III- Les arguments des défenseurs et des adversaires de la marchandisation de la nature
Des théories et des pratiques s'affrontent au niveau des principes (A) et au niveau des modalités (B) de la marchandisation de la nature.
A- Les arguments relatifs aux principes de la marchandisation de la nature
Quels sont les arguments des défenseurs(1) puis ceux des adversaires(2) de ce phénomène ?
1) Les principes des défenseurs de la marchandisation de la nature
Deux arguments sont considérés comme essentiels :
a) La nature mérite notre attention, pourquoi ? Parce qu’elle nous rend des services, elle appelle notre protection. Nous dépendons d’elle, il faut donc la sauver.
b) Comment donner enfin sa véritable place à la nature ? Il faut la sortir de la marginalité, il faut arrêter l’épuisement de ses ressources en lui donnant une valeur. Sa prise en compte dépendra de cette valeur. Ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur. Il faut donc donner un prix aux services éco systémiques que la nature rend gratuitement et instaurer des droits de propriété.
2) Les principes des adversaires de la marchandisation de la nature
Les deux arguments précédents ont deux réponses :
a) La nature a une valeur intrinsèque en elle-même, indépendamment de toute utilité pour l’homme et elle est essentielle pour les êtres humains.Chaque élément a ses spécificités mais les deux sont interdépendants, la nature est à la fois sujet et objet de droit, autrement dit projet de droit, c’est un patrimoine qu’il faut transmettre.
b) Dire que ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur est une des bases du productivisme! En fait il y a des choses et des éléments naturels qui n’ont pas de prix et pourtant une valeur inestimable.
Et puis il peut y avoir dans la nature des éléments non utiles aux humains et qui ont pourtant une valeur en eux-mêmes.
A ces arguments s’en ajoutent deux autres :
c) Donner un prix aux constituants du vivant, évaluer les services qu’ils nous rendent n’est-ce pas les considérer comme des objets étrangers à notre espèce humaine ? Le patrimoine mondial montre au contraire qu'on doit protèger la nature et pour elle-même et pour nous.
d) La protection de la nature « n’est pas négociable », lui appliquer la logique marchande n’est-ce pas la tuer peu à peu ? De même la protection de l’humanité est un impératif vital. Bref : on ne peut pas confier la nature et l’humanité au marché. (Voir l’article déjà cité de Monique Chemillier Gendreau : La marchandisation de la survie planétaire, Monde diplomatique de janvier 1998).
A ces arguments relatifs aux principes s’en ajoutent d’autres relatifs aux mécanismes d’application.
B-Les arguments relatifs aux mécanismes d’application de la marchandisation de la nature
Les désaccords s’expriment quant à l’économie verte qui fait l’objet de louanges et de solution globale par les uns, mais est qualifiée par les autres de mirage, de fausse solution. Les désaccords s’expriment également quant aux inégalités et quant à tel ou tel mécanisme.
1) Les mécanismes d’application et les défenseurs de la marchandisation de la nature
a) L’économie verte et ses vertus
On affirme qu’elle crée et va créer de nouvelles sources de profit pour protéger les écosystèmes. (Voir, par exemple, Vers une économie verte, vision du PNUE,2011,www.unep.org /greeneconomy.
L’économie verte, face à la raréfaction d’énergies fossiles (pétrole, gaz) et de matières premières (fer, argent…), veut séparer la croissance économique …de la consommation de ressources. Comment ? En produisant plus de valeur sans accroitre les énergies et les matières premières. On va donc mettre en avant les progrès technologiques et les capitaux. Il faut investir dans les secteurs du carbone, de l’eau, de la biodiversité, des forêts, de l’agriculture…C’est d’ailleurs une des propositions du PNUE.
b) Des mécanismes de marchandisation contribuent à la justice
Ainsi des agriculteurs du Sud par exemple seront rémunérés pour des pratiques agricoles peu utilisatrices de CO2, et rémunérés pour la préservation de la biodiversité.
c) L’ensemble de ces mécanismes aurait un aspect éducatif porteur
On affirme en effet que donner une valeur à la nature aurait quelque chose de pédagogique,
On la regarde autrement parce que l’on sait qu’elle est porteuse de nos intérêts.
