IV- Quelles alternatives à la marchandisation de la nature ?
Nous distinguerons des alternatives juridiques(A) et des alternatives générales(B), cela bien sûr à titre indicatif pour le présent et pour l’avenir.
A- Des alternatives juridiques face à la marchandisation de la nature
Il faut renforcer la consécration et l’application du droit existant lorsqu’il tend à la protéger(1) et créer de nouvelles règles de protection(2).L’imagination politique et l’imagination juridique doivent répondre présentes.
1) Renforcer l’application du droit protecteur existant
a) Dans la panoplie des principes de droit de l’environnement
Il s’agit d’appliquer particulièrement ceux de précaution, de prévention,
et aussi celui « de réduction et de suppression des modes de production, de consommation, de transports non viables » (principe 8 de la Déclaration de Rio de juin 1992).Malheureusement nous ne sommes que dans une déclaration incitative mais ce dernier principe est l’un des plus radicaux. Des législations nationales, régionales le reprennent partiellement, il faut continuer à lutter pour leur consécration et leur application.
b) Ces principes doivent faire l’objet de règlementations à tous les niveaux géographiques, il s’agit avant tout d’agir en amont et d’empêcher de nouvelles dégradations. Le rôle des juges nationaux, régionaux et internationaux dans leur application reste un élément essentiel, bien sûr les rôles aussi, certes différents mais essentiels, des ONG, des associations, des réseaux, des citoyen(ne)s.
2) Créer des verrous juridiques, crans d’arrêt de la marchandisation de la nature.
Sont vitaux au moins trois types de crans d’arrêt face à la marchandisation :
a) Une consécration des biens communs. Au lieu de considérer que, seule, la propriété privée peut les protéger, on peut penser qu’il faudrait les consacrer comme éléments du patrimoine commun de l’humanité ,avant tout il s’agirait de l’eau, et, probablement dans un second temps, souverainetés étatiques obligent, des forêts…Il faudrait penser ce rattachement au patrimoine commun de l’humanité en termes de protection environnementale vitale et en tirer les conséquences , par exemple dans une convention internationale sur le droit à l’eau et à l’assainissement.
b) Une consécration de certains droits attribués à la nature. Il s’agirait de droits attribués à la nature et opposables aux destructeurs du vivant. On sortirait de l’anthropocentrisme omniprésent, on accepterait ainsi que la future Organisation mondiale de l’environnement ( OME ),créée enfin un jour, pourrait représenter la nature. Là aussi il faudrait penser le processus (cf cette idée dans l’ouvrage de Jean-Pierre Beurier, DIE, Pedone, 4ème édition, 2010 p 557.)(Voir aussi sur ce blog les articles sur l’humanité.)
c) La consécration consolidée du principe de non régression serait porteuse, on ne peut pas remettre en cause des acquis environnementaux essentiels. Ce principe verra le jour au nom des droits des générations futures (voir ouvrage sous la direction de Michel Prieur et Gonzalo Sozzo, Le principe de non régression en droit de l’environnement, Bruylant , 2012.Voir aussi colloque sur ce concept en droit comparé, actes à paraitre 2015, Limoges 15 et 16 septembre 2013).
B- Les alternatives générales face à la mondialisation de la nature
1) Un concept à promouvoir : la détermination de limites au cœur des activités humaines
a) C’est ici la mise en avant du concept de détermination de limites au cœur des activités humaines. Il s’agit entre autres de l’autolimitation des privilégiés de notre monde, et également du respect des écosystèmes des autres êtres vivants. ( sur ce concept, voir DIE, J. M Lavieille, Ellipses, 3ème édition, 2010,p 153 à156.Voir l’article de Jean-Jacques Gouguet « Développement durable et décroissance. Deux paradigmes incommensurables, in Mélanges Michel Prieur, Pour un droit commun de l’environnement, Dalloz,2007, p123à 147.Voir aussi Jacques Ellul, Le bluff technologique, Hachette,1988.Serge Latouche, voir par exemple « Survivre au développement », Mille et une nuits,2004, et un article « Pour une société de décroissance »,Le Monde diplomatique, novembre 2003 .)
b) L’exemple des limites à déterminer par rapport à la géo-ingénierie est particulièrement significatif, de ce point de vue il sera important aussi de voir ce qu’en pense le GIEC et en général et de tel ou tel projet en particulier.
