III- DES TEMPETES DE VIES EN QUESTIONS
15-Volontés
16-Courages
17-Solidarités
18-Responsabilités
19-Révoltes
20-Résistances
Voilà des formes de tempêtes dans des vies personnelles et collectives : volontés, courages, solidarités, responsabilités, révoltes, résistances.
15-VOLONTES EN QUESTIONS
Les volontés personnelles et collectives peuvent être étouffées mais les voilà naissantes, elles peuvent être dépassées mais les voilà résistantes, elles peuvent être étouffées mais les voilà à la recherches de nouveaux souffles.
-Face à des volontés étouffées des volontés naissantes.
« Eclore est une fracture, naitre est un effort. »(Shakespeare, dramaturge anglais, 1564-1616).
-Des volontés étouffées :
Des volontés ont été sont ou peuvent être étouffées par au moins sept séries de mécanismes.
-Volontés étouffées par une éducation à la soumission, elle s’exerce alors à travers l’apprentissage d’une l’obéissance omni présente, d’une soumission très forte à de multiples hiérarchies, l’intégration très vive de la fatalité, la déresponsabilisation qui amène à dire « je n’ai fait qu’obéir aux chefs »(quitte à désobéir à sa conscience), le discours-vérité auquel on doit se soumettre sans douter et sans poser de questions. Participent à ces éducations, et cela de diverses façons, certaines familles, une partie des institutions scolaires et universitaires, certaines formations, une partie des médias, certaines hiérarchies professionnelles qui peuvent être pesantes ou étouffantes …
-Volontés étouffées par une éducation à la compétition qui met en avant, avec obsession , le peloton de tête, l’excellence, les gagnants, le droit du plus fort, le culte de la croissance. On étouffe des volontés qui pourraient aller dans le sens de la coopération, de la solidarité, on oriente des volontés vers l’obsession de la puissance, « être ou ne pas être puissants », si vous n’êtes pas puissant (personne ou collectivité) vous êtes mort. On en arrive ainsi symboliquement à qualifier un Etat de « puissance », le mot n’est pas neutre. L’idéologie de la puissance a vraiment colonisé une partie des esprits.
-Volontés étouffées par l’administration des peurs
L’administration des peurs repose sur l’idéologie sécuritaire, le repli identitaire plus ou moins exacerbé, on élimine ou on gomme des différences, on organise la fabrication de l’image des ennemis intérieurs et ou extérieurs à une unité donnée. A l'extrême c'est l'utilisation de moyens de terreur par une personne,par un réseau,par un Etat, pour arriver à ses fins.
- Volontés étouffées par l’appel au grand remède miracle. On fait croire qu’il faut s’en remettre les yeux fermés à « La » solution qui va tout régler, ce remède miracle va sauver les êtres humains de tous les malheurs. Ainsi l’homme providentiel, l’élimination de boucs émissaires, la grande technique miracle (qui, par exemple, va « mettre la Terre à l’ombre » et nous dispenser des politiques de réduction des gaz à effet de serre),le grand sommet miracle (oui , un sommet peut parfois faire avancer des éléments d’une situation mais c’est au mieux un pas important, il en reste beaucoup d’autres.)
-Volontés étouffées par la fuite en avant qui est synonyme d’absence de prise de conscience des caractères destructeurs du productivisme, de dictature de l’instant consacré au « toujours plus ». L’accélération du système international n’est pas sans conséquences sur les décisions qui, souvent, n’ont pas le temps d’être muries, ou bien sont repoussées à une autre date, voire dans un autre lieu, on s’estime alors débordés par l’ampleur du dossier ou par d’autres décisions plus urgentes.
-Volontés étouffées par des oppressions, celles-ci sont politiques, économiques, sociales, culturelles.
-Volontés étouffées par des pratiques de règlement violent des conflits. Il s’agit soit de la violence d’oppression par laquelle on dicte sa loi, soit de la violence de soumission par laquelle on exerce une violence contre soi-même par rapport à des valeurs qui sont pour nous importantes mais que l’on enterre provisoirement ou définitivement.
- Des volontés naissantes :
Des volontés sont nées ou peuvent naitre, elles répondent aux logiques qui étouffent des volontés, là aussi existent sept séries de contre mécanismes.
-Volontés naissantes à travers l’éducation à la résistance c’est-à-dire la formation à l’esprit critique, à l’autonomie, à la prise de conscience des responsabilités personnelles et collectives.
-Volontés naissantes à travers l’éducation à la solidarité, cela à tous les niveaux géographiques et d’abord avec les plus faibles dans chaque société.
-Volontés naissantes à travers le principe de non-discrimination, fondé sur la mise en œuvre des égalités et sur le respect des différences. Nous naissons « égaux en dignité et en droits »(art.1 DUDH), il faut lutter pour préserver et conquérir ces égalités, et nous sommes différents. En ce sens le "vivre ensemble", le "faire ensemble" est une des réponses pour apprivoiser les différences, dépasser les peurs qui peuvent nous être imposées.
-Volontés naissantes à travers les apprentissages des responsabilités, apprentissages adaptés aux âges, aux lieux de vie, aux situations.
-Volontés naissantes à travers la prise de conscience des aspects destructeurs du productivisme, c’est-à-dire de ses aspects autoritaires, injustes, anti-écologiques, violents.
-Volontés naissantes à travers la gestation de libérations politiques, économiques, sociales, culturelles.
-Volontés naissantes à travers l’apprentissage du règlement non-violent des conflits, cela de la maternelle à l’université et dans d’autres lieux de vie. Ce règlement repose sur la résistance puisqu’on se montre assez fort pour être reconnu par les autres, il repose aussi sur la solidarité et la justice puisque l’on veut, ensemble, dans le respect des personnes, trouver des solutions justes.
-Face à des volontés dépassées : des volontés résistantes.
« La volonté est ce pouvoir de surmonter qui est tout l’homme.» ( Emile Chartier, dit Alain, philosophe, 1868 -1951)
-Des volontés dépassées.
Les volontés ont été sont ou peuvent se trouver dépassées par au moins six séries de mécanismes.
-Volontés dépassées par la complexité et la technicité du système productiviste. La complexité est liée à un grand nombre d’acteurs, à des interdépendances entre les activités, entre les niveaux géographiques, à une quantité impressionnante de données fournies par de nombreuses disciplines. Cette complexité est niée par le discours-vérité, par le discours sur le grand remède miracle, par le discours en vase clos. La technicité du réel est liée à la technique planétaire qui se répand, de façon inégale, à travers d’énormes complexes scientifico-technico- industriels, elle fait sentir son poids dans les processus de décision.
-Volontés dépassées par un processus de décision compliqué par un grand nombre de participants à la décision. Ainsi un nombre important de membres d’une famille, ainsi un nombre important de partenaires sociaux autour d’un dossier, ainsi un nombre important d’Etats dans une conférence internationale. Par exemple dans ce dernier cas il n’est pas rare que l’on décide… que l’on décidera plus tard, on reporte alors plusieurs fois les décisions qui seront ensuite plus douloureuses à prendre si le problème, la menace ou le drame s’est aggravé.
-Volontés dépassées par la rapidité du système mondial, liée par exemple à certaines technologies, à la banalisation de la vitesse, à l’omniprésence du court terme, aux interactions qui se développent très vite.
-Volontés dépassées par la puissance des intérêts productivistes qui se manifestent par de multiples concentrations de savoirs, de pouvoirs, d’avoirs.
-Volontés dépassées par l’absence de moyens ou des moyens souvent dérisoires pour remettre en cause le productivisme, que se soit par rapport à la dégradation de l’environnement, aux injustices, aux violences, aux aspects autoritaires du système international. Moyens souvent dérisoires dans la mesure où ils s’attaquent aux effets des problèmes des drames et des menaces et beaucoup moins à leurs causes. Moyens souvent dérisoires, par exemple financièrement, dans la mesure où des besoins criants ont pour réponse un linceul de silence.
-Volontés dépassées par l’arrivée de catastrophes qui peuvent briser, pour un temps plus ou moins long, des volontés, catastrophes dont on est loin de toujours tirer la pédagogie. Souvent soit on ne remonte pas aux causes, soit si on le fait on annonce des chemins de bonnes intentions mais ils seront ensuite pavés de renoncements successifs.
-Des volontés résistantes :
Face aux logiques qui amènent des volontés à être dépassées, on retrouve des volontés résistantes qui peuvent répondre aux six logiques précédentes par six séries de contre mécanismes.
-Volontés résistantes à travers l’apprivoisement de la complexité, le contrôle des techniques, de façon plus globale les remises à leurs places de la techno science et du marché mondial.
-Volontés résistantes prenant en compte un nombre important de participants à la décision. D’abord la démocratie en appelle à la reconnaissance et au respect de tous les participants. Ensuite l’efficacité de la décision face à des problèmes, des drames et des menaces en appellent à des processus porteurs de décisions. Il s’agit ici non seulement d’alliances entre les participants pour avancer, mais de possibilités laissées à certains, dont les décisions sont mûres, d’avancer avec d’autres, en attendant que tous les participants fassent de même. Enfin les processus participatifs ont vocation à voir le jour ou à se développer dans les régimes politiques (référendum d'initiative citoyenne etc...),encore faut-il et faudra-t-il qu'ils respectent le socle des droits de l'homme.
-Volontés résistantes à travers l’élaboration de politiques à long terme. On est débordé par les urgences parce que l’on n’a pas pris en compte le long terme .Il faut arriver à la fois à répondre aux urgences et à élaborer des politiques à long terme.
-Volontés résistantes à travers les regroupements et les actions en communde divers acteurs. L’imagination politique relative aux types d’alliances et aux types de stratégies ne devrait-elle pas se développer ?
Existe également une idée forte selon laquelle, pour construire ces visions stratégiques, il ne faut pas seulement s’interroger sur les forces des adversaires mais aussi sur ses propres faiblesses qui freinent ou empêchent ces regroupements, ces visions alternatives et ces mises en œuvre parfois communes de moyens .
-Volontés résistantes à travers la capacité de propositions relatives aux moyens de remettre en cause ici et là le productivisme.
-Volontés résistantes à travers une pédagogie des catastrophes répondant non seulement aux urgences mais s’attaquant aux causes de ces catastrophes.
- Face à des volontés essoufflées : des volontés à la recherche de nouveaux souffles.
« C’est au moment où il n’y a plus d’espoir qu’il faut commencer à espérer. » ( Jacques Ellul, 1912-1994, historien du droit, sociologue, penseur de la société technicienne, théologien).
Des volontés peuvent s’essouffler. (A) Des volontés sont à la recherche de nouveaux souffles(B).
-Des volontés essoufflées :
On trouve ici au moins quatre séries de mécanismes.
-Volontés essoufflées par la force de récupération du système productiviste, il peut récupérer des expressions et surtout des pratiques qui se voulaient différentes ou qui étaient en rupture avec lui.
-Volontés essoufflées par des échecs personnels et collectifspour changer l’ordre dominant et se changer soi-même en tant qu’acteur (personnes ou collectivités) lorsque c’est nécessaire.
-Volontés essoufflées par le sentiment du statu quo d’une petite avancée locale mais un statu quo global, ou bien d’une avancée globale qui ne se traduit pas localement.
-Volontés essoufflées par une érosion, par un épuisement des motivations personnelles et/ou collectives qui poussaient à agir.
- Des volontés à la recherche de nouveaux souffles :
Face aux logiques précédentes on trouve ici au moins quatre séries de contre-mécanismes.
-Volontés à la recherche de nouveaux souffles à travers des actes et des politiques agissant sur les faiblesses et sur les contradictions du système productiviste.
-Volontés à la recherche de nouveaux souffles qui consistent à essayer de tirer les leçons des échecs pour déterminer, si nécessaire, de nouvelles stratégies et de nouveaux moyens.
-Volontés à la recherche de nouveaux souffles en ne surestimant pas mais aussi en sous estimant pas les avancées du « local » et celles du « global », sans oublier leurs interpellations réciproques qui peuvent apparaître tôt ou tard.
-Volontés à la recherche de nouveaux souffles en cherchant en soi et avec les autres des motivations pour « rallumer la flamme » si elle a tendance à s’éteindre. En ce sens existent au moins (il y en a d’autres !) deux motivations qui peuvent être porteuses : le fait d’être fraternisés par des périls communs, le fait de vouloir donner aux générations futures la chance de vivre et d’aimer.
16-LES COURAGES EN QUESTIONS
Nous mettrons simplement ici en avant des pensées que nous aimons particulièrement.
-D’abord un texte général qui constitue la préface de l’ouvrage collectif sur « Le courage .En connaissance de causes. », Autrement,1992.
Il ne faut pas de courage pour naître ni pour être.
Il en faut parfois pour continuer d’être, ou pour cesser d’être.
Commencer de résister ne va pas de soi.
Résister c’est agir « au risque de » ou « malgré », malgré la peur, l’inertie le désir peut-être, l’obéissance parfois. Face à la menace, au danger ou aux faits eux-mêmes : la mort d’un proche, sa propre mort, la maladie, la barbarie..., il faut se tenir, entreprendre des ruptures, renouveler des contacts, pour ne pas se « lâcher ».
