou qu’on y échappera. (Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Le Seuil, 2002.)
Il n’est pas étonnant non plus que cette fuite en avant s’accompagne de silences et de mensonges sur les effets, sur les causes de telle ou telle catastrophe écologique, ou même sur l’existence de certaines d’entre elles que l’on espère garder dans les secrets de la planète et qui peuvent constituer autant de bombes à retardement.
3- Pour une pédagogie de compréhension et de dénonciation des impasses.
Face à cette fuite en avant doivent exister des limites nécessaires, voila donc une pédagogie des impasses.
Jacques Ellul demandait avec force : Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de limites ?
Ivan Illich insistait sur le fait que la crise obligera l’homme à « choisir entre la croissance indéfinie et l’acceptation de bornes multidimensionnelles. »
Cornelius Castoriadis en appelait à nous défaire des « fantasmes de l’expansion illimitée.» ( voir C. Castoriadis, La Montée de l’insignifiance, les carrefours du labyrinthe (IV), Seuil, 1996 ;
Voir également : J. Ellul, Le Bluff technologique, Hachette, 1988 ; A. Gorz, Écologica, Galilée, 2008 ; S. Latouche, Survivre au développement, Mille et une nuits, 2004 ; E. Morin, Pour une politique de civilisation, Arlea, 2002.)
B- Les limites au sein des activités humaines : un concept porteur de principes.
Ce concept de limites ne se traduit-il pas par au moins quatre principes que l’on retrouve par exemple en droit international de l’environnement? (Voir notre ouvrage de DIE, éditions Ellipses).
De façon plus globale on retrouve les trois premiers principes dans la remarquable « Plate-forme pour un monde responsable et solidaire », publiée par le Monde diplomatique d’avril 1994, qui est à la fois « un état des lieux des dysfonctionnements de la planète et une mise en avant de principes d’action pour garantir un avenir digne au genre humain », plate-forme portée par la Fondation pour le progrès de l’homme, plate-forme qui devrait être symboliquement affichée sur beaucoup de portes de beaucoup d’universités dans le monde, étudiée et débattue dans de nombreux cours.
Le quatrième principe est en gestation, ce principe de non régression est porté en particulier par l’UICN, le vice-président de la commission juridique, Michel Prieur, est l’inspirateur de ce principe.
1-Le principe de précaution selon lequel les sociétés humaines ne doivent mettre en œuvre de nouveaux projets, produits et techniques, comportant des risques graves ou irréversibles, qu’une fois acquise la capacité de maitriser ou d’éliminer ces risques pour le présent et le futur.
2-Le principe de modération de ceux et celles qui, pris dans la fuite en avant des gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur surconsommation, leur mode de vie, à bruler moins d’énergie, à maitriser leurs besoins pour adopter des pratiques de frugalité, de simplicité, de décroissance. Andre Gorz écrivait : « Il est impossible d’éviter la catastrophe climatique sans rompre radicalement avec les logiques qui y conduisent depuis cent cinquante ans. »
3- Le principe de sauvegarde : les sociétés humaines doivent aller vers des modes de production et de consommation sans prélèvements, sans déchets et sans rejets susceptibles de porter atteinte à l’environnement. D’où l’existence de ces luttes pour développer des technologies propres, des énergies renouvelables et pour consacrer des éléments de l’environnement, comme par exemple l’eau, comme biens publics mondiaux (BPM) ou comme éléments du patrimoine commun de l’humanité(PCH).
4-Enfin le principe de non-régression. Sauvegarde signifie aussi que lorsqu’une avancée décisive, sur un point de protection importante, a été acquise, un verrou juridique doit être alors posé. Un exemple significatif est celui du Protocole de Madrid sur l’Antarctique (1991) qui interdit les recherches minérales pour cinquante ans. On ne doit pas revenir en arrière dans la protection. C’est donc ce que l’on nomme le principe de non régression. La nécessité vitale de réduire les atteintes à l’environnement ne peut que contribuer à convaincre les législateurs, les juges et la société civile d’agir en vue de renforcer la protection des acquis environnementaux au moyen de la consécration de ce principe de non régression. ( Voir sous la direction de Michel Prieur et Gonzalo Sozzo, « La non régression en droit de l’environnement », Bruylant , 2012).
Prendre en compte des théories et des pratiques de décroissance et de post-croissance à travers une économie soutenable (s’éloignant du culte de la croissance, s’attaquant aux inégalités criantes à tous les niveaux géographiques, et désarmant le pouvoir financier ainsi que… la course aux armements), à travers le principe de modération de ceux et celles qui, pris dans la fuite en avant des gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur consommation, leur mode de vie, à bruler moins d’énergie pour adopter des pratiques de frugalité, de simplicité. Essentielles sont aussi des relocalisations d’activités, des circuits courts, des richesses redistribuées. Essentielle également cette ennemi redoutable : la compétition, remise en cause par la consécration de biens communs (eau, forêts…), par des coopérations, des solidarités , par l’appartenance à notre commune humanité , par des périls communs qui devraient nous fraterniser.
III- Deux choix anti productivistes : la recherche de l’unité de l’espèce humaine et le respect des diversités.
Il faut rechercher inlassablement l’unité de l’espèce humaine, c’est cette unité qui nous relie(A) et ne faut-il pas respecter les diversités, ce sont elles qui nous enrichissent (B ).
A-Rechercher l’unité de l’espèce humaine.
Piller la planète, échanger des terreurs, créer des injustices, étouffer des libertés : n’avons-nous pas mieux à faire ?
Remettre en cause la surconsommation quand elle existe, prévenir et gérer pacifiquement les conflits, préserver et développer des égalités, des libertés, des solidarités : autant de remises en cause porteuses pour les uns et les autres.
Oui « Un seul monde ou aucun, s’unir ou périr » (Albert Einstein), oui « Il nous faut apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous périrons ensemble comme des imbéciles » (Martin Luther King).
Le « vivre ensemble » c’est l’intérêt commun de l’humanité qui a pour fondements la démocratie, la justice, la paix, la protection de l’environnement.
B- Respecter le respect des diversités.
Il s’agit ici des rapports entre une unité donnée et des diversités.
En premier lieu une unité donnée, par exemple un pays, ne doit pas éliminer les différences, il faut prévenir et dénoncer ces pratiques de domination, ces regards de capture qui débouchent souvent sur des drames épouvantables.
En second lieu une unité donnée ne doit pas exacerber les différences, ce regard est lui aussi destructeur à travers la formation des ghettos, le repli identitaire peut se traduire par des pratiques inhumaines.
En troisième lieu le fait d’effacer les différences n’est-il pas plus ou moins dommageable ? Ce regard d’assimilation consiste à dire que l’autre est notre égal parce qu’il devient comme nous.
