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Enseignant-chercheur en droit international de l'environnement ,du désarmement et en relations internationales.Militant.Retraité.

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Billet de blog 4 septembre 2022

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Pour des  moyens viables

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour des  moyens viables .

Ces articles sur les moyens viables  ont vu le jour en 1988 il y a 34 ans  dans mes ouvrages sur la paix,ils ont été complétés en 1998,2010 dans mes autres ouvrages et articles puis  en 2015 et  2022 sur mon  blog de Mediapart et sur mon site "au trésor des souffles" .

« L’humanité entière est confrontée à un ensemble entremêlé de crises qui, à elles toutes,   constituent   la Grande Crise d’une humanité qui n’arrive pas à accéder à l’Humanité. »   Edgar Morin

« L’utopie ou la mort ! »    René Dumont

« La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence. »   Mohandas Gandhi

Plan  de l’introduction:

-Que signifie  le terme  « moyens » ?(A)

-Que signifie le terme  «  fins » ?(B)

-Quelle  synthèse peut-on faire des  rapports entre les moyens et les fins ? (C)

-Que  signifient  les termes   « viables, radicaux et  massifs » ? (D)

-Pourquoi des moyens viables  radicaux et massifs ? (E)

-Quelles sont les conditions de réussite de  la mise en œuvre de ces moyens ? (F)

-Quels sont et quels peuvent être les processus de la  mise en œuvre de ces moyens ?(G)

- Justification et annonce du plan. (H)

A-Que signifie  le terme  « moyens » ?

Il s’agit des procédés et des actions permettant d’aller vers une fin ou de la réaliser.

 1-Ces moyens, de plus en plus marqués de nos jours par de nombreuses interdépendances, peuvent être soulignés de façon indicative : ainsi des moyens planifiés dans le temps allant du très court terme au très long terme, des moyens organisés dans l’espace allant du local à l’international en passant par le régional, le national, le continental, des moyens déterminés dans les différents domaines, économique, financier, commercial, juridique, institutionnel, scientifique, technologique, éducatif… Des moyens allant d’amont en aval à travers, par exemple, des actions allant de la précaution, de la prévention jusqu’à la sanction, la réparation, des moyens relatifs aux modes de production, de consommation, de transports …

2-Ces moyens sont déterminés et appliqués par différents acteurs : Etats, collectivités territoriales, organisations internationales et régionales, administrations, tribunaux, organisations non gouvernementales, firmes multinationales, autres entreprises, complexes de la techno science , mondes médiatiques, d’autres encore, sans oublier bien sûr les acteurs humains en personnes, en peuples, en générations, en humanité. .

Les acteurs puissants et dominants ont une large panoplie de moyens importants ou écrasants, les faibles et les opprimés ont une panoplie de moyens faibles ou dérisoires mais peuvent ici et là peser et bouleverser des situations de façon décisive.

3-Les critères personnels et collectifs pour choisir ces moyens sont souvent ceux de la facilité, on va vers le moyen le moins compliqué, et  de l’efficacité, on va vers le moyen qui , pense-t-on, aura le plus de chances d’atteindre telle fin ou de s’en rapprocher.

4-A cela peuvent s’ajouter d’autres critères de choix parmi lesquels : les produits de rapports de forces, les coûts humains, financiers, matériels, écologiques , les effets dans le temps à court, moyen ou long terme, les effets certains ou incertains, le processus de décision  personnelle ou collective, pour choisir un moyen, le mettre en œuvre et en vérifier les résultats, la nécessité d’un savoir-faire faible, moyen ou important, l’accompagnement par un faire-savoir a minima, intermédiaire ou a maxima à travers des medias.

B- Que signifie  le terme  «  fins » ?

Ce terme est loin d’être évident.

On se rappelle cette citation de Camus « La fin justifie les moyens. Mais qu’est-ce qui justifiera la fin ? ».La question se complique d’ailleurs. S’y ajoute en effet un « qui » est-ce qui justifiera la fin ?

