IV-Une alternative au système international productiviste : une communauté mondiale humainement viable
Face à la toute-puissance du productivisme il faut résister c’est-à-dire penser (ce qui est parfois fait ici et là) et mettre en œuvre (ce qui est fait plus rarement) des contre-mécanismes pour lutter contre la confusion entre les moyens et les fins(A).
Il faut aussi construire des sociétés et une communauté mondiale à travers des moyens justes, démocratiques, écologiques et pacifiques(B).
A- Résister face aux confusions entre les fins et les moyens
Il s’agit de « remettre à leur place » les moyens(1) -l’expression est forte, la réalité doit l’être tout autant- et de respecter les fins(2).
1) Remettre à leur place les moyens , cela signifie une techno-science et un marché au service des êtres humains et non le contraire.
a) Remettre à sa place la techno-science
Comme on s’en remet au marché on s’en remet souvent aussi à la techno-science. Les recherches et les technologies aux différents niveaux géographiques, à travers des phénomènes de concentrations et de groupes dominants (firmes multinationales, laboratoires) ont tendance à s’auto reproduire parfois, voire souvent, indépendamment des véritables besoins des êtres humains.
La techno-science ne tend-t-elle pas à échapper de plus en plus aux acteurs humains ? Après les phases de mécanisation, de motorisation, d’automatisation est venue celle de la cybernétisation c’est-à-dire de mécanismes de régulation des machines et des êtres vivants. La cybernétisation des technologies avancées n’amène-t-elle pas à enlever des possibilités d’appréciation et de décision à ceux qui sont censés les contrôler ?
Dès lors une question vitale est la suivante : les acteurs humains doivent-ils, veulent-ils, peuvent-ils mettre en œuvre un véritable contrôle de la techno-science à tous les niveaux géographiques ?
Nous citerons au moins six séries de contrôles urgents, cruciaux, décisifs : la recherche scientifique militaire sur les armes de destruction massive, les graves problèmes posés par les déchets radioactifs et donc par l’énergie nucléaire, les pollutions causées par des moyens de transports écologiquement non viables, la marchandisation de la faune et de la flore, l’exclusion du travail par la technique (une des grandes causes du chômage), et déjà le déploiement ici ou là hors encadrement juridique rigoureux des manipulations du génome, des nanotechnologies et de certains projets de géo-ingénierie…Nous pourrions prolonger la liste.
La gravité des menaces, la complexité des défis, les souffrances causées par divers drames exigent une techno-science ramenée au rang de moyen au service des êtres humains.
Il y a ainsi au moins deux grands axes pour mettre en œuvre un contrôle de la techno-science ou , de façon plus radicale, pour la remettre à sa place.
Le premier axe se situe en termes de priorités c’est-à-dire que les efforts de recherches et de nouvelles technologies doivent être orientés en fonction des priorités liées à l’intérêt commun de l’humanité, les activités de la techno-science doivent s’inscrire dans des contrats à tous les niveaux géographiques, contrats mettant en avant ces priorités.
Le second axe se situe en termes d’interdictions : la sacro-sainte liberté de la recherche scientifique doit être remise en cause quand elle menace la dignité des personnes ou l’intérêt commun de l’humanité.
b) Remettre à sa place le marché
Face à l’économisme triomphant, à la recherche du profit, à la société du marché qui a tendance à occuper toute la place, un certain nombre d’auteurs, d’organisations non gouvernementales (ONG), de citoyen(ne)s, et d’autres acteurs proposent ou contribuent à mettre en œuvre ici ou là une « économie plurielle ».
Face au libre-échange généralisé, face aux logiques de guerre économique et de compétition, il s’agit de remettre le marché à sa place et de créer ou de développer des logiques de coopération.
Il y a ainsi au moins quatre grands axes pour mettre en œuvre ce contrôle du marché ou, de façon plus radicale, pour remettre le marché à sa place.
Il est nécessaire de subordonner le libre-échange à ce qui deviendrait la primauté de la protection de l’environnement et de la santé.
