IIIème point- Le contenu du projet de convention sur les déplacés environnementaux
Nous distinguerons les aspects normatifs(A) puis institutionnels(B) à travers l’essentiel du projet selon la dernière version de mai 2013.
A-Les aspects normatifs du projet de convention
Quelle définition et quels principes ?(1) Quels droits classiques et quels droits spécifiques ? (2)
1-La définition et les principes
La définition centrale est celle de l’article 2 « On appelle déplacés environnementaux les personnes physiques, les familles, groupes et populations confrontés à un bouleversement brutal ou insidieux de leur environnement portant inéluctablement atteinte à leurs conditions de vie, les forçant à quitter, dans l’urgence ou la durée, leurs lieux habituels de vie »,un alinéa du même article(2 .3) affirme que le déplacement temporaire ou définitif a lieu « soit à l’intérieur d’un même Etat, soit de l’Etat de résidence vers un ou plusieurs autres Etats d’accueil. »
Les principes, déterminés par le chapitre 2, inspirent et encadrent la convention, ainsi le principe de solidarité qui en appelle aux Etats, aux collectivités publiques, aux acteurs privés, le principe des responsabilités communes mais différenciées qui sera accompagné d’un protocole, le principe de protection effective selon lequel « l’Agence mondiale des déplacés environnementaux et les Etats parties ont l’obligation de mettre en œuvre des politiques permettant aux déplacés environnementaux d’exercer les droits garantis par la Convention » , le principe de non-discrimination , enfin le principe de non-refoulement selon lequel « les Etats parties ne peuvent refouler un candidat au statut de déplacé environnemental. »
2- Les droits des déplacés environnementaux sont tour à tour :
Les droits garantis aux personnes menacées de déplacement(chapitre3) qui sont les droits à l’information et à la participation, le droit au déplacement, le droit au refus du déplacement.
Les droits garantis aux personnes déplacées(chapitre 4) : droit d’être secouru, droit à l’eau et à une aide de subsistance, droit aux soins, droit à la personnalité juridique, droits civils et politiques, droit à un habitat(avec trois alinéas précis),droit au retour, interdiction du retour forcé, droit au respect de l’unité familiale, droit de gagner sa vie par le travail, droit à l’éducation et à la formation, droit au maintien des spécificités culturelles, droit au respect des biens. A ces droits s’ajoute un droit spécifique aux déplacés internationaux, le droit à la nationalité. Tels sont les aspects normatifs, quels sont les aspects institutionnels ?
B- Les aspects institutionnels du projet de convention
1- Les institutions prévues par la convention (chapitre 6)
Certains les jugeront trop lourdes, d’autres penseront qu’elles sont à la hauteur des défis.
Chaque Etat partie crée une commission nationale des déplacés environnementaux, commission indépendante chargée de l’examen des demandes de reconnaissance du statut (chap.5 , article 17).
La Conférence des Etats Parties (article 20)nomme les membres des institutions, elle examine et évalue les politiques que les Etats Parties appliquent, elle adopte les protocoles.
La Haute Autorité (article 22), dont les membres indépendants sont élus par la Conférence des Parties, statue en appel des décisions des commissions nationales(art18), elle a des compétences étendues telles que les lignes directrices de reconnaissance du statut, les questions d’interprétation de la convention, la synthèse des rapports nationaux, les recommandations à la Conférence des parties…
L’Agence mondiale pour les déplacés environnementaux (AMDE)(article 21) comprend un Conseil d’administration , un Conseil scientifique et un Secrétariat ,elle a le statut d’institution spécialisée des Nations Unies, elle est chargée de l’application de la Convention à travers des missions substantielles.
Le Fonds mondial pour les déplacés environnementaux (article 23) met en œuvre des aides financières et matérielles pour l’accueil et le retour des déplacés environnementaux, ces aides peuvent être accordées aux Etats sinistrés et aux Etats d’accueil, aux organisations internationales et régionales, aux collectivités locales, aux ONG. Le Fonds facilitera la conclusion d’accords bilatéraux, régionaux, internationaux relatifs à ces aides.
Les organes de la Convention exercent leurs missions dans le respect de la Convention d’Aarhus de 1998 sur le droit à l’environnement.
2-Les protocoles institutionnels additionnels à la convention ,
Ils seront adoptés dans l’année qui suit l’ouverture à la signature de la convention, ils préciseront les modalités d’organisation de l’Agence, de la Haute Autorité, du Fonds, il faudra aussi conclure un Acte constitutif créant l’Agence comme institution spécialisée des Nations Unies(21).
Quel est donc le devenir de ce projet ? Ne doit-il pas être rattaché à l’ensemble des autres réponses ?
IVème et dernier point -Le devenir du projet de convention et les autres réponses relatives aux déplacés environnementaux
Nous distinguerons le devenir du projet de convention(A) puis ce devenir au regard des autres réponses(B).