1-Le mot fin  peut d’abord frapper par sa variété. On rencontre ici des expressions philosophiques, idéologiques, politiques, des croyances religieuses, des données culturelles très nombreuses, qu’elles soient semblables, proches, différentes ou opposées.

2-Les ramener à quatre grandes visions a quelque chose de réducteur mais reflète une large part de l’ensemble. Pour certains la personne est au centre de tout, pour d’autres la communauté et les valeurs collectives sont prioritaires, pour d’autres encore les êtres humains sont une des composantes du vivant, pour d’autres enfin les trois types de visions se rassemblent de telle ou telle façon .

3-Une des questions est de savoir si nous voulons rechercher une certaine synthèse respectant l’essentiel de ces trois conceptions ? En ce sens peut-être s’agirait-il de la dignité humaine et de celle de l’ensemble du vivant ? Est-ce que ce ne serait pas au regard du respect de cette dignité que telle ou telle fin pourrait être considérée comme acceptable ou souhaitable par les uns et les autres ?

4-Une vie digne, des vies dignes, le vivant respecté n’est-ce pas ce bien commun qui se traduit par les trois générations des droits de l’homme : les libertés (droits civils et politiques), les égalités (droits économiques, sociaux et culturels), les solidarités (droit au développement, à l’environnement, à la paix) ? Une quatrième génération voit aussi le jour, celle des droits de protection face à la techno science , ainsi l’interdiction de recherches portant atteinte à la dignité humaine, ou portant atteinte à l’intérêt commun de l’humanité telles que les recherches sur les armes de destruction massive).

Exprimé autrement : ne s’agit-il pas de la démocratie, de la justice (au sens de la lutte contre les inégalités  ) ,  de la protection de l’environnement, de la paix ?

5-Toutes ces fins ne doivent-elles pas être au service des fins suprêmes qui s’appellent les personnes, les peuples, l’humanité, le vivant (au sens de l’ensemble des espèces) ? Humanité au sens bien sûr de générations présentes mais , aussi, de générations passées puisque, par exemple, existe le respect du patrimoine mondial à la création duquel elles ont participé et au sens de générations futures puisque, par exemple, celles-ci ont droit à une non-discrimination environnementale qui doit être consacrée et appliquée.

 6-Ces fins et ces moyens ne sont pas hors sol, ils se  situent  depuis  longtemps dans une longue histoire ,  celle du productivisme  et du trio capitalisme-productivisme-anthropocène. Le  marché  des marchands ( XVè  XVIè siècles)   est aux origines du colonialisme. Des marchands de Londres, Venise, Amsterdam redistribuent en Europe des marchandises précieuses ramenées d’Afrique et d’Asie. Ils ont peu à peu un monopole, c’est une des premières formes de la division internationale du travail qui s’organise, cela avec des dominants et des dominés. Le marché des manufactures (XVIIème siècle jusque vers 1860) se manifeste par le passage de l’atelier à la fabrique industrielle, donc des structures économiques qui changent. Le marché des monopoles (1850-1914) fait apparaître des entreprises plus importantes qui absorbent de plus petites à la suite des concurrences, des crises, des guerres. C’est aussi l’arrivée vers 1870 de l’anthropocène avec l’explosion de ses énergies fossiles .    Enfin le marché mondial contemporain (1914 à nos jours), avec ses firmes multinationales, sa techno science ,  ses marchés financiers, son explosion démographique, son urbanisation vertigineuse.   

C-Comment faire une synthèse des rapports entre les moyens et les fins ?

-« Technocrates, c'est les mecs que, quand tu leur poses une question, une fois qu'ils ont fini de répondre, tu comprends plus la question que t'as posée ! " On pourrait paraphraser Coluche : « J’ai demandé à quelqu’un qui écrivait des articles ce qu’étaient les rapports entre les fins et les moyens, à la fin de la réponse je ne comprenais plus la question que j’avais posée »…La question est en effet compliquée.

1-Pourquoi les   questions relatives aux rapports entre les  moyens et les  fins ne sont-elles pas omniprésentes ?