De la nature exacte de l’épreuve à surmonter, naît la qualité propre du courage : ce qu’il est, son contenu, son sens... « En connaissance de causes ». Car la lutte est une chose, son sens en est une autre, et l’on peut vite se laisser captiver par l’esthétique du courage, ébloui au point parfois d’oublier que le beau n’est pas le bien.
Oser déplaire, s’extirper de la grégaire complicité des rumeurs, des idées reçues, refuser les mimétismes, car le courage s’oppose au dogme. Pierre-Michel Klein
-Ensuite des citations lumineuses sur le courage :
Il faut commencer par le commencement. Et le commencement de tout est le courage. Vladimir Jankélévitch
Seul, battu des flots qui toujours se reforment/ Il s’en va dans l’abîme, il s’en va dans la nuit/ Dur labeur, tout est noir rien ne luit. Victor Hugo
Quand sur la route, mon frère, tu trébuches sur la pierre qui devient en grossissant une montagne et que tu t’arrêtes épuisé..., cherche, cherche bien : il existe un sentier. Quand tu l’as trouvé et que malgré le danger, tu as pu franchir la montagne, tu peux te retourner, mon frère, regarde derrière toi : la montagne est devenue une pierre. Revue Emmaus
La nuit n’est jamais complète / Il y a toujours, puisque je le dis,/ Puisque je l’affirme,/ Au bout du chagrin une fenêtre ouverte /Une fenêtre éclairée,/ Il y a toujours un rêve qui veille,/ Désir à combler, faim à satisfaire,/ Un cœur généreux,/ Une main tendue, une main ouverte,/ Des yeux attentifs,/ Une vie, la vie à se partager./ Paul Eluard
Son cœur était une goutte d’eau de lumière qui se battait avec le flot et remontait, obstinément, à contre-courant, le fleuve vagabond de la nuit. Nikos Kazantzaki
La plus grande victoire de l'existence ne consiste pas à ne jamais tomber mais à se relever après chaque chute.Nelson Mandela
Telle est la vie : tomber sept fois et se relever huit fois. Proverbe japonais
C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière ! Edmond Rostand
J’ai appris que le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité à la vaincre.
Nelson Mandela
Le grand courage c’est encore de tenir les yeux ouverts sur la lumière comme sur la mort. Au reste, comment dire le lien qui mène de cet amour dévorant de la vie à ce désespoir secret... Ce qui compte c’est d’être vrai et alors tout s’y inscrit, l’humanité et la simplicité. Albert Camus
Avoir la force d’accepter avec sérénité les choses qui ne peuvent changer. Avoir le courage de changer les choses qui doivent être changées. Et par dessus tout avoir la sagesse de discerner les unes des autres ! Sénèque
Il y a deux façons de se sortir des situations difficiles : les changer ou bien changer la façon de les voir. Or changer de regard sur les choses est une source d’expérience et de sagesse. Paul Wilson
On ne comprendra pas notre idéal ? Qu’importe ! Les quolibets pleuvront, lâches et dénigrants ? Courage amis ! La lutte n’est jamais trop forte, Le rêve n’est jamais trop grand ! Car la plus douce et la plus noble récompense Lorsqu’à se battre un contre cent on s’est usé, C’est de relire au fond de notre cœur brisé Ces mots qu’en lettres d’or grava la conscience: « Je ne t’ai jamais méprisé ». Raoul Follereau
Quand le mal a toutes les audaces le bien doit avoir tous les courages. Beaumarchais
Le vrai courageux n’attend pas des situations hors du commun pour manifester son courage. Le « courage de tous les jours » est son régime de vie. François Vaillant
-Enfin deux textes un peu plus longs et remarquables, le premier pratiquement inconnu, le second très célèbre.
-Ne pas céder face à la pluie/ Ne pas céder face au vent /Ne pas céder non plus face à la neige ou à la chaleur de l’été/ Avec un corps solide/ Sans avidité/ Sans perdre son tempérament /Cultivant une joie tranquille /Chaque jour quatre bols de riz complet/ Du miso et un peu de légumes à manger /Dans toutes les choses/ Sans y mettre ses émotions /Voir, écouter et comprendre /Et sans oublier/ Dans l’ombre des bois de pin des champs/Vivre dans une cabane au toit de chaume/ S’il y a un enfant malade à l’Est/ Y aller et le veiller/S’il y a une mère fatiguée à l’Ouest /Y aller et porter sa gerbe de riz/ S’il y a quelqu’un proche de la mort au Sud / Y aller et lui dire qu’il n’y a pas besoin d’être effrayé/ S’il y a une dispute ou un litige au Nord/ Leur dire de ne pas perdre leur temps en actes inutiles /En cas de sécheresse, verser ses larmes de sympathie/ Lors d’un été froid, errer bouleversé /Appelé un bon à rien par tout le monde /Sans être complimenté/ Ni rendu responsable/ Une telle personne Je voudrais devenir. Kenji Miyazawa
-Le courage c’est de ne pas laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre.
Le courage, courage de toutes les heures, c’est de supporter sans fléchir les épreuves de tout ordre, physiques et morales, que prodigue la vie.
Le courage c’est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions ou des forces, c’est de garder dans les lassitudes inévitables l’habitude du travail et de l’action.
Le courage, dans le désordre infini de la vie qui nous sollicite de toutes parts, c’est de choisir un métier et de le bien faire.
Le courage c’est d’être tout ensemble et quel que soit le métier un praticien et un philosophe.
Le courage c’est de comprendre sa propre vie, de la préciser, de l’approfondir, de la coordonner cependant à la vie générale.
Le courage c’est de dominer ses propres fautes, d’en souffrir mais de n’en plus être accablé et de continuer son chemin.
Le courage c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel, c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense.
Jean Jaurès
17-LES SOLIDARITES EN QUESTIONS
-Solidarités : quelques pensées lumineuses .
Etre une conscience c’est s’éclater vers le monde.
Jean-Paul Sartre
Passer de la question du souci de soi à celle du destin de tous.
Jean Cardonnel
Agis donc de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen.
Emmanuel Kant
Nous savons désormais que dans la recherche éperdue et démente du salut il n’y a point de salut. Mais enfants perdus de la Terre que nous sommes nous pouvons sauver la solidarité terrestre.
Edgar Morin
Il faut qu’une conscience écologique de la solidarité se substitue à la culture de la compétition et de l’agression qui régit actuellement les rapports mondiaux.
Edgar Morin
Je suis tombé par terre/ C’est la faute à Voltaire /Le nez dans le ruisseau /C’est la faute à...
Victor Hugo (Gavroche)
J’ai frappé / A la porte/ J’ai frappé /A ton cœur/ Pour avoir un bon lit/ Pour avoir un bon feu/ Pourquoi me repousser ?/ Ouvre moi Mon frère.
René Philombe
N’importe quelle gifle donnée à n’importe quel homme en n’importe quelle partie du monde, chacun doit la ressentir comme s’il l’avait reçue sur sa propre joue.
Che Guevara
On ne fera pas un monde différent avec des gens indifférents.
Arundhati Roy
Je te le disais la solidarité c’est la tendresse des peuples.
Giaconda Belli
Notre premier devoir c’est la solidarité humaine.
Susan Sontag
Désormais la solidarité est celle de l’ensemble des habitants de la Terre.
Albert Jacquard
Me voilà ici, le ventre vide, comme un enfant assassiné sous les balles torrides des déserts asséchés, le ciel dans les bras, chez l’occident, j’ai roulé la terre et tamisé les eaux, pour le sourire de mon enfant. Là-bas, sous les horizons du Nord, j’ai rencontré le rire d’un bel enfant, son visage était radieux, il ressemble à mon enfant, mon enfant a faim.
On dit que l’espace est coupé, que l’espace est déchiré, que des droits existent pour une partie du monde et que, finalement, le Sud est une misère à cacher, une souillure à voiler. Mais savent-ils que le Nord n’est pas le Nord et que ce Sud est un mot, que partout on meurt, le rire cassé, qu’un cimetière du Sud et les tombes maquillées de fleurs sont les larmes des mères, les maux de mes filles.
Ben Kamara
« Docteur, dit Rambert, je ne pars pas et je veux rester avec vous. »(...) Rieux répondit qu’il n’y avait pas de honte à préférer le bonheur. « Oui, dit Rambert, mais il peut y avoir honte à être heureux tout seul. (...) J’ai toujours su que j’étais étranger à cette ville et que je n’avais rien à faire avec vous. Mais maintenant que j’ai vu ce que j’ai vu, je sais que je suis d’ici, que je le veuille ou non. Cette histoire nous concerne tous. ».
Albert Camus
Qui maintenant pleure quelque part dans le monde/ Sans raison pleure dans le monde, / Pleure sur moi./ Qui maintenant rit quelque part dans la nuit,/ Sans raison rit dans la nuit,/ Rit de moi./ Qui maintenant marche quelque part dans le monde,/ Sans raison marche dans le monde ,/ Vient vers moi. /Qui maintenant meurt quelque part dans le monde,/ Sans raison meurt dans le monde,/Me regarde.
Rainer Maria Rilke
Un acte de résistance ? Dans « Elephant man » la victime poursuivie se dresse soudain et crie : « Mais enfin, je suis un homme! » Un acte de solidarité ? Dans « Le Kid » le vagabond s’élance sur tous les toits du monde pour retrouver l’enfant perdu, rien ne lui semble impossible.
Les cœurs des personnes et des peuples peuvent battre plus fort, ils appellent aux sociétés de libertés, d’égalités, de solidarités, aux sociétés de tendresse.
L’auteur de ce blog
L’héroïsme ce n’est pas de se tenir debout à tout prix. L’héroïsme c’est d’accepter de tomber en solidarité avec tous ceux qui paient leur tribut à la fragilité humaine.
Léonardo Boff
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-Solidarités et gouttes d’eau
-Que peut apporter une goutte d’eau ?
Une action de solidarité est souvent qualifiée de « goutte d’eau dans l’océan. » On peut alors vouloir dire qu’elle est dérisoire. Une vérité saute cependant aux yeux pourvu qu’on les ouvre : une goutte d’eau est limitée mais elle peut être nécessaire et avoir vocation à s’étendre.
Elle a une valeur et une force liées à quatre éléments qui s’interpellent, se complètent, se soutiennent et s’inclinent les uns vers les autres. Quels éléments ?
-Gouttes d’eau et contenu de l’action.
D’abord certes cette action ne change pas le monde mais peut changer la vie ou une partie de la vie d’une personne, d’une famille, d’une entreprise, d’un village, d’un quartier, voire d’une ville, d’une région ...proche ou lointaine.
Ensuite cette action voit le jour dans l’un des quatre grands domaines de valeurs (démocratie ou justice ou environnement ou paix) et peut s’étendre aux autres domaines, ce sont alors des inter actions qui prennent une certaine ampleur.
Enfin ce qui parfois nous apparait comme un échec va, dans le temps, devenir une semence. Et l’optimisme de la volonté, il en faut beaucoup parce que ça réduit à la cuisson !
-Gouttes d’eau et personnes qui agissent
Une action peut à la fois changer une situation et nous changer nous-mêmes.
D’abord on « tombe » en solidarité avec des personnes et des sociétés fragiles, discriminées, exploitées, exclues. « Qu’as-tu fait de ton frère ? » est une question qui peut éclairer des consciences ou être un des éclairs qui déchire la conscience. Voient le jour des remises en cause d’atteintes à la dignité humaine. Et il arrive qu’au lieu de se demander « qu’est-ce que je risque si je vais dans cette situation conflictuelle ? » on se demande « qu’est-ce que risque l’Autre si je ne n’y vais pas ? »
Ensuite on montre, en particulier dans la vie associative, que l’on peut passer d’une culture de compétition et de soumission à une culture de solidarité et de résistance.
Enfin on témoigne, comme le dit un proverbe, que « si l’on veut faire quelque chose on trouve un moyen et que si l’on veut ne rien faire on trouve une excuse. »
-Gouttes d’eau et liens entre le local et le mondial
« Penser globalement et agir localement », « penser localement et agir globalement », ces deux idées se complètent.
D’abord l’enjeu est de faire évoluer ou de changer un système qui assassine le vivant et l’humanité. Passer d’un monde sans limites et compétitif à un monde responsable et solidaire.
Ensuite des alternatives locales peuvent contribuer à soutenir des changements plus vastes, ceux d’un pays, d’un groupe de pays, d’un continent, ou de la Terre, notre foyer d’humanité.
Enfin à une petite échelle des erreurs peuvent être remises en cause plus vite et de nouveaux chemins apparaitre plus clairement, ceux des possibles et malgré tout des « impossibles ».
-Gouttes d’eau et ensemble des générations
On s’inscrit dans une fraternité et une solidarité intergénérationnelles.
