IX- Dans le système mondial les acteurs … en questions…
Nous entendons par acteurs tous les individus, groupes, institutions, entreprises et autres acteurs qui participent à l’état du monde et que l’on trouve à tous les niveaux géographiques (locaux, régionaux, nationaux, continentaux, internationaux) et dans l’ensemble des activités humaines.
Nous partirons d’une question générale à travers le temps, mais tournée surtout vers aujourd’hui : qui fait l’histoire ? ( 50-Selon vous qui fait l’histoire ?)
Pour avoir ensuite un tableau d’un ensemble d’acteurs nous les énumèrerons face aux situations écologiques. (51-Comment se comportent les acteurs face aux catastrophes écologiques ?)
Nous proposerons alors deux schémas explicatifs du fonctionnement du système mondial , le premier schéma sur l’armature et le cœur des mécanismes ( 52-Dans le trio capitalisme-productivisme-anthropocène ce système d’autodestruction a-t-il un « cœur » et une « armature » , cela comme une machine infernale ?),ce schéma explique beaucoup de rapports de forces ,il reste malheureusement inconnu d’un grand nombre de personnes.
L’autre schéma, se voulant opérationnel , est relatif au rôle des acteurs par rapport aux résistances et aux alternatives liées à la mise en œuvre de moyens viables. (53-Quel est le schéma général de fonctionnement des acteurs face à des remises en cause viables?)
Nous récapitulerons ensuite l’essentiel des droits des acteurs humains, autrement dit des personnes(54), des peuples et de l’humanité.(55).
Puis nous nous interrogerons sur les générations futures (56 à 61).
Pour terminer nous proposerons une réflexion globale sur l’humanité (62 à 64).
50-Selon vous qui fait l’histoire ?
51-Comment pourraient se comporter les acteurs face aux catastrophes écologiques ?
52-Dans le trio capitalisme-productivisme-anthropocène ce système d’autodestruction a-t-il un « cœur » et une « armature » , cela comme une machine infernale ?
53-Quel est le schéma général de fonctionnement des acteurs face à des remises en cause fondées sur des moyens viables?
54-Quels sont les droits des personnes ?
55- Quels sont les droits des peuples ?
56-Que répondre à diverses formes d’indifférences par rapport aux générations futures ?
57-Comment les générations futures peuvent-elles être menacées par notre dictature du court terme et par certains effets incommensurablement longs du productivisme ?
58-Les générations futures ont-elles des droits ?
59-Trois fois trois générations.
60-Quelle est très probablement( ?) pour les générations futures « La » question la plus vitale en ces débuts de la troisième décennie du XXIème siècle ?
61- Pour une fraternité trans générationnelle .
62-Quels éléments constitutifs de l’humanité ?
63-Quels sont les droits de l’humanité ?
64-Et l’espérance de l’humanité ?
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50-Selon vous qui fait l’histoire ?
Répondre que ce sont les grands hommes, ou les peuples ou "tout le monde" voilà qui témoigne de trois positions certes rapides mais très différentes.
On peut aussi mettre en avant les marges de manœuvres des acteurs, du plus petit au plus puissant.
On peut également distinguer les types d'histoires selon les domaines, ainsi tout à tour les acteurs de l'histoire politique, économique, scientifique, militaire, écologique, culturelle...
On peut aussi raisonner en termes de mécanismes et de contre-mécanismes d'un système productiviste devenu terricide et humanicide et examiner les acteurs qui agissent dans le sens des "reproductions", des "ruptures" ou des "entre deux" du système productiviste. On peut pour chaque acteur, du plus petit au plus grand, remplir ces trois colonnes par rapport à la paix, la justice, la démocratie, l'environnement.
On peut également raisonner en termes de dominations et examiner, à chaque époque dans des lieux plus ou moins vastes, les dominants et les dominés. Aujourd'hui les dominants s'appellent les marchés financiers, les firmes multinationales, les complexes de la techno science, les complexes scientifico militaro industriels, les grands groupes médiatiques, les pays du G20, le FMI, l'OMC, quelques organisations régionales dont l'Union européenne, sans oublier bien sûr les hommes... même si la libération des femmes voit peu à peu le jour.
Pour aller vers une analyse se voulant plus globale, critique et créatrice, de cette question "qui fait l'histoire?" on pourrait dire qu'il s'agit vraisemblablement de mélanges ,dans des proportions variables selon les lieux et les périodes, de trois séries d'acteurs : des hasards("le géant hasard "comme l'appelait Nietzsche),des nécessités (cette catégorie floue n'est pas neutre, elle peut comprendre aujourd'hui par exemple des auto reproductions du système productiviste, des temps de reconstitutions d'écosystèmes ), des volontés (celles des dominants et des dominés cela à tous les niveaux géographiques, à resituer par rapport à leur rôle dans le système productiviste).
Quelque soit l'analyse choisie (une de celles ci-dessus ou d'autres) pour répondre à la question trois éléments qu'on ne peut passer sous silence sont aujourd'hui présents, cela si on veut s'approcher d'un certain sens des ensembles :
-la complexité de ce système mondial ,"penser c'est dialoguer avec la complexité" nous dit Edgar Morin, elle est redoutable parce qu'elle montre des obstacles à surmonter pour faire bouger des situations, ainsi pour les changements climatiques ,
-les situations de certains des éléments de la maison commune qu'est la Terre atteignant écologiquement des seuils d'irréversibilité devant remettre des acteurs en cause, ainsi les pays et les groupes pétroliers, charbonniers, gaziers, dont les énergies fossiles sont à la source du drame des changements climatiques,
-l'accélération du système mondial, la vitesse est un des facteurs de répartition des pouvoirs, ainsi par exemple les parlements souvent lents sont pris de vitesse par les exécutifs, par exemple en matière de politique étrangère, les exécutifs sont "court circuités" plus ou moins par les marchés financiers qui opèrent à la seconde, ou à la nanoseconde à travers des robots.
51-Comment pourraient se comporter les acteurs face aux catastrophes écologiques ?
Viennent-ils au monde ces contre-mécanismes puissants qui seront les produits de l’ ensemble des acteurs, dont les Etats , la société civile et beaucoup d’autres … et les produits aussi des catastrophes écologiques .
- L’espoir de suites porteuses de ce que certains considèrent comme un « premier pas », réside donc, une fois de plus, dans l’ensemble des acteurs à tous les niveaux géographiques : des Etats qui continueront à négocier, des collectivités, des entreprises, des ONG ,des citoyens, des peuples… qui amorceront des transitions énergétiques et, de façon plus globale, qui mettront en œuvre des moyens démocratiques, justes, pacifiques et écologiques…
L’espoir de la suite de ce que certains considèrent comme un « premier pas », réside donc, encore une fois, dans l’ensemble des acteurs :
-Les Etats qui continueront à négocier dans les COP à venir et dans d’autres lieux de gouvernance par exemple à l’OMC.
Un rappel : en 2018 la part des plus grands émetteurs était la suivante :
Chine 28,1%, Etats-Unis 15, 2% , à eux deux 43,3% des émissions mondiales des gaz à effet de serre. UE 10,3%, Inde 7,3%, Russie 4 ,6%, Japon 3,4 %.En 2019 l’Inde se retrouve à la troisième place devant l’UE .Dans l’UE l’Allemagne est le pays le plus émetteur. Rappelons que par habitant on trouve en tête le Qatar, le Koweït et l’Arabie saoudite. Viennent ensuite le Canada, les Etats-Unis, l’Allemagne, la Chine ,la France.
-Egalement, certains le pensent, une partie du monde financier qui pourrait se détacher des énergies fossiles et se tourner vers les énergies renouvelables.
Le rôle des Etats peut être ici essentiel dans les temps à venir pour commencer des réformes et aller vers des remises en cause, de façons unilatérale, bilatérale , continentale et internationale.
Peut-être aussi le rôle de forces , lesquelles ( ? ) , qui pourraient exister dans ces mondes financiers ? On trouve par exemple des banques qui se veulent éthiques et liées au développement durable, encore faut-il des mécanismes de contrôle des objectifs proclamés et des mécanismes plus radicaux.
- Bien sûr des collectivités territoriales, des entreprises et des acteurs de la société civile (ONG , citoyens, syndicats, mouvements sociaux) ,le rôle de fondations engagées, qui amorceront la transition énergétique, qui lancent et lanceront diverses alternatives qui pourront se rencontrer ici et là. C’était la première fois dans l’histoire du Limousin qu’un mouvement associatif Alternatiba les 12 et 13 septembre 2015 avait réuni autant de participants…
-Des marches pour "Sauver le climat "se multiplient, des grèves de classes à partir de janvier 2019 voient le jour une fois par semaine dans certains pays. Si on atteignait des chiffres gigantesques de jeunes sur la planète , en révolte non-violente, résistante et constante, celle-ci pourrait avoir une influence importante.
-Ne pas sous-estimer les juridictions qui , de plus en plus saisies en particulier par des associations et des citoyens , demandent des comptes aux Etats quant à l’exécution de leurs obligations nationales et internationales, entre autres exemples aux Pays-Bas en 2018 et en France en 2020.
- Ces espoirs et d’autres que certains placent dans les Etats se réduisent pour certains comme une peau de chagrin. On pense alors qu’ils peuvent et qu’ils doivent continuer à négocier, mais c’est à la société civile de « bouger et de faire bouger. »
-Le rôle des catastrophes écologiques, diffuses ou violentes, n’est pas à sous-estimer. Elles peuvent entrainer des mécontentements voire des révoltes de populations, des pressions sur les gouvernements, encore faut-il en arriver aux remises en cause nécessaires, ici et là peut-être des populations pousseront-elles à tirer des pédagogies véritables de différentes catastrophes ?
Une véritable pédagogie des catastrophes écologiques n’est pas évidente, elle suppose que l’on s’attaque non seulement à leurs manifestations mais aux aussi à leurs causes.
D’autre part, pour paraphraser Jean Rostand à propos des armes nucléaires, ne pas oublier que la survenance de catastrophes écologiques de plus en plus gigantesques pourrait finir par avoir pour effet…qu’il n’y aurait plus grand monde pour en tirer des leçons.
( Voir «Les catastrophes écologiques et le droit : échecs du droit, appels au droit », sous la direction de Jean-Marc Lavieille, Julien Bétaille et Michel Prieur , sont publiés aux éditions Bruylant, 2011, ils comprennent trente quatre communications .
Voir aussi « Les changements environnementaux globaux et les droits de l’homme », sous la direction de Christel Cournil et de Catherine Fabregoule, Bruylant, 2012.)
52-Dans le trio capitalisme-productivisme-anthropocène ce système d’autodestruction a-t-il un « cœur » et une « armature » , cela comme dans une machine infernale ?
Nous en avions fait la démonstration, par rapport non pas à l’environnement mais par rapport à la paix, dans nos deux ouvrages sur la course aux armements ( « Construire la paix »,éditions La Chronique sociale,1998).
-Le « cœur » de la machine infernale est constitué par les acteurs essentiels qui s’appellent les marchés financiers, les firmes géantes, les complexes de la techno-science .
-« L’armature » de la machine infernale est constituée par les acteurs importants qui s’appellent les deux cents Etats (très inégaux), les organisations internationales et régionales, les organisations non-gouvernementales, les complexes médiatiques, les collectivités territoriales et tous les autres acteurs (administrations ,juridictions etc…).
-Ces acteurs se situent dans un monde avec une croissance démographique toujours explosive (227.000 personnes chaque jour en excédent de population, c'est-à-dire les naissances moins les décès), une urbanisation vertigineuse du monde(le monde s’urbanise, se mégapolise, se bidonvillise, se fragilise) et une consommation encore effrénée d’énergies fossiles ( 80,3% en 2009, et dix ans plus tard 80,2% du total de l’énergie consommée dans le monde en 2019 !).
