IV –Des interdépendances, fondements des droits de d’humanité
1- L’humanité et les éléments constitutifs de sa définition.
L’humanité est constituée par l’ensemble des générations passées, présentes et futures.
Elle a quelque chose d’indivisible, c’est un grand tout, un ensemble, qui va de la première à la dernière génération, cela à travers l’histoire de l’humanité.
En même temps, les générations ont différentes spécificités, autrement dit l’humanité comprend un tout et des éléments qui le composent. Quelles sont les spécificités par exemple des générations présentes ? Certainement la puissance de la techno science, le marché mondial, l’explosion démographique, les organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales, la montée de périls communs (débâcle écologique, armes de destruction massive…)…
Les générations sont interdépendantes, pour le pire, pour l’entre-deux et pour le meilleur. C’est un défi vital de construire une solidarité intergénérationnelle agissante pour un monde viable.
2-L’humanité et la nature.
Quel est l’essentiel de la conception dominante de la nature, l’anthropocentrisme ? La nature est un objet au service des êtres humains. L’homme est tout-puissant par rapport au non-humain, il doit se comporter en « maitre et possesseur de la nature », l’homme exerce, par le droit de propriété, un pouvoir absolu sur la nature qui est un objet de droit.
Quel est l’essentiel de la conception résistante de la nature, l’éco-centrisme ? La nature est un sujet, elle a une valeur intrinsèque, en elle-même, indépendamment de toute utilité pour les êtres humains. L’homme fait partie d’un ensemble, le vivant. Ayant vu le jour dans des civilisations très anciennes, en particulier amérindiennes, cette conception recommence à se développer depuis quelques décennies jusqu’à ces dernières années, par exemple un chapitre de la Constitution de l’Equateur est consacré aux droits de la nature, une loi des droits de la Terre-Mère a été adoptée en Bolivie. LaConférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les Droits de la Terre-Mère a adopté en 2010, à Cochabamba en Bolivie, une déclaration finale dans laquelle est affirmé que « la Terre-Mère doit être reconnue comme source de vie, comme un être vivant, avec lequel nous avons une relation indivisible, interdépendante, complémentaire et spirituelle.»
Une troisième conception pourrait être qualifiée d’ anthropo-éco-centrisme. Quel est l’essentiel de cette conception ?Cette synthèse doit être porteuse, elle doit dépasser les contradictions entre les deux visions précédentes pour contribuer à une véritable protection mondiale de l’humanité et de l’environnement. La nature est un donné et un construit pour les êtres humains (anthropocentrisme) et en elle-même (éco centrisme).L’humanité n’est pas au dessus de la nature. La nature n’est pas au dessus de l’humanité. L’humanité et la nature ont des liens de réciprocité, de complémentarité, d'interdépendance. L’humanité fait partie de la nature, la nature accueille l’humanité. Pour l’exprimer simplement : la Terre dépend des êtres humains et les êtres humains dépendent de la Terre.
La nature n’est pas objet ni sujet de droit, elle est projet de droit, idée forte avancée il y a vingt ans dans l’ouvrage de François Ost « La nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit. » L’ouvrage plaide pour « une nature-projet qui inscrit l'homme dans la complexité des interactions avec son milieu et définit une éthique de la responsabilité soucieuse de notre avenir commun. »
On peut ainsi aller dans le sens d’une synthèse accueillant le « meilleur » de chaque ensemble de théories et de pratiques et rejetant le plus critiquable. De l’anthropocentrisme on met en avant les humains et on remet en cause la marchandisation, la société de marché, pas seulement en la contrôlant mais en la remettant à sa place, en lui fixant des limites. De l’éco centrisme on met en avant l’ensemble du vivant et on remet en cause l’effacement de la différence entre l’humain et le non humain. Cette troisième conception se veut synonyme de responsabilités et de patrimoine commun.
On se fonde sur les responsabilités des êtres humains vis-à-vis de l’ensemble du vivant (humanité, faune, flore). Le patrimoine commun de l’humanité reposera sur une gestion synonyme de limites établies au nom des responsabilités des êtres humains et du respect des êtres vivants. On retrouve ici Hans Jonas et le « Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique » avec en particulier cette pensée bien connue : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine ; ou, pour l’exprimer négativement : agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie ; ou simplement ne compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de l’humanité sur terre… »
Le patrimoine commun de l’humanité(PCH) doit être démocratique, juste, écologique et pacifique. C’est et ce sera une gestion synonyme de partage entre pays, entre peuples, entre générations présentes et futures, sans oublier le respect du PCH créé par les générations passées. Ce patrimoine se transmet pour les générations futures et pour l’ensemble du vivant.