D’abord vis-à-vis des générations passées qui, lorsqu’elles ont lutté contre les forces de mort, ont mis au monde des libertés, des égalités, des solidarités. Les actions de solidarités sont ainsi des devoirs de mémoire et de gratitude. Et les souffles de ces ancêtres peuvent contribuer à nous donner des forces.
Ensuite les générations futures nous demandent de leur laisser des marges de manœuvres pour devenir ce qu’elles voudront être. Leurs appels peuvent contribuer à nous porter.
Enfin les générations présentes qui, si elles mettent en œuvre des moyens démocratiques, justes, écologiques et pacifiques, portent cette espérance qui les porte à son tour.
Ainsi non seulement la goutte d’eau est dans l’océan mais, d’une certaine façon l’océan est déjà là dans la goutte d’eau. De la goutte d’eau à la rosée il n’y a qu’un pas. Rosée du matin, aube d’humanité, printemps d’espérance.
18-LES RESPONSABILITES EN QUESTIONS
Après avoir rappelé quelques citations nous mettrons en avant une série de responsabilités aux conséquences de plus en plus dramatiques dans le domaine environnemental.
-Quelques citations lumineuses
Nous sommes tous responsables de tout devant tous et moi plus que tous les autres.
Dostoïevski
Vous connaissez cette phrase de Dostoïevski : « Nous sommes tous responsables de tout devant tous et moi plus que tous les autres. ». Non pas à cause de telle ou telle culpabilité effectivement mienne, à cause des fautes que j’aurais commises, mais parce que je suis responsable d’une responsabilité totale, qui répond de tous les autres et de tout chez les autres, même de leur responsabilité.
Emmanuel Levinas
Je crois que nous naissons innocents et que nous avons à nous rendre responsables, que nous ne pouvons jamais prévoir toutes les conséquences de nos actes mais qu’il y a toujours, malgré tout, quelque chose à tenter, quelque entreprise commune à engager.
Francis Jeanson
Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé.
Antoine de Saint-Exupéry
Dès lors que l’on ne croit plus en Dieu ni en la survie dans l’au-delà, c’est l’Homme qui devient responsable de tout ce qui vit, de tout ce qui, dans la douleur, est voué à souffrir de la vie.
Nietzsche
Nous avons atteint l’âge d’homme, ce qui signifie que nous sommes responsables de nous-mêmes à un point jamais égalé dans l’histoire des sociétés modernes. Cette augmentation de la responsabilité nous rend, dans son mouvement même, plus vulnérables, car elle suppose d’accroître la capacité de chacun à agir à partir de son autorité privée et de son jugement personnel sans lesquels on bascule dans l’impuissance et la souffrance psychique.
Alain Ehrenberg
Respecter les générations futures c’est construire une société humainement soutenable en particulier appliquer le principe de précaution en maîtrisant la technoscience et redéfinir le droit de la responsabilité en tenant compte de la valeur même des biens naturels en dehors de tout usage socio-économique immédiat.
Voulons-nous demain des petits enfants sujets de leurs propres vies ou objets de la vie de quelques générations qui n’auront pas su prendre aujourd’hui leurs responsabilités ?
L’auteur de ce blog
Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre.
Hans Jonas
- LES RESPONSABLES DE LA DEBACLE ECOLOGIQUE
D’abord pour comprendre comment nous en sommes arrivés à cette situation présente n’est-il pas nécessaire de resituer les responsabilités de la dégradation environnementale dans le temps, cela avant l’anthropocène puis pendant celui-ci c'est-à-dire cette période de la domination de l’homme sur l’environnement d’environ 170 ans ? Doivent déjà apparaitre de nombreux acteurs de cette débâcle écologique.
On ne saurait oublier dans cette histoire les nombreux avertissements sur la route de cette débâcle écologique
Ensuite il s’agira de constater les logiques profondes du productivisme. Celles-ci devraient nous permettre de mettre en avant les mécanismes des responsabilités. Ce sont ces logiques qui produisent aujourd’hui la débâcle écologique.
Sera alors venu le temps de souligner des critères de détermination des responsabilités et avec eux devraient apparaitre encore mieux les acteurs qui, aujourd’hui, sont responsables de cette débâcle.
- UNE SYNTHESE DE L’HISTOIRE DES RESPONSABILITES DE LA DEBACLE ECOLOGIQUE
Les proportions dans le temps sont impressionnantes et nous appellent à une certaine humilité ou plutôt à une humilité certaine. En effet si l’on ramène l’âge de la Terre à 24 heures, l’homme apparait les 5 dernières secondes et l’anthropocène (époque industrielle) correspondrait aux 2 derniers millièmes de la dernière seconde.
Nous distinguerons l’immense période des débuts de l’humanité jusqu’à l’anthropocène (1)
puis les 170 dernières années (1850-2020…) de cette domination de l’homme sur la biosphère. (2).
- Des débuts de l’humanité (2 millions d’années) jusqu’à l’anthropocène (1850)
- La période de dépendance de l’homme par rapport à la nature est immense puisqu’elle s’étend des origines de l’humanité c'est-à-dire du genre Homo (2 millions d’années) (sans remonter à Tumai, 7 millions d’années ou à Lucy, 3 millions d’années) jusqu’à environ 11700 ans avant notre ère (la fin de la dernière période glaciaire).
Les êtres humains étaient vraisemblablement complètement dépendants de la nature. La lignée humaine vivait de la chasse, de la pêche, de la cueillette. Une certaine forme « d’harmonie » existait probablement entre de petits groupes et la nature ce qui n’excluait pas des attaques de bêtes fauves et l’arrivée de catastrophes écologiques, mais la nature était considérée comme une mère, comme une déesse.
- La période d’apparition d’un pouvoir de l’homme sur la nature se situe de la fin de l’holocène et s’étend donc sur les 11700 dernières années et cela jusqu’à la révolution industrielle en Angleterre et en Europe à la fin du XVIIIe siècle.
Le phénomène de sédentarisation voit le jour, ainsi que l’élevage d’animaux, l’irrigation, la création de réserves d’eaux et de céréales. C’est l’invention de l’agriculture, autrement dit la transformation et la mise en valeur du milieu naturel pour obtenir des produits végétaux et animaux utiles à l’homme. Ce pouvoir sur la nature se traduit donc par l’utilisation des ressources naturelles.
Il n’en reste pas moins que la plupart des sociétés à cette époque refusent la séparation de l’être humain par rapport à la nature dont on se considère comme partie intégrante ou simplement associé à elle-même si on commence à la dominer.
- On arrive ainsi à une période de soumission de la nature. Du XVIe au XIXe siècle c’est le grand tournant dans les théories et les pratiques entre l’être humain et la nature.
La nature devient un objet au service de l’homme. La science et la raison humaine se trouvent face aux objets naturels, et l’Europe exploite les hommes et la nature à travers la colonisation.
Un débat sur les rapports entre les êtres humains et la nature apparait et continue jusqu’à nos jours.
La Bible avait déjà en avant cet impératif « Soyez féconds, emplissez la terre et soumettez-la. » Certains insisteront sur le fait que Dieu a donné la terre à l’homme pour qu’il la soumette mais non pour qu’il la détruise. Va ainsi dans ce sens l’encyclique du pape François de mai 2015 « Laudato si », Loué sois-tu, qui met en avant la « sauvegarde de la maison commune.»
Sur la période du XVIIème à nos jours on peut souligner deux textes clefs symboliques, l’un de Descartes, l’autre de Lévi-Strauss.
En faveur de cette possession de la nature citons Descartes : « […] connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent […] nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie […].»(Discours de la méthode, 1637, 6e partie, classique Larousse).
Dénonçant ce déferlement de violence de l’homme contre le vivant, Claude Lévi-Strauss écrira beaucoup plus tard en 1973:
« On a commencé par couper l’homme de la nature, et par le constituer en règne souverain ; on a cru effacer ainsi son caractère le plus irrécusable, à savoir qu’il est d’abord un être vivant. Et en restant aveugle à cette propriété commune, on a donné le champ libre à tous les abus […]. » (Anthropologie structurale, Plon, 1973, p. 53)
C’est cette autodestruction qui nous a amenés au bord du gouffre. Comment ?
-Les responsabilités des acteurs de l’anthropocène dans la débâcle écologique
La première révolution industrielle est synonyme de mécanisation, de développement minier et métallurgique, d’urbanisation… Mais c’est la deuxième révolution industrielle à partir de 1850-1880 qui va encore changer le rapport à la nature à travers en particulier l’utilisation de nouvelles énergies : pétrole, gaz, mais surtout le développement du charbon. Les forêts représentaient encore la source d’énergie essentielle en 1850, cinquante ans plus tard c’est le charbon. Les sociétés s’urbanisent, la nourriture et l’énergie sont achetées, les paysans commencent à devenir moins nombreux. On est entré dans l’anthropocène.
- En premier lieu le terme d’anthropocène de plus en plus reconnu scientifiquement.
Il a été inventé en 2002 par un chercheur (Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, 1995) qui affirme que nous avons changé d’ère géologique. Nous sommes entrés dans une ère dont l’homme est devenu « la force dominante ». Après la dernière glaciation, les plus de dix mille années de l’ère holocène étaient à une température stable et relativement chaude, elle a permis l’apparition de l’agriculture et des civilisations.
Cette nouvelle ère dominée par l’homme commence il y a environ 250 ans (machine à vapeur 1769) si on la fait naitre à la révolution industrielle (Angleterre fin XVIIIème, France début XIXème).
D’autres pensent qu’il est plus juste de la situer au moment de l’explosion des énergies fossiles à partir de 1850 avec le charbon ensuite le premier puits de pétrole qui arrive en 1859. De 1850 à 2020 l’anthropocène a donc, à ce jour, environ 170 ans.
L’ère de l’anthropocène peut se ramener à trois éléments :
à partir de 1850 c’est l’utilisation massive des énergies fossiles,
au XXème siècle la population est multipliée par quatre (en 1900 :1,6 milliard d’habitants, en 2000 : 6,1milliards) ( et fin 2019 : 7,7 milliards),
la consommation d’énergie multipliée par 8,3 (en 1900 : 965 millions de tonnes équivalent pétrole(TEP) en 2000 : 8000 millions TEP) ( et en 2015 : 13,649 millions de TEP).
- En second lieu voilà les dominations de quelques Etats et de quelques unes de leurs entreprises.
C’est d’abord l’Angleterre qui plonge dans l’exploitation de la houille au début du XIXème. Pourquoi ? Parce qu’il y avait une crise de la principale ressource énergétique en Europe, les forêts en effet ne suffisent plus, elles sont victimes d’une déforestation et le prix du bois augmente.
Accompagnant le charbon apparaissent les machines à vapeur, les fonderies, arrive aussi l’exploitation de matières premières de pays colonisés, par exemple le coton des Amériques. L’Angleterre domine le monde, le colonialisme marche côte à côte avec le capitalisme.
Ce sont ensuite les Etats-Unis qui se lancent dans une seconde énergie fossile qui est nouvelle, le pétrole. A partir du premier puits en 1859 c’est la ruée vers « l’or noir. »
Une entreprise, la Standard Oil de Rockfeller, apparait en 1870 avec ses extractions, ses pipe lines, ses tankers. Avec le pétrole la révolution industrielle se développe, ainsi voilà l’éclairage, le chauffage, le béton…Les firmes pétrolières vont aussi en Russie, en Iran. Total apparait en 1924. Quant à la marine anglaise elle abandonne le charbon pour le mazout.
- En troisième lieu voilà les deux guerres mondiales dont l’environnement est aussi une victime, voilà aussi les débuts de la société de consommation …
La guerre est synonyme de souffrances humaines, de destructions matérielles et aussi de destructions environnementales considérables non seulement par les conflits armés qui font de la nature une victime blessée, meurtrie, détruite mais, aussi, par la production des armements qui font une utilisation massive, permanente et dramatique des matières premières. (Voir nos articles « Conflits armés et environnement »).
Elle est aussi synonyme de fortunes industrielles à partir des constructions d’avions, de canons, de chars, de munitions. La guerre est un coup de fouet pour le capitalisme.
L’organisation scientifique du travail à la chaine, le taylorisme, définie en 1880 , se développe. La chimie et des industries apparaissent, on tue l’ennemi (gaz de combat dès la Première guerre mondiale, zyklon B des chambres à gaz, agent orange au Vietnam). On se lance dans l’agriculture productiviste et on pollue aussi une partie du vivant avec en particulier des pesticides. L’entreprise Monsanto est créée en 1901, elle se spécialise dans les biotechnologies agricoles.
La rue commence à appartenir aux voitures, symboles de modernité, des productions apparaissent, Renault en 1898, Ford en 1903, General Motors en 1908.Les Etats-Unis, après la grande crise de 1929 et la sortie de la Seconde guerre mondiale, se développent tous azimuts.
- En quatrième lieu voilà l’après guerre de 1945 et « la grande accélération » de 1950 à nos jours avec les sociétés de consommation
C’est l’après guerre de 1945 à 1950 puis « la grande accélération de l’anthropocène » de 1950 à nos jours… Les armes nucléaires ouvrent une ère de menaces sur l’humanité et la nature. La guerre froide est une course effrénée entre les « supergrands », Etats-Unis et Union soviétique, à travers entre autres une course aux armements destructrice de l’environnement.