Il est nécessaire que soient créés ou se développent des éléments de « l’économie plurielle » c’est à dire des formes d’économie solidaire et sociale, des entreprises coopératives, des services publics, des systèmes d’échanges locaux (à travers des associations dont les membres échangent des biens et des services, hors du marché), des pratiques de commerce équitable et des mécanismes de juste-échange, des pratiques d’économie collaborative en matière de transports(covoiturage)de logements( colocation) de nourriture, d’éducation…
Le troisième axe consiste à « désarmer le pouvoir financier » en adoptant entre autres une taxe sur les transactions financières et en remettant en cause les paradis fiscaux.
Le quatrième axe est constitué par le fait que certaines productions du marché sont, par nature, plus ou moins nuisibles aux acteurs humains. Dans l’économie plurielle, les reconversions – par exemple des industries d’armements – contribuent à l’avènement d’un monde responsable et solidaire, reconversions socialement et écologiquement porteuses.
Remettre à leurs places les moyens et aussi respecter les fins.
2) Respecter les fins : des êtres humains libres, debout et solidaires
a) Il s’agit de consacrer, encore mieux et à tous les niveaux géographiques, les trois générations de droits humains : les droits civils et politiques (libertés), les droits économiques sociaux et culturels (égalités), le droit à l’environnement, le droit au développement et le droit à la paix (solidarités).
Il s’agit de préparer la consécration d’une quatrième génération de droits, ceux des personnes par rapport à la techno science, par exemple l’interdiction de recherches sur les armes de destruction massive comme portant atteinte à la dignité humaine, par exemple les droits des personnes par rapport aux robots…Cette quatrième génération a déjà vu le jour dans le domaine de la biologie, par exemple à travers la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme(11-11-1997).
b) Il s’agit bien sûr, aussi et surtout, de mettre en œuvre ces générations de droits, de les faire respecter. Résister c’est dire non à l’inacceptable, à toutes les formes d’atteintes à la dignité humaine. Les rôles des juges, des ONG, des réseaux , des citoyen(ne)s, certes différents, sont ici essentiels.
Résister, construire…
B- Construire des sociétés humaines à travers des moyens démocratiques, justes, écologiques, pacifiques.
Nous mettrons en avant, à titre indicatif, cinq grands moyens dans chaque grand domaine. Leur mise en œuvre contribuerait très probablement à passer, dans les différents lieux, d’un productivisme autodestructeur à des sociétés humainement viables. Quels moyens ?(1) Que penser d’une telle liste indicative(2) ?
1- Quels moyens démocratiques, justes, écologiques, pacifiques ?
a) Liste indicative de moyens contribuant à passer d’un système international pour une large part autoritaire à une communauté mondialedémocratique :
Désarmement du pouvoir financier (taxations des transactions financières, impôt mondial sur les capitaux, suppressions des paradis fiscaux…)
Encadrement des firmes multinationales (respects de la santé, du social, de l’environnement, de la culture…)
Démocratisation des institutions internationales ( réformes du Conseil de sécurité et de certaines institutions spécialisées des Nations Unies…place légitime des pays du Sud, promotion des ONG…)
Accès des femmes aux processus de décision(aux niveaux locaux, nationaux, continentaux, internationaux)
et non-cumul généralisé des mandats des élu(e)s dans tous les Etats.
Créations d’organisations nouvelles (composées d’Etats, d’ONG, de collectivités territoriales …), rencontres institutionnalisées des organisations internationales, régionales et sous-régionales, développement de réseaux, de coordinations, de fronts communs d’ONG (par exemple celles allant dans le sens d’un ralentissement du système.)