 Elles traversent l’ensemble des activités humaines au niveau personnel et collectif, cela sans que l’on en ait toujours conscience. On les rencontre à travers les temps et les lieux. Elles font l’objet de l’ensemble des disciplines.

2- Comment  se fait-il donc que cette question globale, en tant que telle, soit souvent passée sous silence ?

 Probablement parce qu’on n’en voit pas les enjeux, on ne la formule pas directement ou  clairement ,on la trouve trop compliquée,   on n’a pas le temps de la penser,  on la  ramène au  « qui veut la fin veut les moyens », on croit qu’il n’est pas souhaitable de l’évoquer aux regards d’intérêts personnels et/ou collectifs qui pourraient être mis en cause…

3- Les rapports sont  souvent confus, dramatiques et menaçants   dans le système productiviste, cela sous trois formes :

a -La transformation de moyens en fins dans le système productiviste .Trois  moyens gigantesques  se  transforment  en fins : les marchés financiers, le marché mondial, la techno science. On va même jusqu’à les considérer comme des sortes de divinités. On les porte aux nues. Sainte techno science conduis- nous, nous te faisons confiance ! Saint marché surprends-nous, nous sommes à ton écoute ! Saints marchés financiers, votre immédiateté n’a d’égale que votre immatérialité, votre permanence n’a d’égale que votre universalité ! C’est à vous trois qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire pour les siècles des siècles…

b-L’utilisation de fins en moyens dans le système productiviste : les personnes, les peuples, les générations et l’ensemble du vivant se retrouvent plus ou moins au service des moyens. La liste indicative des manifestations de ces confusions est impressionnante : personnes, peuples, générations plus ou moins domestiqués comme consommateurs, expropriés comme producteurs, dépossédés comme citoyens, transformés en marchandises comme êtres vivants, pressurisés comme contribuables, fichés comme militants et citoyens, contrôlés ou expulsés comme étrangers…

c-L’emploi de moyens inacceptables pour des fins  acceptables dans le système productiviste. Aux noms de la paix, de la justice, de l’environnement et de la démocratie  on emploie des moyens contraires qui leur portent  atteinte ,    ainsi la course aux armements et les ventes d’armes au nom de la paix. On constate que le productivisme est souvent dans l’incohérence entre des fins acceptables qu’il affirme viser et des moyens qui leur sont contraires, c’est le fameux adage « Qui veut la fin veut les moyens. » , on rapproche souvent cette idée avec la pensée de Machiavel (Le Prince,1532). Nombre de moyens ont été et sont contraires aux fins proclamées.

Les exemples sont innombrables, nous en soulignerons quelques-uns particulièrement massifs relatifs à la démocratie, la justice, l’environnement, la paix..On laisse tous les moyens à un parti unique, contraire de la démocratie, et on donne libre cours à des présents massacreurs pour des lendemains radieux, cela au nom de la démocratie. On protège les plus riches en affirmant que leur fortunes « ruisselleront » vers les plus pauvres, on donne en fait libre cours à l’aggravation des inégalités, cela au nom  de la justice. On développe ou on laisse subsister un moyen, le nucléaire, loin des émissions de gaz à effet de serre mais porteur de drames passés, présents et à venir et aussi de gouffres financiers, cela au nom de la protection de l’environnement plus précisément contre les émissions de gaz à effet de serre. On maintient des programmes d’armements et on vend des armes, accroissant l’insécurité générale, engloutissant des sommes gigantesques qui ne vont pas vers des besoins criants, cela au nom de la paix alors qu’on produit ou  aggrave des injustices porteuses de violences.

4-Pour de nouveaux rapports entre les moyens et les fins dans un autre système viable.

a- Quels sont et seraient  les  fondements de nouveaux rapports entre les fins et les moyens dans un autre système se voulant viable ? Des moyens viables doivent reposer sur trois fondements :

  D’abord aucun moyen n’est neutre , ensuite  les grands moyens que sont la techno science , le marché mondial , les marchés financiers doivent être remis à leurs places de moyens et non de fins, enfin  dernier principe  il s’agit de respecter les fins,  c'est-à-dire les personnes, les peuples, l’humanité et l’ensemble du vivant. Des moyens viables qui se veulent et se voudraient viables  devront répondre à ces trois fondements.