C’est à l’intérieur de ce système mondial que vivent, survivent et meurent les acteurs humains (personnes, peuples, générations) .
Dans des proportions et des responsabilités très variables ce sont les auteurs par rapport à cette autodestruction.
Ce sont aussi des témoins et des victimes.
Et ce sont enfin des lanceurs d’alerte, des résistants, des militants alternatifs.
C’est également à l’intérieur de ce système mondial que vivent survivent et meurent les espèces animales et végétales qui, avec les humains, constituent le vivant.
53-Quel est le schéma général de fonctionnement des acteurs face à des remises en cause fondées sur des moyens viables?
Il nous semble qu’ici et là les acteurs fonctionnent sous trois formes :
-Des résistances et des pratiques alternatives de plus en plus nombreuses « à la base » par des personnes, des associations, des mouvements, d’autres acteurs , cela sous les pressions des catastrophes et en résistances aux logiques productivistes humanicides et terricides,
- Des discours , des réformes et quelques remises d’importances très variables, aux « sommets » des différents niveaux géographiques, sous les pressions et des catastrophes et de la base,
-Des fissures « au cœur » des logiques du productivisme, celles des marchés financiers, du marché mondial, de la techno science, sous les pressions et des catastrophes et de la base et du sommet ,
-Sans compter les arrivées des improbables, des imprévus et des imprévisibles pour le pire, l’entre-deux et le meilleur.
54-Quels sont les droits des personnes ?
-Quelles sont les trois générations de droits de l’homme (droits des personnes) ?
Il s’agit des libertés, des égalités, des solidarités .
Cette importance est symbolisée par l’Article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH (10-12-1948) selon lequel « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits(…) ».
L’ensemble des droits civils et politiques (droits-libertés) sont ceux de la 1ère génération.
L’ensemble des droits économiques, sociaux et culturels (droits-égalités) sont de la 2ème génération.
Ces deux générations de droits sont consacrées par les deux Pactes internationaux des droits de l’homme du 16 décembre 1966, mais il y a une différence essentielle entre les deux Pactes. Les droits civils et politiques dans le 1er Pacte sont directement applicables , selon l’article 2 « Les Etats parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte(…).
Par contre les droits économiques , sociaux et culturels dans le 2nd Pacte sont …progressivement applicables, selon l’article 2 « Chacun des Etats parties s’engage à agir (…) en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus par le présent Pacte(…). »
- L’ensemble des droits- solidarités (droit à la paix, droit à l’environnement, droit au développement) représentent les droits de la 3ème génération, consacrés par des déclarations et quelques conventions, cela après la DUDH de 1948 et les Pactes de 1966.Par exemple plusieurs conventions consacrent le droit à l’environnement.
-On peut aussi penser qu’une quatrième génération de droits de l’homme est en gestation, elle sera nécessaire. C’est celle des droits de l’homme par rapport à la techno science, ainsi par exemple face à des recherches scientifiques , telles que celles sur les armes de destruction massive, portant atteinte à la dignité humaine ou à l’intérêt commun de l’humanité.
-Comment oublier enfin que ces libertés, ces égalités, et bien sûr ces solidarités doivent voir le jour et se développer dans un esprit de fraternité, la seconde partie de l’Article premier de la DUDH est trop souvent passé sous silence « (…) Ils(les êtres humains) sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Agir les uns envers les autres : l’expression est forte, c’est la force du nous, cela d’autant plus que nous sommes aujourd’hui fraternisés par les périls communs (débâcle écologique, armes de destruction massive, puissance des marchés financiers, inégalités criantes…).
-L’indivisibilité des droits de l’homme est un pilier de la protection.
D’une part ces générations de droits sont complémentaires, elles doivent s’appuyer les une sur les autres. L’idée de justice ne correspond-elle pas à des êtres humains à la fois libres, égaux et solidaires ?
D’autre part les protections des personnes, des peuples et de l’humanité doivent, elles aussi, s’appuyer les unes sur les autres.
-L’universalité des droits de l’homme est l’autre pilier de la protection.
Cette universalité c’est celle de tous les êtres humains. Tous les hommes doivent bénéficier de ces droits et aussi toutes les femmes, cette égalité est consacrée ainsi dans l’article 3 de chacun des deux pactes, de façon plus spécifique les droits égalités sont donc bien liés à ce principe d’égalité entre les hommes et les femmes.
Les enfants bénéficient de cette protection générale et ont aussi des protections spécifiques consacrées par la Convention internationale des droits de l’enfant (20-11-1989), c’est-à-dire « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans(…), convention où est souvent mis en avant en particulier « l’intérêt supérieur de l’enfant. »
-Cette universalité s’inscrit dans l’espace et le temps.
Cette universalité c’est celle de tous les êtres humains quel que soit leur pays, les Etats sont de plus en plus nombreux à être parties à ces deux pactes de 1966 et à d’autres conventions. Cette universalité en même temps doit respecter un certain nombre de diversités par exemple culturelles, cela dans la mesure où elles ne portent pas atteinte aux droits fondamentaux (droit à la vie, interdiction de la torture…)
Ces libertés, ces égalités, ces solidarités doivent être celles bien sûr de tous les êtres humains vivants, mais cette universalité doit aussi s’inscrire dans le temps à travers le respect du patrimoine mondial culturel construit par les générations passées et le respect de marges de manœuvres, en particulier environnementales, pour les générations futures leur permettant de devenir ce qu’elles voudront être.
Cette universalité liée au temps se retrouve par exemple dans la Déclaration de Rio de juin 1992 au principe 3 selon lequel « Le droit au développement doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement et à l’environnement des générations présentes et futures ».
55- Quels sont les droits des peuples ?
Droits de l’homme et droits des peuples ne sauraient se contredire. La défense des
uns exige celle des autres et réciproquement.
« La nation comme le peuple sont des communautés humaines caractérisées par la
participation à un même passé et par la volonté de se construire un futur. Dans le
cas de la nation l’accent est mis sur l’origine commune.
Dans le cas du peuple il est mis sur la volonté d’un futur. La nation tend à se
reproduire, en revanche le peuple tend au changement. C’est au peuple et non à la
nation que l’on attribue le droit à la libre détermination de lui-même car on suppose
que la nation est déjà déterminée. Face au droit de souveraineté dont la nation est
titulaire, le peuple revendique le droit à la souveraineté. » écrivait José Echeverria.
Le droit international consacre le droit des peuples en particulier à l’Article 1 alinéa 1 du Pacte international des droits civils et politiques et à l’ Article 1 alinéa1 du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels :
« Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils
déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement
économique, social et culturel. »
D’autres textes tendent aussi à protéger les peuples, ainsi la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin 1981.Ainsi les articles 19 à 24 précisent les droits des peuples :
« Article 19
Tous les peuples sont égaux ; ils jouissent de la même dignité et ont les mêmes droits. Rien ne peut justifier la domination d'un peuple par un autre.
Article 20
- Tout peuple a droit à l'existence. Tout peuple a un droit imprescriptible et inaliénable à l'autodétermination. ll détermine librement son statut politique et assure son développement économique et social selon la voie qu'il a librement choisie.
- Les peuples colonisés ou opprimés ont le droit de se libérer de leur état de domination en recourant à tous moyens reconnus par la Communauté internationale.
- Tous les peuples ont droit à l'assistance des Etats parties à la présente Charte, dans leur lutte de libération contre la domination étrangère, qu'elle soit d'ordre politique, économique ou culturel.
Article 21
- Les peuples ont la libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. Ce droit s'exerce dans l'intérêt exclusif des populations. En aucun cas, un peuple ne peut en être privé.
- En cas de spoliation, le peuple spolié a droit à la légitime récupération de ses biens ainsi qu'à une indemnisation adéquate.
- La libre disposition des richesses et des ressources naturelles s'exerce sans préjudice de l'obligation de promouvoir une coopération économique internationale fondée sur le respect mutuel, l'échange équitable, et les principes du droit international.
- Les Etats parties à la présente Charte s'engagent, tant individuellement que collectivement, à exercer le droit de libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, en vue de renforcer l'unité et la solidarité africaines.
- Les Etats, parties à la présente Charte, s'engagent à éliminer toutes les formes d'exploitation économique étrangère, notamment celle qui est pratiquée par des monopoles internationaux, afin de permettre à la population de chaque pays de bénéficier pleinement des avantages provenant de ses ressources nationales.
Article 22
- Tous les peuples ont droit à leur développement économique, social et culturel, dans le respect strict de leur liberté et de leur identité, et à la jouissance égale du patrimoine commun de l'humanité.
- Les Etats ont le devoir, séparément ou en coopération, d'assurer l'exercice du droit au développement.
Article 23
- Les peuples ont droit à la paix et à la sécurité tant sur le plan national que sur le plan international. Le principe de solidarité et de relations amicales affirmé implicitement par la Charte de l'Organisation des Nations Unies et réaffirmé par celle de l'Organisation de l'Unité Africaine est applicable aux rapports entre les Etats.
- Dans le but de renforcer la paix, la solidarité et les relations amicales, les Etats, parties à la présente Charte, s'engagent à interdire:
- a) qu'une personne jouissant du droit d'asile aux termes de l'article 12 de la présente Charte entreprenne une activité subversive dirigée contre son pays d'origine ou contre tout autre pays, parties à la présente Charte;
- b) que leurs territoires soient utilisés comme base de départ d'activités subversives ou terroristes dirigées contre le peuple de tout autre Etat, partie à la présente Charte.
Article 24
Tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement. »
Dans la pratique internationale les Nations Unies ont mis en avant trois types de protection jugées prioritaires :
Les peuples dépendants soumis à une domination coloniale, à un régime raciste, ou à
une occupation étrangère, encore cette dernière a-t-elle donné lieu à de nombreux
silences ou inactions des Nations Unies.
Comment distinguer les peuples des minorités ? Des points de vue juridique et
politique on peut dire qu’il y a celles qui aspirent à un statut de reconnaissance de
différents droits (culturels etc.) ne mettant pas en cause l’intégrité territoriale de l’Etat
où elles vivent, et qu’il y a celles dont les revendications menacent l’intégrité
territoriale, soit par l’appel à l’indépendance soit par le rattachement à un autre Etat ;
dans ces hypothèses ces minorités aspirent au statut de « peuple-Etat. »
Pour célébrer les peuples Eluard écrivait :
« Le cœur des peuples bat plus fort
Le cœur des peuples bat la terre (...)
Notre travail est un défi
Jeté aux maîtres, aux frontières
Nous voulons travailler pour nous
Nous prendrons jour malgré la nuit (...)
Nous nous levons comme les blés
Et nous ensemençons l’amour. »
-Et les droits de l’humanité ? Nous retrouverons cette question ci-dessous dans le développement numéro 63.
Contentons-nous ici de constater que l’humanité apparait en droit international de l’environnement puisque sont évoquées dans certaines conventions les générations présentes et celles à venir (patrimoine mondial, diversité biologique, changements climatiques…).Les droits de l’humanité , ceux des générations présentes bien sûr, ceux des droits des générations futures. Droits qui doivent être mieux consacrés et respectés. .(Voir sur ce blog les articles relatifs au projet de 2015 de « Déclaration universelle des droits de l’humanité »).Sans oublier les générations passées qui ont droit à la préservation du patrimoine culturel mondial régional et local qu’elles nous laissent.
Ainsi les droits des personnes doivent s’appuyer sur les droits des peuples et réciproquement, en soulignant , comme l’écrivait un internationaliste, que « l’humanité doit, elle-même, avoir des droits faute de quoi les hommes perdront les leurs » (René- Jean Dupuy).
56-Que répondre à diverses formes d’indifférences par rapport aux générations futures ?