3- L’humanité, son unité et ses diversités .
Ne faut-il pas rechercher l’unité de l’espèce humaine et respecter ses différences ?
Cette unité de l’humanité repose sur l’unité de l’espèce humaine, les êtres humains ont des caractères qui définissent leur appartenance à l’espèce homo sapiens, mais cette unité va beaucoup plus loin. C’est une construction à travers des solidarités, à travers des luttes pour faire face aux périls communs. « Un seul monde ou aucun, s’unir ou périr » disait Einstein. Cette unité ne doit pas signifier une « uniformité uniformisante » aurait dit Kostas Axelos. Le titre d’un rapport de l’UNESCO de 1980 le disait magnifiquement : « Voix multiples, un seul monde. »
Respecter les différences est au cœur de nos relations avec les autres, et par exemple aussi des relations entre les générations passées, présentes, futures.
En premier lieu un acteur donné, par exemple une personne, un peuple, un pays, une culture ne doit pas éliminer les différences, il faut prévenir et dénoncer ces pratiques de domination qui débouchent souvent sur des drames épouvantables.
En second lieu un acteur donné ne doit pas exacerber les différences, ce regard est lui aussi destructeur à travers la formation des ghettos, le repli identitaire, au-delà d’un certain degré, peut se traduire par des pratiques inhumaines.
En troisième lieu le fait pour un acteur donné d’effacer les différences n’est-il pas plus ou moins dommageable ? Ce regard d’ « assimilation » consiste à dire que l’autre devient notre égal … parce qu’il devient comme nous.
En quatrième lieu se situe l’attitude « d’ouverture », elle repose sur le respect des différences, elle correspond à « l’intégration. » On reconnaît des similitudes et des différences, c’est le grand principe de non-discrimination. Nous sommes égaux et différents, nous sommes égaux « en dignité et en droits », il faut lutter pour conquérir et protéger ces égalités, « et » (non pas « mais ») nous sommes différents, il faut lutter pour que ces différences soient respectées. Ainsiles Etats parties à des pactes internationaux protecteurs des droits de l’homme s'engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans ces pactes, sans distinction aucune, « notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance, de handicap, d’âge, d’orientation sexuelle ou de toute autre situation. » Ce respect des différences se manifeste par exemple à travers les expressions de toutes les cultures.
Il faut ajouter que des différences ne peuvent en appeler à l’inhumanité, à la haine de l’autre, dans ce cas elles ne sont pas acceptables et se posent les questions des sanctions à adopter, et surtout des moyens à mettre en œuvre pour prévenir, en amont, de telles situations le plus souvent issues de désespoirs et/ou d’idéologies fondées sur la fabrication de l’image de l’ennemi.
4- L’humanité et ses lieux de vie (ou collectivités ou territoires) interdépendants.
Comment les qualifier ? La Terre est "le foyer de l’humanité", les continents sont nos "matries", les pays sont nos patries, les villages, les villes et les régions sont nos terroirs.
Le projet remarquable de « déclaration universelle du bien commun de l’humanité »(Forum mondial des alternatives,2012)affirme « il est indispensable de reconstruire les territoires comme base de la souveraineté alimentaire et énergétique et des principaux échanges ; de régionaliser les économies sur la base de la complémentarité et de la solidarité et, pour les régions périphériques, de se « déconnecter » des centres économiques hégémoniques, pour établir une autonomie commerciale, financière et de production.»
Les rapports entre ces collectivités doivent reposer d’abord quant à la forme d’organisation des volontés sur le principe de subsidiarité active. Dans chaque lieu il faut pouvoir prendre des initiatives et disposer de marges de manœuvres quant aux moyens mis en œuvre, cela à travers des rapports de force complexes, et à partir aussi des divers ordres juridiques. Ensuite quant au fond : ces rapports entre collectivités doivent reposer sur le respect de quelques grands principes énoncés ci-dessous, cela pour chaque lieu de vie, chaque collectivité, chaque territoire donc en fin de compte, à travers le temps, pour l’ensemble de l’humanité.
5-L’humanité accompagnée de concepts et de principes
Deux concepts paraissentessentiels. Ainsi doit peu à peu voir le jour dans les vies des peuples ce concept, porteur de principes (précaution, prévention…), le concept de limites au cœur des activités humaines. « Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de limites? » demandait Jacques Ellul. N’est-ce pas d’ailleurs, pour donner un exemple criant, la question des questions que pose le nucléaire et que nous devons lui poser, n’est-il pas sans limites dans le temps et l’espace?