C’est le temps aussi de la consommation de masse à travers voitures, constructions de logements, appareils électroménagers, industries agro alimentaires…En ce sens on peut dire que les consommateurs ont des responsabilités variables selon les contenus et les quantités de consommation, le fait par exemple d’une surconsommation de viande est une des causes de la déforestation au profit des pâturages.
Cette consommation explose dans l’ensemble des pays du Nord de la planète et peu à peu dans les pays émergents.
L’explosion démographique dans les pays du Sud et celle de la pauvreté qui y est attachée ajoutent aux problèmes, drames et menaces écologiques.
Telle est cette histoire des responsabilités. Quelle est celle des avertissements ?
- DE NOMBREUX AVERTISSEMENTS FACE A LA DEBACLE ECOLOGIQUE
On peut toujours se dire que les acteurs, personnels et collectifs, de ces avertissements n’ont pas été assez nombreux, radicaux, tenaces, volontaires , organisés puisque la débâcle écologique est là.
On ne saurait oublier pourtant des militants et militantes qui ont payé de leurs vies leurs engagements. Et d’autres qui ont commencé des remises en cause dans leurs théories et leurs pratiques.
On ne saurait oublier tous ces actes porteurs de certains changements et se dire que la débâcle écologique aurait pu être plus rapide et plus massive s’ils n’avaient pas été là.
On ne saurait oublier enfin la puissance des forces et des logiques du productivisme.
Si l’on résonne en termes de personnes voilà , symboliquement , les uns après les autres, une foule qui serait probablement la suivante :
en tête l’immense cortège des humains et de l’ensemble du vivant, victimes des problèmes des drames et des menaces environnementaux, dont les survivants témoignent,
viennent ensuite des auteurs anti productivistes ,
puis des scientifiques, des militants d’associations,
des fonctionnaires d’organisations internationales,
d’ autres auteurs de nombreuses disciplines,
des politiciens,
des parties de populations qui prennent conscience et se remettent en cause…
Des avertissements sur la dégradation mondiale de l’environnement commencent et se multiplient mais le productivisme continue.
Dégradation des ressources naturelles, catastrophes écologiques, menaces de diverses sortes, réchauffement climatique, espèces décimées, pollutions multiples : le doute accompagne la toute-puissance. Trois approches de l’environnement apparaissent et se sont développées avant tout sous la pression des problèmes, des drames et des menaces écologiques.
L’approche scientifique de l’environnement (1),
l’approche socio-économique de l’environnement(2),
l’approche politico-juridique(3).
- L’approche scientifique de l’environnement se développe.
L’étude des relations des espèces avec leurs milieux a produit des premiers effets seulement au XIXe siècle. Des historiens de l’écologie ( Acot, Deléage, Drouin) à la fin des années 1980 ont montré que l’écologie scientifique est plus que centenaire. Les concepts sont nés en Europe au XIXème puis ont gagné les Etats-Unis. Au XIXème retenons la botanique géographique avec Humboldt et Warming, puis bien sûr la théorie de l’évolution avec Darwin. En 1866 Haeckel est l’inventeur du terme écologie. Au début du XXème voilà les premières études de la biosphère, voilà aussi l’écosystème puis l’écologie animale, la chaine alimentaire, la niche écologique, les points chauds de la biodiversité…
Voilà des études des Nations Unies, de réseaux de chercheurs et d’ONG sur la dégradation de la biodiversité.
Voilà aussi les climatologues et leurs travaux, en particulier à partir du premier rapport du GIEC en 1990, ils alertent la communauté internationale sur le réchauffement, ces travaux ont été primordiaux dans la prise de conscience. Les autres rapports sont de 1995 , .2001 , 2007, 2013-14, 2019 (rapport spécial sur les océans et les zones glaciaires), le prochain sera publié le premier semestre de 2022.
Il faut cependant souligner que si Arrhenius, chercheur suédois, avait expliqué en 1895 le rôle de l’effet de serre , de 1895 à 1956 c’est le silence chez les climatologues alors qu’une commission internationale de climatologie avait été créée en 1926. En 1956-57 des chercheurs aux Etats-Unis reprennent cette hypothèse et la précisent mais de 1956 à 1976 c’est une obstruction de la part des climatologues dominants aux Etats-Unis et en Europe qui écrivaient que le monde s’acheminait vers un petit âge glaciaire.
(Voir notre article in « Incertitude juridique, incertitude scientifique », Presses universitaires de Limoges, 2001).
Le GIEC sera enfin créé en 1988.
- L’approche socio-économique de l’environnement se trouve face à la puissante machine productiviste.
Elle a été plus tardive : il a fallu attendre 1960 pour que l’idée selon laquelle les ressources naturelles n’étaient pas forcément illimitées commence à être prise en compte !
C’est le fameux rapport demandé à des chercheurs du Massachussets Institute of Technologie par le Club de Rome en 1970 et publié en 1972, « Les limites à la croissance », qui avertit clairement que le monde va vers un effondrement sous les effets conjugués de la pollution, de l’explosion démographique et du manque de ressources. On ne peut avoir de croissance illimitée dans un monde limité.
A ces auteurs se joignent les ouvrages et articles de philosophes, de sociologues , d’économistes et de beaucoup d’autres qui lancent de multiples avertissements et proposent des alternatives.
Il faut souligner ici également le rôle essentiel des associations, des ONG dans la prise de conscience des citoyens, dans les pressions sur les pouvoirs politiques, dans la mise en avant d’alternatives.
- L’approche politico-juridique de l’environnement dramatiquement lente.
En premier lieu au niveau international on peut retenir la date de la Conférence de Stockholm de 1972, moment de prise de conscience de la responsabilité des États, l’environnement devient un enjeu politique. Les États ont été obligés de répondre — nationalement, régionalement, internationalement — à cette pression des faits et des opinions publiques. En 1992 la Conférence de Rio marquera des avancées juridiques, mais celle encore à Rio en 2012 marquera une récession des volontés.
Rappelons que c’est en 1972 à la Conférence de Stockholm qu’est évoqué pour la première fois au niveau de l’ensemble les Etats le danger du réchauffement climatique, qu’il faut attendre 1992 pour voir une convention, 1997 pour qu’arrive son protocole, 2005 pour qu’il entre en vigueur, 2015 pour un nouvel accord à Paris qui est entré en vigueur en 2016, soit au total 44 ans (1972-2016) pour faire les « premiers pas » ! Certes un chemin de mille pas commence par quelques pas, mais quel est le temps qui reste pour construire cet intérêt commun de l’humanité ?
On a donc, souvent, décidé … qu’on déciderait plus tard. On retrouve cette tendance lourde dans la plupart des conférences climatiques précédentes. « A l’auberge de la décision les gens dorment bien » dit un proverbe. Les délégations étaient certes motivées pour l’Accord sur le climat de 2015, en surmontant parfois des intérêts nationaux, en dégageant parfois des intérêts communs, ce qui n’était pas rien, mais lorsque l’intérêt commun de l’humanité les appelle pourquoi ne répondent-elles pas ?
En second lieu l’Accord de Paris, sans remises en cause des responsabilités, persiste dans des formes d’injustice climatique.
Ce consensus pour trouver un accord entre les Etats est la preuve, affirment certains, qu’il y eu un compromis porté la justice climatique c’est à dire par la reconnaissance que les pays développés et les pays en développement ont du principe consacré à nouveau par l'Accord (principe déjà présent dans la Convention de 1992 et dans le Protocole de 1997)des responsabilités communes mais différenciées dans le changement climatique et que leurs capacités respectives à y faire face sont inégales.
-Mais sont renvoyés dans le préambule (ce qui est mieux que rien mais qui n’est pas assez contraignant) les impératifs d’une transition juste, le respect des droits de l’homme, des droits des peuples autochtones, l’équité entre les générations. Vous avez dit justice ?
- En plus de cela il y a, dirait Aragon, un « silence qui a le poids des larmes », celui sur les déplacés environnementaux et sur leurs droits. Quelle honte, quelle tristesse, quelle fuite devant les responsabilités ! On sait qu’ils sont et seront surtout dans les pays du Sud. Voilà qui en dit long sur ce qui constitue déjà, aux yeux de certains, de nouvelles classes dangereuses en voie d’explosion dans les décennies à venir. Au moins aurait-on pu avoir le courage minimal d’annoncer la nécessité d’une réunion internationale spécifique. Vous avez dit justice ?
-Aucun mécanisme clairement défini pour faciliter le transfert des technologies, pour supprimer des barrières à l’accès, barrières liées aux droits de propriété intellectuelle. Vous avez dit justice ?
-Egalement certes les parties qui reconnaissent la nécessité d’éviter et de réduire au minimum les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques et d’y remédier mais la décision de la COP précise que « l’Accord ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation. » Les pays développés refusent de devoir indemniser les pays en développement pour les dommages climatiques. Vous avez dit justice ?
-Enfin l’absence aussi d’un tribunal international sur la justice climatique, même si on peut estimer très positif le fait que des associations saisissent des tribunaux nationaux pour poursuivre l’Etat considérant qu’il ne faisait pas assez pour lutter contre le réchauffement climatique. Vive la justice climatique !
(Voir sur ce site notre article « l’Accord de Paris sur le climat.» ).
Certes ces approches scientifiques, socio-économiques et politico-juridiques ont eu ici et là des aspects positifs.
Mais les logiques et la puissance du productivisme ont empêché des contre-mécanismes, radicaux et à tous les niveaux géographiques , de se mettre en place.
Les groupes de pression industriels, la puissance de la financiarisation (banques, bourses…) à partir de 1971 (date de la fin de la convertibilité du dollar en or), l’arrivée des pays émergents dans le système productiviste, tous ces éléments font que cette course effrénée continue.
On en arrive ainsi en 2020 à plus de 1400 milliards de tonnes de dioxyde de carbone accumulés depuis deux siècles et prisonniers dans la basse atmosphère c’est à dire entre 0 et 15 km au dessus du niveau de la mer.
Un documentaire remarquable intitulé « L’homme a mangé la Terre », de Jean-Robert Viallet ( Arte , 2019). se termine en affirmant que « l’anthropocène est peut-être un point de non retour. »
Les collapsologues se multiplient, ils croient à « l’effondrement » de la civilisation industrielle dans les années et les décennies qui viennent.
D’autres , comme Edgar Morin, croient encore à une « métamorphose de l’humanité » .
Telle est cette synthèse des avertissements écologiques. Quelles sont les logiques des responsabilités environnementales ?
- LES LOGIQUES PROFONDES ET LES RESPONSABILITES DE LA DEBACLE ECOLOGIQUE
Ces logiques sont au nombre de douze, elles peuvent être regroupées en six points .(sur « Les causes de la débâcle écologique » voir nos quatre articles).
-La recherche du profit, la financiarisation de l’économie, l’expropriation des élu(e)s et des citoyen(ne)s.
- La recherche du profit est un mobile puissant pour des organismes et des personnes. Elle met de côté d’autres logiques qui ne la favorisent pas, ainsi la protection écologique… sauf si celle-ci lui apparait rentable.
- La financiarisation de l’économie est synonyme de fructification des patrimoines financiers avec des opérateurs, à la fois puissants et fragiles, qui ont donc des logiques spécifiques .
-L’expropriation des élu(e)s et des citoyen(ne)s n’a-t-elle pas tendance, ici ou là, à apparaître ou à se développer ? Ainsi les marchés financiers n’entraînent-ils pas une expropriation du politique par le financier ? La primauté du libre-échange et la puissance des firmes géantes n’entraînent-elles pas une expropriation du social par l’économique ? La compétition n’entraîne-t-elle pas une expropriation de la solidarité par l’individualisme ? La vitesse n’est-elle pas un facteur de répartition des richesses et des pouvoirs qui défavorise ou rejette des organismes et des individus plus lents ?
- L’efficacité économique et la priorité du court terme.
- L’efficacité économique est synonyme du moment où, cessant d’être au service de la satisfaction de véritables besoins, la recherche d’efficacité devient sa propre finalité.
- La priorité du court terme est synonyme de dictature de l’instant au détriment d’élaboration de politiques à long terme qui soit ne sont pas pensées en termes de sociétés humainement viables, soit ne sont pas mises en œuvre et disparaissent dans les urgences fautes de moyens et de volontés.
On est loin de certaines tribus d’indiens qui prenaient des décisions en essayant de penser leurs effets sur plusieurs générations…
- Le culte de la croissance, la course aux quantités, la conquête et la défense des parts de marchés.
- Le culte de la croissance est synonyme du « toujours plus », de course aux quantités, de mise en avant de critères économiques supérieurs aux critères sanitaires, environnementaux, sociaux, culturels, de surexploitation des ressources naturelles, de fuite en avant dans une techno science qui a tendance, ici et là, à s’auto reproduire et à dépasser les êtres humains.
- La course aux quantités est synonyme d’une surexploitation des ressources naturelles, de surproductions, de créations de pseudos besoins alors que des besoins vitaux ne sont pas satisfaits pour la grande majorité des habitants de notre planète.