Ne soulignons ici que le premier : aucun moyen n’est neutre.

b- Cette question des rapports entre les moyens et les fins a été pensée bien sûr en particulier par des philosophes. Nous n’en citerons ici que deux, Kant et Jonas.

Ainsi Emmanuel Kant dans ce passage célèbre :« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, (Fondation de la métaphysique des mœurs(1785) traduction par A. Renault, Flammarion, 1994, p.108).

Plus proche de nous dans le temps Hans Jonas dans ce passage connu:« Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. » (Le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique, Cerf, 1979, p30).

Ainsi la dignité humaine chez le premier, la responsabilité chez le second sont au cœur de leurs philosophies.

Mais la philosophie n’est pas la seule à interroger ces rapports. De façon globale les activités humaines, dans les théories comme dans les pratiques, ont été et sont présentes au cœur de cette question, comment ?

c-On peut ainsi penser que la légitimité d’une cause n’implique pas la légitimité de tous les moyens pour la faire triompher.

S’il était oh combien légitime de lutter contre le totalitarisme nazi, certains, dont nous sommes, penseront qu’il n’était pas légitime d’envoyer les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki (avec d’ailleurs pour objectif de montrer sa puissance face à l’Union soviétique).

C’est ce qui condamne le terrorisme que ce soit celui de réseau ou celui d’Etat. Le terrorisme peut mettre en avant une cause illégitime, par exemple la disparition d’une race, ou une cause légitime, par exemple la lutte contre une occupation armée étrangère, les moyens de terreur employés contre les personnes  seront  considérés à juste titre  comme illégitimes.

d- Cette  série de théories et de pratiques selon laquelle la fin ne justifie pas tous les moyens  est, pour  l’instant ,  minoritaire dans le monde mais elle  prend de plus en plus une certaine ampleur, cela surtout   depuis plus d’une  une trentaine d’années (1989,révolutions à l’Est fondées entre autres sur de gigantesques résistances non-violentes),

Elle consiste à affirmer qu’aucun moyen n’est neutre et en lui-même et par rapport à la société qui va en sortir.

La force qu’elle représente se retrouve par exemple à travers des révolutions non-violentes fondées sur des résistances actives, des désobéissances massives. Deux des exemples les plus connus sont ceux, contre l’empire britannique, de l’indépendance de l’Inde et donc contre le régime soviétique, l’exemple des révolutions à l’Est.

C’est certainement sous l’influence des problèmes, des menaces  et des drames environnementaux que l’on a été amené à protester contre de nombreux moyens, en particulier énergétiques, et qu’on en propose de nouveaux qui se veulent respectueux de la nature.

On a alors conscience de ces liens entre les fins et les moyens et on va souvent utiliser des résistances et des désobéissances qui, elles aussi ,  ne seront pas neutres. Les manifestations de jeunes, face à la faiblesse ou l’irresponsabilité   de politiques étatiques  contre le réchauffement climatique, s’inscrivent  dans ce cadre des résistantes non-violentes.

e- On peut donc penser qu’aucun moyen n’est neutre par rapport aux objectifs proclamés.

Gandhi, dans l’ouvrage posthume réunissant ses écrits « Tous les hommes sont frères » (première parution en 1969, puis folio essais , Gallimard,1990, p.147) affirme de façon radicale, décapante , lumineuse et terrible de lucidité :

«  On entend dire « les moyens, après tout, ne sont que des moyens ». Moi je vous dirai plutôt : « tout, en définitive, est dans les moyens. La fin vaut ce que valent les moyens. Il n’existe aucune cloison entre les deux catégories » (…) Votre grande erreur est de croire qu’il n’y a aucun rapport entre la fin et les moyens (…) Les moyens sont comme le grain et la fin comme l’arbre. Le rapport est aussi inéluctable entre la fin et les moyens qu’entre l’arbre et la semence. Ceux qui, au contraire, s’abaissent à employer n’importe quel moyen pour arracher une victoire ou qui se permettent d’exploiter d’autres peuples ou d’autres personnes plus faibles, ceux-là non seulement se dégradent eux-mêmes, mais aussi toute l’humanité. Qui pourrait donc se réjouir de voir l’homme ainsi bafoué ? »

D-Que signifient les termes  « viables, radicaux et  massifs » ?