b) Liste indicative de moyens contribuant à passer d’un système international pour une large part injuste à une communauté mondialejuste :
Création d’un revenu universel d’existence(attribué à tout habitant de la Terre, revenu déconnecté du travail auquel s’ajouteront des revenus d’activités)
Annulation de la dette publique (celles des Etats, des collectivités territoriales, des organisations internationales…)
Priorités données au juste échange et au commerce équitable (le libre échange leur sera subordonné),développement de l‘économie sociale et solidaire,de l’économie collaborative…
Mise en place d’agricultures durables et autonomes (respect de l’environnement, statut international des matières agricoles, souveraineté alimentaire)
Créations et redistributions de fonds internationaux (taxes liées au désarmement du pouvoir financier et liées aux activités polluantes, redistribuées vers des besoins criants en santé, en protection sociale, en éducation, en environnement, en emplois…
c) Liste indicative de moyens contribuant à passer d’un système international pour une large part anti écologique à une communauté mondialeécologique :
Remises en cause d’activités polluantes (réductions et suppressions des modes de production, de consommation, de transport écologiquement non viables)
Programmes massifs d’accès à l’eau (effectivités du droit à l’eau potable et du droit à l’assainissement)
Revitalisation des régions profondément dégradées (programmes massifs à tous les niveaux géographiques)
Transitions énergétiques (développement massif des énergies renouvelables, économies massives d’énergie, sortie rapide du nucléaire)
Conclusions de nouvelles conventions mondiales(convention créant une Organisation mondiale de l’environnement, convention sur les droits des déplacés environnementaux, convention créant une Organisation mondiale et régionale d’assistance écologique, conventions de protection des sols, convention de protection des forêts, convention contre lespollutionstelluriques …) et de nouveaux protocoles(en particulier de réductions massives et radicales des gaz à effet de serre)
L’ensemble de ces actions environnementales donnerait le jour à des créations massives d’emplois dans le bâtiment, les énergies renouvelables, l’agriculture, les transports, la revitalisation de régions dégradées, les travaux contre des effets de la montée des eaux, l’éducation à l’environnement…
d) Liste indicative de moyens contribuant à passer d’un système international pour une large part violent à une communauté mondialepacifique :
Interdiction des recherches scientifiques sur les armes de destruction massive (déclarées contraires à l’intérêt commun de l’humanité.)
Mise en place d’une sécurité collective (fondée à titre principal sur des forces d’interposition envoyées à titre préventif et à titre exceptionnel sur des forces d’intervention internationalisées)
Remises en cause des ventes d’armes (restrictions, taxations, interdictions, reconversions), créations de ministères du désarmement.
Conclusions de nouveaux traités et protocoles de désarmement (armes de destruction massive enparticulier nucléaires ) , application des traités qui existent déjà.
Mise en place d'une éducation à la paix (de la maternelle à l'université comprise et dans de multiples lieux, fondée entre autres sur un apprentissage non-violent des conflits).
2) Commentaires généraux relatifs à ces moyens :
a) Cette vingtaine de moyens est proposée à titre indicatif, on peut bien sûr prolonger la liste. Nous pensons que ces contre-mécanismes commenceraient à ralentir ce système autodestructeur et à le remettre en cause pour donner naissance en quelques décennies (?) à une communauté mondiale humainement viable.
b) La liste proposée n’est pas celle du Discours Vérité, ce sont des convictions mais des erreurs sont possibles ettel ou tel moyen peut vous paraitre illégitime, dangereux, inefficace, irréalisable…
c) Certains de ces moyens ont des débuts d’application cependant en général trop timides. Il est vrai qu’un chemin de mille pas commence par un pas, mais l’accélération du système productiviste implique la mise en œuvre de moyens nombreux et radicaux.
d) Nous avons mis symboliquement en tête à chaque fois un moyen qui nous semble particulièrement radical par rapport au système productiviste et çà n’est pas un hasard si ces cinq moyens sont très critiqués par certains. Pour leurs pourfendeurs, ainsi le revenu universel d’existence qui est synonyme d’institutionnalisation de la paresse et d’impossibilité financière de le réaliser, ainsi l’interdiction des recherches sur les armes de destruction massive synonyme d’atteintes à la liberté de la recherche scientifique, ainsi le désarmement financier synonyme de faillite généralisée, ainsi les remises en cause des modes de production et de consommation non viables synonymes d’actes suicidaires face à la compétitivité…
e) Il faut redire ici que les grands domaines (démocratie, justice, environnement, paix) sont interdépendants pour le pire et le meilleur. Ainsi des mécanismes produisant des injustices produisent des violences. Ainsi des contre-mécanismes porteurs de justice sont ensuite porteurs d’éléments pacifiques. Les interactions sont multiples dans chaque domaine et entre les domaines.
f) Penser et mettre en œuvre ces contre-mécanismes dépend surtout (même si le hasard peut éventuellement jouer aussi un rôle) des déterminations personnelles et collectives. Certains moyens pour voir le jour devront surmonter des obstacles nombreux et puissants mais pensons, exemple gigantesque, au mur de Berlin qui a fini, au bout de 28 ans, par s’effondrer, « l’histoire est sortie de ses gonds ».
g) Enfin réaffirmons que les moyens proposés doivent être conformes aux fins que l’on met en avant, à fins pacifiques des moyens pacifiques, à fins justes des moyens justes, à fins écologiques des moyens écologiques, à fins démocratiques des moyens démocratiques.