« Après nous le déluge ! »,
« Je n’en ai rien à faire, occupons-nous des vivants ! »,
« Pourquoi épiloguer sur ce qui n’existe pas ? »
« Elles devront faire face comme nous l’avons fait, c’est leur affaire. »
« Il y a ceux et celles qui doivent s’occuper de leurs fins de mois, il y a ceux et celles qui ont le temps et le luxe de pouvoir s’occuper de fins du monde!».
Un humoriste se demandait : « Pourquoi faudrait-il que je me préoccupe des générations futures ? Ont-elles une seule fois fait quelque chose pour moi ? »
Indifférences dans les pensées et les actes dont nous pouvons être les témoins ou les acteurs…
Que répondre ?
- Si vous ne vous intéressez pas aux générations futures demandez-vous si les générations passées se sont intéressées à vous ?
Est-ce qu’elles ont contribué à inspirer, préparer, construire tel ou tel aspect de vos vies ?
De quelles libérations, de quelles chances, et /ou de quelles difficultés, de quelles aliénations ont-elles été porteuses ?
-Si vous ne vous intéressez pas aux générations futures demandez-vous si les générations présentes s’intéressent à vous ?
Est-ce qu’elles contribuent dans vos vies à des solidarités, des coopérations porteuses de fraternité, de bien-être et /ou, au contraire, à des compétitions, des fuites en avant, des formes de mépris porteuses de difficultés, de souffrances ?
-Si vous ne vous intéressez pas aux générations futures demandez-vous si les générations futures s’intéresseront à vous ?
Serez-vous encore, pour quelque temps, sur les lèvres et dans les cœurs des vivants? Mais, surtout, l’avenir de vos petits-enfants aura-t-il dépendu en partie de vous, sous quelles formes ?
Ne pas faire aux générations futures ce que l’on ne voudrait pas qu’elles nous fassent.
Devons-nous (éthique), voulons-nous (volontés politiques), pouvons-nous (marges de manœuvres) faire en sorte qu’elles soient sujets de leurs propres vies et non objets des vies de générations qui n’auront pas su être aux rendez-vous de leurs responsabilités personnelles et collectives?
- A vrai dire le système productiviste ne s' intéresse guère aux générations futures, dans ses logiques terricides et humanicides il ne laisse que peu de temps et de moyens à la plupart des personnes pour y réfléchir, pour "habiter le temps" comme l’écrivait Jean Chesneaux .
Comment arriver, noyés dans les difficultés ou les drames du présent, dépassés par l'accumulation des problèmes et l'accélération du temps, comment arriver,comme l'écrivait encore Jean Chesneaux , à établir des ponts, des liens entre "le passé comme expérience, le présent comme agissant et l'avenir comme horizon de responsabilité"?
57 - Comment les générations futures peuvent-elles être menacées par notre dictature du court terme et par certains effets incommensurablement longs du productivisme ?
-La priorité du court terme est synonyme de dictature de l’instant.
Elle se fait au détriment d’élaboration de politiques à long terme qui soit ne sont pas pensées en termes de sociétés humainement viables, soit ne sont pas mises en œuvre et disparaissent dans les urgences fautes de moyens et de volontés.
On nous affirme que l’on ne peut pas s’occuper du long terme parce que nous sommes noyés dans les urgences, c’est là un mensonge et/ou une erreur : c’est pour une large part parce que nous n’avons pas construit de politiques à long terme que nous sommes noyés dans les urgences.
Il faut donc et répondre aux urgences et construire des politiques à long terme, ainsi par exemple des créations massives d’emplois dans l’environnement peuvent pour une part venir des luttes contre les changements climatiques, 2022 a ainsi de multiples liens avec 2100.
Dans un raccourci parlant, faisant parfois l’objet de slogans, nous pourrions affirmer ce que nous disions dans le cours de « grands problèmes politiques contemporains » il y a bien longtemps : « Il faut répondre et aux fins de mois et aux fins du monde. », le productivisme et ses ravages à court et long termes était déjà là.
- Certains mécanismes ont des conséquences bien au-delà du long terme, sur des échelles de temps incommensurablement longues.
Dans cette course au profit, dans ce système le marché et la techno science tendent à occuper toute la place.
-C’est ici qu’est posée la question de la consécration des crimes contre le droit à l’environnement des générations futures.
Ainsi lorsqu’il y a une irréversibilité de l’enfouissement des déchets radioactifs on peut affirmer que cette pratique est contraire au droit de l’humanité à l'environnement. C’est un crime qui a très certainement une spécificité, celle d’effets environnementaux et sanitaires qui ont tendance à être sans limites dans le temps.
Des personnes physiques et morales responsables pourraient être condamnées. On pourrait imaginer aussi une condamnation symbolique morale des générations présentes pour non-assistance à générations futures en danger. Tout cela reste à penser puis à préciser. Il est déjà tard mais sans doute encore temps.
-C'est ici qu'est posée aussi la question de la consécration des crimes contre le droit à la paix des générations futures.
En élargissant le domaine de la paix qui est aussi celui du droit à la sécurité et du droit au désarmement pour les générations futures. Ainsi les recherches (qui ne sont à ce jour, février 2022, jamais interdites par les traités internationaux, à l’exception d’ un traité sous-régional), la mise au point, la fabrication, l’utilisation, le commerce des armes de destruction massive existantes (nucléaires, biologiques, chimiques) et à venir devraient être qualifiés de crime contre la paix des générations présentes, des générations futures et du vivant.
C’est un crime qui, comme le précédent, a très certainement une spécificité, celle d’effets environnementaux et sanitaires qui ont tendance à être sans limites dans le temps. On détruit la sécurité, la liberté de choix, la vie de générations futures.( Voir : Les recherches scientifiques sur les armes de destruction massive : des lacunes du droit positif à une criminalisation par le droit prospectif, intervention au colloque international du "Réseau droit, sciences et techniques"(RDST), mars 2011 à Paris, J. Bétaille, S.Jolivet,J.M.Lavieille, D.Roets, in Droit, sciences et techniques :quelles responsabilités ? Editions LexisNexis, 2011.)
-C'est ici qu'est posée également la question du respect des générations futures par rapport non pas aux recherches sur le génome humain qui peuvent être oh combien porteuses, mais sur certaines dérives de recherches par rapport à ce génome qui porteraient atteinte à la dignité des générations futures. L'article 10 de la Déclaration universelle sur le génome humain du 11 novembre 1997 est le suivant "Aucune recherche concernant le génome humain, ni aucune de ses applications, en particulier dans les domaines de la biologie, de la génétique et de la médecine, ne devrait prévaloir sur le respect des droits de l'homme, des libertés fondamentales et de la dignité humaine des individus ou, le cas échéant, de groupes d'individus." Il convient donc de partir de cette base dans un texte consacré aux droits des générations futures, ainsi « Aucune recherche concernant le génome humain, ni aucune de ses applications, en particulier dans les domaines de la biologie, de la génétique et de la médecine, ne doit porter atteinte au respect des droits des générations présentes et futures. »
58-Les générations futures ont-elles des droits ?
-En premier lieu dans quels textes trouve-t-on ces droits ?
Dans des conventions mais elles sont rares, ainsi par exemple dans la Convention de Bonn de 1979 sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, un préambule affirme que « Chaque génération humaine détient les ressources de la terre pour les générations futures et a la mission de faire en sorte que ce legs soit préservé et que, lorsqu’il en est fait usage, cet usage soit fait avec prudence. »
Existent également quelques déclarations comme celle de Stockholm de 1972 sur l’environnement qui en appelle à « l’homme » et à son « devoir solennel de préserver et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures »,la Déclaration de l’UNESCO de 1997 sur « les responsabilités des générations présentes envers les générations futures », de façon globale le projet de « Déclaration universelle des droits de l’humanité » de décembre 2015(écriture à laquelle j’ai eu la chance de participer) et qui sera peut-être un jour modifiée et adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies .
- En deuxième lieu quel est le contenu des droits et des devoirs , qui sont donc en gestation, et que l’on trouve dans ce projet de Déclaration universelle des droits de l’humanité ( 2015)?
Le droit à la non-discrimination générationnelle qui exige que les activités ou mesures entreprises par les générations présentes n’aient pas pour effet de provoquer ou de perpétuer une réduction excessive des ressources et des choix pour les générations futures.
Et puis suivent quatre autres droits : à la démocratie, à la justice, à l’environnement, à la paix.
Quant aux devoirs les générations présentes ont le devoir d’assurer le respect des droits de l’humanité. Elles sont aussi garantes des ressources écologiques et du patrimoine commun. Afin d’assurer la pérennité de la vie sur terre, les générations présentes ont le devoir de tout mettre en œuvre pour préserver les équilibres climatiques, et élaborer un statut international des déplacés environnementaux. Les générations présentes ont le devoir d’orienter le progrès scientifique et technique vers la préservation de la santé de l’espèce humaine et des autres espèces. Les Etats et les acteurs publics et privés ont le devoir d’intégrer le long terme dans leurs décisions. Enfin quels biens communs protéger ? Respecter la biosphère (maison commune de l’humanité et du vivant) et le patrimoine commun de l’humanité, organiser un accès universel et effectif aux biens communs indispensables à la vie des personnes, des peuples, des générations présentes et futures.
-Troisième et dernier point, ne faut-il pas créer un système de personnalité juridique, de représentation et de juridiction ?
D’abord l’humanité ne devrait-elle pas avoir la personnalité juridique pour défendre ses droits ? Le fait aussi que l’humanité et le vivant soient côte à côte dans cette défense serait symbolique, ils dépendent l’un de l’autre, leur sort est lié, leur défense serait conjointe.
Ensuite la représentation est une difficulté connue, on est dans le droit prospectif, dans l’imagination juridique. Qui va être légitime pour représenter l’humanité c'est-à-dire les humains qui existent (c’est déjà difficile) et aussi ceux qui n’existent plus et ceux qui n’existent pas encore ?
Le droit international public a déjà répondu, à sa façon, à la question de la représentation. En effet qui représente l’humanité à laquelle appartiennent les fonds marins ? Les Etats ont répondu à leur façon. Humanité es-tu là ? Pas de réponse. Il est donc logique que nous, Etats à travers l’Autorité des fonds marins, nous décidions à la place de l’humanité irreprésentable.
Lorsqu’un jour il sera question de représenter l’humanité il n’est pas sûr que l’Assemblée générale des Etats de la future Organisation mondiale de l’environnement(OME), suffise à le faire. Il sera souhaitable qu’interviennent aussi des acteurs autres que les Etats, par exemple des ONG, des gardiens de l’humanité...Votre imagination juridique fera le reste.
Enfin quelles juridictions ? L’Organisation mondiale de l’environnement pourra alors, au nom de l’humanité et du vivant, engager un recours devant la justice mondiale.Une juridiction spécifique sera peut-être créée, la Cour mondiale de l’environnement(CME).
En attendant cela des ONG et des mouvements sociaux ont commencé à poser des cailloux blancs sur ce chemin, à travers les créations de tribunaux, en particulier sur la justice climatique, qui participent à ces prises de conscience. Parmi d’autres, fondé en Equateur en octobre 2012 , un « tribunal pour les crimes contre la nature et contre le futur de l’humanité », des dossiers sont constitués, des victimes écoutées, les condamnations sont éthiques, morales.
Enfin des ONG et des citoyens, par exemple aux Pays-Bas, en France et dans d’autres pays ont fait condamner par un tribunal ces Etats qui ne respectaient pas leurs engagements internationaux de réduction de gaz à effet de serre, cela au nom des générations présentes et futures.
59-Les trois fois trois générations… -1850-1945 / 1945-2030 / 2030-2110 /
1-Nous avons reçu de trois générations passées ( 1850 à 1945 environ), un environnement pour une part atteint et faisant l’objet de destructions en marche sous les logiques du productivisme (en route en fait depuis le XVème siècle) et de l’anthropocène en route voilà près de 170 ans à travers les explosions des énergies fossiles et de la démographie.