Le second concept estcelui des moyens proposés qui doivent être conformes aux fins que l’on met en avant. Pour des fins démocratiques des moyens démocratiques, pour des fins justes des moyens justes, pour des fins écologiques des moyens écologiques, pour des fins pacifiques des moyens pacifiques. Cette pensée de Gandhi est lumineuse, décapante, opérationnelle : « Les fins sont dans les moyens comme l’arbre est dans la semence »
Des principes doivent accompagner chaque ordre juridique de chaque territoire,non seulement le principe de non-discrimination évoqué plus haut mais, aussi, ceux mis en avant par une plate-forme remarquable publiée dans Le Monde diplomatique (avril 1994, pages 16 et 17) intitulée « Pour un monde solidaire et responsable ».Elle est fondée sur « les éléments de diagnostic, les principes communs, l’esquisse d’une stratégie d’action en particulier sur l’articulation des niveaux géographiques et sur des programmes mobilisateurs. » Sont soulignés le principe d’humanité c’est-à-dire la possibilité d’avoir une vie digne répondant aux besoins essentiels, le principe de responsabilité des divers acteurs dans la construction des sociétés, le principe de diversité fondé surle respect des différences et allant à l’encontre d’une uniformisation tous azimuts, par exemple des cultures, le principe de précaution qui consiste à ne mettre en œuvre de nouveaux produits et de nouvelles techniques que si des risques graves ou irréversibles n’existent pas , le principe de modération qui consiste pour les plus aisés à limiter leur consommation, à apprendre ce que des théoriciens et des praticiens de la décroissance appellent « la frugalité conviviale.»
A ce propos Edgar Morin exprime une position qui peut être porteuse : « Il faut combiner croissance et décroissance. Je suis contre cette pensée binaire qui n’arrive pas à sortir d’une contradiction. Il faut distinguer ce qui doit croître et ce qui doit décroître. Ce qui va croître, c’est évidemment l’économie verte, les énergies renouvelables, les métiers de solidarité, les services étonnamment sous-développés comme les services hospitaliers.»
6-Les droits de l’humanité les droits de l’homme les droits des peuples et leurs interdépendances
Les droits de l’homme et les droits des peuples doivent s’appuyer sur ceux de l’humanité et réciproquement. En effet d’une part l’humanité devient une forme de garantie ( encore faiblement garantie) de la survie de tous, êtres humains et peuples, d’autre part les droits-libertés, les droits-égalités, les droits-solidarités (droits au développement, à l’environnement, à la paix) qui sont des droits de l’homme et des peuples renforce les droits de l’humanité. Ainsi par exemple le droit à l’environnement, appartient aux hommes, aux peuples et à l’humanité, cela à partir de textes spécifiques.
Certes existent des contradictions entre des droits. On en connait à l’intérieur des droits de l’homme, par exemple entre la liberté d’aller et de venir et des limites dans les moyens de se déplacer cela au nom de la protection de l’environnement. De même à l’intérieur des droits des peuples, par exemple entre l’autodétermination politique et l’autodétermination d’une économie dominée. De même à l’intérieur des droits de l’humanité entre des droits des générations présentes donnant souvent priorité au court terme(telle énergie moins chère) et pouvant porter atteinte aux droits des générations futures(lourds effets à long terme du choix telle ou telle ressource énergétique). De même il faut faire en sorte de ne pas jouer les droits de l’homme contre les droits des peuples et réciproquement.
De même on ne peut jouer les droits de l’humanité contre les droits de l’homme et des peuples. Ainsi on ne peut pas, au nom des générations futures, violer des droits de l’homme, un exemple extrême est connu : ce serait bien sûr un crime que celui de la disparition forcée de personnes âgées au nom d’une pression démographique trop forte dans tel ou tel lieu pour les générations futures. De même on ne peut pas jouer les droits de l’homme et des peuples contre ceux de l’humanité, ainsi au nom du droit à la sécurité présente on ne devrait pas pouvoir fabriquer certaines armes menaçant l’existence de générations futures.
7-L’humanité doit avoir, à terme, son « droit de l’humanité.»
