Pour une analyse globale du nucléaire. Introduction.
1-Deux citations essentielles :
« La puissance déchainée de l’atome a tout changé, sauf nos modes de pensée et nous glissons ainsi vers une catastrophe sans précédent. Une nouvelle façon de penser est essentielle si l’humanité doit survivre. »
Citation d’ Albert Einstein, « scientifique devenu pacifiste après avoir été mêlé à la plus massive entreprise de mort qui, après Hiroshima, disait que s’il avait à recommencer sa vie il se ferait plombier plutôt que physicien. » (discours de Jean Rostand à Paris le 16 juin 1964 devant la délégation des survivants d’Hiroshima.)
« En face du péril atomique qui ne ressemble à aucun autre, qui est incommensurable à tout autre, de ce péril qui, par son amplitude, impose à l’espèce tout entière de nouvelles façons de penser et d’agir, en face de ce péril dont il est honorable autant que raisonnable d’avoir peur, il ne devrait plus y avoir ni pays, ni continent, ni monde libre ou pas libre, mais rien que des hommes, citoyens de la planète, tous mêlés, confondus, fraternisés par une égale menace. »
Citation de Jean Rostand, « Quelques discours », éditions club humaniste, 1970 p : 15, cet auteur était écrivain, biologiste et ardent pourfendeur des armes nucléaires.)
2-Avant-propos sous forme de témoignage.
Par rapport au nucléaire civil j'ai le souvenir de notre manifestation contre le surgénérateur de Creys Malville avec la mort d'un manifestant en juillet 1977, le souvenir aussi du revirement , commencé depuis quelques années, sur la force de frappe que le PS a finalement conservée, ce revirement m’apparaissait inacceptable et dans une « lettre ouverte » de septembre 1977(envoyée à la « Gueule ouverte » et à « Combat non-violent » qui l’avaient publiée), j'ai démissionné de toutes mes fonctions au PS puis du PS lui-même, enfin avec des amis nous avons créé le "Collectif Paix Liberté" à Limoges, je mesure d’ailleurs l’échec de plusieurs générations face au drame de la course aux armements.
Par rapport au nucléaire militaire j'ai un souvenir poignant. Lorsque j’avais douze ans , quelque temps après une opération qui m’avait sauvé la vie, j’ai découvert dans un calendrier une petite photo, celle du visage d’un enfant survivant d’Hiroshima nous regardant en face avec une infinie tristesse , elle était accompagnée de quelques lignes d’un poète japonais( voir ci-dessous).. Après les explications demandées à mes parents ce visage m’a encore plus bouleversé, j’ai gardé la photo et, lorsque dans un voyage associatif , j'ai vu au Bangladesh dans la gare de Dacca le premier enfant mort de faim, je me rappelle les avoir réunis tous deux par la pensée. Viscéralement révolté ma vision du monde avait changé. Au retour de ce voyage en 1973 j’ai gardé alors cette photo sur moi , cela depuis quarante neuf ans, comme se voulant symbolique des souffrances des enfants du monde. Un enfant sur deux dans le monde est en situation de détresse et /ou de danger (misère, faim, guerre, maladie, catastrophe écologique, autres violences.)J’ai souvent pensé que le visage de cet enfant, mort sans doute peu après cette photo, avait contribué à me faire entrer dans la compréhension de la folie nucléaire.
Texte d’un poète, Mizukawa, sous la photo d’un enfant d’Hiroshima :
« Une mère aveugle/Serrant contre elle son enfant mort/Des larmes ruisselant /De ses yeux détruits./C’était dans mon enfance ,/Ma mère me tenait par la main./Vision de cauchemar/ Inoubliable. »
Introduction.