Remarques terminales
Les personnes, les peuples, l’humanité malgré eux et /ou avec eux sont embarqués sur un navire dont la route est suicidaire.
On peut essayer de réduire sa vitesse, mais on doit surtout le faire changer de route, quitter la route du productivisme, prendre celle d’une communauté mondiale humainement viable. Les remises en cause personnelles et collectives nous appellent, à tous les niveaux géographiques.
Résignation(1), volontés (2) : qu’en penser ?
1-La force… de la résignation.
La pente la plus forte c’est, quelquefois ou souvent, celle de la résignation devant les rapports de forces alors que ceux-ci peuvent changer, alors qu’à chaque instant, le réel contient plus de possibles que l’on ne croit. Des chemins de bonnes intentions sont ainsi pavés de renoncements qui se succèdent. Manquer de souffle, être étouffé(e) par l’impératif du réalisme, laisser la place à toutes sortes de casseurs d’horizons (amateurs et professionnels), et finalement de ne pas essayer d’être personnellement et collectivement à la hauteur des défis…
Simone de Beauvoir écrivait: « Il est peu de vertus plus tristes que la résignation. Elle transforme en fantasmes, en rêveries contingentes, des projets qui s’étaient d’abord constitués comme volonté et comme liberté. »
2) Des moyens existent, des volontés doivent et peuvent voir le jour en particulier à partir de deux forces possibles :
- L’espérance de l’humanité est-elle donc si loin de nous ?
Pourquoi lorsque, dans nos vies personnelles et/ou collectives, existent la grisaille, les brouillards, les ombres, l’obscurité ou les ténèbres de certains instants présents, ne pas essayer, autant que faire se peut ( ?!…), de les resituer dans la perspective de l’espérance de l’humanité ? Difficile à exprimer, mais encore plus difficile ou parfois impossible à vivre…et, pourtant, ce peut être une force possible.
L’ espérance de l’humanité ce sont les vies de ceux et celles qui nous ont précédés à travers ces témoins d’humanité, connus et inconnus, luttant contre des forces de mort, c’est ce patrimoine culturel qu’ils nous laissent avec une immense chance, un grand bonheur de le découvrir et de le partager,
ce sont les vies de ceux et celles qui sont présents aujourd’hui , ces générations vivantes qui, si elles arrivent à penser et à mettre en œuvre des moyens démocratiques, justes, écologiques et pacifiques, porteront un projet d’humanité, alors, oui, il les portera à son tour,
ce sont les vies de ceux et celles qui vont nous suivre et qui peuvent nous dire : notre confiance en vous nous la risquons à nouveau. Essayez, nous vous les prêtons, d’aimer le monde avec les cœurs et les esprits de ceux et celles qui vont arriver, et puis n’oubliez pas de nous laisser la liberté de devenir ce que nous voudrons être.
-Un couple de combat ne demande qu’à voir le jour, lequel ?
Jean Rostand , biologiste, écrivain, pourfendeur de la course aux armements, citoyen du monde, au fort pessimisme de l’intelligence et à l’indomptable optimisme de la volonté, écrivait :
« Il n’est pas plus insensé de s’abandonner à un espoir, celui de la survie de l’humanité, que de le repousser au nom d’un prétendu réalisme qui n’est que le consentement défaitiste au suicide de l’espèce. »
Pourquoi ne pas essayer de penser et d'agir inspiré(s) entre autres par cette pensée que vous connaissez d’Antonio Gramsci, « Il faut avoir à la fois le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté » ?
Le premier permet d’avoir les yeux et les esprits ouverts sur des logiques profondes.
Le second ( il en faut beaucoup « il réduit à la cuisson »), contribue à avoir les mains, les esprits et les cœurs à l’ouvrage.
Et finalement, avec nos forces et nos faiblesses, pessimisme de l’intelligence et optimisme de la volonté peuvent marcher côte à côte, s’interpeller, se compléter, se soutenir, s’incliner l’un vers l’autre, devenir peu à peu un couple de combat.