1-« Viables ». Le terme « viable » est fort. Il signifie apte à vivre, qui peut avoir une certaine durée de vie, qui a les conditions nécessaires pour durer. Non viable signifie donc qui ne peut pas vivre, on parle ici non d’un nouveau-né mais d’une humanité qui sombre dans les régimes autoritaires, les injustices, la débâcle écologique, les violences. Une humanité qui meurt démocratiquement, socialement, écologiquement, pacifiquement, une humanité qui rend peu à peu ses derniers souffles.

« Soutenable » et « durable » se rapprochent de « viable » mais ne signifient pas la même chose, le développement durable est un concept très connu en particulier depuis la Déclaration de Rio de 1992.Le terme « vivable » est différent , il vise un lieu où l’on peut vivre, une situation que l’on peut supporter.

2-« Radicaux » cela signifie que ces moyens ont vocation à s’attaquer aux logiques profondes des problèmes, des drames et des menaces contre les êtres humains et l’ensemble du vivant. Alors oui, il faut déranger ses pensées.

Mettre perpétuellement en avant et avoir à la bouche le terrible « soyons réalistes, restons réalistes » c’est aujourd’hui en fait, malgré soi ou avec soi, être probablement fermé sur des mécanismes de mort, c’est refuser les paris d’autres possibles, c’est étouffer l’audace, c’est pactiser avec l’indifférence, être paralysé par la peur de ne rien pouvoir faire et ne rien faire, c’est enfin et surtout se laisser glisser sur la pente la plus forte : celle d’un système porteur de souffrances et de drames.

Par intérêt caché ou non, par peur de ne pas être réélu, par habitude de se laisser aller sur la pente la plus facile, par paresse intellectuelle des gouvernements n'agissent pas ou le font dérisoirement, leurs réformettes sont reprises par certains commentateurs de plateaux télévisés qui ont souvent l'art d'enculer les mouches sans aucune analyse globale, critique et prospective. L'aval est omniprésent ,les causes en amont sont passées sous silence, les situations s'aggravent.

 René Jean Dupuy, internationaliste, écrivait « La dimension utopique et prophétique demeure indispensable dans toute prospective réelle qui implique non pas la simple extrapolation du passé et du présent mais le moment de la rupture, de la distanciation à l’égard du modèle actuel de développement, le moment de la conscience, le moment de la transcendance de l’homme par rapport à sa propre histoire. »

3-« Massifs » cela signifie que ces moyens doivent voir le jour dans tous les lieux (niveaux locaux, régionaux, nationaux, continentaux, internationaux), dans toutes les activités et dans les courts moyens et long termes. Ils doivent donc emplir l’espace et le temps.

E-Pourquoi des moyens viables,  radicaux et massifs ?

(Attention : le passage suivant(1) peut être   intellectuellement et affectivement éprouvant  à lire)

1-A cause des drames et de la gigantesque  menace des changements climatiques.

