L’ACCELERATION DU SYSTEME MONDIAL
Cher visiteur, chère visiteuse de ce blog : s’il y a un phénomène qui traverse une partie ou une grande partie de nos vies personnelles et collectives c’est bien celui là ! D’où l’importance d’essayer de le penser,
dans le sillage de nombreux auteurs
et à partir de différents vécus.
Introduction
Partir de l’Univers en passant par la Terre pour arriver jusqu’aux mythes, n’est-ce pas une façon de prendre conscience de l’ampleur gigantesque de ce phénomène qu’est l’accélération ? Puis, juste avant de proposer une démarche en trois temps, nous n’oublierons pas de préciser ce que l’on entend par « système mondial.»
1- L’ampleur incommensurable de l’accélération dans le cosmos : vers l’inconnu ?
a) L’Univers est dans une phase d’expansionaccélérée. «Il y a donc en permanence émergence d’espace-temps, ce qui conduit à un Univers au renouvellement perpétuel. L’évolution de l’Univers semble s’opposer au concept de mort. Même si on allait vers un Univers totalement vide qui ne contiendrait plus rien… », voilà ce que pense Jean-Michel Alimi, directeur du laboratoire des théories de l’Univers de l’Observatoire de Paris Meudon (revue Science et Vie, septembre 2009.)
b) Pourtant on ne sait pas, aujourd’hui en 2015, ce quiprovoque l’accélération de cette expansion. Les cosmologistes ont nommé cette cause « énergie noire », mais, en ces débuts du XXIème siècle, nous ignorons sa nature. Jean-Michel Alimi continue « Il est donc difficile d’affirmer que l’expansion accélérée de l’Univers va se poursuivre éternellement. Les choses pourraient finir par être très différentes », autrement dit : il existe une incertitude sur le devenir immensément lointain de cette accélération de l’Univers.
2-L’ampleur gigantesque de l’accélération sur notre Terre : une crise du temps
Il y a, à la fois, un temps de crise et une crise du temps.
a) Le temps de crise est celui du système productiviste terricide (qui assassine la Terre) et humanicide (qui assassine l’humanité) (ces deux mots « inventés » ne mériteraient-ils pas d’être plus utilisés ?). Cette crise, dont les logiques de fuite en avant commencent avec la colonisation(XVIème), se développe en 1945 avec le nucléaire, symbole d’une techno-science qui ne se donne plus de limites, et cette crise devient peu à peu multidimensionnelle c’est-à-dire politique, économique, sociale, écologique, culturelle cela depuis sept décennies (1945-2015 ), c’est la crise radicale de tout un système. Le mot « crise » explose sur la planète après le premier choc pétrolier en décembre 1973 et aussi après le début de la crise financière en juillet 2007.
b) C’est également une crise du temps qui se manifeste par une double collision gigantesque :
collision entre une planète finie, limitée et des activités humaines se voulant infinies, à travers une croissance se voulant illimitée,
collision entre les temps rapides de la techno-science et du marché et ceux, plus ou moins lents, quelquefois très lents, des écosystèmes.
3- Les mythes, les anticipations et l’accélération
a) Du point de vue des mythes ne sommes-nous pas ramenés et confrontés au mythe grec de Chronos, ce dieu du Temps qui avait dévoré ses enfants pour mieux assurer son pouvoir ? Chronos, par cet infanticide, d’une certaine façon effaçait le futur. Aujourd’hui les générations présentes, en particulier à cause de l’état de la biosphère, laissent-elles un peu, beaucoup ou très peu de temps et de libertés aux générations futures ?
b) Du point de vue des anticipations nous ne citerons ici que » Le Meilleur des mondes » d’Aldous Huxley en 1932 (par exemple Pocket, 2002), ouvrage dans lequel l’auteur montre, entre autres, que le resserrement du temps est loin d’apporter la sérénité. On est confronté au stress temporel, à la dictature de l’urgence.
En mémoire nous revient ce film court-métrage dans lequel un individu était, par accident, « sorti du temps » et se retrouvait au centre d’une immense place d’une grande ville pendant quelques minutes ! Il accélérait ses actes pour pouvoir à chaque fois les rendre un peu plus nombreux et différents dans ce temps compressé.