L’humanité est entrée dans le droit international public à travers des dispositions relatives aux crimes contre l’humanité, au patrimoine commun de l’humanité, au droit humanitaire…
Les Etats tendent à protéger l’humanité par la consécration des expressions ci-dessus, pourtant comment ne pas voir d’abord que certains Etats n’acceptent pas d’adhérer par exemple au statut de la Cour pénale internationale qui sanctionnent les crimes contre l’humanité, et comment passer sous silence le fait que ce sont souvent des Etats qui violent les droits qu’ils sont censés protéger.
D’autre part l’humanité n’a-t-elle pas vocation à dépasser des souverainetés étatiques soit irréductibles, soit incapables de dégager des intérêts communs ? En tous les cas ce « droit de l’humanité » non seulement devrait laisser vivre les diversités, mais devrait être pour elles une garantie de plus.
8-L’intérêt commun de l’humanité et son contenu
L’intérêt commun de l’humanité a vu le jour peu à peu à travers les générations. Il a pour noms démocratie, justice, écologie, paix. Il est donc fondé sur des finalités et des moyens démocratiques, justes, écologiques, pacifiques. Ces fins et ces moyens ont leurs spécificités et sont interdépendants. Ainsi par exemple la paix contribue à la protection de l’environnement et celle-ci contribue à la paix.
Il est fondé aussi sur les périls communs (débâcle écologique, armes de destruction massive, inégalités criantes, régimes autoritaires…), Jean Rostand affirmait que les humains devraient être « fraternisés par les périls communs. »
Cet intérêt dépasse donc les intérêts personnels, les intérêts nationaux, d’autres intérêts, et même les intérêts communs des Etats. Schématiquement ces intérêts ne devraient ils pas être combattus s’ils lui sont contraires, et soutenus lorsqu’ils vont dans son sens ? On devine que les confrontations des divers intérêts sont et seront loin d’être simples, l’intérêt de l’humanité a la caractéristique de tenir compte aussi du long terme, ce qui est loin d’être le cas de bon nombre d’intérêts tournés surtout vers le court terme. On constate que les puissants partagent rarement d’eux-mêmes, ils ne le font qu’à travers les rapports de forces, ou bien s’ils arrivent à avoir conscience d’intérêts vitaux communs sur le cours ou le long terme.
9-L’humanité à la recherche de son patrimoine commun et de ses biens communs
A ce jour en droit international public c’est le patrimoine commun de l’humanité (PCH) qui estconsacré en droit positif, c'est-à-dire dans le droit en vigueur. Le PCH prend et prendra différentes formes, outre les quatre qui suivent on peut en imaginer et en construire d’autres, on devra les articuler entre elles pour renforcer la protection générale. A long terme ce devrait être là un contre-mécanisme important contre le productivisme, il n’aura ni des logiques d’intérêts nationaux, ni des logiques de primauté du profit et d’une fuite en avant autodestructrice. Le PCH au sens propre est celui d’éléments qui appartiennent juridiquement à l’humanité. Il s’agit des fonds marins (« la Zone ») (Convention sur le droit de la mer du 10-12-1982, article 136), de la Lune et de ses ressources naturelles (Accord du 5-12-1979, article 11), du génome humain (Déclaration du 11-11-1997, article 1er).Beaucoup d’auteurs s’arrêtent là et, malheureusement, n’ont pas une vue d’ensemble d’autres formes qui se rattachent au PCH. En effet le PCH au sens large est celui d’éléments constitués par des espaces internationalisés qui doivent être explorés et exploités dans l’intérêt de l’humanité. Il s’agit de l’espace extra atmosphérique (Traité du 27-1-1967, article 1er-1), de l’Antarctique (Traité du 1-12-1959, préambule).Et le PCH au sens plus large est celui d’éléments constitués par certains biens naturels et culturels ou mixtes, qui restent sous les souverainetés étatiques, mais qui nécessitent d’être protégés dans l’intérêt de l’humanité parce qu’ils présentent un intérêt exceptionnel. (Conclue dans le cadre de l’UNESCO, c’est la Convention sur le Patrimoine mondial, 16-11-1972).
On peut légitimement soutenir qu’il faudrait rajouter ici une quatrième série d’éléments : Le PCH au sens très large comprendrait les ressources biologiques, que les Etats ont certes le droit souverain d’exploiter (article 3 de la Convention sur la diversité biologique du 5-6-1992), mais les Etats seraient contrôlés (interdictions possibles) par une autorité internationale, gardienne de ce patrimoine naturel mondial, par exemple-si elle voit enfin le jour- la future Organisation mondiale de l’environnement(OME).Celle-ci interviendrait alors au nom de la nature et au nom des générations présentes et futures, cela pourrait se faire par exemple sous la forme d’un protocole à la Convention sur la diversité biologique. La critique de cette remise en cause serait double : des souverainetés étatiques verront dans cette entreprise une forme de dépossession, et le productivisme ne peut accepter de remettre en cause des logiques d’exploitation sans limites de la Terre.