2-Nos trois générations présentes (1945 -2030 environ), ont produit un environnement pour une large part détruit et plongeant dans des apocalypses écologiques multiformes, massives, en interactions et rapides, en particulier à travers le réchauffement climatique et les atteintes à la diversité biologique.
3-Les trois générations qui ont commencé à voir le jour et qui viennent (2030 à 2110 environ) se trouveront donc devant une question vitale : cette veille de fin des temps peut-elle encore, à travers quelles volontés, quels moyens, quelles marges de manœuvres, se transformer sinon en une forme d’aube d’humanité en tout cas en un monde viable ?
60 - Quelle est très probablement( ?) pour les générations futures « La » question la plus vitale en ces débuts de la troisième décennie du XXIème siècle ?
Nous pensons qu’il est peu probable que dure longtemps, ( quelques décennies au-delà de la fin du siècle ?) une situation intermédiaire, faite d’apocalypses et de tentatives pour en sortir.
-La question des questions apparait donc avec lucidité (« La lucidité est la blessure la plus proche du soleil » écrivait René Char) :
Les quelques générations futures qui arrivent auront-elles assez de marges de manœuvres pour que ces moyens viables voient le jour ?
Le gigantesque et hypothétique passage de ce monde autodestructeur à un monde viable dépend très probablement au moins de trois séries de conditions : des volontés(, des moyens, des marges de manœuvres. Ajoutons, mêlées à cela, les arrivées des imprévus, des improbables et des imprévisibles pour le pire, l’entre-deux et /ou le meilleur(?)
-Quelles volontés pour un monde viable?
La mise en œuvre des volontés est complexe entre autres parce que chaque acteur, personne et collectivité, comme le dieu Janus, a deux faces, d’un côté des parts de reproductions d’injustices, de pratiques non démocratiques, de violences, de dégradations de l’environnement , d’un autre côté des parts de remises en cause dans ces différents domaines d’activités. Ces parts sont très variables et pour chaque acteur et entre les acteurs, et cela parfois même aux cours des vies, ainsi celles d’un.e citoyen.ne, d’une association, d’une juridiction, d’une ville, d’une firme multinationale...
Comment passer de volontés souvent étouffées, dépassées, essoufflées, à des volontés de plus en plus naissantes, résistantes, à la recherche de nouveaux souffles ? Le schéma général de mise en œuvre, déjà en route et à venir , de moyens pour un monde viable est et serait vraisemblablement le suivant :
Des résistances et des pratiques alternatives de plus en plus nombreuses « à la base », par des personnes, des associations, des mouvements, des collectivités locales, d’autres acteurs de toutes sortes, cela sous les pressions et des catastrophes et des logiques d’un système en route vers l’humanicide et le terricide .
Des discours et des remises en cause, d’importances très variables, aux « sommets » des différents niveaux géographiques, locaux, régionaux, nationaux, continentaux ,internationaux, cela sous les pressions et des catastrophes et de « la base »…
Des fissures « au cœur » des mécanismes du système mondial, autrement dit dans l’intérêt commun de l’humanité la détermination de limites radicales et contrôlées des acteurs les plus puissants que sont les marchés financiers, le marché mondial, la techno science , cela sous les pressions et des catastrophes et de « la base » et des « sommets » et de l’intérieur de ce « cœur » des mécanismes su système mondial…
-Quels moyens pour un monde viable ?
D’une part ces moyens doivent être conformes aux finalités que l’on met en avant. Si l’on veut la démocratie il faut des moyens démocratiques, si l’on veut la justice il faut des moyens justes, si l’on veut la protection de l’environnement il faut des moyens écologiques, si l’on veut la paix il faut des moyens pacifiques. Cette pensée lumineuse de Gandhi n’est-elle pas incontournable « Les fins sont dans les moyens comme l’arbre est dans la semence.» ?
D’autre part, même si des moyens réformateurs démocratiques, justes, écologiques et pacifiques peuvent être porteurs, il faut avant tout penser et mettre en œuvre des moyens radicaux, c'est-à-dire remettant en cause chaque mécanisme par un contre-mécanisme aussi profond. Parce que la puissance de l’autodestruction devient telle qu’elle emporte et emportera de plus en plus vite les êtres humains et la plus grande partie du vivant.
A titre d’exemple énumérons simplement huit séries de moyens pacifiques : les interdictions des recherches sur les armes de destruction massive, l'application des traités existants et de leurs protocoles et les conclusions de nouveaux traités de désarmement, les remises en cause des ventes d’armes, la création d’une véritable sécurité collective mondiale enfin pensée et mise en œuvre, l’avènement de ministères du désarmement, la consécration du droit à la paix , dont le droit à la sécurité et le droit au désarmement, la protection de l’environnement dans les conflits armés, le développement tous azimuts d’une éducation à la paix, entre autres à travers l’apprentissage du règlement des conflits personnels et collectifs et d’une éducation aux droits de l’homme et à l’environnement. A cela s’ajoutent bien sûr des moyens justes, démocratiques et écologiques porteurs de paix.
-Quelles marges de manœuvres pour un monde viable ?
-Les marges de manœuvres se réduisent à travers les générations. Nous avons reçu de trois générations passées ( 1850 à 1945 environ), un environnement pour une part atteint et faisant l’objet de destructions en marche sous les logiques du productivisme en route en fait depuis le XVème siècle et de l’anthropocène en route voilà donc plus de 170 ans à travers les explosions des énergies fossiles et de la démographie.
Nos trois générations présentes (1945 -2030 environ), ont produit un environnement pour une large part détruit et plongeant dans des apocalypses écologiques multiformes, en interactions et rapides, ainsi à travers le réchauffement climatique et les atteintes à la diversité biologique.
Les trois générations qui ont commencé à voir le jour et qui viennent (2030 à 2110 environ) se trouveront donc devant une question vitale : cette forme de « veille de fin des temps », faite en particulier de nombreuses catastrophes écologiques, peut-elle encore se transformer sinon en une forme d’aube d’humanité en tout cas en un monde viable ?
- Les marges de manœuvres se compliquent dans la prise en compte d’un grand nombre d’acteurs : Etats, organisations internationales et régionales, organisations non gouvernementales, collectivités territoriales, entreprises, firmes multinationales, banques, réseaux scientifiques, juridictions, associations, générations présentes, peuples, personnes, générations futures…Quant aux acteurs au cœur du système mondial ( techno science, marchés financiers , marché mondial) ils jouent un rôle essentiel dans la reproduction de cette autodestruction et donc dans la construction possible d’un contre- système viable.
-Les marges de manœuvres pour construire un monde viable se réduisent particulièrement dans le domaine de l’environnement. Quatre mécanismes ressemblent à une machine infernale.
Premier mécanisme : le système international s’accélère. Voilà une techno-science omniprésente et toujours en mouvement, un règne de la marchandise toujours à renouveler, une circulation rapide de capitaux, de produits, de services, d’informations qui font de la planète une sorte de grand village, les déplacements nombreux et rapides des êtres humains, l’explosion démographique mondiale, l’urbanisation accélérée du monde, la sacro-sainte croissance , les discours sur la compétition « naturelle » en particulier économique et militaire, la prise de conscience d’une fragilité écologique de la planète provoquée par des activités humaines souvent sans limites. Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne pas de limites ?
Second mécanisme : les réformes et les remises en cause pour protéger l’environnement sont souvent lentes : complexité des rapports de force et des négociations, retards dans les engagements, obstacles dans les applications, inertie des systèmes économiques et techniques sans oublier la lenteur de l’évolution des écosystèmes.
Troisième mécanisme : l’aggravation des problèmes, des menaces et des drames fait que l’on agit pour une large part dans l’urgence qui tend à occuper une place centrale du politique.
Quatrième mécanisme : s’il est nécessaire de soulager des souffrances immédiates, il est aussi non moins nécessaire de lutter contre leurs causes par des politiques à long terme ce qui demande du temps,…or le système s’accélère.
Autrement dit : il n’est pas sûr que les prochaines générations aient beaucoup de temps devant elles pour mettre en œuvre des contre-mécanismes nombreux, radicaux et massifs.
Ainsi des éléments de réponses aux trois questions posées pourraient être les suivants :
-Les volontés ? Différents acteurs, des plus petits aux plus grands, dans de multiples lieux, peuvent les construire, entre autres à travers des rapports de force et des pédagogies radicales des catastrophes. Les puissants ne partagent pratiquement jamais d'eux-mêmes, ils ne le font qu'à travers des rapports de forces portés par des volontés qui les y contraignent ou exceptionnellement si des catastrophes les poussent à des remises en cause, mais la catastrophe loin de là n'est pas vertueuse en elle-même.
-Les moyens ? Ils sont parfois pensés, trop rarement mis en œuvre, il faut donc s’en emparer, à chaque mécanisme d’autodestruction doit répondre un contre-mécanisme pour un monde viable.
-Les marges de manœuvres ? Les quelques générations qui arrivent en auront-elles suffisamment pour qu’à travers de multiples volontés ces moyens viables voient le jour ? « Elles ne savaient pas que c’était impossible alors elles l’ont fait. »
Partageons enfin trois pensées qui peuvent être porteuses :
« Le désespoir révèle les limites de l’espoir et l’espoir les limites du désespoir. Mais le désespoir correspond à la face inerte de la réalité et l’espoir à l’action. Dans ce sens l’espoir est plus vrai que le désespoir. » (Edgar Morin)
« Il n’est pas plus insensé de s’abandonner à un espoir, celui de la survie de l’humanité, que de le repousser au nom d’un prétendu réalisme qui n’est que le consentement défaitiste au suicide de l’espèce. » ( Jean Rostand )
« Il faut avoir à la fois le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté. »(Antonio Gramsci). On peut ajouter que, s’appuyant l’un sur l’autre, ils deviennent des couples de combats.
(Pour d’autres exemples voir par exemple le site « generations-futures.fr » qui porte entre autres sur les pesticides.)
61- Pour une fraternité transgénérationnelle
En exergue une pensée d’Emile Zola : « ( …) Le rêve final sera de ramener tous les peuples à l'universelle fraternité, de les sauver tous le plus possible de la commune douleur, de les noyer tous dans une commune tendresse. »
Dans cette introduction nous voudrions partager une conviction, un questionnement, une complexité.
Une conviction selon laquelle cette fraternité traversant les générations n’est pas une illusion, autrement dit une nébuleuse floue, une étoile inaccessible, un gadget pour idéaliste. Cette fraternité traversant les générations n’est pas non plus une fuite, autrement dit un refuge à l’abri du présent, un mythe d’une communauté unanime, un lot de consolation distribué par les maitres aux esclaves.
La fraternité transgénérationnelle pose question : existe-elle et, si oui, est-elle comme l’humanité, incarnée à travers les temps et les lieux ?Est-elle un héritage, un présent et une promesse ? Mais les contraires de cette fraternité ne sont-ils pas de terribles réalités ? Bernard Clavel écrivait « Je ne vois pas comment la fraternité peut se développer sous des cieux où la justice est faussée par la soif de richesse, l’appétit de gloire ou l’ivresse du pouvoir.»
Situations multiples, nous sommes bien, comme l’appelle Edgar Morin, dans « le défi de la complexité ». Ne faut-il pas essayer de rechercher le sens des ensembles ?
Nous proposerons ainsi trois séries de réflexions. Nous analyserons d’abord la fraternité transgénérationnelle au regard du politique. N’est-elle pas une valeur pour le politique qu’elle peut contribuer à inspirer? (A)
Nous analyserons ensuite la fraternité trans générationnelle aux regards de l’éthique. N’est-elle pas un devoir moral pour l’éthique qu’elle peut contribuer à questionner ? (B)
Nous examinerons enfin la fraternité trans générationnelle au regard du juridique. N’est-elle pas un principe pour le juridique qu’elle peut contribuer à organiser? (C)
A- Le politique et la fraternité transgénérationnelle.