En quatrième lieu se situe le regard d’ouverture, il repose sur le respect des différences, c’est le regard d’intégration. On reconnaît des similitudes et des différences, c’est le grand principe de non-discrimination. Ce respect de la diversité des personnes dans les différents lieux doit se manifester par exemple du point de vue culturel.
Ainsi dans chaque village, ville, pays, continent et pour la Terre entière ne faut-il pas lutter pour consacrer, protéger ces unités et ces différences, construire peu à peu un sens du « vivre ensemble ».
IV- Un respect de principes anti productivistes à chaque niveau d’action, du local au global.
A-Deux pensées inspiratrices.
Mais comment articuler ces différents lieux ? En consacrant et en mettant en œuvre les principes énumérés ci-dessus, et en s’inspirant par exemple d’un Charles de Montesquieu (1689-1755) , penseur politique, philosophe, et d’un René-Jean Dupuy(1918-1997), juriste internationaliste, dont les pensées sont sur ce point rapportées ci dessous.
Une vision est exprimée à travers une magnifique citation de Montesquieu : "Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je le rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l’Europe et au genre humain, je le regarderais comme un crime" .(Oeuvres complètes, Garnier ,1879,tome septième, Pensées diverses, page 158.)
Cette réflexion se retrouve d’une autre façon sous la plume d’un internationaliste, René-Jean Dupuy, qui écrivait « Passer de l’homme aux groupes familial, régional, national, international résulte d’une progression quantitative. Accéder à l’humanité suppose un saut qualitatif. Dès lors qu’il est franchi elle doit, elle-même, avoir des droits faute de quoi les hommes perdraient les leurs » (La clôture du système international, puf, 1989).L’humanité est conçue ici comme contribuant à être la garante de la survie de tous.
B-Quels principes à respecter par chaque unité géographique ?
Quelle énumération de principes essentiels pourrait-on penser et mettre en oeuvre pour chaque lieu donné, du local au global?
1-Une plate-forme remarquable, dont nous nous inspirons, a été publiée dans Le Monde diplomatique (avril 1994, pages 16 et 17) intitulée « Pour un monde solidaire et responsable », elle est fondée sur « les éléments de diagnostic, les principes communs, l’esquisse d’une stratégie d’action en particulier sur l’articulation des niveaux géographiques et sur des programmes mobilisateurs. » Cette plate-forme met en avant les principes suivants :
2-Le principe d’humanité c’est-à-dire la possibilité d’avoir une vie digne répondant aux besoins essentiels, le principe de responsabilité des divers acteurs dans la construction des sociétés, le principe de diversité par exemple des cultures, le principe de précaution qui consiste à ne mettre en œuvre de nouveaux produits et de nouvelles techniques que si des risques graves ou irréversibles n’existent pas, le principe de modération qui consiste pour les plus aisés à limiter leur consommation, à apprendre la frugalité.
3-Il faut enfin souligner le principe de subsidiarité qui consiste, pour chaque collectivité, à respecter les principes évoqués ci-dessus. Cette forme d’organisation des volontés consiste dans chaque lieu à prendre des initiatives et à disposer de marges de manœuvres quant aux moyens qui seront mis en œuvre, cela à travers des rapports de force complexes, à partir aussi des divers ordres juridiques.
4- Les acteurs aux différents niveaux géographiques (Techno-science, marché mondial, marchés financiers, firmes géantes, Etats, organisations internationales et régionales, ONG et associations, collectivités locales, entreprises, universités, peuples, générations présentes …) ont des parts très variables de reproductions et de ruptures (remises en cause) par rapport à ces bonheurs et à ces malheurs.
Chaque personne a aussi, à une petite échelle, de façons très très très variables, des parts de reproductions d’injustices, de destructions de l’environnement, de violences, d’actes non démocratiques,
Chaque personne a également, de façons très très très variables, des parts de ruptures ou de tentatives de ruptures à travers des actes justes, écologiques, pacifiques, démocratiques.
Ainsi ne peut-on pas penser que chaque acteur, que chaque lieu, du plus petit au plus grand, a ses parts de reproductions, d’entre-deux et de ruptures ? Par exemple l’empreinte écologique de telle ville, de tel pays s’améliore-t-elle ou s’aggrave-t-elle ?
5-Bien entendu les responsabilités d’une firme multinationale qui, par exemple, pollue massivement, ne sont pas comparables à une participation individuelle aux émissions de gaz à effet de serre, pourtant toutes les remises en causes sont nécessaires même si celles de la multinationale ont un poids qui est incomparablement plus lourd que celles d’une personne.
Une fois de plus le « Penser globalement et agir localement » est bien présent, il signifie penser à la Terre et agir dans mon village ou ma ville. Mais la réciproque est vraie : penser localement et agir globalement, ainsi par exemple si je ne souhaite pas dans mon quartier telle pollution il ne s’agit pas pour autant de la rejeter plus loin mais de participer à une remise en cause plus radicale de cette atteinte à l’environnement.
Cette responsabilité on la retrouve également comme horizon. Voulons-nous demain des petits-enfants sujets de leurs propres vies ou objets de la vie de quelques générations qui n’auront pas su prendre leurs responsabilités ?
Nous sommes là dans cette utopie concrète qui nous appelle à penser et à construire des projets sur le réel aux différents niveaux géographiques, dans les différents lieux de vie, dans les divers ordres juridiques.
V- La globalité et la radicalité de ces moyens viables.
Qu’est-ce en général qu’une analyse globale ? Elle repose sur le refus d'un discours en vase clos, elle veut contextualiser des connaissances, ne pas perdre le sens des ensembles, regarder d'un certain nombre de points de vue, apprivoiser la complexité. « Penser c'est dialoguer avec l'incertitude et la complexité » (Edgar Morin).
-Cette globalité doit ici se déployer comment ?
1-En premier lieu cette globalité doit viser le court, le moyen et le long termes.
Face au court terme omniprésent répondre certes aux urgences mais construire aussi le long terme…Autrement dit il faut répondre et aux fins de mois et aux fins du monde.
2-En second lieu cette globalité doit viser l’ensemble des activités humaines.
Les grands domaines que sont la démocratie, la justice, l’environnement, la paix correspondent à des valeurs essentielles que sont les libertés, les égalités , les solidarités.
Ces mêmes grands domaines correspondent aux générations de droits de l’homme, des peuples et de l’humanité, droits civils et politiques, droits économiques sociaux et culturels, droit au développement, à la paix, à l’environnement. Ainsi sont couvertes l’ensemble des activités humaines.
3--En troisième lieu cette globalité doit prendre en compte les nombreuses interactions.
En effet ces quatre domaines sont interdépendants pour le pire, pour l’entre deux, pour le meilleur.
Ainsi des mécanismes produisant des injustices constituent des violences.
Ainsi des contre-mécanismes porteurs de justice peuvent être ensuite porteurs d’éléments pacifiques.