4-Quelques ouvrages importants relatifs à l’accélération
Nous retrouverons ces auteurs et d’autres que nous citerons dans les réflexions qui suivent, il est cependant utile de resituer, dès le départ, les pensées de quelques-uns d’entre eux.
a) Parmi les ouvrages qui font date quant à cette accélération, ceux d’abord de Paul Virilio, urbaniste et philosophe, qui avance ses analyses inquiètes depuis plus d’une quarantaine d’années, c’est l’un des plus grands penseurs de la vitesse dans nos sociétés, ainsi par exemple «Vitesse et politique. » (Galilée, 1977), « Le Grand Accélérateur » (Galilée, 2010), il affirme en particulier que « quand il n’y a plus de temps à partager il n’y a plus de démocratie possible ».
b) C’est aussi Jean Chesneaux, historien qui, dans « Habiter le temps », (Bayard, 1996) affirmait « Nous sommes à la fois obsédés du temps présent et orphelins du temps à venir. Notre existence tend à se dissoudre en un zapping permanent, nos sociétés sur-programmées sont bloquées dans l’immédiat, notre devenir historique se brouille ».
c) Le sociologue allemand Harmut Rosa, dans son ouvrage « Accélération. »(La Découverte 2010) affirme qu’à l’accélération technique, et à celle des rythmes de vie, s’ajoute une accélération sociale, il élabore une « critique sociale » de cette « compression du présent ».
d) Nicole Aubert, sociologue et psychologue, dans « Culte de l’urgence. La société malade du temps » (Flammarion 2003) dénonce, elle aussi, cette dictature de l’urgence et met en avant un certain nombre de possibilités d’y échapper.
e) Enfin Lamberto Maffei , neuroscientifique italien, dans "Hâte-toi lentement"(FYP,2016) montre que la nature de notre cerveau n'est pas adaptée à ce temps qui se réduit ,"il faut redonner la priorité au temps du cerveau plutôt qu'à celui des machines", il invite à une civilisation de la réflexion basée entre autres sur le langage et l'écriture.
5- Par « système mondial » nous entendons l’ensemble des acteurs, des lieux, des activités du monde contemporain de 1945 à nos jours. Ce sont surtout la mondialisation et le productivisme qui caractérisent ce système mondial.
a) La mondialisation (voir trois « billets » sur ce blog) se manifeste sous différentes formes. La mondialisation financière, fondée sur la recherche du profit, se manifeste surtout par la puissance des marchés financiers, des marchés boursiers et des banques. La mondialisation économique fondée sur le libre-échange, se manifeste surtout par la puissance des firmes géantes. La mondialisation techno scientifique, fondée sur un développement continuel des recherches et des technologies, se manifeste surtout par les réseaux scientifiques et la publicité des technologies toujours à renouveler. La mondialisation culturelle, fondée sur les productions et les créations culturelles, reflets d’une uniformité très forte et de diversités plus ou moins nombreuses, se manifeste surtout par la puissance des grands groupes médiatiques. La mondialisation juridique, se traduit par une mondialisation du droit, par exemple correspondant à un grand nombre de traités bilatéraux, sous-régionaux, régionaux et internationaux, elle se manifeste aussi par un droit de la mondialisation, par exemple le droit de l’Organisation mondiale du commerce. La mondialisation idéologique se traduit en particulier sous la forme de ce que l’on appelle la « pensée unique » produite par le libéralisme économique qui met en avant la compétition, le culte de la croissance, la toute-puissance de l’économie sur la politique. On pourrait ajouter à cela d’autres formes de mondialisation, quelquefois importantes pour changer des situations, par exemple les manifestations non-violentes sur les places de villes, des formes de mondialisation quelquefois originales, par exemple une certaine mondialisation de l’humour.
b)Le système productiviste (voir quatre « billets » sur ce blog) repose sur des logiques profondes qui s’appellent la recherche du profit, l’efficacité économique, le culte de la croissance, la course aux quantités, la conquête de parts de marchés, la domination sur la nature, la marchandisation du monde, l’expropriation des élu(e)s et des citoyen(ne)s, le court terme, la compétition et donc l’accélération qui fait l’objet de cette réflexion. Ce système mondial va des plus petits acteurs, donc de « nos vies personnelles », jusqu’aux plus puissants (grands Etats, grandes villes, techno science, mondes médiatiques, firmes multinationales…) qui, de différentes façons, participent à « nos vies collectives.»