1-La situation du nucléaire civil et militaire s’aggrave, cette réalité saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre :
D’abord du point de vue des problèmes, des menaces et des drames sanitaires, environnementaux, financiers, démocratiques pour le nucléaire français et mondial. La compétitivité du prix de l’électricité s’effondre, la sureté des installations inquiète pour de plus en plus de raisons, les déchets s’accumulent sans solution, les finances d’EDF sont catastrophiques, les menaces d’une utilisation du nucléaire militaire sont de moins en moins un tabou et les recherches sur ces armes de destruction massive sont toujours dans une ascension irrésistible.
Ensuite du point de vue des projets , en particulier français, la marche vers les abîmes est en route ,celle d’un programme inacceptable portant atteinte aux générations présentes et futures.
Il est scandaleux et révoltant que l’aveuglement, l’ incompétence et / ou le mensonge de nombre d’hommes et de femmes politiques et ceux de nombreux commentateurs se traduisent par des affirmations qui constituent un tissu de mensonges : « le nucléaire n’a jamais tué personne » , « le nucléaire est une énergie propre », « le nucléaire est compétitif », « le nucléaire préserve notre indépendance »…
Il est scandaleux et révoltant que l’aveuglement, l’incompétence et /ou le mensonge de décideurs se succèdent sans partage des décisions sur cette question vitale, ainsi celle de la course du nucléaire civil français vers un gigantesque nouveau programme.
2-Les sondages sur le nucléaire sont en partie fonction des accidents dans le monde qui lorsqu’ils se produisent témoignent des inquiétudes et des changements d’opinion. Ils sont en partie fonction aussi plus récemment de l’intérêt mis en avant par certains pour appeler au secours le nucléaire contre le réchauffement climatique provoqué par les énergies fossiles. L’’opinion en France est également très liée à la puissance des arguments continuellement avancés par nombre de nucléocrates, de partis politiques et de medias qui qualifient la sortie du nucléaire comme entrainant des difficultés insurmontables et portant atteinte à l’excellence française.
3-D’une façon générale on peut dire que le débat en France sur le nucléaire à ce jour n’existe pas.
« La concertation publique sur la prolongation des plus anciens réacteurs nucléaires français vient de se clore dans l’indifférence générale. Le débat est confisqué par la technicité des échanges, la bureaucratie des procédures et l’absence de volonté de faire de la place aux citoyen.ne.s. » écrit à juste titre Jade Lindgaard ( Mediapart, 1 avril 2019).
« On n’a jamais pu mettre en débat la place du nucléaire en France » déclarait Chantal Jouano , présidente de la Commission du débat public (Mediapart, « A l’air libre »,16 décembre 2021) alors que le Président de la République veut relancer le nucléaire.
Et tabou des tabous : les déchets nucléaires militaires sont absents du débat législatif et sociétal. ( Voir la remarquable étude «Déchets nucléaires militaires. La face cachée de la bombe atomique française »,Jean-Marie Collin, Patrice Bouveret , publiée par ICAN France (Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires) et l’Observatoire des armements, décembre 2021).
Un véritable débat contradictoire sur le nucléaire pendant la dernière campagne présidentielle n’a bien entendu pas vu le jour et il continue à être confisqué puisque le 6 juillet 2022 a été annoncée de façon autoritaire la prise de contrôle du capital entier d’EDF par l’Etat.(Voir l’article remarquable « EDF : derrière l’étatisation , l’effondrement financier », de Martine Orange, Mediapart 8 juillet 2022.)
4-Les lignes qui suivent voudraient entre autres souligner « l’Argument des arguments » antinucléaires. Il est malheureusement trop peu évoqué en tant que tel. Ne mérite- t-il pas d’être plus connu, discuté, médité et partagé ? Ne mérite-il pas une analyse qui se voudrait globale, critique et créatrice ?
Dans la recherche d’une analyse se voulant globale, critique et prospective quatre séries de réflexions seront proposées ici :
les logiques nucléocrates(I),
les problèmes, les drames et les menaces liés au nucléaire(II),
l’Argument des arguments antinucléaires (III),
les résistances et les alternatives au nucléaire(IV).