Ainsi, par exemple, les interactions entre la dégradation de l’environnement et les guerres qui sont destructrices de l’environnement, mais la réciproque est moins connue : une gestion injuste et anti écologique de l’environnement peut contribuer à des conflits voire à des conflits armés. L’environnement a besoin de la paix et la paix a besoin de l’environnement.
Ainsi par exemple les interactions entre les inégalités environnementales et les inégalités dans les autres domaines. Par exemple la « justice climatique » est aussi impérative que complexe, elle traverse les rapports entre les pays du Nord et du Sud, entre les pays du Sud et les pays émergents, entre l’ensemble des pays et les pays les moins avancés ainsi que les iles menacées par la montée des eaux.
Les interactions sont multiples dans chaque domaine et entre les domaines. Les problèmes de coordinations de tels moyens seront massifs mais moins gigantesques...que les séries de drames et de menaces liés au productivisme
Les interactions entre des éléments de l’environnement sont elles aussi multiples.
Depuis longtemps on sait que les éléments de l’environnement sont interdépendants, que des pollutions peuvent passer d’un milieu dans un autre, peuvent traverser des frontières, on sait que des catastrophes peuvent avoir des effets plus ou moins étendus. Cependant on ne connait pas toujours la nature précise des interactions entre les phénomènes de dégradation de l’environnement.
De plus en plus de scientifiques pensent que les interactions entre les changements climatiques et d’autres problèmes menaces et drames environnementaux pourraient être lourdes de conséquences.
Ainsi des interactions entre les changements climatiques et le déplacement de courants océaniques, entre les changements climatiques et l’extinction des espèces, entre les changements climatiques et la couche d’ozone.
Ainsi la fonte des glaciers a désormais pour effet la montée du niveau des mers.
Ainsi l’accélération des fontes de l’Arctique et maintenant de l’Antarctique agissent aussi sur ce niveau des océans, sur la circulation de l’océan global, sur les évènements climatiques extrêmes…
Ainsi l’urbanisation galopante, la déforestation, la destruction des sols, l’utilisation des pesticides créent des perturbations environnementales, la nature a de moins en moins de place …La biodiversité permettait une certaine régulation de maladies infectieuses. Son effondrement , à travers la faune et la flore dont les espèces sont décimées, contribue à produire de nouvelles épidémies, et de nombreux chercheurs pensent que le réchauffement climatique serait porteur de futures épidémies.
4-En quatrième lieu cette globalité envisagée ici, dans cette analyse, a-t-elle des originalités ?
Première originalité : beaucoup d’auteurs et d’organisations proposent des moyens de changer le monde. Ils envisagent à juste titre l ’environnement , la justice, la démocratie. Mais la paix est le plus souvent soit absente soit abordée très partiellement. C’est une lacune catastrophique et en elle-même et par rapport aux autres domaines.
Seconde originalité : nous n’hésiterons pas à souligner des moyens connus mais aussi inconnus (tel que le premier cité par rapport à la paix),
Troisième originalité : des moyens difficiles à mettre en œuvre (aucun n’est ou ne sera facile) mais aussi extrêmement difficiles, qui paraissent insurmontables. Et pourtant le mur de Berlin est tombé. « L’utopie ou la mort » , cet ouvrage de René Dumont en 1973 montre magnifiquement ce qu’est l’utopie créatrice.
Et aujourd’hui en 2020 on peut affirmer que mettre perpétuellement en avant et avoir à la bouche le terrible « soyons réalistes, restons réalistes » c’est en fait, malgré soi ou avec soi, être probablement fermé sur des mécanismes de mort, c’est refuser les paris d’autres possibles, c’est étouffer l’audace, c’est pactiser avec l’indifférence, être paralysé par la peur de ne rien pouvoir faire et ne rien faire, c’est enfin et surtout se laisser glisser sur la pente la plus forte : celle d’un système porteur de souffrances et de drames.
B- La radicalité des moyens pour un monde viable.
Il y a et doit y avoir des résistances modérées et d’autres radicales , il y a et doit y avoir des résistances en amont et d’autres en aval.
1 -Les résistances modérées et radicales face au productivisme.
-Globalement, que ce soit au niveau personnel ou collectif, il y a trois théories er pratiques essentielles. Les uns se prononcent pour le système qui existe c'est-à-dire le développement productiviste, quitte même à en accentuer des caractères tels que ceux de la compétitivité et de l’irresponsabilité, ils ne « résistent pas » à un système qui leur est profitable. D’autres se prononcent pour le développement durable c'est-à-dire prenant en compte des éléments sociaux et environnementaux, ils résistent modérément à tel ou tel aspect du productivisme. Enfin d’autres se prononcent pour une société humainement viable c'est-à-dire pour une mondialisation solidaire et responsable, ils pensent et mettent en œuvre des résistances plus ou moins radicales.
-Des résistances sont plus ou moins modérées par rapport à une situation donnée, c'est-à-dire que les critiques, les actions, les propositions vont dans le sens de modifications secondaires et de réformes. On fait ces choix liés par exemple à la vision d’un changement réformiste, de rapports de forces, de stratégies. On pense parfois qu’une lézarde en amènera d’autres qui finiront un jour par abattre l’édifice.
-Des résistances sont plus ou moins radicales par rapport à une situation donnée ou une situation plus globale, c'est-à-dire que l’on veut remonter vers l’amont, vers des causes et ne pas seulement avaliser, gérer. On veut prendre les choses à la racine, changer des structures. (Voir Radicalite ,20 penseurs vraiment critiques, Editions L'Echappée, 2013 ). Les critiques, les actions, les propositions vont dans le sens de remises en cause, de réformes profondes, de ruptures. On fait ces choix liés par exemple à la vision de changements révolutionnaires, de contestation radicale d’un système capitaliste ou productiviste, d’injustices inacceptables…
Dans la pratique, par exemple celle de la protection de l’environnement, on constate, ce qui est d’une logique impressionnante, que plus l’on repousse des ruptures nécessaires, plus les remises en cause devront devenir radicales et massives.
-Le mouvement altermondialiste est un des exemples les plus vastes d’une variété de mouvements sociaux qui vont des modérés jusqu’aux radicaux. Composé d’ONG, de syndicats, de mouvements citoyens, sans se transformer en parti politique, l’ensemble des éléments du mouvement essaie de devenir des levains réformistes et radicaux dans les pâtes des lieux où ils se trouvent.
Nous avons mis symboliquement en tête à chaque fois un moyen qui nous semble particulièrement radical par rapport au système productiviste et çà n’est pas un hasard si ces cinq moyens sont très critiqués par certains.
Ainsi pour leurs pourfendeurs
-Le revenu universel d’existence est, pour certains, synonyme d’institutionnalisation de la paresse et d’impossibilité financière de le réaliser.
-L’interdiction des recherches sur les armes de destruction massive est, pour certains, synonyme d’atteintes à la liberté de la recherche scientifique.