Cette fraternité n’est pas hors sol, elle se situe depuis au moins le XVème siècle dans le système productiviste. Quel est le cadre et quels sont les domaines dans lesquels elle se manifeste ? Quels sont les obstacles qu’elle rencontre ?
1- le cadre général constitué par le transgénérationnel lui-même.
-Si l’on part de quelques données relatives aux générations :
Les sens du mot génération sont nombreux : pour le démographe c’est la totalité des individus nés une même année, pour le généalogiste c’est l’ensemble des personnes classées selon une relation de filiation, pour le sociologue ce sont des personnes d’un âge proche qui ont des vécus historiques communs, pour l’historien c’est la durée de renouvellement des personnes, ce sera le sens choisi ici. Par rapport à sa durée une génération humaine correspond au cycle de renouvellement d’une population adulte, soit environ 30 ans.
Le nombre de générations (d’après nos calculs aussi harassants qu’ incertains ) serait de l’ordre de 6700 à 8000 sur 200.000 ans, date d’apparition de l’homo sapiens.
Quant aux générations présentes elles sont au nombre de quatre. Les générations à venir seraient au minimum de zéro (le lendemain de l’horreur nucléaire d’Hiroshima Jean-Paul Sartre écrit « nous savons désormais que chaque jour peut-être la veille de la fin des temps »), ou de quatre d’ici 2100 (puisqu’existent quelques hypothèses scientifiques d’une humanité ne dépassant pas le siècle), ou alors d’un nombre indéterminé de générations après 2100.
-Que peut-on dire ensuite du préfixe trans ? Il signifie au-delà, il exprime l’idée d’une traversée. L’inter générationnel est relatif aux générations différentes qui se rencontrent dans une même vie, le trans générationnel est relatif aux générations qui se succèdent.
L’inter et le trans générationnels existent dans les transmissions familiales. C’est par exemple le domaine de la psycho généalogie. La transmission intergénérationnelle est plus observable, puisque les quatre générations peuvent être en contact, la transmission transgénérationnelle à distance, est plus floue, plus porteuse d’inconnues. Ces transmissions peuvent nous alourdir, celles par exemple de traumatismes, et/ou au contraire nous aider à grandir.
Le transgénérationnel existe aussi au regard de l’épi génétique, et de l’inné et de l’acquis. En démontrant que des facteurs environnementaux peuvent influencer l’expression des gènes, l’épi génétique a pour une part changé la façon dont les scientifiques comprennent l’héritage génétique. On démontre ce qu’une anthropologue américaine, en 1950 dans « Mœurs et sexualité en Océanie », avait constaté : sur un même territoire les enfants souvent proches des bras de quelqu’un seront moins agressifs que ceux d’autres tribus qui n’ont pas ces pratiques.
2- les domaines de la fraternité transgénérationnelle
Les fraternités ont, entre autres, pour noms solidarités, coopérations, concordes, soutiens, compassions, dialogues, réconciliations, dignités... Les anti fraternités ont, entre autres, pour noms hostilités, fabrications de boucs émissaires, cruautés, racismes, fanatismes, haines... Une simple énumération de manifestations des unes et des autres nous montre un gigantesque contenu.
-D’abord en ce qui concerne les générations passées
Par rapport à la démocratie voilà des anti fraternités antidémocratiques extrêmes tels que les totalitarismes et les génocides porteurs encore aujourd’hui de traumatismes personnels et collectifs. Voilà au contraire des fraternités démocratiques qui ont été mises en œuvre, telles que des luttes pour le suffrage universel, pour des libérations des femmes dont bénéficient les générations présentes.
Par rapport à la justice voilà des anti fraternités injustes : l’esclavage, la colonisation, le système mondial productiviste avec ses injustices criantes, voilà des fraternités justes : l’abolition de l’esclavage, la décolonisation, les luttes pour la construction d’un système remettant en cause les injustices à tous les niveaux géographiques.
Par rapport à la paix voilà des anti fraternités violentes, destructrices de patrimoines culturels , des fausses paix déjà enceintes d’une autre guerre , des théories et des pratiques en appelant aux peurs et aux haines , à la course aux armements, à une mondialisation injuste et irresponsable. Par rapport à la paix voilà des fraternités pacifiques à travers des patrimoines culturels qui invitent au vivre-ensemble, de véritables traités de paix ou d’amitié porteurs de réconciliations, de cultures et de religions ouvertes au dialogue, de politiques tournées vers un mondialisation solidaire et responsable.
Par rapport à l’environnement voilà des anti fraternités destructrices de l’environnement : certaines activités humaines depuis l’anthropocène, environ huit générations, entrainant des changements climatiques et un effondrement de la diversité biologique, voilà des fraternités protectrices de l’environnement : des luttes contre les changements climatiques, des luttes pour la sauvegarde de la diversité biologique.
-En ce qui concerne les générations futures :
Sont-elles impliquées par la fraternité transgénérationnelle ? Elles peuvent être menacées par certains effets incommensurablement longs du productivisme des générations présentes. Certains effets environnementaux et sanitaires (voire même financiers) ont tendance à être sans limites dans l’espace et le temps. On détruit la liberté de choix des générations futures en lançant des mécanismes dont il n’est pas prouvé qu’elles pourront les maitriser.
On est loin d’indiens iroquois qui, par transmission orale depuis le XIIème siècle et par une Grande loi de paix de 1720, prenaient des décisions « en tenant compte du bien-être jusqu’à la septième génération. » Théodore Monod disait «Il faut voir loin et clair ».
3- les obstacles rencontrés par la fraternité transgénérationnelle
- Le court terme du productivisme constitue un obstacle majeur
Le court terme est synonyme de dictature de l’instant au détriment d’élaborations de politiques à long terme. Pour paraphraser Montesquieu, toute génération qui a du pouvoir n’est-elle pas tentée d’en abuser ? Noyés dans des difficultés ou des drames du présent on ne peut anticiper. Le court terme est lié aussi à deux autres logiques du productivisme.
D’une part la recherche du profit, synonyme de fructification rapide de patrimoines financiers avec des opérateurs qui ont des logiques spécifiques dans lesquelles la fraternité est absente.
D’autre part la marchandisation du monde, synonyme de transformation de l’argent en toute chose et de toute chose en argent. Voilà de plus en plus d’activités et d’éléments de l’environnement transformés en marchandises, d’êtres humains plus ou moins instrumentalisés au service du marché et loin de la fraternité.
-Qu’en est-il du long terme dans la fraternité transgénérationnelle ?
Il implique une acceptation de se situer dans le temps. Lorsque Hans Jonas écrit « agis de telle sorte que tes actions soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » il y a bien l’idée que nos remises en cause présentes peuvent être porteuses d’une fraternité dont nous ne verrons pas les effets.
La fraternité du long terme n’appelle-t-elle pas aussi à essayer de changer notre rapport à la mort ?
L’idée de consentir à quelque chose qui nous précède et qui va nous succéder n’est-ce pas une façon d’accepter sa propre finitude ? Est-ce que cette forme de fraternité ne nous invite pas à essayer de changer également notre rapport à la paix, au pouvoir, à la violence ?
Nous ne disons pas aux générations futures « votre mort c’est notre vie. Ta mort c’est ma vie » qui est le cri de la guerre, mais nous leur disons « Votre vie c’est notre vie. Ta vie c’est ma vie. »
-Les autres obstacles rencontrés par la fraternité transgénérationnelle
L’obstacle de la compétition, loin de la coopération.
« Etre ou ne pas être compétitif » nous dit le système mondial, si vous n’êtes pas compétitif (pays, région, ville, entreprise, université, personne) vous êtes dans les perdants, vous êtes morts. Riccardo Petrella écrit « La logique de la compétitivité est élevée au rang d’impératif naturel de la société ».Autrement dit l’autre est perçu comme concurrent, adversaire, ou ennemi, çà n’est pas un frère et cela qu’il soit vivant ou à venir. Mais alors, question importante, la compétition est-elle naturelle (plus ou moins indépassable) ou est-elle un produit de l’histoire(plus ou moins modifiable) ?Finalement ceux et celles qui pensent qu’elle est historique, qu’il y a des compétitions liées aux périodes et aux sociétés, que le productivisme pousse à une compétition omniprésente, affirment que les solidarités, les coopérations, les biens communs, les « vivre ensemble », constitutifs des fraternités, peuvent se développer ou voir le jour. La culture de compétition et d’agressivité ne doit-elle pas être remise en cause par une conscience pacifique, juste, écologique de la fraternité ?
-Autre obstacle, celui de l’accélération.
Quelle est sa réalité ? Elle est omniprésente dans le productivisme à travers, par exemple, une techno science en mouvement perpétuel, une circulation rapide des capitaux, marchandises, services, informations, personnes, accélération qui a de multiples effets sur les sociétés et les individus. Quels sont ses effets sur la fraternité ? La fraternité , comme la démocratie, ne demande-elle pas du temps ? Jean Chesneaux écrivait « Notre existence se dissout dans un zapping permanent ; nos sociétés sur programmées sont bloquées dans l’immédiat ; notre devenir historique se brouille (…) ». Oui, dès lors comment renouer, dans le respect de la durée, un dialogue entre le présent agissant, le passé comme expérience, l’avenir comme horizon de fraternités et de responsabilités ? Tel est ce regard porté sur cette valeur politique d’attention aux autres dans le temps qu’est la fraternité transgénérationnelle.
B-L’éthique et la fraternité transgénérationnelle
1- les fondements éthiques de la fraternité transgénérationnelle
Quels sont les fondements et quelles sont les expressions éthiques de cette fraternité ?
- C’est l’appartenance à la famille humaine qui est le fondement éthique essentiel de la fraternité transgénérationnelle. Or la famille humaine est synonyme de plusieurs réalités qui ont des effets sur cette fraternité.
D’abord l’explosion démographique. Le nombre de personnes ayant vécu sur Terre serait de l’ordre de 100 milliards, il y a près de 8 milliards d’habitants en 2022, il y aurait en principe en 2050 de l’ordre de 9 milliards, l’explosion ralentirait ensuite puisqu’en 2100 il devrait y avoir 10 à 11 milliards de terriens. Chaque jour 224000 personnes, en excédent de population, sont acteurs ou témoins des fraternités et de leurs contraires. Ainsi une question souvent abordée, en particulier par Claude Levi Strauss, est celle des rapports entre quantités et qualités, elle interpelle la fraternité. Par exemple n’est-il pas et ne sera-t-il pas plus difficile, et sous quelles formes, de fraterniser dans des mégapoles de plus en plus gigantesques?
La famille humaine est synonyme aussi d’unité et de diversités. Il s’agit de rechercher l’unité de l’espèce humaine. « Un seul monde ou aucun, s’unir ou périr » disait Einstein. La fraternité transgénérationnelle ne fait-elle pas de nous des frères et des sœurs en humanité laquelle serait une forme de Mère ? Il s’agit également de respecter les diversités. Nous sommes ici dans des pratiques quotidiennes de fraternités et d’anti fraternités transgénérationnelles. Ne pas éliminer les différences, ne pas les exacerber, ne pas les effacer mais les respecter. Loin des dominations, des ghettos, des assimilations, la fraternité correspond à un regard d’intégration, d’ouverture, elle reconnait des similitudes et des différences entre les personnes, les peuples, les générations.
La famille humaine est synonyme également de lieux interdépendants où vont se vivre des fraternités dans le temps. Le vivre ensemble se déroule dans nos villages, nos villes, nos régions qui sont nos terroirs, dans nos pays qui sont nos patries, dans nos continents qui sont nos matries , sur notre Terre qui est notre foyer de l’humanité. Ces territoires nous aident à construire nos identités, à nous structurer. Mais ils ne doivent pas se refermer, devenir des fractures de l’humain, des administrations de peurs de l’autre, des fabriques de l’ennemi. Ils doivent se découvrir, s’interpeller, se compléter, s’incliner les uns vers les autres. Voilà Montesquieu citoyen du monde: « Si je savais quelque chose qui fût utile à ma famille mais qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et à l’Europe mais préjudiciable au genre humain, je le regarderais comme un crime. »Les lieux de vie, comme les générations, sont donc marqués par les interdépendances, n’est-ce pas un devoir moral de les construire dans la fraternité ?