Les situations de l’humanité et de la planète, en ces débuts de la troisième décennie du XXIème siècle, font éclater une vérité qui saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre .Il est difficile de voir cette vérité en face et, comme l’écrivait René Char, « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil. »

a-Cette vérité est simple à énoncer : le monde, sous l’emprise totalisante du trio capitalisme-productivisme-anthropocène , va continuer  à produire de multiples formes d’apocalypses qui  sont entrées, entrent  et entreront en  interactions de plus en plus rapides, sauf remises en cause gigantesques.

b- Très impressionnantes ont été deux études, cosignées chacune par une vingtaine de chercheurs de différentes disciplines, chercheurs travaillant dans une quinzaine d’institutions scientifiques (Revue Nature, 7juin 2012) tirent la sonnette d’alarme : «La biosphère est à la veille d’un basculement abrupte et irréversible »(…), ces études mettent en avant « l’imminence d’ici à quelques générations d’une transition brutale vers un état de la biosphère inconnu depuis l’émergence d’homo sapiens c’est-à-dire 200.000 ans. »

c-On l’a compris : les générations à venir  ne sont pas celles d’un futur plus ou moins lointain perdu dans les incertitudes des siècles ou des millénaires à venir. Les générations visées sont les « quelques  générations » (2, 3, 4, 5… ? ) qui viennent et qui plongeraient dans cette forme d’inconnu, celle d'une augmentation de la température de 3 à 6 °C(ou plus)  vers 2100, entrainant très probablement la fin d’une grande partie  du vivant.

 Et , dans le très très   long terme, l’évolution de notre Terre pourrait aller vers une planète de type Venus,462°C à la surface , autant dire une sorte de  four à pizza ou un enfer qui n’aurait plus  de vivants et le vivant pour le commenter.

d- Les avertissements, en particulier internationaux, ont été très nombreux à l’affirmer , cela depuis le rapport du Club de Rome de 1970 sur « Les limites de la croissance »,et par exemple en 1992, 1.700 scientifiques, dont près d'une centaine de prix Nobel, lançaient à l'occasion du Sommet de la Terre à Rio, un « avertissement à l'humanité »qui décrivait la destruction de l'environnement et affirmait que notre espèce est « sur une trajectoire de collision avec le monde naturel », si elle ne réagit pas. Le 11 novembre 2019 des scientifiques du monde entier (plus de 11.000 de184 pays) ont lancé un nouveau cri d'alarme. « Il sera bientôt trop tard », ils insistent sur le fait que « les  politiques visant à atténuer le réchauffement climatique ne devraient pas être axées sur le soulagement des symptômes mais sur la lutte contre la cause profonde : la surexploitation de la Terre ». Est même évoquée « une souffrance humaine indescriptible » si ne voient pas le jour des changements profonds et durables. C’est « l’urgence climatique ».

  Sont arrivés jusqu’en 2022, massifs, globaux, détaillés  et implacables, les six rapports du GIEC sur le climat et ceux de GEO du PNUE sur l’environnement mondial.

e-Un grand scientifique australien très connu déclarait : « Le destin de l’homme est déjà scellé, il est trop tard, dans moins de cent ans les sociétés humaines ne seront plus.» (Frank Fenner, The Australian ,16 juin 2010). Il n’était pas le premier à le dire ni les derniers ceux qui lui répondent que l’espoir restant est celui d’une « métamorphose de l’humanité » à travers des volontés massives de changements massifs.

Avec d’autres nous pensons que tout n’est pas perdu, que des moyens nombreux, multidimensionnels, radicaux, conformes aux finalités mises en avant, peuvent faire changer de route ce monde courant vers son extinction, son autodestruction . Comment ? Entre autres par la mise en place d'un prix du carbone réellement dissuasif visant à amener une dé carbonisation de l'industrie et de la consommation et par l'élimination progressive et l'interdiction des combustibles fossiles. Tout cela en se concentrant sur la justice sociale en réduisant les inégalités et en donnant la priorité aux besoins humains fondamentaux .

2-A  cause, de façon plus globale ,  des « quatre cavaliers de l’apocalypse. »( personnages célestes, mentionnés dans le Nouveau Testament, qui représentent la guerre, la famine, la maladie et la mort .)