-Le désarmement financier est, pour certains, synonyme de faillite généralisée, d’obstacles infranchissables.
-Les remises en cause des modes de production de consommation et de transports écologiquement non viables sont , pour certains, synonymes d’actes suicidaires face à la compétitivité.
2- Les résistances en amont et en aval face au productivisme.
a-Cette distinction est proche de la précédente, les résistances en amont sont le plus souvent radicales, les résistances en aval ont souvent quelque chose de plus modéré. Mais la distinction entre l’amont et l’aval est relativement opérationnelle pour l’ensemble des acteurs. les résistances en amont sont le plus souvent radicales, les résistances en aval ont souvent quelque chose de plus modéré. Mais la distinction entre l’amont et l’aval est relativement opérationnelle pour l’ensemble des acteurs.
-Prenons l’exemple de la protection de l’environnement.
Tous les acteurs locaux nationaux internationaux sont concernés par l’amont et l’aval de cette protection, les mouvements sociaux se tournent surtout vers l’amont.
Les partis politiques, lorsqu’ils ont un programme environnemental, ont le plus souvent quelques projets en amont et quelques projets en aval. En ce sens « voter c’est aussi résister » contre ceux qui par exemple n’ont pas de projets environnementaux ou qui, irresponsables, embrassent totalement le productivisme.
Les Etats travaillent surtout en aval, mais remonter en amont de la protection est possible et arrive ici et là sous la pression entre autres des catastrophes (la « pédagogie de la catastrophe » est loin d’être toujours présente, ainsi les militants antinucléaires luttent pour essayer d’avancer),du mimétisme d’Etats plus engagés et de textes protecteurs pouvant être adoptés par une organisation régionale.
Dans ces trois séries de situations les groupes de pression, les lobbies agissent pour protéger leurs intérêts. Les mouvements sociaux doivent souvent leur faire face, le travail de journalistes démontant des mécanismes anti-environnementaux est remarquable.
b -On peut examiner pour chaque acteur ses présences et ses absences en amont et en aval, par exemple par rapport aux principes de protection de l’environnement.
Il y a les principes qui se situent en amont de la dégradation, ceux qui se situent au moment de la situation critique et de la catastrophe, et ceux qui se situent sur l’ensemble des problèmes, menaces et drames environnementaux.
Les principes qui ont vocation à se situer en amont de la protection s’appellent : la réduction et l’élimination des modes de production de consommation et de transports écologiquement non viables, le principe de méthodes de production propre, une gestion écologiquement rationnelle, le principe de sobriété et d’usage prudent des ressources naturelles, l’utilisation équitable d’une ressource partagée, le devoir de tout Etat d’éviter les dommages causés à l’environnement au-delà des frontières nationales, le principe de prévention et la surveillance de l’environnement, le principe de prévention et l’évaluation des activités(études d’impacts) pouvant avoir des effets nocifs sur l’environnement, l’information et la consultation préalables, le principe de précaution, l’internalisation des coûts écologiques (c'est-à-dire la responsabilité élargie du producteur) ,le respect des rythmes de l’humanité et de la nature opposés à l’accélération du système productiviste , la prise en compte du long terme opposée à la dictature du court terme…
Les principes qui ont vocation à se situer en aval de la protection : la notification immédiate des situations critiques, la coopération transfrontière en cas d’accident industriel, le devoir d’assistance écologique, la non-discrimination et l’égalité de traitement des victimes des pollutions transfrontières, la responsabilité pour dommages causés à l’environnement, la remise en état de l’environnement (prévu en particulier par le Traité d’interdiction des armes nucléaires de 2017 quant aux essais nucléaires passés !), le principe pollueur-payeur, le respect des droits des déplacés environnementaux…
Les principes ayant vocation à se situer dans l’ensemble de la protection : le droit à l’environnement, l’obligation ou le devoir pour tous les Etats de conserver l’environnement, la souveraineté des Etats sur leurs ressources naturelles, le principe de biens communs appartenant à l’humanité qui devrait se développer, le principe de l’intégration de l’environnement au développement, l’obligation des Etats de résoudre pacifiquement leurs différends internationaux, le principe des responsabilités communes et différenciées des Etats(auquel les pays du Sud tiennent tant), l’interdépendance entre la paix le développement et la protection de l’environnement, le principe de non régression les acquis environnementaux essentiels (qui doit être consolidé encore) …( sur ces principes voir Jean-Marc Lavieille, Droit international de l’environnement, Ellipses,3ème édition 2010,voir aussi 4ème Edition début 2018 en collaboration avec Catherine Lebris et Hubert Delzangles).
Le dernier fondement est omniprésent dans le productivisme, donc sa remise en cause devra être omniprésente.
VI- Les remises en cause des compétitions dans un monde viable.
Nous envisagerons tour à tour les fondements de ces remises en cause (A) puis les alternatives de ces remises en cause (B).
A-Les fondements des remises en cause.
Au moins trois fondements existent qui en appellent à des remises en cause.
D’abord, et avant tout, est-ce que les périls communs n’exigent pas que soient remises en cause les compétitions qui en sont, souvent, une des causes ? (1)
Ensuite les compétitions ne sont-elles pas, souvent, des contraires de la fraternité ? Celle-ci peut-elle leur faire face ? (2) .
Nous justifierons le terme « souvent » de la façon suivante : notre analyse n’est pas totalisante comme ce serait le cas si nous avions écrit « toujours ».
En effet certaines compétitions peuvent échapper à ces deux incriminations, Ainsi par exemple une compétition sportive vraiment fraternelle et conforme à la paix, l’environnement, la justice et la démocratie. Ainsi un traité de commerce respectueux d’avancées réciproques et contribuant à l‘environnement, la paix, la justice, la démocratie.
1-Les périls communs en appellent à la remise en cause de compétitions.
a- Devenir frères, et sœurs bien sûr, n’est-ce pas aussi se rassembler contre des périls communs ? Ils s’appellent et s’appelleront très certainement
la débâcle écologique,
les armes de destruction massive,
les inégalités criantes,
la toute-puissance de la techno science et des marchés financiers.
Devenir frères face aux périls communs devrait correspondre à l’attitude non violente fondée sur le respect des personnes, les dénonciations et les remises en cause de mécanismes antifraternels.
Etre frères sans doute, mais ne faut-il pas aller plus loin? "L’esprit de fraternité", consacré par la DUDH, porté par « les êtres humains doués de raison et de conscience » met en avant le fait que ,comme le soulignent des religions et des philosophies, nous sommes frères et soeurs par notre condition humaine.
Mais une idée forte n'est-elle pas le fait que l'enjeu est, aussi, que nous devenions frères, et dans le quotidien et dans les moments importants de nos vies. Or les menaces vitales et les drames ne font-ils pas aussi de nous des frères? Etre frères? Certainement. Mais le devenir...n'est-ce pas encore plus porteur?