A- Le devenir du projet de convention
Quelles ont été à ce jour les avancées du projet ? (1) Quels sont les obstacles et les possibilités de les surmonter ?(2)
1-Les avancées du projet de convention
La prise en compte d’amendements a été un processus continu depuis 2005
Le projet de 2008 a été amendé en 2010, celui-ci à son tour a été amendé grâce au travail des équipes du projet CADHOM, en particulier des correspondants de sept pays auxquels on a demandé comment il devait être modifié pour une application chez eux, ainsi a vu le jour le projet de mai 2013.
C’est un des projets de convention les plus structurés
Depuis la thèse de Véronique Magniny en 1999 (Les réfugiés de l’environnement, hypothèse juridique à propos d’une menace écologique, Paris) des propositions de création d’une convention internationale sur les déplacés environnementaux ont vu le jour, Christel Cournil en a fait une analyse comparative(22), elle pense que « le projet des juristes de l’Université de Limoges et le projet d’experts australiens sont les propositions les plus abouties », Julien Bétaille souhaite « une lisibilité de la recherche universitaire mondiale par le politique. »(23)
Soulignons simplement que si l’on ajoute les projets des équipes de recherche des Pays-Bas et des Etats-Unis, on constate que trois sur quatre proposent une convention, un projet propose un protocole à la Convention sur les changements climatiques, trois projets s’en tiennent aux déplacés climatiques, le projet français propose une convention sur tous les déplacés environnementaux et, c’est peut-être le plus intéressant , trois projets sur quatre prennent en compte les déplacés internes et internationaux . Par rapport à l’institutionnel celui-ci est massif dans les projets français et australien, enfin deux points forts dans l’ensemble des projets sont le principe des responsabilités communes mais différenciées et l’aide financière.
Enfin , autre avancée, un début de reconnaissance du projet :
Les rédacteurs et d’autres avec eux l’ont fait et le font connaitre à travers articles, colloques, déplacements dans des institutions internationales (Nations Unies) , régionales, (Conseil de l’Europe), dans des ONG (UICN, Amis de la Terre),dans des conférences internationales(à celle de Rio 2012).Peu à peu le voilà de plus en plus cité aux niveaux national, régional et international.
2-Les obstacles et les possibilés de les surmonter
Trois séries de difficultés existent, les unes idéologiques, les autres politiques, les dernières financières, toutes doivent et peuvent être surmontées.
D’abord les obstacles idéologiques :
« Votre projet de convention se veut grand remède miracle, en particulier parce que le fardeau est déplacé vers la communauté internationale » : non, nous ne croyons pas au remède miracle, mais c’est une solution nécessaire et complémentaire avec d’autres, oui la communauté internationale est appelée à des responsabilités collectives à travers de nombreux acteurs.
« Votre projet de convention ne répondra pas aux besoins des déplacés comme le sont des réponses régionales et locales, comme le sont les coopérations, comme le sont les réponses ciblées par zones géographiques répondant aux variétés des situations » : réponse oui, il y place pour ces autres projets et réalisations en route, quant à la coopération elle est omniprésente dans la convention, et la diversité des situations est prise en compte par exemple du point de vue culturel.
« Votre projet risque de durcir le concept de déplacés, il y aura ceux qui seront dans la définition, la protection et ceux qui n’y seront pas, de toutes façons les déplacements sont surtout internes et à court terme » : non la convention n’est pas porteuse d’exclusions, c’est une force de la convention que la globalité de sa protection, quant aux déplacements à la fin de ce siècle ils seront massifs, internes et externes, et probablement de plus en plus prolongés.
Enfin, nous dit-on, « Votre projet va prendre de l’énergie aux autres solutions, il risque même d’encourager les pays à aller vers des réponses minimalistes face aux causes du réchauffement climatique dans la mesure où certains se diront que la solution est trouvée pour amortir ces effets des catastrophes». Oui il ne faut pas que ce projet freine les autres mais, au contraire qu’ils se renforcent les uns les autres. Quant à la récession des volontés pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, elle a de nombreuses causes et ce serait un alibi de plus. Mais le contraire peut avoir aussi une part de vérité, ainsi l’aspect porteur de paix du projet de convention peut avoir au contraire des répercussions positives en amont pour mieux se trouver côte à côte et combattre les causes du réchauffement climatique.(24)
Ensuite les obstacles politiques :
Ils sont liés aux souverainetés étatiques .
Certains Etats auront une difficulté à accepter diverses dispositions de la convention, cela d’autant plus que les réserves ne sont pas permises tant pour la convention que pour ses protocoles (art.32).
