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Billet de blog 20 mars 2015

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MARCHANDISATION DE LA NATURE : arguments pour et contre ( III )

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III-  Les arguments des défenseurs et des adversaires de la marchandisation de la nature

  Des théories  et des pratiques s'affrontent au niveau des principes (A) et au niveau des modalités (B) de la marchandisation de la nature.

A- Les arguments relatifs aux principes de la marchandisation de la nature

Quels sont les arguments des défenseurs(1) puis ceux des adversaires(2) de ce phénomène ?

 1) Les principes des défenseurs de la marchandisation de la nature

Deux arguments sont considérés comme essentiels :

a) La nature mérite notre attention, pourquoi ? Parce qu’elle nous rend des services, elle appelle notre protection. Nous dépendons d’elle, il faut donc la sauver.

 b) Comment  donner enfin sa véritable place  à la nature ? Il faut la sortir de la marginalité, il faut arrêter l’épuisement de ses ressources en lui donnant une valeur. Sa prise en compte dépendra de cette valeur. Ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur. Il faut donc donner un prix aux  services éco systémiques que la nature rend gratuitement et instaurer des droits de propriété.

2) Les principes des  adversaires  de la marchandisation de la nature

Les deux arguments précédents ont deux réponses :

a) La nature a une valeur intrinsèque en elle-même,  indépendamment de toute utilité pour l’homme et elle est essentielle pour les êtres humains.Chaque élément a ses spécificités mais les deux sont interdépendants, la nature est à la fois sujet et objet de droit, autrement dit projet de droit, c’est un patrimoine qu’il faut transmettre.

b) Dire que ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur est une des bases du productivisme! En fait il y a des choses et des éléments naturels qui n’ont pas de prix et pourtant une valeur inestimable.

 Et puis il peut y avoir dans la nature des éléments non utiles aux humains et qui ont pourtant une valeur en eux-mêmes.

A ces arguments s’en ajoutent deux autres :

c) Donner un prix aux constituants  du  vivant, évaluer les services qu’ils nous rendent n’est-ce pas les considérer comme des objets étrangers à notre espèce humaine ? Le patrimoine mondial montre au contraire qu'on doit protèger la nature et pour elle-même et pour nous.

d)  La protection de la nature «  n’est pas négociable »,  lui appliquer la logique marchande n’est-ce pas la tuer peu à peu ? De  même la protection de l’humanité est un impératif vital. Bref : on ne peut pas confier la nature et l’humanité au marché. (Voir l’article  déjà cité de Monique Chemillier Gendreau : La marchandisation de la survie planétaire, Monde diplomatique de janvier 1998).

A ces arguments relatifs aux principes s’en ajoutent d’autres relatifs aux mécanismes d’application.

B-Les arguments relatifs aux  mécanismes  d’application de la marchandisation de la nature

Les désaccords s’expriment  quant  à l’économie verte qui fait  l’objet de louanges et de solution globale par les uns, mais est qualifiée par les autres de mirage, de fausse solution. Les désaccords  s’expriment également  quant aux inégalités et quant à tel ou tel mécanisme.

1) Les  mécanismes d’application et les  défenseurs de la marchandisation de la nature

a) L’économie verte et ses vertus

On affirme qu’elle crée et va créer  de nouvelles sources de profit pour protéger les écosystèmes. (Voir, par exemple, Vers une économie verte, vision du PNUE,2011,www.unep.org /greeneconomy.

 L’économie verte, face à la raréfaction d’énergies  fossiles (pétrole, gaz) et de matières premières (fer, argent…), veut séparer la croissance économique …de la consommation de ressources. Comment ? En produisant plus de valeur sans accroitre les énergies et les matières premières. On va donc mettre en avant les  progrès technologiques et les capitaux. Il faut investir dans les secteurs du carbone, de l’eau, de la biodiversité, des forêts, de l’agriculture…C’est d’ailleurs une des propositions du PNUE.

b) Des mécanismes de marchandisation contribuent à la justice

Ainsi des agriculteurs du Sud  par exemple seront rémunérés pour des pratiques agricoles peu utilisatrices de CO2, et rémunérés  pour la préservation de la  biodiversité.

c)  L’ensemble de ces mécanismes  aurait  un aspect  éducatif  porteur

On affirme en effet que  donner une valeur à la nature aurait quelque chose de pédagogique,

 On la regarde autrement parce que l’on sait  qu’elle est porteuse de nos intérêts.