Jean Rostand, inlassable pourfendeur des armes nucléaires, écrivait magnifiquement, plein d'espoir et dramatiquement « Nous sommes fraternisés par les périls communs. »
Pourtant rien n'est joué tant il est vrai que, si faire face aux périls peut nous rassembler, il est non moins vrai des peurs terribles de ces situations apocalyptiques peuvent aussi exaspérer des tensions, des conflits , des paniques, des compétitions infernales et des déchirements pour la survie. Comment rester et comment devenir côte à côte?
b- D’autre part ce sont aussi les douleurs de la vie (la fraternité de la douleur) qui peuvent nous relier en étant à l'écoute des fragilités, celles des autres et les nôtres. Vont dans ce sens des religions, des cultures, des œuvres d’art, qui nous disent « çà n’est pas un fardeau que tu portes, c’est ton frère. » Enfants en détresse sur notre terre : un sur deux aujourd’hui et combien demain face en particulier à la débâcle écologique ?
c- Et puis ne sommes-nous pas aussi fraternisés par les projets communs ? Etre frères c’est se rassembler à travers le temps pour préserver le bien commun et pour construire du commun c’est à dire relier, dans l’espace et dans le temps, le proche et le lointain ? Ces projets ne sont-ils pas témoignages de fraternité, d’espérance s’ils répondent aux urgences et s’ils construisent des politiques à long terme ?
2- La fraternité en appelle aux remises en cause de la compétition.
Mais qu’est-ce que la fraternité ? Un vœu pieux, un souhait vaporeux, un pseudo rempart en papier face à la puissance des compétitions ?
Ce serait une faute politique, un non-sens éthique, une violation juridique que penser la mettre de côté. Une valeur, un devoir, un principe ça n’est pas rien si on s’en empare.
Pour peser beaucoup plus la fraternité n’est-elle pas une valeur pour le politique qu’elle peut contribuer à inspirer ? (a)
N’est-elle pas aussi un devoir pour l’éthique qu’elle peut contribuer à questionner ? (b)
N’est-elle pas enfin un principe pour le juridique qu’elle peut contribuer à organiser? (c)
Ces trois aspects complémentaires ne donnent-ils pas plus de force à la fraternité face en particulier aux compétitions ?
a- La fraternité, une valeur politique contribuant à remettre en cause des compétitions
En premier lieu les fraternités ont, entre autres, pour noms reconnaissances, réconciliations, solidarités, coopérations, concordes, soutiens, compassions, dialogues, dignités...
Les antifraternités ont, entre autres, pour noms hostilités, fabrications de boucs émissaires, cruautés, racismes, fanatismes, haines... Dans ces théories et ces pratiques les concurrences sont souvent présentes. Les responsables politiques doivent apaiser les tensions, contribuer à régler des conflits, et pourtant il n’est pas rare que des antifraternités soient attisées ou provoquées par le politique au sein de multiples compétitions.
En second lieu qu’en est-il aux regards de la démocratie, de la justice, de la paix, de l’environnement et aux regards des générations passées et présentes ?
Par rapport à la démocratie voilà des antifraternités antidémocratiques extrêmes tels que les totalitarismes et les génocides porteurs encore aujourd’hui de traumatismes personnels et collectifs. Voilà au contraire des fraternités démocratiques qui ont été mises en œuvre, telles que des luttes pour le suffrage universel, pour des libérations des femmes dont bénéficient les générations présentes,
Par rapport à la justice voilà des antifraternités injustes : l’esclavage, la colonisation, le système mondial productiviste avec ses injustices criantes, voilà des fraternités justes : l’abolition de l’esclavage, la décolonisation, les luttes pour la construction d’un système remettant en cause les injustices à tous les niveaux géographiques .
Par rapport à la paix, voilà des antifraternités violentes, destructrices de patrimoines culturels , des fausses paix déjà enceintes d’une autre guerre , des théories et des pratiques en appelant aux peurs et aux haines , à la course aux armements, à une mondialisation injuste et irresponsable. Par rapport à la paix voilà des fraternités pacifiques à travers des patrimoines culturels qui invitent au vivre-ensemble, de véritables traités de paix ou d’amitié porteurs de réconciliations, de cultures et de religions ouvertes au dialogue, de politiques tournées vers un mondialisation solidaire et responsable.
Par rapport à l’environnement voilà des anti fraternités destructrices de l’environnement : certaines activités humaines depuis l’anthropocène, environ six générations, entrainant des changements climatiques et un effondrement de la diversité biologique, voilà des fraternités protectrices de l’environnement : des luttes contre les changements climatiques, des luttes pour la sauvegarde de la diversité biologique.
En troisième lieu ce qui concerne les générations futures : sont-elles impliquées par la fraternité transgénérationnelle ?
Elles peuvent être menacées par certains effets incommensurablement longs du productivisme des générations présentes. Certains effets environnementaux et sanitaires (voire même financiers) ont tendance à être sans limites dans l’espace et le temps. On détruit la liberté de choix des générations futures en lançant des mécanismes dont il n’est pas prouvé qu’elles pourront les maitriser. On est loin d’indiens iroquois qui, par transmission orale depuis le XIIème siècle et par une Grande loi de paix de 1720, prenaient des décisions « en tenant compte du bien-être jusqu’à la septième génération. » Théodore Monod disait «Il faut voir loin et clair ».Là aussi la valeur politique de la fraternité a donc tout son sens.
b- La fraternité, un devoir éthique contribuant à remettre en cause des compétitions
C’est l’appartenance à la famille humaine qui est le fondement éthique essentiel de la fraternité , celle-ci est synonyme de trois éléments.
En premier lieu la famille humaine est synonyme d’unité et de diversités. Il s’agit de rechercher l’unité de l’espèce humaine. « Un seul monde ou aucun, s’unir ou périr » disait Einstein. La fraternité ne fait-elle pas de nous des frères et des sœurs en humanité laquelle serait une forme de Mère ?
Il s’agit également de respecter les diversités. Nous sommes ici dans des pratiques quotidiennes de fraternités et d’anti fraternités . Ne pas éliminer les différences, ne pas les exacerber, ne pas les effacer mais les respecter. Loin des dominations, des ghettos, des assimilations, la fraternité correspond à un regard d’intégration, d’ouverture, elle reconnait des similitudes et des différences entre les personnes, les peuples, les générations.
En second lieu la famille humaine est synonyme également de lieux interdépendants où vont se vivre des fraternités dans le temps. Le vivre ensemble se déroule dans nos villages, nos villes, nos régions qui sont nos terroirs, dans nos pays qui sont nos patries, dans nos continents qui sont nos matries , sur notre Terre qui est notre foyer de l’humanité. Ces territoires nous aident à construire nos identités, à nous structurer. Mais ils ne doivent pas se refermer, devenir des fractures de l’humain, des administrations de peurs de l’autre, des fabriques de l’ennemi. Ils doivent se découvrir, s’interpeller, se compléter, s’incliner les uns vers les autres. Voilà Montesquieu citoyen du monde: « Si je savais quelque chose qui fût utile à ma famille mais qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et à l’Europe mais préjudiciable au genre humain, je le regarderais comme un crime. »Les lieux de vie, comme les générations, sont donc marqués par les interdépendances, n’est-ce pas un devoir moral de les construire dans la fraternité ?