-La conquête et la défense des parts de marché est synonyme d’un libre-échange tout-puissant qui repose sur des affrontements directs, des absorptions des faibles par les forts, des guerres des prix, des efforts de productivité qui poussent à de nouvelles conquêtes de nouveaux marchés.
-La marchandisation du monde et de la nature, la domination sur la nature.
- La marchandisation du monde est synonyme de transformation, rapide et tentaculaire, de l’argent en toute chose et de toute chose en argent. Voilà de plus en plus d’activités transformées en marchandises, d’êtres humains plus ou moins instrumentalisés au service du marché.
-La marchandisation de la nature. Les éléments du vivant (animaux, végétaux) sont décimés, les éléments de l’environnement sont entrés dans le marché (eaux, sols, air…).Dans ce système « tout vaut tant », tout est plus ou moins à vendre ou à acheter. (Voir « La marchandisation de la nature » voir nos trois billets sur ce site et notre article in Mélanges en l’honneur de Soukaina Bouraoui, Mahfoud Ghezali et Ali Mékouar, Hommage à un printemps environnemental, PUF,2016.)
- La domination sur la nature fait de celle-ci un objet au service des êtres humains, ses ressources sont souvent exploitées comme si elles étaient inépuisables, de toutes façons certains pensent que l’homme est capable de se substituer peu à peu à la nature à travers une artificialisation totalisante, il commence à se dire même capable, après l’avoir réchauffée, de « mettre la Terre à l’ombre » par de gigantesques projets technologiques (géo-ingénierie).
-La militarisation du monde.
-Cette logique profonde est synonyme de recherches scientifiques à des fins militaires en particulier sur les armes de destruction massive, synonymes d’industries d’armements, de camps militaires et de grandes manœuvres, de régimes militaires ou de poids de l’armée dans des régimes politiques,
-Logique qui est également synonyme de besoins vitaux non satisfaits et de participation à des inégalités criantes de territoires et d’êtres humains victimes des guerres. Dans plusieurs articles ainsi que dans nos deux ouvrages « Construire la paix » (éditions La Chronique sociale,1988) nous avons souligné les liens multiples et dramatiques entre "les conflits armés et l'environnement".
-La logique de compétition.
- La logique de compétition est omniprésente
Elle alimente les logiques précédentes et elle est alimentée par ces logiques. Nous sommes entrés dans la révolution scientifique, il faut être novateur, notre droit à l’existence est fonction de notre rentabilité ( ! ) « Etre ou ne pas être compétitif » nous dit le système, si vous n’êtes pas compétitif – pays, région, ville, entreprise, université, personne…- vous êtes dans des perdants, vous êtes morts.
La compétition est un discours-vérité qui a de très nombreux fidèles, ils sont envahis par cette obsession. On est entré dans le grand marché, il faut donc libéraliser, dérèglementer, privatiser, peu importe le sens du « vivre ensemble » et celui du « bien commun ». La compétition est considérée comme sacrée, elle nous protège, il n’y a plus d’autres critères d’appréciation que la performance, la compétitivité, la rentabilité.
« Chacun invoque la compétitivité de l’autre pour soumettre sa propre société aux exigences systématiques de la machine économique. » écrivait magnifiquement et tragiquement André Gorz. « La logique de la compétitivité est élevée au rang d’impératif naturel de la société » écrit aussi avec la même force Riccardo Petrella qui dénonce « l’Evangile de la compétitivité ». (Voir « L’Evangile de la compétitivité, malheurs aux faibles et aux exclus », Riccardo Petrella, Le Monde diplomatique, septembre 1991et « Litanies de Sainte Compétitivité », Le Monde diplomatique, février 1994).
-La compétition pousse à la guerre donc participe à la débâcle écologique
On constate que le productivisme, pour maintenir ses taux de profit, a besoin de renouveler ses stocks d’armements. Dans la compétition de la course aux armements, un des moyens massifs est la production de conflits armés. Les armements constituent une des logiques infernales du productivisme. Ils contribuent à fabriquer l’image de l’ennemi que l’on doit surpasser en armements. Ils contribuent à allumer des poudrières. Ils portent atteinte dans leur production et leur utilisation aux populations et à l’environnement. Ils enlèvent des sommes colossales pour des besoins criants. Ils accroissent l’insécurité ce qui en appelle à de nouveaux armements et de nouvelles compétitions.
-La compétition pousse à la croissance démographique
Le productivisme a ici deux discours et deux pratiques.
Il affirme qu’il faut être puissant et qu’une population nombreuse est un atout dans la compétition militaire et économique. A contrario il fabrique l’image de l’adversaire ou de l’ennemi en dénonçant les risques d’autres populations importantes, en particulier quant aux migrants et aux déplacés environnementaux considérés comme de nouvelles classes dangereuses.
En fait on constate qu’une population nombreuse peut être un poids pour l’économie et l’environnement. Tout dépend du type de développement, s’il est productiviste ou bien si des luttes pour le partage des richesses et contre la débâcle écologique sont engagées dans le pays en question. D’autre part les coopérations interétatiques et les accueils bien organisés de réfugiés peuvent contribuer à des solidarités et éloigner la fabrication d’adversaires ou d’ennemis. On constate aussi que « le meilleur anticonceptionnel c’est le développement » lequel amène à avoir moins d’enfants quand on sort de la pauvreté.
Il faudrait pourtant des politiques de ralentissement de la croissance beaucoup plus volontaires puisqu’en 2050, si tout continuait comme cela, il y aurait de l’ordre de 10 milliards de terriens. Le productivisme y voit avant tout de nouveaux marchés. Peu importe l’empreinte écologique, à ses yeux on peut toujours réparer les destructions environnementales, c’est la logique de la suprématie de la technoscience.
- La compétition globale est terricide et humanicide
Finalement on retrouve cette opposition fondamentale entre ceux et celles ( de loin les plus nombreux avec une véritable « colonisation des esprits ») qui pensent que la compétition est naturelle, qu’elle est saine, bonne, nécessaire .
Et ceux et celles (pour l’instant moins nombreux, mais quelque chose de minoritaire n’est pas faux pour autant…c’est simplement minoritaire) qui pensent que la compétition est un produit de l’histoire, qu’il y a des compétitions liées aux périodes et aux sociétés, que le productivisme pousse à une compétition omniprésente, omnipotente, omnisciente.
La compétition mortifère doit laisser la place aux solidarités, aux coopérations, aux fronts communs. Les biens communs, le « vivre ensemble » peuvent et doivent l’emporter face aux périls communs qui s’appellent la débâcle écologique, les armes de destruction massive, les inégalités criantes, la toute-puissance de la techno science et des marchés financiers, bref face à des logiques qui assassinent la Terre et l’Humanité.
( Voir notre article in « Les biens communs environnementaux : quel(s) statut(s) juridique(s) ? », sous la direction de Jessica Makowiak et Simon Jolivet, Pulim , Collection les cahiers du CRIDEAU, 07/2017)
Telles sont les logiques profondes des responsabilités environnementales. Mais existent-ils des critères pour les déterminer ?
- LES CRITERES DE DETERMINATION DES RESPONSABILITES DE LA DEBACLE ECOLOGIQUE
La détermination des critères doit être faite par des organisations indépendantes, il s’agit d’organismes scientifiques travaillant souvent en réseau, d’organisations internationales du système des Nations Unies, de secrétariats et d’organismes spécialisés de conventions internationales de protection de l’environnement , enfin d’ONG qui pour certaines d’entre elles ont des équipes compétentes pour étudier tel ou tel type de critères et contribuent à faire connaitre de nombreuses études.
Ces études sont d’autant plus intéressantes qu’elles montrent aussi l’évolution des acteurs, en particulier des Etats, dans le recensement de ces mesures.
Une des questions qui se pose est de savoir si l’on doit tenir compte d’une période historique plus ou moins longue Ainsi par exemple quelles « responsabilités historiques » des pays du Nord par rapport à ceux du Sud dans les émissions de gaz à effet de serre? Et comment et jusqu’à quel point prendre aussi en compte des évolutions futures ?
Les choses se compliquent également en tenant compte des échanges entre pays .On exporte des biens fabriqués dans un Etat pour une consommation dans un pays étranger, comment en tenir compte par exemple dans le réchauffement climatique ?
Quels sont donc les critères essentiels aujourd’hui ? Il s’agit de l’empreinte écologique qui est, à ce jour, le critère le plus global .
Il s’agit aussi des émissions de gaz à effet de serre, critère du réchauffement climatique.qui sont prises en compte dans l’empreinte écologique mais aussi de façon autonome .
Nous pouvons enfin ajouter la valeur en eau, critère appelé à prendre plus d’importance face aux pénuries hydriques présentes et à venir.
Nous ajouterons un critère complémentaire relatif à la place occupée par chaque acteur dans le système productiviste .
Enfin nous nous demanderons s’il n’y a pas un autre critère complémentaire. Est-ce qu’une vision globale n’en appelle pas à une interrogation non seulement sur les générations passées et présentes mais aussi sur les générations futures ?
-L’empreinte écologique.
- L’empreinte écologique c’est le poids de nos modes de vie sur l’environnement (production, consommation, déchets, transports…).
Elle est calculée en surfaces nécessaires pour ces modes de vie, c’est « l’hectare global », on peut ainsi calculer l’empreinte écologique de l’ensemble de la population mondiale, d’un pays, d’une ville, d’une personne…
La planète met à notre disposition 2,1 hectares globaux par habitant, en 2016 nous utilisons 2,7 hectares globaux par habitant de la Terre. Notre empreinte écologique dépasse (depuis 1986 nous disent des chercheurs, donc depuis plus d’ une trentaine d’années) la capacité de régénération de la Terre. A cette allure et étant donnée l’ampleur de l’empreinte écologique « il faudrait plusieurs planètes Terre » pour ce type de développement productiviste. La Terre n’a donc plus la capacité de produire nos ressources et d’absorber nos déchets.
A partir du 29 juillet 2019, l’humanité vit à crédit jusqu’au 31 décembre2019.Il est probable que les années suivantes le jour du dépassement sera de plus en plus avancé dans l’année. Ce Jour du dépassement de la Terre c’est le jour où l’humanité a consommé toutes les ressources que la planète est capable de produire en un an, creusant toujours plus notre dette écologique. A l’échelle de la planète comme l’affirme le WWF « nous avons pêché plus de poissons, abattu plus d’arbres et cultivé plus de terres que ce que la nature peut nous offrir au cours d'une année. » Quant à nos émissions de gaz à effet de serre, elles ont été plus importantes que ce que nos océans, nos sols et nos forêts peuvent absorber.
Cette date est calculée chaque année par le Global Footprint Network (GFN), créateur du concept d’empreinte écologique, en liens désormais avec le WWF. Cette date grignote peu à peu le calendrier, passant ainsi par exemple du 29 septembre en 1999 au 29 juillet en 2019.
- Cette empreinte écologique est marquée par de fortes inégalités donc par des responsabilités différentes.
Au niveau mondial le poids des modes de vie sur l’environnement, selon les Nations Unies, en 2005 représentait pour les pays du Nord 80% des ressources de la planète pour 20% de la population mondiale.
Au niveau continental selon le Living Planet Report(2009) en 2006 par continent quelle était l’empreinte écologique ? Amérique du Nord 9,4 hectares globaux par habitant, Union européenne 4,8, Amérique latine 2 hectares, Asie 1,3, Afrique 1,1 hectare.
Au niveau de chaque pays en 2012 l’empreinte va de 9,6 hectares pour les Emirats arabes unis, à 3,8 hectares pour la France, puis 1,8 hectare pour le Brésil, 2 pour la Chine et 1,9 pour l’Inde, arrivent à la fin de la liste des pays comme par exemple le Bangladesh 0,5, l’Afghanistan 0,1, donc entre les deux pays extrêmes une différence de 100…
Aux groupes de pays, à chaque pays et à chaque continent on peut ajouter les empreintes écologiques de villes, d’entreprises, de personnes qui visent donc cette forme fondamentale de responsabilité écologique.
-Les émissions de gaz à effet de serre.
Des accords internationaux prévoient cette mesure compliquée à recenser et à surveiller.
Les émissions mondiales de CO2 ont triplé entre 1970 et 2017, cette tendance mondiale à ce jour ( octobre 2019) n’est pas encore radicalement remise en cause.
Les deux pays les plus gros émetteurs étaient en 2017 la Chine représentait 28 % du total mondial, les Etats-Unis 15% soit 43% à tous deux.Les pays qui émettent le plus de GES par habitant sont différents Avec près de 50 tonnes de CO2 par an, le Qatar est le plus gros émetteur de CO2par habitant, suivi par le Koweït et les Émirats arabes unis. Par comparaison, chaque Français émet 5,48 tonnes de CO2 par an. En effet ces pays du Golfe persique émettent de grosses quantités de CO2 à cause de l'exploitation pétrolière et gazière, et de la faiblesse de leur population. Autres gros pollueurs par habitant : les États-Unis et l'Australie, cette dernière étant très dépendante du charbon.