Les périls communs, c'est-à-dire les drames et les menaces, sont là , d’une certaine façon sous la forme des « quatre cavaliers de l’apocalypse » qui s’appellent aujourd’hui :

 -débâcle écologique ( dont les épidémies font partie) dépassant des seuils d’irréversibilité,

-course aux armements (dont les armes de destruction massive) porteuse d’insécurités, de destructions et de gaspillages gigantesques,

  -inégalités nombreuses, criantes et    destructrices ,

- techno science et marchés financiers devenant de plus en plus omnipotents et peu à peu  hors contrôle… 

Ainsi le  système productiviste n’est-il pas    condamnable et condamné ?

 -Ce système n’est-il pas condamnable du seul fait, par exemple, qu’il y ait en 2018 un enfant sur deux dans le monde en situation de détresse et/ou de danger (guerres, maladies, misère, faim, violences…) et du seul fait, par exemple, que les marchés financiers depuis 1971 aient pris une partie de la place des décideurs (Etats, entreprises…) ?

-Ce système n’est-il pas condamné du seul fait , par exemple, que près de 6 milliards de dollars partent chaque jour en 2021 vers les dépenses militaires mondiales, et du seul fait, par exemple, que des activités humaines entrainent un réchauffement climatique qui menace l’ensemble du vivant,+3°C à 6°C(ou plus ?) vers 2100 et autour de 1 mètre ( ou deux ou plus ?) d’élévation du niveau des mers ?

3-Ainsi nous posons trois fois cette question du « pourquoi ? »  

Pourquoi ces moyens ? Parce que le  système productiviste est totalisant.

 Pourquoi ces moyens ? Parce que le système productiviste est humanicide et terricide.

 Pourquoi ces moyens ? Parce que le productivisme est porteur d’un temps qui s’accélère et d’un avenir  aux marges de manœuvres qui se réduisent  .

Les réponses voudraient être et devraient être plus que de simples avertissements supplémentaires ou des glas apocalyptiques mais des appels  aux résistances et aux  alternatives  .

« Les catastrophistes sont ceux et celles qui ferment les yeux sur les causes des catastrophes et non ceux et celles qui essaient d’avertir, de critiquer et de proposer. »(François Partant, « La fin du développement »,1982)

Aux personnes rencontrées par le Petit Prince de Saint-Exupéry on pourrait ainsi rajouter Erysichthon, qui se mangeait lui-même, évoqué par le poète Ovide en 30 avant notre ère dans « Les Métamorphoses », et l’identifier  au productivisme.

 « Que faites-vous ? » demande le Petit Prince. « Je suis devenu un système autophage.  Les pays, les marchés, les entreprises se dévorent, je dévore la nature, je dévore même mes limites. » « Vous aimez çà ? » interroge épouvanté le Petit Prince. «Au début j’y prenais goût, mais depuis longtemps je ne peux plus  m’arrêter, j’ai toujours faim » répond l’autophage. « A cette allure , dit le Petit Prince, vous souffrirez de plus en plus et vous allez vite disparaitre. Moi quand j’ai soif je marche tout doucement vers une fontaine.»

F-Quelles sont les conditions de réussite de cette mise en œuvre de ces moyens ?

L’avènement de ce monde viable dépend essentiellement de trois séries de conditions.

1-Avoir les volontés ? Les générations présentes et futures  peuvent les avoir .Avec du temps.

2-Avoir les moyens ? Ils existent ,  il faut s’en emparer. Avec du temps.

3-Avoir le temps de décider et de mettre en œuvre les  remises en cause  vitales ? Les quelques générations futures qui arrivent auront-elles assez de temps pour que ces moyens viables  voient le jour ?

Nous pensons qu’il est peu probable que dure longtemps (au-delà de la fin du siècle ?) une situation intermédiaire, faite d’apocalypses et de tentatives pour en sortir.

La question des questions apparait  donc clairement  :

Avoir des marges de manœuvres ? Celles-ci  vont-elles longtemps exister ? Plus le temps passe plus les marges de manœuvres  diminuent .   Plus il faut en appeler à la radicalité, dans le respect de la démocratie. On comprend l'ampleur des difficultés gigantesques.

G-Quels sont et quels peuvent être les processus de décisions et de mises en œuvre de ces moyens ?