Ces technologies, déjà évoquées dans la première partie de cet article, comme une des manifestations de la puissance du marché mondial, censées permettre de « mettre la Terre à l’ombre », devraient avoir au moins trois séries de limites.
D’abord ne pas les considérer comme « le » grand remède miracle face au réchauffement climatique mais comme un remède parmi d’autres, plus ou moins important selon les cas. Concrètement cela signifie politiquement pédagogiquement et financièrement le présenter ainsi, et surtout surtout surtout (oui c'est écrit trois fois)ne pas se désengager des politiques de réduction des gaz à effet de serre.
Ensuite les décider démocratiquement, en toute justice et à des fins pacifiques. Concrètement cela signifie que doivent en décider tous des Etats, que cela profite à l’ensemble des peuples et que leur utilisation pacifique soit contrôlée.
Enfin éviter les dégâts collatéraux que ceux-ci soient majeurs ou importants. Concrètement cela signifie l’application du principe de précaution, l’application d’interdictions éventuelles d’appliquer telle ou telle technique, l’engagement de processus de responsabilités, et une occasion de plus de consacrer la notion de crimes environnementaux.
Cet exemple montre bien qu’une société doit se donner des limites. Remettre à leurs places la techno science et le marché est vital pour que le vivant(humains,animaux,végétaux) ait encore sa place.
2) Se situer par rapport à la question du prix de la vie
a) Lorsque l’on affirme que « la vie a un prix » cela signifie qu’on peut déterminer un prix à partir de différents critères. La marchandisation de la nature se veut proche de cette conception.
b) Lorsque l’on affirme « la vie n’a pas de prix » cela peut avoir deux sens opposés. Premier sens :On veut dire que la vie est insignifiante par rapport à des intérêts économiques, financiers et stratégiques. La marchandisation de la nature peut se retrouver, partiellement ou massivement, sur la pente de cette conception.
c) Lorsque l’on affirme que « la vie n’a pas de prix », second sens , cela peut vouloir dire que tout n’est pas chiffrable,que la vie est au-delà de tout prix, qu’elle est inestimable. La marchandisation de la nature parait bien éloignée de cette conception.
N’est-ce pas pourtant cette conception d’une vie considérée comme inestimable qu’il faut continuer et contribuer à promouvoir ?
(Voir sur ce blog « La vie a-t-elle un prix ? »)
Remarques terminales
1) Le mouvement de marchandisation de la nature est puissant. Des firmes multinationales, les marchés financiers sont côte à côte et tendent à contrôler ces mécanismes. Des Etats, certaines ONG et d’autres acteurs sont là aussi pour y participer.
2) Ce mouvement n’ a pas réduit, à ce jour, les risques environnementaux et la pénurie des ressources, et cela contrairement à ce que croyaient certains.
Comment pourrait-il d’ailleurs le faire avec les mêmes dominants du productivisme et les mêmes logiques du productivisme, avant tout la primauté du profit ?
3) Sans doute serait-il erroné et injuste de rejeter tous les mécanismes.
Autant on peut vivement critiquer un pollueur rapace achetant des droits de polluer aux plus pauvres, autant le refus d’utiliser une réserve de pétrole pour sauver une biodiversité nous semble porteur.
Il faudrait donc passer en revue tous les mécanismes,ce qui se fait ici ou là, et porter un jugement sur chacun d’eux à partir d’au moins quatre critères :
Quelle démocratie dans ce mécanisme ?
Quelle paix dans ce mécanisme ?
Quelle justice dans ce mécanisme ?
Quels effets environnementaux bénéfiques à court terme, à moyen terme et à long terme ?
4) Il est très important de replacer la marchandisation de la nature dans le cadre de la course au profit.
On comprend alors mieux les enjeux pour le productivisme et ses logiques. De façon plus globale le productivisme met ici en œuvre au moins quatre stratégies pour préserver ses taux de profit.
a) La première voie utilisée par le productivisme est une exploitation tous azimuts de ressources "déjà trouvées" dans la nature.