Ainsi pour les pays, les entreprises, les villes, les personnes et l’ensemble des acteurs les émissions de gaz à effet de serre sont , selon les cas, presque inexistantes, faibles , moyennes, importantes ou gigantesques.
-La consommation d’eau et l’empreinte de l’eau.
-On rappellera ce constat fait en particulier par l’UNICEF
« 1,1 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable. • 2,6 milliards de personnes (1 tiers des habitants de la planète) ne disposent d’aucune installation sanitaire. • 7 millions de personnes dont au moins 2 millions d’enfants de moins de 5 ans meurent chaque année de maladies liées à l’eau. • Plus de 1,6 millions d’enfants de moins de 5 ans meurent chaque année de maladies liées à l’eau polluée. • Des millions d’enfants souffrent de parasitoses, associées à la malnutrition et l’anémie. • 118,9 millions d’enfants de moins de 15 ans souffrent de bilharziose, une grave maladie qui atteint le foi et les intestins. »
- « La consommation quotidienne en eau par habitant dans les zones résidentielles s’élève à 600 litres en Amérique du Nord et au Japon, entre 250 et 350 litres en Europe, elle est de 10 à 20 litres en Afrique subsaharienne. La moyenne mondiale de consommation d’eau par an est de 600m3 par habitant, soit 137 litres par jour. Au cours de 100 dernières années, la population mondiale a triplé alors que la consommation d’eau pour l’utilisation humaine a été multipliée par 6. Aujourd’hui, la pénurie d’eau affecte 250 millions de personnes dans 26 pays pour un volume annuel de 1 000m3 par personne. »
- Existe donc avant tout la consommation directe d’eau pour un usage domestique, industriel et surtout agricole, l’agriculture représente 70% de la consommation mondiale d’eau. D’où l’un des intérêts de la remise en cause de l’agriculture productiviste par d’autres agricultures.
- Existe aussi le concept d’eau virtuelle c'est-à-dire la quantité d’eau pour fabriquer un bien de consommation. Le cinquième de l’eau consommée est ainsi de l’eau virtuelle pour produits agricoles et industriels .
. On a pu mesurer par exemple que pour boire une tasse de café aux Pays-Bas, il faut 140 litres d’eau en comptant tous les stades de la production du café, ainsi pour cultiver, récolter, torréfier, transformer, emballer et transporter les grains de café.
Il faut 16 000 litres pour un kilo de bœuf, ou encore 1000 litres d’eau pour un litre de lait, pour un œuf 135 litres d’eau, pour un 1 tee-shirt en coton 2 000 litres d’eau…chiffres qui peuvent varier selon les processus de production et de distribution. Production et consommation productivistes sont donc ici aussi en cause.
- La place occupée par chaque acteur dans le système productiviste.
- Ce critère a une faiblesse, une certaine imprécision. Un acteur peut en effet occuper plusieurs places à la fois, il peut aussi en occuper différentes tour à tour.
Ce critère a un avantage réel et massif, celui d’attirer l’attention sur des responsabilités plus fortes que d’autres dans la production des logiques productivistes, et donc celui d’un caractère relativement opérationnel pour penser et mettre en œuvre des contre-logiques.
- Nous avions dans deux ouvrages « Construire la paix » (éditions la Chronique sociale, 1988) bâti notre réflexion relative à la course aux armements sur cette « armature » et ce « cœur » de la « machine infernale » de cette course.
Nous pouvons reprendre cette même idée forte pour l’environnement et la débâcle écologique, celle du « cœur » au centre du système, celle de l’armature autour du « centre. »
- Les acteurs qui se trouvent dans « le cœur de la machine infernale » de la débâcle écologique ont le plus souvent des responsabilités gigantesques, ou très importantes.
Il s’agit des acteurs de la techno science (des réseaux scientifiques, des industries), de la finance (banques et bourses…), de l’économie (firmes multinationales , complexe scientifico-militaro-industriel par exemple).
- Les acteurs qui se trouvent dans « l’armature de la machine infernale » de la débâcle écologique ont le plus souvent des responsabilités importantes ou secondaires.
Il s’agit des acteurs du politique, de l’ éducatif , du médiatique, du juridique, et d’autres domaines d’activités…
Autrement dit en termes de contre-logiques, de contre-mécanismes l’essentiel se joue et va se jouer dans le scientifique, le financier et l’économique.
Ce qui ne veut surtout pas dire que
dans les autres domaines les responsabilités n’existent pas, en particulier politiques !
Mais par exemple on connait le poids des lobbies et des marchés financiers sur le pouvoir politique…
...sans oublier bien sûr qu’il ne s’agit que d’un schéma et que les interactions sont très nombreuses entre les différents domaines du centre et de la périphérie du système productiviste pour le meilleur , l’entre-deux et le pire.
- Cette place des acteurs dans le système productiviste pose d’abord essentiellement la question des responsabilités des acteurs collectifs puissants.
Il faut mettre en œuvre leurs responsabilités, ainsi en termes de dommages écologiques, responsabilités fondées principalement sur le principe pollueur-payeur et sur de multiples systèmes de prise en compte des risques.
Nous reviendrons au niveau juridique sur la prise en compte de dommages futurs qui pose question mais qui se reporte surtout vers des responsabilités en termes de précaution, de prévention, et de remise en cause de logiques productivistes.
- La place des acteurs c’est aussi celle d’un certain nombre de responsables
Dans « le cœur des mécanismes » il s’agit, par exemple, de dirigeants de firmes multinationales persistant dans de graves pollutions, de dirigeants de banques continuant à soutenir des énergies fossiles, de patrons de laboratoires travaillant dans des recherches sur les armes de destruction massive…
Dans « l’armature des mécanismes » il s’agit, par exemple, d’ hommes politiques refusant des politiques de réduction des gaz à effet de serre , de journalistes et d’ enseignants soutenant un négationnisme climatique…
Les sanctions pourront être financières, politiques, juridiques…
De ce dernier point de vue la mise en œuvre de sanctions pénales pour atteinte aux générations futures devraient demain être consacrées et mises en oeuvre. (Voir mon article sur « La fraternité transgénérationnelle », particulièrement les atteintes qui lui sont portées).
Au-delà des personnes voilà les générations…
-Les générations et les responsabilités écologiques
- Quelques données relatives aux générations
Les sens du mot « générations» sont nombreux :
Pour le démographe c’est la totalité des individus nés une même année, pour le généalogiste c’est l’ensemble des personnes classées selon une relation de filiation, pour le sociologue ce sont des personnes d’un âge proche qui ont des vécus historiques communs, pour l’historien c’est la durée de renouvellement des personnes, ce sera le sens choisi ici.
Par rapport à sa durée une génération humaine correspond au cycle de renouvellement d’une population adulte, entre 22 et 32 ans, soit environ 30 ans.
Le nombre de générations passées (d’après nos calculs aussi harassants qu’incertains) serait de l’ordre de 6800 à 8000 sur 200.000 ans, date d’apparition de l’Homo sapiens.
Quant aux générations présentes elles sont au nombre de trois voire quatre (arrière- petits-enfants). Les générations à venir seraient au minimum de zéro (le lendemain de l’horreur nucléaire d’Hiroshima Jean-Paul Sartre écrit « nous savons désormais que chaque jour peut-être la veille de la fin des temps »), ou de quatre d’ici 2100 (puisqu’existent quelques hypothèses scientifiques d’une humanité ne dépassant pas le siècle), ou alors d’un nombre indéterminé de générations après 2100.
- Que peut-on dire du mot « transgénérationnel » ?
« Trans » est un préfixe qui signifie « au-delà », il exprime l’idée d’une traversée. L’inter générationnel est relatif aux générations différentes qui se rencontrent dans une même vie, le trans générationnel est relatif aux générations qui se succèdent. L’inter et le trans générationnels existent dans les transmissions familiales. C’est par exemple le domaine de la psycho généalogie. La transmission intergénérationnelle est plus observable, puisque les quatre générations peuvent être en contact, la transmission transgénérationnelle à distance, est plus floue, plus porteuse d’inconnues. Ces transmissions peuvent nous alourdir, celles par exemple de traumatismes, et/ou au contraire nous aider à grandir.
- Les « trois fois trois générations » et la débâcle écologique
Les « trois fois trois générations » par rapport à la débâcle écologique (nous proposons de les appeler ainsi , comme nous avions proposé voilà plus de trente ans l’expression « productivisme terricide et humanicide » dans les deux ouvrage « Construire la paix, éditions Chronique Sociale,1988).
Depuis les débuts de l’anthropocène on peut penser que
Nous avons reçu de trois générations passées ( 1850 à 1945 environ), un environnement pour une part atteint et faisant l’objet de destructions en marche sous les logiques du productivisme et de l’anthropocène.
Nos trois générations présentes (1945 à 2030 environ) ont produit un environnement pour une large part détruit et plongeant dans des apocalypses écologiques multiformes, massives, en interactions et rapides sous les logiques du productivisme et de l’accélération de l’anthropocène.
Les trois générations qui viennent juste après nous (2030 à 2120 environ) se trouvent donc devant une question vitale : cette veille de fin des temps peut-elle encore, à travers quelles volontés, quels moyens et quelles marges de manœuvres, se transformer en aube d’humanité ?
En fait il n’est pas exclu que leurs marges de manœuvres soient relativement faibles, un des exemples les plus terribles est celui du réchauffement climatique en route qui pour ralentir demande une d’abord une gigantesque remise en cause du cœur de la machine accompagnée certes aussi de l’armature de la machine infernale de la débâcle écologique.
- Quatre remarques sur ce schéma des « trois fois trois » qui contient certainement une part de vérité :
- En premier lieu peut-on aussi raisonner en termes de générations alors que les personnes et différents acteurs dans chaque génération ont des responsabilités très inégales dans cette débâcle écologique, responsabilités qui ont été sont et seront( ?) selon les cas presque inexistantes, faibles, moyennes, importantes ou gigantesques ?
On est renvoyé par exemple à l’empreinte écologique d’une personne, d’une entreprise, d’une ville, d’un pays.
Les choses se compliquent puisqu’il faudrait distinguer, pour être plus juste, ce poids sur l’environnement à un moment donné et dans la durée de cet acteur.
- En second lieu la question des rapports entre les générations se pose une fois de plus, entre les générations passées et les présentes, entre les générations présentes et les futures. (Voir par exemple nos articles sur les générations futures.)
Mais la question se pose aussi entre les futures immédiates (jusqu’en 2120 environ ) et les futures qui viendraient( ?) juste après elles…
- En troisième lieu se pose la question des responsabilités générales et écologiques des dernières générations … si arrivaient la fin des temps humains et d’une grande partie du vivant …
On peut penser que deux séries de situations subsisteraient :
Une série de situations selon lesquelles la responsabilité écologique et la responsabilité générale n’ont plus de sens. Cela pour deux raisons :
D’une part on ne peut absolument plus changer les choses, les actes allant dans ce sens sont de, façon certaine, inutiles, vains.
D’autre part on n’a plus de responsabilité morale vis-à-vis des générations futures puisque l’espèce humaine s’éteint assez vite.
Cette désespérance multiplie des désespoirs sous diverses formes face à l’extinction de l’humanité. Mais sont aussi présents des actes de courage personnels et collectifs.
Une autre série de situations selon lesquelles la responsabilité écologique et la responsabilité ont encore un sens. Cela pour deux raisons contraires à celles exprimées ci-dessus.
D’une part on pense que jusqu’au bout des temps humains on peut changer les choses, les actes allant en ce sens voudraient être porteurs d’un espoir fou.
D’autre part on considère que l’on a une responsabilité morale vis-à-vis des vivants qui restent dans ces dernières générations.
-En quatrième et dernier lieu une question est bien présente, celle des marges de manœuvres de chaque génération, autrement dit la question des rapports entre les responsabilités et les libertés.
Nous sommes ainsi arrivés dans une réflexion relative aux formes de responsabilités (éthiques, politiques et juridiques). (IIIème ,IV et Veme parties).
Remarques terminales .
Quels sont donc les responsables de la débâcle écologique ?
1- Historiquement on peut affirmer qu’il s’agit de deux pays, l’Angleterre puis les Etats-Unis, et de quelques unes de leurs entreprises dans la houille et le pétrole.
2- Historiquement on peut affirmer qu’il s’agit ensuite de la colonisation c'est-à-dire d’Etats européens ayant pillé en matières premières des pays lointains.
3- Historiquement il s’agit aussi des deux guerres mondiales, c’est à dire encore d’Etats européens, qui ont entrainé ces deux boucheries mondiales, avec la responsabilité écrasante du système totalitaire nazi. Ces guerres ont été destructrices de multitudes d’êtres humains et aussi d’environnement en amont avec les industries d’armements, puis bien sûr pendant ces conflits armés et longtemps après. ( Voir nos articles sur « Les conflits armés et l’environnement. »)
4- Historiquement on peut affirmer qu’entre 1945 et 1989 les responsables principaux de l’accélération de l’anthropocène s’appellent les Etats-Unis et l’Union soviétique qui s’affrontent dans la guerre froide ,
5- De nos jours de 1950 à 2020 ce sont aussi les pays du Nord et leurs habitants les plus aisés qui se ruent vers la société de consommation, avec en particulier la voiture qui en est un symbole et avec leurs firmes multinationales.