Le PCH n’est pas un remède miracle pour la protection de l’environnement mais, s’il est accompagné de moyens et s’il est plus étendu, il peut être une forme importante contribuant à cette protection.
Cet intérêt commun de l’humanité est lié aussi à des biens communs. Ils sont qualifiés d’ « indispensables pour la vie collective des individus et des peuples » par le projet de « déclaration universelle du bien commun de l’humanité » (Forum mondial des alternatives, 2012), il est affirmé qu’il s’agit « de l’alimentation, de l’habitat, de la santé, de l’éducation et des communications matérielles et immatérielles. »Il faut donc « garantir l’accès aux biens communs et à une protection sociale universelle ». Cette déclaration conçoit plus globalement le « Bien commun de l’humanité comme possibilité, capacité et responsabilité de produire et de reproduire la vie de la planète et l´existence physique, culturelle et spirituelle de tous les êtres humains à travers le monde. »
Ces théories et ces pratiques , encore en gestation, celle de Patrimoine commun de l’humanité, celle de Biens communs, au-delà de leurs différences(conceptions de la propriété et de la responsabilité,conceptions des acteurs les mettant en œuvre, de leur étendue, de leur gestion…), ont probablement un point commun : mettre en avant des éléments qui, en dépassant le quadrillage étatique, en mettant des limites à la marchandisation du monde, en étant pensés sur le long terme, voudraient contribuer à préserver ce que l’humanité et la nature peuvent avoir d’essentiel.
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A ce sujet par rapport à l’essentiel voici de tout cœur deux histoires symboliques :
La première pourrait s’appeler « Comment remplir un bol ? » Un sage demande à des personnes « Voilà un bol plein de cailloux, puis-je y mettre autre chose ? », « Non » répondent-elles. Il ajoute de très petits cailloux « Puis-je y mettre autre chose ? »« Non » répondent-elles. Il ajoute un peu de sable puis demande : « Quelle est la philosophie de ce que je viens de faire ? »
Les uns disent « il faut remplir sa vie jusqu’au bout », d’autres affirment « il faut profiter de chaque moment de sa vie… »Le sage ajoute : «Oui, mais n’oublions pas aussi dans nos vies de mettre d’abord l’essentiel, puis l’important puis le secondaire. Essayons avant tout de déterminer ce qui est pour nous essentiel. » ( conte entendu et reconstitué par l’auteur de ce blog)
La seconde que nous proposons pourrait s’appeler « Daphnis es-tu là ?»
Un étudiant demande à son enseignant « Vous semblez aimer la mythologie grecque et romaine, comment, à partir d’elle, nous diriez-vous ce qui est pour vous essentiel dans nos vies? »
Après un silence l’enseignant répondit :
J’aimerais pour chacun, chacune, pour tous et toutes, que l’essentiel entre dans nos vies, comme on accueillerait une nouvelle personne dans une ronde, par exemple une ronde à quatre.
Voilà Sisyphe, condamné à rouler une roche au sommet d’une montagne, elle redescend et il doit toujours la remonter, ainsi sont dans nos vies les répétitions,
Voilà Prométhée, qui dérobe le feu aux dieux pour le donner à l’homme, ainsi sont dans nos vies les créations,
Voilà Castalie, nymphe métamorphosée en fontaine inspiratrice, ainsi sont dans nos vies l’enthousiasme et l’imagination,
Voilà Hygiée, déesse qui soutient la force des êtres vivants, ainsi sont dans nos vies la santé, le soulagement ou la guérison des douleurs,
La ronde des quatre commence ou continue, mais ils découvrent que quelqu’un d’essentiel leur manque. Ils le veulent, ils l’appellent, le voilà.
Apparait Daphnis, berger, chanteur, poète et musicien, remarquable de beauté et de sagesse, apprenant à tous le respect des hommes et de la nature, et qui, admis dans l’Olympe, prit sous sa protection les pasteurs et les troupeaux, il fut chéri et des dieux et des êtres humains et du vivant.
Ainsi les êtres humains, en personnes, en peuples, en humanité, accueillerons-ils ce qu’ils considèrent comme l’essentiel ?
( Voir sur Daphnis : Pierre Commelin, Mythologie grecque et romaine, Pocket,1994, pages 187 et 188.)