Nous pensons que le schéma général de développements déjà en route et de déclenchements nouveaux des moyens pour un monde viable serait et sera probablement le suivant :

1-Des résistances et des pratiques alternatives de plus en plus nombreuses à « la base » par des personnes, des associations, des mouvements, d’autres  acteurs , cela sous les pressions des catastrophes et  en résistances aux logiques productivistes humanicides et terricides,

2-Des discours, des réformes et quelques remises en cause d’importances  variables aux « sommets » des différents niveaux géographiques, sous les pressions     et des catastrophes  et de la base,

3-Des fissures « au cœur » des logiques du productivisme  ,  celles des marchés financiers, du marché mondial, de la techno science…sous les pressions et des catastrophes  et  de la base et du sommet ,

4 -Peut-être aussi l’arrivée de l’improbable…

5-Beaucoup de ces moyens   demanderont quelques années, d’autres   probablement quelques  décennies . Nous les considèrerons comme les dernières chances, cela avant une multiplication des irréversibilités et des drames omniprésents.

D’autres pensent que tout est désormais joué, ce qui, on l’aura compris, n’est pas notre façon de penser l’avenir et n’est pas notre analyse de l’état du monde.

6-Les niveaux géographiques et l’application dans le temps  de moyens viables. 

D’une façon générale ces réformes et ces remises en cause doivent avoir  lieu dans l’ensemble des activités à tous les niveaux géographiques.

Nous préciserons souvent  le ou les  niveaux de décision, d’autres fois  existeront des  incertitudes, enfin d’autres  niveaux de décision  apparaitront  probablement dans l’avenir par exemple à partir de certaines institutions mondiales. 

Ces moyens ont une interdépendance plus ou moins grande, ils sont déterminés et appliqués soit ici et là ensemble, soit avec  des rythmes différents selon en particulier les rapports de force.

H- Justification et annonce du plan.

-Nous qualifierons l’ensemble des moyens de  « vitaux », ils concourent à remettre en cause les logiques du trio infernal capitalisme-productivisme- anthropocène.

Nous qualifierons  dans chaque série le premier moyen de « particulièrement vital »,il contribue  en amont de l’amont  à casser des logiques autodestructrices.

-Les quatre domaines que sont la paix, la démocratie, l’écologie et la justice  recouvrent, au sens très  large, la plus grande partie des activités humaines et correspondent au « bien commun » de l’humanité et du vivant.

-Paix,  démocratie ,  écologie, justice sont articulées les unes aux autres, se produisent les unes les autres, sont interdépendantes les unes des autres, elles  doivent se compléter, se limiter, se protéger, s’appuyer les unes sur les autres et  finalement s’incliner les unes vers les autres.

Nous poserons  donc tour à tour quatre séries de questions :

Quels moyens pacifiques ? Quels moyens démocratiques ? Quels  moyens écologiques ? Quels  moyens justes ?...

L’ensemble représentant   trente deux séries de moyens  soit  environ  600 propositions.

La plupart  sont mises de côté, repoussées, certaines ont un début d’application, d’autres sont inconnues,vous pourrez en découvrir.

Une chose est sûre : plus on attend pour  décider et  mettre en œuvre des remises en cause massives,  plus on se retrouvera dans des situations   dramatiques ,  des menaces apocalyptiques ,des marges de manœuvres qui s’amenuisent…

Epilogue

"Le pessimisme de l'intelligence" il en faut beaucoup pour approcher  la lucidité, elle brûle.

"L'optimisme de la volonté" il en faut encore plus, il réduit à la cuisson.

Décidément il fait chaud...

Héraclite  d'Ephèse, vers la fin du  VIème siècle av. J.-C. (Voir par exemple Kostas  Axelos,"Héraclite et la philosophie", éditions de Minuit, collection Arguments,1992) pensait le Feu comme élément originel, Principe de toute chose, réalité du mouvement à travers les transformations de l'air, de l'eau, de la terre... Dans le Fragment 16 il posait cette question  peut-être vertigineuse :

"Qui se cachera du feu qui ne se couche pas?"

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