-Outre la famille humaine, quels sont les autres fondements éthiques de la fraternité transgénérationnelle ?
Ne sommes-nous pas fraternisés par le commun, en particulier les périls les fragilités et les projets communs ?
Etre frères n’est-ce pas se rassembler contre des périls communs. Ils s’appellent et s’appelleront très certainement débâcle écologique, armes de destruction massive, inégalités criantes, toute-puissance de la techno science et des marchés financiers. C’est être frères contre les périls communs eux-mêmes, c’est l’attitude non violente fondée sur le respect des personnes et les dénonciations les remises en cause de mécanismes antifraternels.
D’autre part ce sont aussi les douleurs de la vie(la fraternité de la douleur) qui peuvent nous relier en étant à l'écoute des fragilités, celles des autres et les nôtres. Vont dans ce sens des religions, des cultures, des œuvres d’art, qui nous disent « çà n’est pas un fardeau que tu portes c’est ton frère. » Enfants en détresse sur notre terre : un sur deux aujourd’hui et combien demain ?
Et puis ne sommes-nous pas aussi fraternisés par les projets communs ? Etre frères c’est se rassembler à travers le temps pour préserver le bien commun et pour construire du commun c’est à dire relier, dans l’espace et dans le temps, le proche et le lointain ? Ces projets ne sont-ils pas témoignages de fraternités d’espérance s’ils répondent aux urgences et s’ils construisent des politiques à long terme ?
2- les expressions éthiques de la fraternité transgénérationnelle ?
-Les acteurs aux responsabilités très variables sont nombreux : Etats, organisations internationales, collectivités territoriales, entreprises, ONG, peuples, personnes…et d’autres acteurs à venir.
-Nous préférons insister ici sur les générations, témoins de ce que sont ces fraternités transgénérationnelles. Ce sont les vies de ceux et celles qui nous ont précédés à travers ces témoins d’humanité luttant contre des forces de mort, c’est ce patrimoine culturel qu’ils nous laissent avec un grand bonheur de le découvrir, de le partager et de le transmettre. Ce sont les vies de ceux et celles qui sont présents aujourd’hui, ces générations vivantes qui, si elles arrivent à penser et à mettre en œuvre des moyens fraternels porteront un projet d’humanité, alors, oui, il les portera à son tour. Ce sont les vies de ceux et celles qui vont nous suivre et qui peuvent nous dire : essayez, nous vous les prêtons, d’aimer le monde avec les cœurs et les esprits de ceux et celles qui vont arriver, et puis laissez-nous la liberté de devenir ce que nous voudrons être.
-Quels sont, au regard de l’éthique, les moyens et les fins de cette fraternité transgénérationnelle ?
D’un point de vue général on peut affirmer que la mondialisation productiviste contribue à la confusion entre les fins et les moyens. Les fins, c'est-à-dire les acteurs humains en personnes, en peuples, et en humanité, sont plus ou moins ramenés aux rangs de moyens. Les moyens, c'est-à-dire surtout la techno science et le marché, deviennent des fins suprêmes et tendent à occuper toute la place.
La fraternité, au sens éthique, en appelle à une cohérence entre les moyens et les fins. Les fins doivent être respectées, les moyens doivent être remis à leur place. Dans une formule radicale, restée à ce jour inégalée, Gandhi, dans cet ouvrage posthume « Tous les hommes sont frères », écrivait « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence». Cette cohérence signifie que si l’on veut construire des fraternités transgénérationnelles il faut des moyens fraternels, c'est-à-dire démocratiques, justes, écologiques et pacifiques. Après le politique et l’éthique…voilà le juridique.
C- Le juridique et la fraternité transgénérationnelle
-On peut se féliciter que le Conseil constitutionnel français ait reconnu dans une décision du 6 juillet 2018 "la valeur constitutionnelle du principe de fraternité", cela au même titre que celui de liberté et que celui d'égalité.
Désormais sa jurisprudence pourra y faire référence. C’est une avancée de principe très importante, d’autres développements s’y rattacheront dans l’avenir.
Comme on l’a affirmé dans l'affaire en question ("délit de solidarité"), ce principe "crée ainsi une protection des actes de solidarité".
Il est désormais acquis que chacun a « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ».
Dans cette logique, la fraternité transgénérationnelle , étant l’ une des formes de la fraternité, sera-t-elle mieux consacrée aussi dans des textes nationaux et internationaux ? En tous les cas on peut d’ores et déjà s’interroger sur son contenu et sa mise en œuvre.
1- Le contenu de ce principe juridique
-La spécificité de ce principe repose probablement sur la non-discrimination transgénérationnelle, inscrite dans le projet français de 2015 de la « Déclaration universelle des droits de l’humanité » qui sommeille dans un tiroir du Secrétariat des Nations Unies : « Les générations présentes ne devraient entreprendre aucune activité ni prendre aucune mesure qui auraient pour effet de provoquer ou de perpétuer une forme de discrimination pour les générations futures », cela au sens bien sûr des Pactes internationaux des droits de l’homme de 1966, mais aussi au sens des droits-solidarités en particulier du droit à la paix et du droit à l’environnement.
Cette spécificité du principe repose ensuite sur la protection de l’environnement et de la santé.
D’abord environnement et santé, y compris pour les générations futures, sont liés comme l’affirme la CIJ en 1997.
Ensuite comme l’exigent quelques conventions, « chaque génération humaine a le devoir de faire en sorte que le legs des ressources de la terre soit préservé et qu’il en soit fait usage avec prudence ».
Enfin, plus globalement, l’impératif de la protection de l’environnement repose sur la vie de l’humanité et de l’ensemble du vivant, donc, comme l’affirmait Charles Gonthier, « sur la fraternité dans ses dimensions universelle et temporelle. »
-Non seulement ce principe a une certaine spécificité mais ses interdépendances existent avec d’autres principes qui , eux aussi, se transgénérationnalisent.
Ainsi le principe des responsabilités des générations présentes envers les générations futures, consacré dans la Déclaration de l’UNESCO de 1997,le principe de solidarité par exemple sous la forme de l’assistance écologique qui est un devoir de la communauté internationale consacré par la Déclaration de Rio de 1992 , le principe de non régression selon lequel la protection de l’environnement ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante , le principe de dignité de l’humanité qui implique la satisfaction des besoins fondamentaux ainsi que la protection des droits intangibles.
A cela s’ajoute la proximité du principe de fraternité transgénérationnelle avec un concept transgénérationnel qui exige que des limites soient fixées aux activités humaines,« Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de limites? » demandait Jacques Ellul, concept qui est à base d’ autolimitation et de contrainte, concept sur lequel se greffent les principes de précaution, de coopération et d’autres à venir. Voilà pour le contenu, quelle est la mise en œuvre de ce principe juridique?
2- La mise en œuvre de ce principe juridique.
On se situe ici pour une large part dans le droit prospectif.
-Cette mise en œuvre doit se traduire par des interdictions à consacrer et par des biens communs à protéger.
Quelles interdictions ? Constitueraient des crimes écologiques contre les générations présentes et futures et contre le vivant, des mécanismes ayant des effets sanitaires et environnementaux sans limites dans l’espace et dans le temps, ainsi les recherches sur les armes de destruction massive, ainsi l’enfouissement irréversible des déchets radioactifs.
Quels biens communs à protéger ? Respecter la biosphère (maison commune de l’humanité et du vivant) et le patrimoine commun de l’humanité, organiser un accès universel et effectif aux biens communs indispensables à la vie des personnes, des peuples, des générations présentes et futures.
- Evoquons à travers des fonctions essentielles, une simple énumération de quelques institutions, existantes ou nouvelles à créer, porteuses de fraternité transgénérationnelle.
Fonctions de vigilance et d’anticipation, par exemple des gardiens et des Conseils pour les générations futures, des Assemblées législatives du long terme.
Fonctions de représentation, par exemple l’humanité aurait la personnalité juridique , l’Organisation mondiale de l’environnement qui verrait le jour pourrait alors la représenter .
Fonctions de sanction, par exemple des tribunaux nationaux, c'est le début d'un processus important condamnant des Etats à respecter leurs engagements de réduction des gaz à effet de serre, par exemple le tribunal déjà créé en 2012 « des crimes contre la nature et contre le futur de l’humanité », la création aussi un jour d’une Cour mondiale de l’environnement.
Conclusion relative a la fraternité transgénérationnelle
1/ La fraternité est-elle transgénérationnelle ?
Ethiquement il faut qu’elle le soit, c’est un devoir moral.
Politiquement il faut lui donner sa place, c’est une valeur essentielle.
Juridiquement il faut la construire, c’est un principe porteur.
2/ L’esprit de fraternité
Englobant cet ensemble le voilà, « l’esprit de fraternité », consacré par la Déclaration universelle des droits de l’homme dans l’article premier : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »
Esprit de fraternité porté par « les êtres humains doués de raison et de conscience ». Il doit souffler sur notre terre à travers les temps, par rapport aux générations passées, dans le respect du patrimoine mondial, par rapport aux générations présentes et futures dans la construction d’une communauté mondiale humainement viable.
Il doit faire, de tous envers tous, des tisseurs et des passeurs de fraternités.
62-Quels sont les éléments constitutifs de l’humanité ?
Exprimons au départ une conviction sur ce qu’elle n’est pas, puis soulignons ses éléments vitaux et enfin ses éléments importants.
1er point - Quels sont donc les éléments vitaux constitutifs de l’humanité ?
Il y en existe au moins trois : ses générations, son unité et ses diversités, et ses rapports avec la nature.
Premier élément vital : l’humanité est constituée par l’ensemble des générations passées, présentes et futures.
L’humanité s’incarne à travers les temps et les lieux, elle est un héritage, un temps présent, une promesse. Elle a quelque chose d’indivisible, c’est un grand tout, un ensemble, qui va de la première à la dernière génération, cela à travers l’histoire de l’humanité.
En même temps ce grand tout est composé d’éléments, les générations passées de loin les plus nombreuses (93 milliards de personnes cela représente 13 disparus pour un vivant actuel !), les générations présentes (7,5 milliards de personnes) caractérisées en particulier par leurs responsabilités de la continuité de la famille humaine, les générations futures, en nombre inconnu, dont on peut espérer qu’elles auront encore des marges de manœuvres.
Second élément vital : l’unité et les diversités de l’humanité .