En troisième lieu quels sont, au regard de l’éthique, les moyens et les fins de cette fraternité? D’un point de vue général on peut affirmer que la mondialisation productiviste contribue à la confusion entre les fins et les moyens. Les fins, c'est-à-dire les acteurs humains en personnes, en peuples, et en humanité, sont plus ou moins ramenés aux rangs de moyens. Les moyens, c'est-à-dire surtout la techno science et le marché, deviennent des fins suprêmes et tendent à occuper toute la place. La fraternité, au sens éthique, en appelle à une cohérence entre les moyens et les fins. Les fins doivent être respectées, les moyens doivent être remis à leur place. Dans une formule radicale, restée à ce jour inégalée, Gandhi, dans cet ouvrage posthume « Tous les hommes sont frères », écrivait « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence». Cette cohérence signifie que si l’on veut construire des fraternités il faut des moyens fraternels, c'est-à-dire démocratiques, justes, écologiques et pacifiques. Après le politique et l’éthique voilà le juridique.
c- La fraternité, un principe juridique contribuant à remettre en cause des compétitions
En premier lieu soulignons que le Conseil constitutionnel français a très heureusement reconnu dans une décision du 6 juillet 2018 " la valeur constitutionnelle du principe de fraternité", cela au même titre que celui de liberté et que celui d'égalité. Désormais sa jurisprudence pourra y faire référence. Comme l'affirme une association dans l'affaire en question ("délit de solidarité"), il "crée ainsi une protection des actes de solidarité". Il est désormais acquis que chacun a « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ». C’est là une avancée importante.
En second lieu on peut penser que la spécificité de ce principe repose entre autres sur la non-discrimination transgénérationnelle, inscrite dans le projet de « Déclaration universelle des droits de l’humanité » remis par la France au Secrétaire général de l’ONU en 2015 (à la rédaction de laquelle l’auteur de ce blog avait participé) et qui sera (peut-être ?) un jour consacrée par les Nations Unies. « Les générations présentes ne devraient entreprendre aucune activité ni prendre aucune mesure qui auraient pour effet de provoquer ou de perpétuer une forme de discrimination pour les générations futures », cela au sens bien sûr des Pactes internationaux des droits de l’homme de 1966, mais aussi au sens des droits-solidarités en particulier à la paix et à l’environnement.
En troisième lieu cette spécificité du principe repose ensuite sur la protection de l’environnement et de la santé. D’abord environnement et santé, y compris pour les générations futures, sont liés comme l’affirme la CIJ en 1997, ensuite comme l’exigent quelques conventions de droit international de droit de l’environnement « chaque génération humaine a le devoir de faire en sorte que le legs des ressources de la terre soit préservé et qu’il en soit fait usage avec prudence ». Enfin, plus globalement, l’impératif de la protection de l’environnement repose sur la vie de l’humanité et de l’ensemble du vivant, donc, comme l’affirmait un juriste canadien Charles Gonthier « sur la fraternité dans ses dimensions universelle et temporelle. »
En quatrième lieu non seulement ce principe a une certaine spécificité mais ses interdépendances existent avec d’autres principes qui, eux aussi, se transgénérationnalisent. Ainsi le principe des responsabilités des générations présentes envers les générations futures, consacré dans la Déclaration de l’UNESCO de 1997,le principe de solidarité par exemple sous la forme de l’assistance écologique qui est un devoir de la communauté internationale consacré par la Déclaration de Rio de 1992 , le principe de non régression selon lequel la protection de l’environnement ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante , le principe de dignité de l’humanité qui implique la satisfaction des besoins fondamentaux ainsi que la protection des droits intangibles.
A cela s’ajoute la proximité du principe de fraternité transgénérationnelle avec un concept transgénérationnel qui exige que des limites soient fixées aux activités humaines concept qui est à base d’ autolimitation et de contrainte, concept sur lequel se greffent les principes de précaution, de sobriété, de coopération et d’autres à venir. Voilà pour le contenu,
En cinquième lieu la mise en œuvre de ce principe doit se traduire par des interdictions à consacrer.. Quelles interdictions ? Constitueraient des crimes écologiques contre les générations présentes et futures et contre le vivant, des mécanismes ayant des effets sanitaires et environnementaux sans limites dans l’espace et dans le temps, ainsi les recherches sur les armes de destruction massive, ainsi l’enfouissement irréversible des déchets radioactifs.
En sixième lieu enfin évoquons à travers des fonctions essentielles, une simple énumération de quelques institutions, existantes ou nouvelles, porteuses de fraternité transgénérationnelle.
Fonctions de vigilance et d’anticipation, par exemple des gardiens et des Conseils pour les générations futures, des Assemblées législatives du long terme.
Fonctions de représentation, par exemple l’humanité aurait la personnalité juridique , l’Organisation mondiale de l’environnement pourrait la représenter .
Fonctions de sanction , par exemple de tribunaux nationaux (c'est le début d'un processus d’avenir ) condamnant des Etats à respecter leurs engagements de réduction des gaz à effet de serre, également le tribunal déjà créé en 2012 « des crimes contre la nature et contre le futur de l’humanité », la création un jour d’une Cour mondiale de l’environnement.
Englobant cet ensemble le voilà, l’esprit de fraternité, consacré par la DUDH, porté par « les êtres humains doués de raison et de conscience », il doit souffler sur notre terre à travers les temps, il peut briser des solitudes, changer des destins, qualifier des vies. Il doit faire, de tous envers tous, des tisseurs et des passeurs de fraternités.
B- Les alternatives aux compétitions.
Les alternatives générales relatives aux moyens que nous mettrons en avant dans la 3ème partie vont avoir pour effet d’apaiser certaines compétitions, d’en faire disparaitre d’autres. Réciproquement l’apaisement ou l’effacement de certaines compétitions pourront favoriser l’avènement de différents moyens.
Nous soulignerons des alternatives relatives aux violences qui ont un rôle à jouer(1) puis des alternatives plus spécifiques aux compétitions (2).
1-Alternatives contribuant à remettre en cause des violences et donc agissant sur des compétitions.
a- Face à chaque cause économique :
Face à la propriété : développer la notion et les pratiques de biens communs et celles de patrimoine commun de l’humanité.
Face à la propriété privée des moyens de production : partager les avoirs et les pouvoirs.
Face à la rareté : répartir les richesses et faire un usage prudent des richesses naturelles.