La débâcle écologique continue à travers l’explosion démographique des pays du Sud et la pauvreté qui lui est attachée.
Elle s’accélère avec la plongée des pays émergents, en particulier de la Chine, dans le productivisme.
6- De nos jours les logiques terricides et humanicides du système productiviste sont en marche. Elles marchandisent la planète.
La financiarisation du monde se produit à travers une montée des banques , des bourses et des paradis fiscaux.
Leurs responsabilités dans la débâcle écologique sont énormes, l’argent roi n’a pas tenu compte de la protection de l’environnement en contribuant à le détruire ou en faisant semblant de le protéger sans remettre en cause les logiques profondes du productivisme.
7- De nos jours des personnes responsables d’organismes au « cœur » mais aussi dans « l’armature » des mécanismes de la débâcle écologique font ou devraient faire l’objet de différentes formes de responsabilité environnementale (réparations, sanctions...).
6- De nos jours les critères pour déterminer les responsables de la débâcle écologique s’appellent l’empreinte écologique, les émissions de gaz à effet de serre, la consommation en eau, la place occupée par chaque acteur local, régional, national, international dans le système productiviste .
Tout cela avec des responsabilités gigantesques ou importantes des acteurs de la techno science, de la finance et de l’économie
et des responsabilités importantes ou secondaires pour les acteurs de la périphérie du système productiviste (politiques, médiatiques, éducatifs.... )
A partir de ces critères on peut avoir une responsabilité certes difficile à établir pour chaque acteur dans le temps, cela du plus petit au plus gigantesque mais pour une large part reflétant des réalités, celles des personnes, des entreprises , des banques et des bourses, des Etats et des autres acteurs...
- Enfin en termes de générations il apparait clairement que
celles de 1850 à 1945 ont commencé à mettre en œuvre la débâcle écologique,
celles de 1945 à 2020(2030) ont plongé dans les logiques de cette débâcle,
celles de 2020(2030) à 2120 se retrouvent donc devant des formes d’apocalypses écologiques qu’elles vont devoir affronter.
Ce sont les générations de 1945 à 2020 qui ont les responsabilités les plus lourdes non seulement parce que leur course à la débâcle écologique était la plus gigantesque mais aussi parce que les prises de conscience de ces apocalypses en marche auraient pu voir davantage le jour et se traduire par des actes à travers ces avertissements qui commençaient.
Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) dans son rapport GEO 2000 sur « l’avenir de l’environnement mondial » affirme : « Des efforts sont faits pour enrayer la dégradation de l’environnement mais on admet également qu’ils sont trop peu nombreux et bien trop tardifs(…)Les améliorations et les progrès seront vraisemblablement réduits à néant par le rythme et l’ampleur de la croissance économique au niveau mondial, par l’aggravation générale de la pollution du milieu et par la dégradation accélérée des ressources renouvelables de la planète. » Les autres rapports, par exemple GEO 5 en 2012, vont dans le même sens.
- Les générations qui arrivent se retrouveront donc devant trois séries de questions vitales :
Quelles seront leurs volontés ?
Quels seront leurs moyens ?
Quelles seront leurs marges de manœuvres ?
Les générations ne sont qu’un élément des responsabilités tant il est vrai que les autres acteurs sont nombreux et que leurs responsabilités sont dérisoires, faibles, moyennes, importantes ou gigantesques.
19-LES REVOLTES EN QUESTIONS
-Citations lumineuses sur les révoltes
Il n’y a d’humanisme que celui des hommes révoltés.
Albert Camus
( Cette citation est, à ce jour, la préférée de l’auteur de ce blogavec celle de Gandhi « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence » et avec celle du poète Hafez « A l’heure de l’adieu, en partant loin de toi, mes yeux se sont vidés tout d’un coup de lumière, et je suis resté aveugle à force de pleurer. » )
L’homme n’est pas entièrement coupable, il n’a pas commencé l’histoire, ni tout à fait innocent puisqu’il la continue. Ceux qui passent cette limite et affirment son innocence totale finissent dans la rage de la culpabilité définitive. La révolte nous met au contraire sur le chemin d’une culpabilité calmée (...).
Jean-Paul Sartre
Il faut scandaliser et trahir ce monde! Autrement il s’éteint en se répétant dans son éternité!
Pier Paolo Pasolini
Qu’est-ce qu’un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s’il refuse il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement.
Albert Camus
Il faut veiller. Autour de nous c’est la nuit. Le monde peut s’endormir, lassé par le malheur. Le veilleur est debout : il fait confiance à l’aurore. Il faut veiller : le veilleur a confiance au nom des autres.
Jacques Leclercq
Le monde ne sera sauvé , s’il peut l’être, que par des insoumis. Sans eux çà en est fait de notre civilisation, de notre culture, de ce que nous aimions et qui donnait à notre présence sur terre une justification secrète.
André Gide
Inventer le monde c’est ne jamais se reposer devant le scandale.
Roberto Matta
Il faut valoriser la colère inextinguible contre tout ce qui menace la vie, qui l’attaque et qui la tue. L’amour de la vie et de tout ce qui est vivant fait naître une colère énorme, qui est, dans son cœur même, la haine de la mort.
Georges Casalis
La crise est le moyen habituel par lequel, dans l’ordre de la matière, de la biologie ou de l’histoire, s’opèrent les grands changements et les naissances.
Max Gallo
Transformer le monde.
Marx
Changer la vie.
Rimbaud
C’est nous les Canuts/ Nous sommes tous nus (...)/ Mais notre règne arrivera /Quand votre règne finira/ Nous tisserons le linceul du vieux monde/ Car on entend déjà la révolte qui gronde
Aristide Bruant
Je vais avoir un fils, et ce fils ne sera pas à moi, Mais il sera le fils de l’humanité tout entière. Et il n’écoutera pas les slogans des grands potentats. Et au moment du choix, Quand il sera appelé par les puissants, Il se retournera vers son peuple et prendra place à sa table, Il mangera de son pain et boira de son vin.(...) Mon fils, à côté des autres fils, fauchera les campagnes En séparant les épis des broussailles épineuses. Mon fils, à côté d’autres fils, fera la récolte Et ils sèmeront à nouveau dans la terre blanche et féconde.
Poème anonyme écrit dans une prison chilienne
Il n’y a plus beaucoup de chances de salut pour l’humanité sinon par la multiplication de mon indignation et de ma révolte.
Pierre Bonjut
Ce n’est pas que je ne sois jamais en colère mais je ne donne pas libre cours à ma colère. En la contrôlant on peut obtenir une grande force.
Gandhi
La conscience n’est pas une donnée mais une tâche.
Jean Lacroix
La conscience morale ne peut naître qu’avec l’émergence du sentiment de culpabilité.
Vladimir Jankélévitch
Soyez révolté, criez , pleurez, mais ne vous cachez pas au fond de votre détresse comme les fous se cachent dans leur folie.
Marie-Claire Blais
On ne sait pas toujours donner une forme à la révolte. La révolte , elle , s’autorise parfois toute seule à prendre forme.
Suzanne Jacob
Ou tu rampes pour amasser, stocker, profiter,
ou tu te mets debout, tu marches, tu t’insurges pour faire naître et incarner une vision d’humanité cordiale.
Jean Cardonnel
Il faut recoller l’espace, remodeler la terre, pour taire ces Somalies du monde, pour le rire des enfants de la terre. Mon âme se voile devant tant de haine distillée, tant d’amour perdu et je cherche comme un berger les lueurs d’une espérance que l’aube ne trahira pas. Ici et maintenant, la main tendue vers l’autre monde, j’attends la renaissance sous les toits de la terre mère. Chaque jour, mon cœur brûle devant tant de spectacles et mes yeux s’éteignent de leurs larmes innocentes. Et ma révolte contenue explose pour des horizons meilleurs.
Ben Kamara
Vous qui sur terre vivez dans la douleur, Il faut réveiller toutes les forces de votre être. L’obéissance pour l’homme est le fléau majeur. Qui n’aimerait une bonne fois devenir son propre maître ?
Bertolt Brecht
C’est la révolte même, la révolte seule qui est créatrice de lumière.
André Gide
Quand on ne bouge pas on ne sent pas ses chaînes.
Rosa Luxembourg
Ce n’est pas la révolte en elle-même qui est noble mais ce qu’elle exige.
Albert Camus
Le révolté, au sens étymologique, fait volte-face. Il marchait sous les fouets du maître. Le voilà qui fait face. Il oppose ce qui est préférable à ce qui ne l’est pas. Toute valeur n’entraîne pas la révolte, mais tout mouvement de révolte invoque tacitement une valeur.
Albert Camus
Je me révolte donc nous sommes.
Albert Camus
20-LES RESISTANCES EN QUESTIONS
-Un texte général . Préface de Gérard Cahen pour l’ouvrage collectif « Résister. Le prix du refus. », collection Autrement,1994.
Est-ce à dire qu’on résisterait comme on respire : spontanément, par pur réflexe, et parce que la vie, selon le mot de Bichat, « est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort » ? Il est vrai que l’on a parfois pas le choix, qu’en certains cas on se bat, en effet, le dos au mur. Mais même si l’instinct de conservation nous y pousse, il y a plus ici qu’une simple parade vitale. D’abord parce qu’on peut se tromper, on peut se croire, à tort, menacé. Après tout les imbéciles aussi résistent. Ensuite la variété des manières de résister est telle qu’elle relève, à l’évidence, d’un libre choix. Enfin et surtout, vient un moment où il ne s’agit plus seulement de défendre sa vie, mais aussi les valeurs sans lesquelles celle-ci n’a plus de sens. Au prix d’un paradoxe alors, puisque cela peut nous conduire à réviser l’ordre des priorités, à remettre en jeu, s’il le faut, notre propre existence. Pour mieux résister à la mort, on est prêt à la rencontrer, à l’épouser.
Gérard Cahen
-Citations lumineuses
Je suis tombé par terre
C’est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau
C’est la faute à...
Victor Hugo (Les Misérables, Gavroche)
Résister c’est aussi, c’est d’abord peut-être un état d’esprit. Une certaine manière de ne pas se soumettre : de ne pas entrer dans le jeu de l’ennemi. Oui, refuser d’être assujetti à un ordre dont on ne veut à aucun prix, voilà la pierre de touche de la résistance, celle dont sortiront un jour révolte, insurrection, émeute.
A la vérité l’esprit qui dit non est comme ces diables à ressort qu’on enfonce au fond des boites : à un moment donné toujours ils ressortent, ils reviennent vous tirer la langue. Parce qu’on ne met pas un feu follet en prison.
Gérald Cahen
Très tôt la société nous apprend à ne pas résister, à nous soumettre aux normes qu’elle nous impose. Ainsi Durkheim, pour qui la contrainte est le fait social par excellence, voit dans la discipline et dans l’éducation morale la meilleure manière d’assurer l’harmonie collective. Certes. Mais c’est faire bon marché des conflits de pouvoir. Et c’est considérer surtout que les finalités d’une société sont celles de chacune des parties qui la composent. Rien de moins sûr...
Sophie Jankélévitch
Le silence des pantoufles est plus dangereux que le bruit des bottes.
Martin Niemoller
Il est des mots dont la graphie semble incarner mystérieusement le sens. Ainsi du beau verbe résister avec ses deux r, ses deux e, ses deux s qui entourent symétriquement son i, comme s’il s’agissait de le préserver, de le garder précieusement en vie. Car résister, c’est d’abord cela : c’est maintenir intacte la flamme fragile, éphémère de l’existence : tenir, survivre.
Gérald Cahen
Dans la vie de chaque homme vient un moment où pour dire simplement : ceci est noir et ceci est blanc il faut payer très cher. Ce peut être le prix de la vie. A ce moment le problème principal n’est pas de connaître le prix à payer mais de savoir si le blanc est blanc et si le noir est noir. Pour cela il faut garder une conscience.
Adam Michnik
Un homme lors de la Seconde guerre mondiale, en Italie, un jour s’est plié en deux. Impossible de le remettre droit, de jour comme de nuit, aucune force n’en est venue à bout. Impossible de le faire incorporer à la guerre ou maintenir en détention. Il est resté plié en deux pendant plusieurs années. Devenu symbole de la résistance il a été fusillé .
Il avait inventé cette attitude corporelle silencieuse qui était sa façon de parler juste. Plié par refus de plier et pour montrer que l’homme était déjà plié sous le joug du fascisme. Aujourd’hui on parle encore de la façon singulière d’avoir dit non à la guerre.
Marie-Magdeleine Lessana,
Devant la conquête et la colonisation de nombreux Mayas se suicidèrent prenant ainsi « le maquis de l’âme » dans une manifestation ultime de refus qui en laissait entrevoir bien d’autres. Les chefs mayas laissaient à leurs descendants ce message : « nous reviendrons ».