2) Les mécanismes d’application et les adversaires de la marchandisation de la nature

a) Les critiques de l’économie verte  

On considère que c’est  une mutation du productivisme  qui transforme la nature en objet économique,  cela  pour de nouveaux profits sous couvert de protéger les écosystèmes.  (Pour  une vision critique voir : La nature n’a pas de prix. Les méprises de l’économie verte. Les liens qui libèrent, 2012, Geneviève  Azam.  Nature à vendre, Patrick Piro, Politis, 14 octobre 2010.Les perversions de l’économie verte, Patrick Piro, Politis , 31 mai 2012.Voir aussi   nogreeneconomy.org ). La sacro-sainte croissance demeure, on fait silence sur les déséquilibres Nord Sud, sur la surconsommation, sur un marché sans limites… L’intérêt général des Etats, a plus forte raison l’intérêt commun de l’humanité ne peuvent pas être dégagés, il s’agit d’intérêts nationaux,  et  surtout d’intérêts particuliers,  à court terme, de firmes géantes et de groupes financiers  se disputant les marchés de la nature. Des mécanismes profitent aux dominants, ils se trouvent souvent entre les mains de ceux qui ont concentré des avoirs, des pouvoirs, des savoirs.

L’économie verte est peu évoquée dans la déclaration finale  de Rio de 2012, les pays émergents et les pays en développement n’en voulaient pas. Le concept « d’ économie verte » a explosé ces dernières années, il a cependant battu en retraite dans la déclaration finale de Rio de juin 2012, ce qui lui est consacré est dérisoire. Les pays émergents,  et de façon plus globale les pays en développement, ne voulaient guère le mettre en avant, ils y voyaient une mise en cause de leur droit au développement sous couvert de protection environnementale et une façon pour les pays du Nord de vendre des  technologies qui iraient dans ce sens.

 (Voir   «  L’avenir que nous voulons », IIIème partie, L’économie verte dans le contexte du développement durable et de l’élimination de la pauvreté, p11 à 15, Déclaration finale de la Conférence de Rio, doc.ONU,A/ CONF.216/L.I).Voir aussi « L’économie verte déraille à Rio+20 »,article de Gilles Van Kote, Le Monde,20 juin 2012)

 b) Les critiques de certains  mécanismes  injustes

 Les paiements  dans certains mécanismes se feront surtout du Nord vers le Sud, on dédommagera des peuples autochtones du manque à gagner à ne pas détruire une ressource.(Virginie Maris, article « Un risque d’impérialisme », Politis,14 octobre 2010,et ouvrage de cet auteur, Philosophie de la biodiversité, éditions Buchet-Chastel), On fait de certains peuples « des gestionnaires de la biodiversité », on les dédommagera pour cela .On crée un marché des droits à détruire le vivant que pourront acheter des riches, cela  en payant par compensation les pauvres pour qu’ils protègent leurs propres ressources biologiques, c’est une division du travail déterminée par un rapport de forces.

c) Les critiques particulières à tel ou tel mécanisme

La compensation n’est-elle pas une permission de destruction ? Ne va-t-elle pas devenir une « licence de destruction » de la diversité biologique ? Elle  va servir à accepter  des projets qui n’auraient pas pu être mis en place à cause de leurs impacts écologiques. Des espaces continueront à être détruits, mais pour les banques de restauration ce sera rentable. Dans un lieu une entreprise détruit des espèces de la faune, elle va se racheter dans un autre lieu en plantant des arbres. Mais deux mécanismes de destruction sont toujours là : ce qui était unique a été volontairement détruit  et, « en fin de compte », au total, la biodiversité continue à perdre sa richesse.

 Le mécanisme de rémunération pour services rendus dans l’absence d’une déforestation n’est pas évident  quant à des effets négatifs pouvant apparaitre. Ainsi par exemple une gestion de la propriété que ne connaissent pas des populations autochtones.

 Le mécanisme de vente de crédits carbone montre que les émissions n’ont pas été réduites et que des pollueurs ont joué sur ce marché (prix de la tonne de carbone 1,26 euros entre 2005 et 2007, puis 20 euros entre 2008 et 2012).

Ces logiques de rentabilité se retrouvent dans le mécanisme de développement propre. Les pays développés préfèrent investir,  par exemple en Chine, plutôt que de réduire leurs propres émissions, une  «  bulle spéculative » se forme autour des procédés économes en CO2 (voir Aurélien Bernier, article déjà cité, Faut-il brûler le Protocole de Kyoto ?, Le Monde diplomatique, décembre 2007).

Telle est la situation, quelles sont et quelles pourraient être, à titre indicatif, des alternatives ?  ( Voir IV)

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