Face aux injustices : supprimer les inégalités les plus criantes. Cette violence structurelle est parmi les plus massives, il faut la remettre en cause par un partage équitable des fruits des sociétés locales, nationales, régionales et de la société internationale.
Les puissants ne partagent que rarement d’eux-mêmes, ils arrivent à le faire si des intérêts communs deviennent criants, de type écologique par exemple.
Mais la plupart du temps les partages sont les fruits de rapports de forces entre les dominants et les dominés d’un lieu donné à un moment donné .Ainsi seront les remises en cause des paradis fiscaux, des évasions fiscales, les créations de taxations de change, d’impôts sur le capital, sur les firmes multinationales, ainsi sera la remise en cause de la place du conducteur occupée par les marchés financiers, ainsi sera la remise en cause de la toute-puissance de la techno science alors au service du vivant …
Face aux compétitions : mettre en route et développer des solidarités, des coopérations, des contrats mondiaux, des biens communs…
b-Face aux autres causes des violences :
Face à l’agressivité acquise : ne pas surestimer l’influence des gènes et transformer une socio culture compétitive et agressive en socio culture de coopérations , de causes communes, de vivre ensemble, de fraternité.
Face à la soumission à l’autorité : apprendre l’esprit critique, construire son autonomie, construire une participation égale des citoyen(ne)s aux prises de décision dans leur pays.
Face à un mécanisme de transgression du sacré : créer et développer des fêtes qui aient un sens, autant de moments de fraternité sous de multiples formes.
Face au désir mimétique et au sacrifice du bouc émissaire : lutter contre les inégalités, refuser les slogans de haine, découvrir et faire découvrir les responsabilités personnelles et collectives, promouvoir les chances et les bienfaits du « vivre ensemble ».
Face au consentement à la violence : créer et développer des associations et des ONG porteuses d’éducation à la non-violence en particulier à la désobéissance civile devant des injustices, et porteuses d’actions de solidarités dans l’urgence et le long terme.
Face à la spirale du ressentiment et de la colère : pour éviter que naissent les haines lutter contre les inégalités, respecter les différences, organiser les intégrations, rétablir des dialogues, faire en sorte que les circuits financiers de ces haines soient asséchés et que la coopération s’intensifie en matière de renseignement et de justice, mettre en avant les bienfaits du « vivre ensemble » .
Face à la paranoïa et à la dépression collectives : apprendre à apprivoiser et à respecter les différences, mettre en avant projets communs sous-régionaux, régionaux, intercontinentaux pacifiques, vastes et à long terme.
Face à des idées dont l’usage peut être meurtrier : bien comprendre et faire comprendre de la maternelle à l’université, dans les médias, dans différentes administrations et entreprises que, pour chaque être humain, son village, sa ville, sa région c’est son terroir, son pays c’est sa patrie, son continent c’est sa matrie, la Terre c’est son foyer d’humanité. Ces différents territoires et lieux de vie doivent créer et développer des solidarités face aux périls communs et non s’affronter dans des conflits dérisoires et porteurs de souffrances.
Face à la peur de la mort : changer notre rapport à la mort, essayer de maîtriser nos craintes.
« Evoluer vers la maîtrise de nos craintes, la gestion pacifiée de nos conflits, la non-violence de nos actions.» écrit Jacques Sémelin.
Face au dérèglement du conflit : prévoir et mettre en œuvre une résolution non violente des conflits de la maternelle à l’université, dans l’ensemble des lieux de vie (familles, professions, citoyenneté…) et dans les relations entre tous les niveaux géographiques. Cela signifie apprendre et mettre en œuvre des comportements dans lesquels les personnes, comme le disent les théories et les pratiques non-violentes, » se montrent assez fortes pour être reconnues par les autres et se montrent assez imaginatives pour inventer, avec les autres, des solutions justes à leurs problèmes ».
Face aux causes démographiques, sociologiques, politiques : ralentir l’explosion démographique mondiale, avancer dans la résolution des conflits sociaux de façon pacifique, créer quand elle n’existe pas, développer quand elle existe, la démocratie représentative et participative.
2-Les alternatives plus spécifiques aux compétitions.
Si les coopérations et les solidarités sont connues, les contrats mondiaux et les biens publics mondiaux le sont moins.
La liste est bien sûr indicative et l’imagination doit prendre le pouvoir
a- Des coopérations, des solidarités
Dans la compétition on est, malgré soi ou avec soi , en rivalité avec d’autres acteurs, et on emploie parfois des moyens critiquables ou inacceptables.
Dans la coopération : des acteurs (Etats, organisations internationales, ONG etc…s’organisent à travers une certaine permanence pour parvenir à un but commun. La compétition n’est pas exclue mais elle est censée s’effacer dans un but commun.
Dans la solidarité on veut être avec les autres et d’abord avec les plus faibles et les exclus. Ces solidarités peuvent s’organiser à tous les niveaux géographiques et à travers une multitude d’acteurs par exemple des ONG. Des compétitions ne sont pas exclues entre organisations de solidarités mais la solidarité doit avoir le dernier mot.
De multiples lieux d’éducation remettent et remettront en cause des compétitions. Ainsi des écoles, des collèges, des lycées, des universités doivent multiplier des initiatives allant dans le sens des solidarités, dans le sens des éducations aux droits de l’homme, à l’environnement, à la paix.
b- Les contrats mondiaux dans des domaines vitaux
L’idée forte est ici de construire un cadre mondial permettant de remettre en cause la compétition qui ne peut gouverner la planète.
Ainsi, par exemple, le groupe de Lisbonne a proposé quatre grands contrats mondiaux « pour maitriser les excès de la compétitivité : un contrat mondial contre la pauvreté, un contrat démocratique pour le développement de la participation et de la société civile planétaire, un contrat culturel pour la tolérance et le dialogue entre cultures et religions, un contrat naturel pour le développement soutenable. »
Ainsi par exemple des personnalités ont proposé un contrat mondial de l’eau, le Manifeste est soutenu par de nombreuses associations dans le monde.
D’autres contrats mondiaux verront le jour. Par exemple pourquoi ne pas conclure un contrat créant une « internationale de la lenteur » qui aurait pour fonction d’organiser et de soutenir les mouvements allant dans ce sens ? Ce contrat ne ralentirait pas à lui seul le système productiviste mais constituerait une avancée intéressante. Et le couple compétition-vitesse ne l’apprécierait guère.
c- La consécration et l’extension des biens publics mondiaux
Cette voie suppose de faire le point sur le patrimoine commun de l’humanité (PCH) puis de voir ce qui est ou peut être en route autour du concept de biens communs. Le commun n’est-il pas ne peut-il pas être davantage une remise en cause importante des compétitions ?
Que dire du PCH ?
Ce PCH reposera sur une gestion synonyme de limites établies au nom des responsabilités des êtres humains et du respect des êtres vivants. (Voir Hans Jonas, Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique. (de 1979, paru en France en 1991, Flammarion.)