Parmi ces dispositions certains droits attribués aux déplacés environnementaux, par exemple le droit au déplacement (art.9), le droit au non-refoulement (art.14), certains pouvoirs attribués aux institutions de la convention, par exemple l’appel devant la Haute Autorité, ou bien l’indépendance des Commissions nationales des déplacés environnementaux (art.17).
En tous les cas on peut penser que, pour entrainer l’ensemble de la communauté internationale, la pression des ONG est importante avec également les prises de position et les initiatives venant de quelques Etats du Sud et du Nord(23).
Enfin les obstacles financiers :
Lesquels ? Quelles sont les chances de les surmonter ?
Les aides financières et matérielles, sont un des points forts de la convention. Le système mis en place par la convention comporte certes des contributions volontaires venant de différents acteurs (art.23.2.1) mais surtout des contributions obligatoires (art.23.2.2) « alimentées par une taxe reposant principalement sur les facteurs de bouleversements brutaux ou insidieux susceptibles d’entrainer des déplacements environnementaux ».
Ce système comprend au moins deux difficultés et deux forces .
Une difficulté est liée à sa complexité. Comment arriver à le mettre en place sans en faire « une usine à gaz » ? Comment établir des indicateurs fiables ? Comment arriver à prélever efficacement la taxe ?
Une autre difficulté du système est celle de la distribution des aides. Elle devrait être basée, selon la convention, sur le principe des responsabilités communes mais différenciées. Il faut que ces aides soient à destination et des pays sinistrés et des pays d’accueil.
La force de ce système serait d’arriver non seulement à prélever des fonds mais, on l’a compris, de réduire ou de supprimer un certain nombre de facteurs à l’origine de la dégradation de l’environnement entrainant des déplacements environnementaux.
L’autre force de ce système est, paradoxalement, la période dans laquelle on se trouve, certes celle de la crise économique depuis en particulier 2008, mais aussi celle des premières mises en place passées, présentes et à venir, de ce type de fonds internationaux, ainsi par exemple relatif aux billets d’avion, aux transactions de change…On connait pour ces dernières les obstacles rencontrés,il est probable qu’il en ira de même pour ce système proposé.
B- Le devenir du projet de convention en complémentarité avec d’autres réponses
L’ensemble des voies possibles de la protection a été exploré de façon détaillée par Christel Cournil (25). Soulignons ici simplement quelques complémentarités diversifiées(1) et porteuses(2).
1- Des complémentarités diversifiées
Complémentarités selon les niveaux géographiques
Si l’on se place du point de vue national quelles sont les chances et les difficultés d’adopter telle loi et aussi une convention régionale ?(26) Si l’on se place du point de vue régional comment les Etats vont-ils adhérer et mettre en œuvre une convention de ce type et faudra-t-il aller ensuite ou bien parallèlement vers l’universel ? Si l’on se place du point de vue international les Etats adhèreront-ils à une convention et comment l’acquis régional s’articulera-t-il avec cette dimension d’universalité ?
Complémentarités selon les formes juridiques des réponses
Voilà des lois nationales, voilà aussi des accords bilatéraux, sous-régionaux, régionaux mettant en œuvre des solidarités à partir de liens existant déjà, peut-être demain une convention internationale, les aspects juridiquement contraignants sont bien présents, veut-on devenir Etats parties à ces conventions, veut-on dégager des intérêts communs ? Voilà des déclarations, des principes directeurs,(27) voilà même des « principes éthiques » qui juridiquement ne sont pas contraignants, mais on en a tout de même tenu compte pour les déplacés internes, et demain qu’en serait-il pour les déplacés internationaux ? Voilà enfin des programmes de protection, par exemple une initiative lancée en octobre 2012 par deux Etats, programme dont Walter Kalin est l’un des responsables.
Complémentarités selon le contenu des réponses
On va ainsi de l’élargissement de la protection d’une loi nationale sous la forme par exemple de protections temporaires collectives de personnes ne pouvant revenir dans un pays sinistré, en passant par un programme de prévention, de protection, d’assistance durant la période de séjour à l’étranger ainsi que du retour au pays, pour arriver au projet de convention universelle et globale évoquée ici. Ces projets sont différents aussi et en temps nécessaire pour les réaliser et en importance des moyens mis en œuvre.
2- Des complémentarités prometteuses :
Un élément de coordination et de coopération entre de nombreux acteurs
La convention contribuerait à construire une gouvernance internationale capable d’établir ou de renforcer une coordination et une coopération entre de nombreuses organisations locales, régionales et internationales.
Un élément de renforcement et de soutien réciproque entre différentes sources du droit
La convention contribuerait à un renforcement et à un soutien réciproque entre des sources de droit engagées dans des réponses aux besoins des déplacés environnementaux : droits de l’homme, droit de l’environnement, droit des catastrophes, droit humanitaire, droit des réfugiés, droit de la paix.