F-L’annonce du plan proposé
Pour essayer d’avoir une analyse globale, critique et créatrice, nous envisagerons tour à tour l’histoire et les causes de l’accélération du système mondial (I), les manifestations et les effets de ce phénomène (II), des réponses pessimistes et des réponses volontaristes face à l’accélération du système mondial (III).
Il faut cependant souligner qu’entre les causes, les manifestations et les effets, les distinctions ne sont pas toujours évidentes, il n’y a pas de cloison étanche et les interactions sont multiples, ce qui rend le phénomène d’autant plus impressionnant.
I- L’histoire et les causes de l’accélération du système mondial
Quelle est l’histoire(A) et quelles sont les causes(B) de ce phénomène gigantesque ?
A- Une idée de l’histoire de l’accélération du système mondial
Cette histoire se manifeste surtout par quatre évènements majeurs : l’explosion démographique et l’urbanisation vertigineuse(1), l’accélération de la techno-science et du marché mondial(2).
1) L’explosion démographique et l’urbanisation vertigineuse
a) Il a fallu 2 millions d’années pour arriver au premier milliard d’habitants en 1800, il a fallu seulement 210 ans pour avoir une population sept fois plus élevée, sept milliards d’habitants en 2011.L’explosion continue, en 2050 il y aurait en principe de l’ordre de 9 milliards d’habitants, elle ralentirait ensuite puisqu’en 2100 il devrait y avoir (?) 10 à 11 milliards de terriens.
De façon peut-être plus parlante, chaque seconde en 2014 : 4,4 naissances, 1,8 décès, donc un accroissement de 2,6 ; chaque jour approximativement 380000 naissances, 156000 décès, donc un accroissement de 224000 personnes, (soit l’équivalent de Limoges et de son agglomération, ou d’un peu moins que la ville de Montpellier), chaque année à peu près 139 millions de naissances, 57 millions de décès, soit un accroissement de 82 millions de personnes de la population mondiale.
b)La situation mondiale de l’habitat est liée en particulier à cette explosion démographique, le monde s’urbanise, multiplie les mégalopoles, se bidonvillise, se fragilise.
Chacune de ces situations, à sa façon, est porteuse d’accélération du système urbain, par exemple la rapidité des rythmes de vies dans les mégalopoles, dans les grandes villes et, à un moindre degré, dans les villes moyennes.
2) L’accélération de la techno-science et du marché mondial
a) La techno-science se développe lentement entre 1780 et 1850. A partir de 1880 jusqu’à 1914 elle s’accélère avec l’arrivée de la radio et celle des voitures. Elle va plus vite entre 1914 et 1945, enfin de 1945 à nos jours elle atteint une rapidité incroyable avec l’explosion des médias et de l’informatique, sa mondialisation est plus ou moins rapide selon les lieux.
Une réalité symbolise cette accélération : entre l’arrivée de la radio à la fin du 19ème et sa diffusion à 50 millions de personnes il y a eu 40 ans, par contre entre l’arrivée de la connexion à internet et la connexion à 50 millions de personnes il y a eu 4 ans ! D’autre part le nombre de terriens ayant un téléphone portable était de l’ordre de 75% en 2012.
L’exemple des transports est également des plus connus : il y a 150 ans il fallait trois jours pour aller de Limoges à Paris, aujourd’hui 3 heures, il fallait quinze jours pour aller de Limoges à Rio, aujourd’hui 7 heures.
b) Le marché mondial s’est accéléré. D’une part les firmes multinationales se sont internationalisées à partir des années 1960, la production a été plus rapidement disponible, la consommation a été portée très vite par la publicité, une course aux quantités les a accompagnées.