Autrement dit il s’agit d’exploiter le plus possible les ressources existantes, c’est la course aux quantités des gisements en route ou en bout de course.
Ce que le productivisme a emballé il l’achète et il le vend jusqu’à extinction des stocks.
b) La seconde voie utilisée par le productivisme est une exploitation tous azimuts de ressources "à trouver" dans la nature.
Autrement dit il s’agit d’en découvrir de nouvelles, ainsi le gaz de schiste(avec de puissantes pressions de la course en avant des consommations d’énergie, d’industriels qui multiplient rapidement les forages par des moyens écologiquement inacceptables avec sous-estimation des effets écologiques dans les eaux, le sol, le sous-sol ), les richesses minérales aux pôles et d’abord en Arctique, mais aussi des recherches de nappes phréatiques, des « terres rares », de gisements de pétrole offshore
Ce que le productivisme découvre il le touche, il l’emballe, puis il le vend et l’achète.
c) La troisième voie utilisée par le productivisme est un marché tous azimuts des "services"de la nature.
Autrement dit on met en place des services que l’on va échanger avec le plus de profit possible. Ce processus fait dire à des économistes critiques (ainsi Jean Gadrey , « Adieu à la croissance », éditions Alternatives économiques,2010) que « le capital financier veut découper la nature en services monnayables, puis en marchés dérivés pour qu’on puisse spéculer sur ces cours nouveaux ».
Ce que le productivisme, en affirmant faire œuvre de protection, déclare « services » il va le découper et le monnayer.
d) La quatrième voie utilisée par le productivisme est une "artificialisation" tous azimuts de la nature.
Autrement dit des entreprises, surtout des firmes multinationales, se sont lancées dans les productions d’organismes génétiquement modifiés, de biotechnologies, de nanotechnologies, d’utilisations de plantes en carburants, de nouveaux marchés rentables liés au bio mimétisme de la nature, et de plus en plus de projets de géo-ingénierie climatique…
Ce que le productivisme commence à voir il va essayer de le modifier, de le transformer, puis il le vend et l’achète.
Ainsi à grande allure sous de multiples formes la pente est prise : TOUT VAUT TANT.
5) Ne faut-il pas au contraire faire d’autres choix ?
Comment ? A travers les rapports de forces et à travers les pédagogies des catastrophes, elles aussi synonymes de luttes .
a) Les eaux, les sols, l’air, la faune, la flore, tous les éléments de l’environnement ne doivent pas être considérés avant tout comme des marchandises.
Ce sont des biens communs intergénérationnels et qui ont une valeur en eux-mêmes, une valeur inestimable. On reconnait ici la synthèse de la nature objet de droit et sujet de droit, autrement dit de la nature projet de droit, c’est la conception anthropo-éco-centrique de la nature.
b) La nature doit-elle être
synonyme d’un monde de profit, de marché, de court terme ?
Ou bien la nature doit-elle être
synonyme d’un monde de partage, de solidarité, de souveraineté alimentaire, « de frugalité conviviale »?
6) Pour conclure nous rappellerons trois avertissements symboliques :
Le rappel de la légende du roi Midas:
Bacchus consentit à donner au roi Midas ce qu'il demandait : changer en or tout ce qu'il toucherait. Au début le roi fut ébloui, mais ses aliments se changèrent eux aussi en or et, sur le point de mourir de soif et de faim, Midias supplie Bacchus de lui retirer ce don. Bacchus lui dit alors d'aller se plonger dans le fleuve Pactole qui, depuis ce jour, contient du sable d'or.(Pour l'histoire détaillée voir P.Commelin,Mythologie grecque et romaine, Pocket,1994)
« Il ne possédait pas l’or mais l’or le possédait » écrivait… Jean de La Fontaine.
« Les spéculateurs rendent la terre chauve et nue » écrivait David Henry Thoreau.
7) Le dernier mot sera celui de l’exhortation finale, à la fois désespérée et pleine d’espoir, du chef indien Seattle en 1854, dans son magnifique discours de résistance :
« Enseignez à vos enfants ce que nous avons toujours enseigné aux nôtres : la Terre est notre mère. Et tout ce qui arrive à la Terre arrive aux fils de la Terre. »