Remarques terminales
Finalement cette convention, portant statut international des déplacés environnementaux, ne serait elle pas un élément, avec d’autres espérons-le, symbolique de cette chaine dont nous sommes les maillons, de cette solidarité entre les générations passées, présentes et futures ?Ce symbole, mis en avant par Virgile, nous accompagne toujours ,François Ost nous le rappelle magnifiquement : Enée, fuyant la ville de Troie en flammes, conduit par son fils, porte sur le dos son père qui, lui-même, emporte précieusement les objets sacrés de ses ancêtres.(28). Ainsi l’humanité n’est pas une construction illusoire, un gadget pour idéaliste, un lot de consolation distribué par les maitres aux esclaves. L’humanité s’incarne à travers le temps, nous en sommes des maillons, elle contribue à nous porter. Relais de cette transmission, voulons-nous être comme des veilleurs debout ?
Le souffle de ceux et celles qui nous ont précédés et celui de ceux et celles qui vont nous suivre peuvent contribuer à nous porter, mais c’est notre souffle, celui des vivants que l’on attend, et c’est notre souffle qui nous attend.
Notes
21-Cadhom(Catastrophes et droits de l'homme), 2013, Dans le cadre du Cadhom ont été étudiées « les conditions juridiques et diplomatiques d’adoption des protocoles institutionnels du projet de convention sur les déplacés environnementaux ».
22-Cournil Christel, Emergence et faisabilité des protections en discussion sur les « réfugiés environnementaux », in Réfugiés climatiques, migrants environnementaux ou déplacés ? Numéro sous la direction de Luc Cambrézy et Véronique Lassailly-Jacob, Revue Tiers Monde, n° 204, octobre-novembre 2010,p 35 à 53.
23-Bétaille Julien, Des « réfugiés écologiques » à la protection des « déplacés environnementaux », éléments du débat juridique, revue hommes et migrations, n°1284, mars-avril 2010,p144 à 153.
24-McAdam Jane, Swimming against the Tide: Why a Climate Change Displacement Treaty is Not the Answer, International Journal of Refugee Law Vol.23 N°1 pp2-27.Cet auteur rassemble beaucoup d’ arguments auxquels nous répondons.
25- Cournil Christel, A la recherche d’une protection pour les « réfugiés environnementaux »:actions, obstacles, enjeux et protections, Revue Asylon(s), n°6, novembre 2008.
Cournil Christel, Les défis du droit international pour protéger les « réfugiés climatiques » : réflexions sur les pistes actuellement proposées, in Cournil C, Colard Fabregoule C (dir), Les changements climatiques et les défis du droit, Bruylant, 2010, pp345-372.
Cournil Christel, Les migrations et déplacements climatiques : quelle gouvernance, quels droits ? Draft-Contribution écrite de la communication orale à l’AFSP, 31 août 2011.
26- Existe ainsi la Convention de Kampala(en Ouganda, du 23-10-2009, entrée en vigueur le 6-12-2012) sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique. C’est une avancée importante puisqu’elle constitue la première convention pour tout un continent sur la protection et l'assistance aux personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, elle oblige les Etats parties à protéger et à assister les personnes déplacées du fait d'une catastrophe naturelle ou d'autres événements (conflits armés…) provoqués par l'homme. Les causes des déplacements sont souvent liées les unes aux autres, conflits armés mais aussi de causes écologiques et économiques…
27-Principes directeurs : Manuel d’explication des principes directeurs relatifs aux déplacés internes, OCHA, Brookings Project on Internal Displacement, voir aussi site du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Voir aussi Dix ans d’application de Principes directeurs, Revue Migrations Forcées, décembre 2008.
Principes éthiques pour la réduction des risques de catastrophes et la résilience des personnes, Conseil de l’Europe, Michel Prieur. Accord européen et méditerranéen sur les risques majeurs (EUR-OPA) 15avril 2011.
Principes Nansen : ces dix principes ont été adoptés en juin 2011 à Oslo par la Conférence Nansen sur le changement climatique et les déplacements de population au XXIe siècle.
L’initiative Nansen, lancée en octobre 2012, par la Norvège et la Suisse a pour objectif « d’établir un consensus entre les Etats sur la meilleure manière de traiter le déplacement transfrontalier dans le contexte des catastrophes à déclenchement soudain ou lent. »Walter Kalin en est un des responsables.
Voir aussi Walter Kalin et Nina Schrepfer, Rapport 80 pages, « Protecting People Crossing Borders in the Context of Climate Change Normative Gaps and Possible Approaches”, UNHCR, Division of International Protection, february 2012, PPLA/2012/01.
28-Ost François, Générations futures et patrimoine, in les clefs du XXIe siècle, Seuil, Unesco, 2000,p 207à 212.