Ne faut-il pas rechercher l’unité de l’espèce humaine ? Cette unité de l’humanité repose certes sur une donnée, les êtres humains ont des caractères qui définissent leur appartenance à l’espèce homo sapiens, mais cette unité va beaucoup plus loin. Elle est aussi une construction à travers des solidarités, à travers des luttes pour faire face aux périls communs. « Un seul monde ou aucun, s’unir ou périr » disait Einstein. Cette unité ne doit pas signifier une « uniformité uniformisante » aurait dénoncé Kostas Axelos. Le titre d’un rapport de l’UNESCO exprimait clairement cette exigence: « Voix multiples, un seul monde. »
Ne faut-il pas donc également respecter les diversités de l’espèce humaine ? Elles sont au cœur de nos relations avec les autres. (Attention : le passage qui suit peut-être très opérationnel dans nos vies personnelles et/ou collectives). Un acteur donné, par exemple une personne, un peuple, un pays, une culture, une génération, ne doit pas éliminer les différences, il faut prévenir et dénoncer ces pratiques de dominations qui débouchent souvent sur des drames terribles. Un acteur donné ne doit pas exacerber les différences, ce regard est lui aussi destructeur à travers la formation de replis identitaires qui au-delà d’un certain degré peuvent se traduire par des pratiques inhumaines. Un acteur donné ne doit pas effacer les différences, ce regard d’ « assimilation » consiste à dire que l’autre est notre égal … parce qu’il devient comme nous. Un acteur donné devrait avoir une attitude « d’ouverture » reposant sur le respect des différences qui correspond à « l’intégration. » On reconnaît des similitudes et des différences, c’est le grand principe de non-discrimination. Nous sommes égaux et différents, « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits(…) », il faut lutter pour conquérir et protéger ces égalités et pour que ces différences soient respectées. Ainsi les Etats parties aux deux Pactes internationaux des droits de l’homme de 1966 s'engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence « les droits reconnus dans ces pactes, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de religion, de langue, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance, de handicap, d’âge, d’orientation sexuelle ou de toute autre situation. »Ce respect des différences se manifeste par exemple entre autres à travers les expressions de l’ensemble des cultures. Il faut cependant ajouter que des différences ne doivent pas en appeler à l’inhumanité, à la haine de l’autre, dans ce cas elles sont inacceptables et se posent des questions de sanctions à adopter, et surtout des moyens à mettre en œuvre pour prévenir, en amont, de telles situations le plus souvent issues de désespoirs et/ou d’idéologies fondées sur l’administration des peurs, sur la fabrication de l’image de l’ennemi.
Troisième élément vital : l’humanité a des liens avec la nature.
L’humanité se situe dans un ensemble plus vaste qu’elle. Il existe aujourd'hui trois conceptions des rapports entre l’homme et la nature. La première conception de la nature est dominante, c’est l’anthropocentrisme. La nature est un objet au service des êtres humains. L’homme est tout-puissant par rapport au non-humain, il doit se comporter en « maitre et possesseur de la nature », il exerce, par le droit de propriété, un pouvoir absolu sur la nature qui est un objet de droit. La seconde conception de la nature est celle de l’éco-centrisme. La nature est un sujet, elle a une valeur intrinsèque, en elle-même, indépendamment de toute utilité pour les êtres humains. L’homme fait partie d’un ensemble, le vivant. Ayant vu le jour dans des civilisations très anciennes, en particulier amérindiennes, cette conception recommence à se développer depuis quelques décennies, par exemple la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les Droits de la Terre-Mère a adopté en 2010, à Cochabamba en Bolivie, une déclaration finale dans laquelle il est affirmé que « la Terre-Mère doit être reconnue comme source de vie, comme un être vivant ». Une troisième conception est celle de l’ anthropo-éco-centrisme. Cette synthèse veut dépasser les contradictions entre les deux visions précédentes pour contribuer à une véritable protection mondiale de l’humanité et de la nature. La nature est un donné et un construit pour les êtres humains (anthropocentrisme) et en elle-même (éco centrisme).L’humanité n’est pas au dessus de la nature. La nature n’est pas au dessus de l’humanité. L’humanité et la nature ont des liens de réciprocité, de complémentarité, d'interdépendance. L’humanité fait partie de la nature, la nature accueille l’humanité. La nature n’est pas objet ni sujet de droit, elle est projet de droit. Cette troisième conception se veut synonyme de responsabilités et de patrimoine commun. On retrouve ici Hans Jonas et son ouvrage « Principe responsabilité » avec en particulier cette pensée bien connue : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. »
2ème point- Quels sont les éléments importants constitutifs de l’humanité ?
Il en existe probablement au moins trois : les interdépendances, les formes du commun, et des concepts et principes.
Premier élément important : l’humanité est caractérisée par des interdépendances.
La Déclaration de Rio de 1992 affirme « La Terre, foyer de l’humanité, est un tout marqué par l’interdépendance. »L’humanité est porteuse de nombreuses interdépendances, pour le meilleur, pour l’entre deux, pour le pire. Parmi ces interdépendances celles entre les générations, entre les peuples, entre différents acteurs dans le temps, entre les activités, entre différents principes, différents droits, différents lieux, sans oublier les interdépendances entre les êtres humains et la nature.
Un des domaines les plus importants est ici celui de l’humanité et de ses territoires. Comment les qualifier ? Par exemple en affirmant que la Terre est notre foyer d’humanité, que les continents sont nos "matries", que les pays sont nos patries, que les régions les villes et les villages sont nos terroirs. Ces territoires nous aident à construire nos identités, à nous structurer. Mais ils ne doivent pas se refermer, devenir des fractures de l’humain, des administrations de peurs de l’autre, des fabriques de l’ennemi. Ils doivent se découvrir, s’interpeller, se compléter, s’incliner les uns vers les autres. (Je ne suis pas conseiller conjugal mais entre deux éléments, par exemple les membres d’un couple, on peut retrouver ces quatre attitudes : se découvrir, s’interpeller, se compléter, s’incliner l’un vers l’autre). Montesquieu, citoyen du monde, exprimait magnifiquement les interdépendances : « Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma famille mais qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et à l’Europe mais préjudiciable au genre humain, je le regarderais comme un crime. »Ainsi les lieux de vie, comme les générations, sont marqués par les interdépendances, n’est-ce pas un devoir moral de les construire dans la fraternité ?
Second élément important : celui du « commun ».
Voilà d’abord l’intérêt commun de l’humanité. Il a vu le jour peu à peu à travers les générations. Il a certainement pour noms démocratie, justice, écologie et paix. Il doit être fondé sur des finalités et des moyens démocratiques, justes, écologiques, et pacifiques. Cet intérêt dépasse les intérêts personnels, les intérêts nationaux, dépasse d’autres intérêts, ceux par exemple de firmes multinationales, de la techno science, et dépasse les intérêts communs des Etats. On sait que les confrontations des divers intérêts sont et seront loin d’être simples, l’intérêt de l’humanité a la caractéristique de tenir compte du long et très long termes, ce qui est loin d’être le cas de bon nombre d’autres d’intérêts tournés surtout vers le court et le moyen termes.
Voilà aussi les périls, les fragilités et les projets communs. Ne sommes-nous pas fraternisés par les périls communs ? Etre frères c’est se rassembler contre des périls communs. Aujourd’hui ils s’appellent débâcle écologique, armes de destruction massive, inégalités criantes, toute-puissance de la techno science et des marchés financiers… D’autre part ce sont aussi les douleurs de la vie qui nous relient, être à l'écoute des fragilités communes, celles des autres et les nôtres. Vont dans ce sens des religions, des cultures, des œuvres d’art, qui nous disent « çà n’est pas un fardeau que tu portes, c’est ton frère. » Un enfant sur deux est en détresse sur notre Terre : où est la fraternité des hommes ? Et puis ne sommes-nous pas aussi fraternisés par les projets communs ? Etre frères c’est se rassembler pour préserver le bien commun et pour construire du commun. De grands travaux démocratiques, justes, écologiques et pacifiques doivent et peuvent voir le jour.
Et puis voilà enfin les biens communs. Quels biens communs sont à protéger ? Respecter la biosphère comme un bien commun des êtres humains et de l’ensemble du vivant. Mais aussi les biens communs indispensables à la vie des personnes, des peuples, des générations présentes et futures, ainsi l’eau, l’air, le sol, le paysage, l’alimentation, l’habitat, la santé, l’énergie, l’éducation, la culture, doivent faire l’objet d’un accès universel et effectif. Il s’agit de mettre en avant des éléments qui, en dépassant le quadrillage étatique, en mettant des limites à la marchandisation du monde, en étant pensés sur le long terme, voudraient contribuer à préserver ce que l’humanité peut avoir d’essentiel.
(L’essentiel me renvoie parfois à ce sublime graffiti « To be or not to be –Shakespeare,to do is to be-Camus, to be is to do-Sartre,doo be doo be doo-Frank Sinatra.)
Troisième élément important : l’humanité est et doit être accompagnée de concepts et de principes.
Deux concepts paraissent essentiels. Le premier concept doit peu à peu voir le jour dans les vies des générations ce concept, porteur de principes (précaution, prévention…), le concept de limites au cœur des activités humaines. « Qu’est-ce qu’une société qui ne se donne plus de limites? » demandait Jacques Ellul. Sont vitales les pratiques de modération de ceux et celles qui, pris dans la fuite en avant des gaspillages, seront amenés à remettre en cause leur surconsommation, leur mode de vie, à brûler moins d’énergie pour adopter, disent les objecteurs de croissance, des pratiques de « frugalité conviviale ». Il s’agit d’aller, au Nord et au Sud de la planète, vers des sociétés écologiquement viables qui mettront en avant une relocalisation des activités, une redistribution des richesses à partir de fonds internationaux issus des taxes sur les marchés financiers et sur des activités polluantes.
Le second concept est celui des moyens proposés qui doivent être conformes aux fins que l’on met en avant. Une pensée de Gandhi est ici lumineuse, décapante, opérationnelle : « Les fins sont dans les moyens comme l’arbre est dans la semence. » Pour des fins démocratiques, justes, écologiques et pacifiques, il faut des moyens démocratiques, justes, écologiques et pacifiques.
Des principes doivent aussi accompagner chaque ordre juridique de chaque territoire, non seulement le principe de non-discrimination déjà évoqué mais aussi le principe d’humanité c’est-à-dire la possibilité d’avoir une vie digne répondant aux besoins essentiels, le principe de responsabilité des divers acteurs dans la construction des sociétés, le principe de diversité fondé sur le respect des différences, le principe de précaution qui consiste à ne mettre en œuvre de nouveaux produits et de nouvelles techniques que si des risques graves ou irréversibles n’existent pas, enfin le principe de non- régression environnementale, sorte de verrou juridique, selon lequel on ne peut pas remettre en cause une avancée environnementale.
63-Quels sont les droits de l’humanité ?
Voici l’arrivée dramatiquement trop lente de l’humanité dans l’ensemble des droits. Les droits de l’homme et les droits des peuples doivent s’appuyer sur ceux de l’humanité et réciproquement. L’humanité deviendra une forme de garantie (encore faible) de la survie de tous. Un juriste, René Jean Dupuy, écrivait : « Passer de l’homme aux groupes familial, régional, national, international résulte d’une progression quantitative. Accéder à l’Humanité‚ suppose un saut qualitatif. Dès lors qu’il est franchi, l’humanité doit, elle-même, jouir de droits faute de quoi les hommes perdraient les leurs. »Trois points proposés : Quelle est la situation du droit international en vigueur, quel est le droit en gestation et que pourrait-on imaginer par rapport à la justice ?
1er point- L’humanité est entrée dans le droit international public par la porte du drame puis la porte de la possession.
D’abord les crimes contre l’humanité. Après les crimes nazis le Tribunal militaire international de Nuremberg a consacré dans le droit positif cette définition reprise et développée par l’article 7 paragraphe 1 du Statut de 1998 de la Cour pénale internationale. «On entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile, et suivent onze crimes contre l’humanité (extermination, réduction en esclavage, déportation, la 11ème qualification est celle des « Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. »
Voilà ensuite, toujours en droit international public, le patrimoine commun de l’humanité (PCH) qui est consacré en droit positif. Le PCH au sens propre est celui d’éléments qui appartiennent juridiquement à l’humanité. Il s’agit des fonds marins, de la Lune , des autres corps célestes, et du génome humain .Beaucoup d’auteurs s’arrêtent là et n’ont pas une vue d’ensemble d’autres formes qui se rattachent au PCH. En effet le PCH au sens large comprend aussi des éléments constitués par des espaces internationalisés qui doivent être explorés et exploités dans l’intérêt de l’humanité. Il s’agit de l’espace extra atmosphérique et de l’Antarctique. Vient ensuite le PCH au sens plus large, c’est la Convention sur le Patrimoine mondial conclue dans le cadre de l’UNESCO, patrimoine constitué par certains biens naturels (à ce jour 197) et culturels(802) ou mixtes (32), qui restent sous les souverainetés étatiques, mais qui nécessitent d’être protégés dans l’intérêt de l’humanité parce qu’ils présentent un intérêt exceptionnel.