2) Les mécanismes d’application et les adversaires de la marchandisation de la nature
a) Les critiques de l’économie verte
On considère que c’est une mutation du productivisme qui transforme la nature en objet économique, cela pour de nouveaux profits sous couvert de protéger les écosystèmes. (Pour une vision critique voir : La nature n’a pas de prix. Les méprises de l’économie verte. Les liens qui libèrent, 2012, Geneviève Azam. Nature à vendre, Patrick Piro, Politis, 14 octobre 2010.Les perversions de l’économie verte, Patrick Piro, Politis , 31 mai 2012.Voir aussi nogreeneconomy.org ). La sacro-sainte croissance demeure, on fait silence sur les déséquilibres Nord Sud, sur la surconsommation, sur un marché sans limites… L’intérêt général des Etats, a plus forte raison l’intérêt commun de l’humanité ne peuvent pas être dégagés, il s’agit d’intérêts nationaux, et surtout d’intérêts particuliers, à court terme, de firmes géantes et de groupes financiers se disputant les marchés de la nature. Des mécanismes profitent aux dominants, ils se trouvent souvent entre les mains de ceux qui ont concentré des avoirs, des pouvoirs, des savoirs.
L’économie verte est peu évoquée dans la déclaration finale de Rio de 2012, les pays émergents et les pays en développement n’en voulaient pas. Le concept « d’ économie verte » a explosé ces dernières années, il a cependant battu en retraite dans la déclaration finale de Rio de juin 2012, ce qui lui est consacré est dérisoire. Les pays émergents, et de façon plus globale les pays en développement, ne voulaient guère le mettre en avant, ils y voyaient une mise en cause de leur droit au développement sous couvert de protection environnementale et une façon pour les pays du Nord de vendre des technologies qui iraient dans ce sens.
(Voir « L’avenir que nous voulons », IIIème partie, L’économie verte dans le contexte du développement durable et de l’élimination de la pauvreté, p11 à 15, Déclaration finale de la Conférence de Rio, doc.ONU,A/ CONF.216/L.I).Voir aussi « L’économie verte déraille à Rio+20 »,article de Gilles Van Kote, Le Monde,20 juin 2012)
b) Les critiques de certains mécanismes injustes
Les paiements dans certains mécanismes se feront surtout du Nord vers le Sud, on dédommagera des peuples autochtones du manque à gagner à ne pas détruire une ressource.(Virginie Maris, article « Un risque d’impérialisme », Politis,14 octobre 2010,et ouvrage de cet auteur, Philosophie de la biodiversité, éditions Buchet-Chastel), On fait de certains peuples « des gestionnaires de la biodiversité », on les dédommagera pour cela .On crée un marché des droits à détruire le vivant que pourront acheter des riches, cela en payant par compensation les pauvres pour qu’ils protègent leurs propres ressources biologiques, c’est une division du travail déterminée par un rapport de forces.
c) Les critiques particulières à tel ou tel mécanisme
La compensation n’est-elle pas une permission de destruction ? Ne va-t-elle pas devenir une « licence de destruction » de la diversité biologique ? Elle va servir à accepter des projets qui n’auraient pas pu être mis en place à cause de leurs impacts écologiques. Des espaces continueront à être détruits, mais pour les banques de restauration ce sera rentable. Dans un lieu une entreprise détruit des espèces de la faune, elle va se racheter dans un autre lieu en plantant des arbres. Mais deux mécanismes de destruction sont toujours là : ce qui était unique a été volontairement détruit et, « en fin de compte », au total, la biodiversité continue à perdre sa richesse.
Le mécanisme de rémunération pour services rendus dans l’absence d’une déforestation n’est pas évident quant à des effets négatifs pouvant apparaitre. Ainsi par exemple une gestion de la propriété que ne connaissent pas des populations autochtones.
Le mécanisme de vente de crédits carbone montre que les émissions n’ont pas été réduites et que des pollueurs ont joué sur ce marché (prix de la tonne de carbone 1,26 euros entre 2005 et 2007, puis 20 euros entre 2008 et 2012).
Ces logiques de rentabilité se retrouvent dans le mécanisme de développement propre. Les pays développés préfèrent investir, par exemple en Chine, plutôt que de réduire leurs propres émissions, une « bulle spéculative » se forme autour des procédés économes en CO2 (voir Aurélien Bernier, article déjà cité, Faut-il brûler le Protocole de Kyoto ?, Le Monde diplomatique, décembre 2007).
Telle est la situation, quelles sont et quelles pourraient être, à titre indicatif, des alternatives ? ( Voir IV)