Le marché a imposé sa rapidité, ainsi les « flux tendus » sont un des symboles de cette accélération économique, de même la flexibilité, et dans l’espace et dans le temps, qui est synonyme d’adaptation de l’être humain au marché « Etre ou ne pas être flexible ! » nous dit souvent le marché.
La militarisation d’une partie de la science et de l’industrie participe à cette accélération, les armes sont de plus en plus mobiles, rapides et puissantes.
D’autre part, après la fin de la convertibilité du dollar en or décidée par les Etats-Unis le 15 août 1971(date capitale), la spéculation sur les monnaies est devenue plus forte, il y a eu une montée du système bancaire et des marchés boursiers, le domaine financier s’est plus ou moins séparé de l’économie avec des logiques spécifiques de fructification des patrimoines, les spéculateurs ont voulu gagner de plus en plus d’argent de plus en plus vite et, comble du comble, les marchés financiers fonctionnent aujourd’hui à la seconde ou à la nanoseconde.
Certains insistent sur le fait que ces marchés « ne supportent pas le temps démocratique qui ne va pas assez vite » (voir par exemple Patrick Viveret, entretien Mediapart, du 19-11-2011.)Ainsi « 70% des transactions aux Etats-Unis et 50% en Europe sont réalisés par des automates. »Lorsqu’on affirme, selon l’expression consacrée, qu’il faut « rassurer les marchés », il serait plus proche de la vérité de dire qu’il faut « rassurer ces automates ».On retrouve bien sûr ici la réalité de la technique qui nous échappe et qui devient autonome, réalité très présente en particulier dans l’œuvre de Jacques Ellul (voir par exemple « Le système technicien », Calmann-Lévy, 1977).
Telle est, très résumée, cette histoire de l’accélération, quelles en sont les causes ?
B- Les causes de l’accélération du système mondial
Partons de la cause générale(1) pour aller vers des causes particulières(2).
1) Une cause générale: les logiques de la fuite en avant du système productiviste
Le productivisme c’est un système qui apparait à la fin du Moyen Age (milieu XVème siècle), qui se développe sous la révolution industrielle (milieu XVIIIème en Angleterre et début XIXème en France) et qui se mondialise au XXème et au début du XXIème siècle. Ce système repose sur des logiques profondes.
a) Ces logiquess’appellent la recherche effrénée du profit, la course à la marchandisation du monde, la course à la mort sous la forme de certaines productions d’armes conventionnelles et d’armes de destruction massive, la croissance sacrosainte, la vitesse facteur de répartition de richesses, de pouvoirs, de savoirs, la dictature du court terme, le vertige de la puissance, la compétition élevée au rang « d’impératif naturel » de nos sociétés.
b) Cette fuite en avant est, aussi, celle d’une machine à gagner qui devient de plus en plus une machine à exclure, elle fonctionne comme une lame gigantesque mettant d’un côté ceux et celles dont les besoins fondamentaux sont plus ou moins satisfaits et, de l’autre, ceux et celles, qui sont de très loin les plus nombreux, dont les besoins fondamentaux restent criants.
2) Une énumération indicative des causes de l’accélération
a) Ces causes sont connues et nombreuses : la généralisation du règne de la marchandise toujours à renouveler, une tendance à l’auto reproduction d’une techno-science qui se dépasse continuellement, la circulation rapide d’informations, de capitaux, de produits et de services, les déplacements de plus en plus nombreux et rapides des êtres humains, la croissance de la population en particulier dans les mégalopoles, l’empilement des bureaucraties qui tendent à dessaisir les citoyen(ne)s, la prise de conscience de la fragilité du système international, les discours sur la compétition.
b) Parmi ces causes l’arrivée des technologies del’information et de la communication qui ont eu un grande influence. La vitesse de circulation de l’information entraine une généralisation de l’instantanéité et de l’immédiateté, c’est le culte de l’urgence qui domine sur les écrans. Ces nouvelles technologies sont censées libérer du temps, en fait elles demandent parfois voire souvent encore plus de temps et participent ainsi à l’accélération générale.
(Voir II : Manifestations et effets de l’accélération du système mondial.)