Avec les crimes contre l’humanité et le PCH il faut ajouter le droit humanitaire qui repose surtout sur les quatre conventions de Genève de 1949, par exemple celle sur la protection des populations civiles pendant les conflits armés. L’humanité est là puisque l’on fait référence à tout le genre humain sans discrimination.
Il faut ajouter enfin le droit international de l’environnement dans lequel les générations présentes et futures sont souvent consacrées dans des déclarations et des conventions internationales ou régionales.
2ème point- L’arrivée des droits et des devoirs relatifs à l’humanité .
En premier lieu dans quels textes trouve-t-on ces droits ? Dans des conventions mais elles sont rares, ainsi par exemple dans la Convention de Bonn de 1979 sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, un préambule affirme que « Chaque génération humaine détient les ressources de la terre pour les générations futures et a la mission de faire en sorte que ce legs soit préservé et que, lorsqu’il en est fait usage, cet usage soit fait avec prudence. » Existent également quelques déclarations comme celle de Stockholm de 1972 sur l’environnement qui en appelle à « l’homme » et à son « devoir solennel de préserver et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures »,la Déclaration de l’UNESCO de 1997 sur « les responsabilités des générations présentes envers les générations futures », de façon globale le projet de « Déclaration universelle des droits de l’humanité » de décembre 2015(écriture à laquelle j’ai eu la joie de participer) et qui sera peut-être un jour modifiée et adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies .
En deuxième lieu quel est le contenu des droits et des devoirs , qui sont donc en gestation, et que l’on trouve dans cette dernière déclaration ?
Le droit à la non-discrimination générationnelle qui exige que les activités ou mesures entreprises par les générations présentes n’aient pas pour effet de provoquer ou de perpétuer une réduction excessive des ressources et des choix pour les générations futures.
Et puis suivent quatre autres droits : à la démocratie, à la justice, à l’environnement, à la paix.
Quant aux devoirs les générations présentes ont le devoir d’assurer le respect des droits de l’humanité. Elles sont aussi garantes des ressources écologiques et du patrimoine commun. Afin d’assurer la pérennité de la vie sur terre, les générations présentes ont le devoir de tout mettre en œuvre pour préserver les équilibres climatiques, et élaborer un statut international des déplacés environnementaux. Les générations présentes ont le devoir d’orienter le progrès scientifique et technique vers la préservation de la santé de l’espèce humaine et des autres espèces. Les Etats et les acteurs publics et privés ont le devoir d’intégrer le long terme dans leurs décisions.
Troisième et dernier point- Ne faut-il pas créer un système de personnalité juridique, de représentation et de juridiction ?
D’abord l’humanité ne devrait-elle pas avoir la personnalité juridique pour défendre ses droits ? Le fait aussi que l’humanité et le vivant soient côte à côte dans cette défense serait symbolique, ils dépendent l’un de l’autre, leur sort est lié, leur défense serait conjointe.
Ensuite la représentation est une difficulté connue, on est dans le droit prospectif, dans l’imagination juridique. Qui va être légitime pour représenter l’humanité c'est-à-dire les humains qui existent (c’est déjà difficile) et aussi ceux qui n’existent plus et ceux qui n’existent pas encore ? Le droit international public a déjà répondu, à sa façon, à la question de la représentation. En effet qui représente l’humanité à laquelle appartiennent les fonds marins ? Les Etats ont répondu par un tour de passe passe. Humanité es-tu là ? Pas de réponse. Il est donc logique que nous, Etats à travers l’Autorité des fonds marins, nous décidions à la place de l’humanité irreprésentable. Lorsqu’un jour il sera question de représenter l’humanité il n’est pas sûr que l’Assemblée générale des Etats de la future Organisation mondiale de l’environnement(OME), suffise à le faire. Il sera souhaitable qu’interviennent aussi des acteurs autres que les Etats, par exemple des ONG, des gardiens de l’humanité...Votre imagination juridique fera le reste.
Enfin quelles juridictions ? L’Organisation mondiale de l’environnement pourra alors, au nom de l’humanité et du vivant, engager un recours devant la justice mondiale, une juridiction spécifique sera peut-être créée, la Cour mondiale de l’environnement(CME). En attendant cela des ONG et des mouvements sociaux ont commencé à poser des cailloux blancs sur ce chemin, à travers les créations de tribunaux, en particulier sur la justice climatique, qui participent à ces prises de conscience. Parmi d’autres, fondé en Equateur en octobre 2012 , un « tribunal pour les crimes contre la nature et contre le futur de l’humanité », des dossiers sont constitués, des victimes écoutées, les condamnations sont éthiques, morales. Enfin des ONG et des citoyens, par exemple aux Pays-Bas, ont fait récemment condamner par un tribunal cet Etat qui ne respectait pas ses engagements de réduction de gaz à effet de serre, cela au nom des générations présentes et futures.
64-Et l’espérance de l’humanité ?
- Ce que n’est pas l’espérance de l’humanité
L’espérance de l’humanité n’est pas une illusion fumeuse, une incantation magique, une représentation impossible, une nébuleuse floue, une étoile inaccessible, l’occasion d’un exercice de trémolos dans la voix ou un gadget pour idéaliste …
Elle n’est pas non plus un refuge à l’abri du présent, une fuite des responsabilités, un mythe d’une communauté unanime, une forme d’appel à la bonne conscience, un immense cortège ne distinguant plus les responsables et les victimes, un souci de luxe de fins du monde loin des fins de mois, un lot de consolation distribué par les maitres aux esclaves ou le camouflage d’un gigantesque cimetière des rêves trahis et des espoirs déçus…
-L’espérance de l’humanité n’est-elle pas celle des vies passées, présentes, futures ?
L’espérance de l’humanité pour des croyants c’est celle d’un dieu qui n’abandonne pas les êtres humains, qui les aime et les appelle à aimer. Il y a aussi une autre façon de la concevoir et de la vivre, soit complémentaire soit exclusive de la précédente :
On peut affirmer alors que l’humanité s’incarne à travers les temps et les lieux. L’humanité est à la fois et tour à tour un héritage, un temps présent, une promesse. Ainsi l’espérance de l’humanité
-ce sont les vies de ceux et celles qui nous ont précédés à travers ces témoins d’humanité, connus et inconnus, luttant contre des forces de mort, c’est ce patrimoine culturel qu’ils nous laissent avec une immense chance, un grand bonheur de le découvrir et de le partager,
-ce sont les vies de ceux et celles qui sont présents aujourd’hui, ces générations vivantes qui, si elles arrivent à penser et à mettre en œuvre des moyens démocratiques, justes, écologiques et pacifiques, porteront un projet d’humanité, alors, oui, il les portera à son tour,
-ce sont les vies de ceux et celles qui vont nous suivre et qui peuvent nous dire : notre confiance en vous nous la risquons à nouveau. Essayez, nous vous les prêtons, d’aimer le monde avec les cœurs et les esprits de ceux et celles qui vont arriver, et puis laissez-nous la liberté de devenir ce que nous voudrons être.
Pablo Neruda fait dire à tous les peuples martyrs « Aucune agonie ne nous fera mourir. » Cri de grande douleur, de résistance et d’espoir fou ! La douleur peut nous casser, la fraternité peut, encore et encore, contribuer à nous mettre debout. Ainsi, tant que dureront les êtres humains, l’espérance de l’humanité n’est-elle pas inépuisable ?
- Quel peut être notre souffle, quel peut être mon souffle dans cette chaine des générations ?
Nous entendons encore les pas de ceux et celles qui viennent de nous quitter, nous entendons déjà les pas de ceux et celles qui vont nous suivre.
- Ne sommes-nous pas comme les maillons d’une gigantesque chaine ?
Générations présentes nous voilà responsables de la transmission du patrimoine commun de l’humanité. Cet immense héritage est à la fois un donné et un projet. Ce patrimoine commun et ces biens communs passent par nous, ils devraient nous porter au-delà de nous-mêmes.
L’humanité s’incarne à travers le temps, elle peut contribuer à nous transformer personnellement et collectivement, cela à travers des remises en cause de rapports de forces et à travers des pédagogies de catastrophes.
Pour résister à l’intolérable et pour construire un monde démocratique, juste, écologique, pacifique, le souffle de ceux et celles qui nous ont précédés et celui de ceux et celles qui vont nous suivre peuvent contribuer à nous porter, mais c’est notre souffle, celui des vivants que l’on attend. Et c’est notre souffle qui nous attend.
- Et mon souffle dans cette chaine ?
Et mon humanité ? Ne sera-t-elle pas d’autant plus vivante que la voilà partie prenante (« un sac pour recevoir ») et donnante (« un sac pour donner ») dans la chaine des générations ?
Ne peut-elle pas contribuer à me transformer ? Plus nous portons un projet d’humanité plus il peut nous porter à son tour.
Serons-nous, personnellement et collectivement, indifférents, tièdes, somnolents, désenchantés, résignés
ou voulons-nous devenir ou rester des veilleurs debout ?
Lorsque, dans nos vies personnelles et/ou collectives, existent la grisaille, les brouillards, les ombres, l’obscurité ou les ténèbres de certains instants présents, ne pouvons-nous pas essayer, autant que faire se peut ( ?!…), de les resituer dans la perspective de l’espérance de l’humanité ? Difficile à exprimer, mais encore beaucoup plus difficile – ou parfois impossible- à vivre, et pourtant ce peut être une force et une chance que celle d’entrer dans cette espérance de l’humanité.
Chanter embrasser partager l’espoir …
Quel espoir ? Celui de nos remises en cause, personnelles et collectives qui donneraient plus de marges de manœuvres surtout aux générations encore jeunes, et à celles qui naitront dans les quelques décennies à venir : ne seront-elles pas aux avant-postes de tous les défis?
Quel espoir ? Celui que ces générations futures puissent connaitre l’amitié, l’amour, la fraternité, l’art qui brisent des solitudes, changent des destins et qualifient des vies.
Deux remarques sous forme de conclusion.
1-La chaine des générations …
Un tableau de Petrus Paulus (vers 1600) représente Enée, général troyen, qui fuit la ville de Troie en flammes prise par les grecs. Suivi par sa femme il tient son fils par la main et il porte sur le dos son vieux père qui, lui-même, tient les pénates (divinités protectrices du foyer) de ses ancêtres. Les voilà partis pour fonder une nouvelle ville.
Une grande statue en bois du XVème représente l'archange Raphaël qui tient par la main le jeune Tobie, il lui propose un chemin pour aller chercher un poisson miraculeux qui guérira son père.
Ainsi marchent dans leurs nuits, avec fragilités et courages, faiblesses et forces, des vivants qui cherchent des lumières , ils invitent ceux et celles venant après eux à les partager et, à leur tour, à en allumer d'autres à travers les temps .
2-Quelle invitation à l’essentiel ?
Enfin , ne l’oublions pas : s’il y a le sens de l’abime(pessimisme de l’intelligence), s’il y a le souffle d’une espérance possible(optimisme de la volonté), n’existe-t-il pas, aussi, tout simplement une invitation à l’essentiel que nous rappellent un vieux texte indien d’Amérique et une chanson du peuple Inuit :
« Les ruisseaux coulent, les fleuves roulent, les océans grondent.
Qui suis-je ? Un grain de sable sur une grève immense ?
Mais qui suis-je pour demander « qui suis-je » ? N’est ce pas déjà assez d’être » ?
« Et pourtant, pourtant : il y a une chose qui est grande
C’est, dans la cabane, sur le bord du chemin,
De voir venir le jour, le grand jour
Et la lumière qui emplit le monde. »