Le PCH prend et prendra différentes formes, outre les quatre qui suivent on peut en imaginer et en construire d’autres, on devra les articuler les unes aux autres pour renforcer la protection générale. A long terme ce devrait être là un contre-mécanisme très important contre le productivisme, il n’aura ni des logiques d’intérêts nationaux, ni des logiques de primauté du profit et d’une fuite en avant autodestructrice.
Le PCH au sens propre est celui d’éléments qui appartiennent juridiquement à l’humanité. Il s’agit des fonds marins (« la Zone ») (Convention sur le droit de la mer du 10-12-1982, article 136), de la Lune et des autres corps célestes (Accord du 5-12-1979, article 11), du génome humain (Déclaration du 11-11-1997, article 1er).
Le PCH au sens large est celui d’éléments constitués par des espaces internationalisés qui doivent être explorés et exploités dans l’intérêt de l’humanité. Il s’agit de l’espace extra atmosphérique (Traité du 27-1-1967, article 1er§1), de l’Antarctique (Traité du 1-12-1959, préambule).
Le PCH au sens plus large est celui d’éléments constitués par certains biens naturels et culturels ou mixtes, qui restent sous les souverainetés étatiques, mais qui nécessitent d’être protégés dans l’intérêt de l’humanité parce qu’ils présentent un intérêt exceptionnel. (Conclue dans le cadre de l’UNESCO, c’est la Convention sur le patrimoine mondial, 16-11-1972).
On peut légitimement soutenir qu’il faudrait rajouter ici une quatrième série d’éléments :
Le PCH au sens très large comprendrait les ressources biologiques ,que les Etats ont certes le droit souverain d’exploiter (article 3 de la Convention sur la diversité biologique du 5-6-1992), mais les Etats seraient contrôlés (interdictions possibles) par une autorité internationale, gardienne de ce patrimoine naturel mondial, par exemple la future Organisation mondiale de l’environnement(OME),celle-ci interviendrait alors au nom de la nature et au nom des générations futures(protocole à la Convention sur la biodiversité, et compétence à prévoir pour l’OME).
Que dire des biens communs ?
(Voir par exemple « Les biens communs environnementaux : quel(s) statut(s) juridique(s) ? » dans Les cahiers du crideau, pulim 2017,sous la direction de Jessica Makowiak et Simon Jolivet, voir entre autres notre article sur « Le projet de déclaration universelle du bien commun de l’humanité »)
Cet intérêt commun de l’humanité est lié aussi à des biens communs. Ils sont qualifiés d’ « indispensables pour la vie collective des individus et des peuples » par le projet de « déclaration universelle du bien commun de l’humanité » (Forum mondial des alternatives, 2012), il est affirmé qu’il s’agit « de l’alimentation, de l’habitat, de la santé, de l’éducation et des communications matérielles et immatérielles. »Il faut donc « garantir l’accès aux biens communs et à une protection sociale universelle ».
Cette déclaration conçoit plus globalement le « Bien commun de l’humanité comme possibilité, capacité et responsabilité de produire et de reproduire la vie de la planète et l´existence physique, culturelle et spirituelle de tous les êtres humains à travers le monde.»
Ces théories et ces pratiques , encore en gestation, celle de Patrimoine commun de l’humanité, celle de Biens communs, au-delà de leurs différences(conceptions de la propriété et de la responsabilité, des acteurs les mettant en œuvre, de leur étendue, de leur gestion…), ont probablement des points…communs :
mettre en avant des éléments qui,
en dépassant le quadrillage étatique,
en mettant des limites à la marchandisation du monde,
en étant pensés sur le long terme,
voudraient contribuer à préserver ce que l’humanité et la nature peuvent avoir d’essentiel.
Quelles sont les critiques faites à cette conception ? La critique est double : c’est celle des souverainetés étatiques qui verront dans cette entreprise une forme de dépossession, c’est celle du productivisme qui ne peut accepter de remettre en cause des logiques d’exploitation sans limites de la Terre.
Que penser de ces critiques ? Face aux souverainetés irréductibles, une solidarité mondiale doit avoir le droit du dernier mot. Face au productivisme, condamnable et condamné, un système viable pour l’ensemble du vivant (humain, et non humain) doit voir le jour.
Quels biens communs à protéger ? Respecter la biosphère (maison commune de l’humanité et du vivant) et le patrimoine commun de l’humanité, organiser un accès universel et effectif aux biens communs indispensables à la vie des personnes, des peuples, des générations présentes et futures.
D’où l’existence de ces luttes pour développer des technologies propres, des énergies renouvelables et pour consacrer des éléments de l’environnement (par exemple l’eau) comme biens publics mondiaux ou comme patrimoine commun de l’humanité. Ces deux notions ne peuvent-elles pas contribuer à construire une certaine harmonie ou simplement une certaine cohabitation entre solidarité, liberté et sécurité ? Ne doit-on pas relier l’environnement au patrimoine mondial de l’humanité même si cette notion a subi un coup d’arrêt dans la Convention sur la diversité biologique puisque les États sont souverains sur leurs ressources naturelles. Il est cependant hautement souhaitable et encore possible que le potentiel de cette notion se déploie dans les décennies à venir.
René-Jean Dupuy affirmait : « L’humanité doit elle-même jouir de droits faute de quoi les hommes perdraient les leurs. »
D’où cette idée, en particulier de certains internationalistes, de refonder le droit international public sur une norme impérative de droit international général (jus cogens) qui serait celle de l’intérêt commun de l’humanité.
Remarques terminales sur les alternatives aux compétitions
1-Deux citations criantes de vérité
L’une de Riccardo Petrella « La logique de la compétitivité a été élevée au rang d’impératif naturel de la société. La compétitivité fait perdre le sens du « vivre ensemble », le sens du « bien commun ».
L’autre d’Edgar Morin : « A la culture de compétition qui régit les rapports mondiaux doit se substituer une culture de solidarité. »
2 - Dans chaque compétition concrètement n'y a -t -il pas cinq questions que l'on peut poser?
Qui/ fait quoi/ avec quels effets/ pour qui/ avec quels moyens?
Autrement dit : Quel acteur dans quel domaine? Pour quels objectifs? Quels effets produit la compétition? Pour quels acteurs, pour quels intérêts? Quels moyens conformes ou non aux finalités proclamées?
Emile Zola aura le dernier mot sur la tendresse et la fraternité :
« (…) Le rêve final sera de ramener tous les peuples à l'universelle fraternité, de les sauver tous le plus possible de la commune douleur, de les noyer tous dans une commune tendresse. »
Tel est ce panorama des fondements relatifs aux moyens d'un monde viable.Nous avons déjà, ici et là, rencontré les moyens, mais de façon plus globale et spécifique les voici donc proposés dans la IV ème et dernière partie.