Michel Boccara
Tu te plains / D’une forte houle ?/ Voilà pourquoi nous voulons/ Le courage /De ceux qui n’acceptent pas /Seulement/ Ce qui se voit / Les rebelles eux/ Sont les seules vigies /Du changement /Que la condition Humaine Exige
Federico Mayor Zaragoza
Un appel au sursaut afin de trouer l’épais brouillard qui, aujourd’hui, voile l’espérance.
Dire non pour inventer tous ensemble notre oui.
Edwy Plenel
Ce ne sont pas tant les fusils britanniques qui sont responsables de notre sujétion que notre coopération volontaire.
Gandhi
Je désirerais seulement qu’on me fît comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d’un tyran seul, qui n’a puissance que celle qu’on lui donne.
Etienne de la Boétie
La désobéissance civile est le droit imprescriptible de tout citoyen. Il ne saurait y renoncer sans cesser d’être un homme.
Gandhi
Il n’y a pas de tyrans, il n’y a que des esclaves.
Etienne de la Boétie
Heureusement il y a ces résistants, cette poignée de veilleurs qui en éveillent d’autres. Le grain semé s’est multiplié
Théodore Monod
-Quelles sont les définitions des résistances ?
Le texte qui suit est l’un des sept articles de l’auteur de ce blog sur « Les résistances ».
Arriver à cerner les définitions des résistances ne permet-il pas de mieux se situer par rapport à telle ou telle résistance ?
Nous proposons de les déterminer à partir de deux critères qui devraient éclairer chaque définition.
Quelles parts ont les volontés dans ces résistances ?
Comment ces résistances s’inscrivent-elles dans le temps ?
Les volontés et le temps permettent, semble-t-il, de dégager quatre définitions correspondant à quatre séries de situations.
Des résistances proches et déjà au-delà de mécanismes naturels de défense.
Des résistances quotidiennes par rapport à soi-même et à d’autres.
Des résistances, témoignages d’actes culturels.
Des résistances de veilleurs, un état d’esprit face à tout ce qui détruit le vivant.
- Beaucoup de résistances proches et déjà au-delà de mécanismes naturels de défense.
Dans ces résistances les volontés ont malgré tout une certaine présence mais très variable et le déroulement du phénomène est souvent rapide. Quels sont les éléments qui constituent ces résistances ? Nous en proposerons deux.
-En premier lieu certaines résistances correspondent à des mécanismes naturels de défense. Il s’agit de réactions immédiates, rapides, elles sont involontaires face à ce que l’on pourrait appeler un stimulus. Ce mécanisme va se déclencher avant toute réflexion donc, a priori, indépendamment de la volonté .C’est un réflexe inné, défensif que l’on trouve chez les êtres humains, les animaux, les végétaux. On parle de réflexe vital, d’instinct de conservation, par exemple face au froid, au réchauffement, à une douleur…
-En second lieu ces résistances ne sont-elles pas, pourtant, ici et là, déjà plus qu’une défense naturelle ? Trois raisons au moins vont dans ce sens et font dire à certains qu’il y a « une impossibilité de donner une définition purement naturaliste de la résistance de l’organisme. » (« Une devise pour l’organisme » par Anne-Marie Moulin, dans l’ouvrage « Résister » déjà cité). D’abord même quand on résiste ainsi on peut avoir des marges de manœuvres, certains choix possibles. Par exemple on peut apprivoiser certaines peurs, il y a donc de l’inné mais aussi de l’acquis c'est-à-dire de l’idéologique, de l’éducatif, du social, de l’économique, par exemple face à ce que l’on appelle des « maladies de l’hiver » certes les stratégies de défense de notre corps sont là mais existent également des façons d’aider notre organisme à se défendre, on peut stimuler des défenses immunitaires par des plantes médicinales, par des vitamines. Ensuite les mécanismes de défense sont inégaux selon les personnes, certaines sont par exemple plus frileuses que d’autres, et des inégalités existent également selon les groupes, par exemple les maladies cardiaques chez les femmes sont, dit-on, sous-diagnostiquées parce qu’elles peuvent former des caillots sanguins plus silencieux .Enfin il peut arriver que des mécanismes de défense soient synonymes d’erreurs, par exemple face à des menaces que l’on croyait exister mais qui étaient des peurs sans objet.
- Les innombrables résistances quotidiennes par rapport à soi-même et à d’autres.
Dans ces résistances les volontés sont présentes, elles sont très variables dans leur durée.
-Des résistances à soi-même varient selon ses choix de vie, son tempérament, sa santé, son entourage et selon les circonstances. Ainsi face au sommeil, à des fatigues, des efforts, des maladies, face à des situations et des décisions qui nous contrarient…On le sait aussi des résistances, des forces peuvent « nous manquer, nous abandonner. ».
-Et puis dans nos rapports avec les autres, on peut vivre des résistances dans des lieux quotidiens, autrement dit dans la famille, l’éducation de ses enfants et petits enfants, dans ses amitiés, sa profession, dans l’administration, les moyens financiers, le commerce, les transports, les voyages, les spectacles…Dans l’administration on ne résiste pas toujours au rire quand elle vous écrit « Votre dossier est vide de toutes pièces manquantes » ou bien « Vous pouvez payer en plusieurs fois à condition de tout régler d’un coup » ou bien « Comme chaque année nous avons égaré votre dossier. »
-Il arrive aussi que l’on abandonne des résistances par lassitude, par peurs de complications ou de conflits qui s’enveniment, par lâcheté dans la fuite, ou par volonté de ne plus recevoir de coups et de trouver un peu de calme voire une certaine sérénité.
- De nombreuses résistances, témoignages d’actes culturels.
Elles représentent un ensemble de volontés et se construisent dans le temps. Quels sont les éléments qui constituent ces résistances ? On peut en recenser au moins cinq.
-En premier lieu l’acte culturel repose sur un socle, celui de valeurs, c'est-à-dire ce à quoi l’on croit. Ces valeurs les plus connues, qui ont vu le jour grâce à de nombreuses résistances à travers le temps, sont celles de la culture humaniste, elles correspondent également à la devise de la République française : liberté, égalité, fraternité .Ces valeurs se sont traduites peu à peu par les droits de quatre générations, les deux premières sont reconnues au niveau international par les deux Pactes internationaux des droits de l’homme, les droits-libertés c'est-à-dire les droits civils et politiques (qui sont les droits de), les droits-égalités c'est-à-dire les droits économiques sociaux et culturels (qui sont les droits à).La troisième, celle des droits-solidarités, qui sont les droits au développement, à l’environnement et à la paix, voit le jour, on va, trop lentement, vers la consécration d’un Pacte international du droit à l’environnement, la paix attend toujours son Pacte, des textes existent sur le droit au développement durable. Une quatrième génération de droits est en gestation, celle des droits des êtres humains par rapport à la techno science, par exemple relatifs à la bioéthique et au clonage, ou bien ,mais on en est encore très très loin,un droit à l’interdiction des recherches sur les armes de destruction massive.
Ajoutons que des personnes, des communautés, des organisations, des mouvements, de façon modérée ou radicale, ne veulent pas adhérer à ces valeurs et, par exemple, se prononcent pour un repli sur soi, une fermeture voire une haine de l’étranger et sont porteurs d’injustices, d’atteintes aux libertés.
Camus écrivait « Le révolté oppose ce qui est préférable à ce qui ne l’est pas. Toute valeur n’entraine pas la révolte, mais tout mouvement de révolte invoque tacitement une valeur. »
-En second lieu ce sont donc les atteintes à une ou plusieurs de ces valeurs qui donnent le jour à des résistances. « Indignez-vous ! » proclamait Stéphane Hessel .En effet l’indignation est le terreau de la résistance. Elle apparait dans les domaines qui correspondent à l’ensemble des activités humaines. Il s’agit des atteintes à la démocratie (liberté), à la justice (égalité), à la paix et à l’environnement (fraternité). En témoignant de son engagement dans la résistance Edgar Morin affirmait : « Je faisais quelque chose qui me semblait juste et bien. » Adam Michnik, ancien militant de l’opposition polonaise, écrivait : « Dans la vie de chaque homme vient un moment où pour dire simplement ceci est noir ceci est blanc il faut payer très cher. Ce peut être le prix de la vie. A ce moment le problème n’est pas de connaitre le prix à payer mais de savoir si le blanc est blanc et si le noir est noir. Pour cela il faut garder une conscience. » Donc l’indignation est synonyme du « trop c’est trop », de l’écœurement, de l’inacceptable. Cette révolte et cette colère apparaissent le plus souvent face aux injustices. Jean Carbonnier, auteur d’un ouvrage juridique célèbre (Flexible droit, LGDJ, 1969), constatait que « La découverte de la justice est tantôt illumination à l’horizon lointain, tantôt éclair qui déchire la conscience. » Ainsi, de façon lente ou brutale, on entre en résistance.
- En troisième lieu cette indignation se traduit concrètement par un refus, un non.
Plutarque, philosophe et biographe de la Rome antique, cité par Montaigne puis de nos jours par exemple par Edwy Plenel (« Dire non », éditions Don Quichotte, 2014) affirmait : « Les habitants d’un pays étaient tombés en esclavage pour ne pas savoir prononcer une seule syllabe : non. »Voilà qui peut rappeler cette pensée du philosophe Alain : « Penser c’est dire non. Remarquez que le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non(…) » (Alain, Propos sur les pouvoirs, « L’homme devant l’apparence »,19 janvier 1924, n° 139). On refuse de « s’adapter» au scandaleux, à l’intolérable, à l’inhumain. Ce refus peut se manifester en paroles et il peut prendre corps en actes. N’écoutez pas seulement ce qu’ils disent, regardez surtout ce qu’ils font.
-En quatrième lieu cette indignation peut aussi prendre souvent la dimension du « nous » qui devient essentielle. Le fondateur de Mediapart lançait un « appel au sursaut » : « Dire non pour inventer tous ensemble notre oui. » ( Edwy Plenel « Dire nous », éditions Don Quichotte) 2016).On s’indigne au nom du bien commun, au nom de l’intérêt collectif, au nom de l’idée d’humanité.
-Enfin en cinquième lieu cette indignation peut aussi s’accompagner d’une capacité de proposition, d’une utopie créatrice c'est-à-dire prenant les moyens de se réaliser à travers des alternatives. René Jean Dupuy, juriste internationaliste, écrivait : « La dimension utopique et prophétique demeure indispensable dans toute prospective réelle qui implique non pas la simple extrapolation du passé et du présent mais le moment de la rupture, le moment de la conscience, le moment de la transcendance de l’homme par rapport à sa propre histoire. » (René Jean Dupuy, La clôture du système international. La cité terrestre », puf, 1989).
- Des résistances de veilleurs, un état d’esprit face à tout ce qui détruit le vivant.
A vrai dire la distinction entre l’acte culturel et l’état d’esprit n’est pas toujours tranchée. On peut passer de l’un à l’autre dans sa vie ou dans une collectivité, selon le souffle que l’on a et selon les circonstances.
Dans l’état d’esprit de la résistance les volontés sont omni présentes et le temps est plus ou moins habité par des refus. Deux éléments constituent probablement cet esprit de résistance.
-En premier lieu : les résistant(e)s deviennent peu à peu des veilleur(e)s. Pour elles, pour eux « résister c’est exister, exister c’est résister.». L’esprit de résistance se traduit par des critiques et des insoumissions dans un ou plusieurs domaines. Le veilleur veille au nom des autres et avec les autres, mais aussi quelquefois contre eux ou sans eux. Il a une volonté particulière, celle de détecter le plus tôt possible des atteintes à des valeurs. Le veilleur sait que nos chemins de bonnes intentions peuvent être pavés de nos renoncements successifs. Il sait que plus on attend pour résister, plus il va être difficile de le faire parce que les atteintes aux valeurs deviennent plus nombreuses et plus dures à combattre et parce que les volontés d’entrer en résistance peuvent se perdent dans le sable.
-En deuxième lieu cet état d’esprit est d’autant plus porteur qu’il embrasse un ensemble d’indignations face aux atteintes qui détruisent les êtres humains et l’ensemble du vivant. L’amour de la vie et de tout ce qui est vivant fait naitre une colère qui devient inextinguible, c'est-à-dire qu’on ne peut plus l’arrêter face à ce qui menace, attaque ou tue la vie. Dans son cœur, son esprit et sa vie on crie du fond de son être « Liberté ! Justice ! Paix ! Vive le vivant ! ».
Indignation, révolte, rupture, résistance ne se dévorent pas mais ont faim ensemble, elles se complètent, elles s’inclinent les unes vers les autres.
Ainsi, vous l’avez compris, il n’y a pas de cloisons étanches entre ces quatre séries de situations de résistances. Par exemple les deux premières, celles des réflexes et celles quotidiennes envers soi et d’autres, peuvent être présentes dans l’engagement d’un acte culturel. Et par exemple on peut dans un acte culturel être habité peu à peu par un esprit de résistance plus général.