Dans un lettre adressée personnellement, fin juillet, par le président français, Emmanuel Macron, à son homologue camerounais Paul Biya, on peut lire ceci: «il me revient d’assumer aujourd’hui le rôle et la responsabilité de la France dans ces événements» [la répression sanglante contre les mouvements indépendantistes camerounais en 1955, NDLR]. Quoique tardive, cette reconnaissance marque un tournant dans l’histoire de l’ex puissance coloniale en Afrique francophone, et centrale en particulier.
Pour rappel, c’est lors de sa visite au Cameroun, en juillet 2022, que Emmanuel Macron décida de mettre sur pied une commission de travail composé de quatorze historiens français et camerounais, chargés de préparer un rapport. Pour faciliter les recherches, les archives françaises furent rendues accessibles, «afin de faire la lumière sur les événements de la période de l’indépendance camerounaise», selon le vœu du président français. À vrai dire, les nombreuses pressions exercées sur le pouvoir camerounais afin d’obliger la France à reconnaître ses crimes coloniaux, et verser des réparations, ont beaucoup pesé dans la balance. Si l’on en croit Karine Ramondy, historienne et co-présidente de la commission mixte franco- camerounaise, le rapport final d’un peu plus de 1000 pages, conjointement remis à Paul Biya et Emmanuel Macron, est un «[…] rapport scientifique qui fournit une analyse historique et historiographique du rôle de la France au Cameroun». D’où la double satisfaction du palais de l’Élysée et du palais d’Étoudi. Emmanuel Macron allant jusqu’à promettre de collaborer avec le Cameroun, pour parachever les recherches, et les mettre ensuite à la disposition des universités et des organismes scientifiques. Ce rapport pourra également être consulté gratuitement en accès libre, sur un site dédié et sécurisé, assure Karine Ramondy. Plus enthousiaste, le président camerounais organisa une cérémonie officielle pour la réception du rapport, se félicitant du «travail remarquable et de conciliation mémorielle d’une grande portée[…], pour restituer l’authenticité des faits et des récits, afin de faire émerger la vérité»
Longtemps occultée et absente de l’historiographie officielle, voire carrément niée pendant plus d’un demi-siècle par les dirigeants français qui se sont succédé, à l’instar de l’ancien Premier ministre, François Fillon, qui qualifia, en 2009, de «pure invention» le rôle de l’armée française dans l’assassinat des résistants de l’Union des Populations du Cameroun (UPC), la guerre du Cameroun de 1955 à 1971, et bien après l’indépendance en 1960, est considérée comme l’une des plus brutales et des plus meurtrières de la France coloniale en Afrique centrale. Aussi, à partir du 1er janvier 1960 , les autorités du nouvel État camerounais, dirigé par le très françafricain Ahmadou Ahidjo, prendront le relais de l’administration coloniale, poursuivant de terribles exactions contre leurs propres compatriotes, jusqu’en 1964. Dans cette nouvelle guerre par procuration, l’armée française conservera néanmoins un rôle essentiel, fournissant à l’État camerounais, conseils et logistique.
Retour sur une guerre anticolonialiste cachée.
Faussement présentée comme une banale «opération de maintien de l’ordre» et un simple conflit de décolonisation (comme en Algérie), la guerre du Cameroun ne fut pas moins une véritable guerre anticolonialiste et d’indépendance. Parfaitement structurée dans son organisation, et dirigée par des chefs déterminés, elle a tôt fait de s’adosser à l’influent et populaire parti politique: l’Union des Populations du Cameron (l’UPC), véritable force nationaliste, créée en 1948, et dont l’objectif principal était : l’indépendance immédiate et l’unification du Cameroun, alors sous double mandat français et britannique. On comprend dès lors, pourquoi ce parti, affilié au Parti Communiste français, et qui comptait 20 000 membres et 80.000 sympathisants - selon certains historiens - , et dont la branche militaire: l’Armée de Libération Nationale du Kamerun (l’ALNK) rompue aux méthodes de guérilla, fut banni par l’administration coloniale française. C’est dans ce contexte répressif, marqué par la multiplication d’émeutes, de sabotages et de manifestations, sur fond de revendications syndicales, que l’armée française assassina, en septembre 1958, dans le maquis, l’un des chefs de l’UPC et fondateur de l’ANLK, Ruben Um Nyobé. La même année, son successeur, Félix Roland Moumié, fut empoisonné au thallium par les services secrets français à Genève, où il s’était exilé plus tôt . Ce qui obligea l’UPC , légalisée en 1959, dans la foulée des élections pour l’indépendance, à retourner dans la clandestinité. Mais l’accession de ce pays à sa souveraineté n’a pas empêché la poursuite des opérations de répression contre l’ANLK, dont le dernier leader, Ernest Ouandié, fut exécuté, après un procès expéditif et public, par les autorités camerounaises, conseillées par des officiers français. Le bilan de la guerre du Cameroun qui prit fin en 1971, fait l’objet de plusieurs controverses : le rapport des historiens avance le chiffre de 80 000 victimes. Quant aux autorités françaises et camerounaises, elles restent taiseuses sur le nombre exact. De même, on ne connaîtra jamais également, le vrai bilan des répressions sanglantes qui ont suivi les émeutes de 1955 dans plusieurs villes du Cameroun. On parle de plusieurs centaines de morts, alors que l’administration française n’en dénombre officiellement que 22 victimes. Sans doute, la déclassification des archives du Ministère de la Défense français, encore estampillées «secret défense», permettra-elle, un jour, de lever entièrement le voile sur la réalité des atrocités commises au nom de la France, par ses troupes, qui n’hésitèrent pas à appliquer sur les populations camerounaises, les mêmes méthodes expérimentées dans d’autres conflits coloniaux, comme en Indochine ou en Algérie: déplacements forcés de populations, guerre psychologique, destruction de villages entiers au napalm, assassinats de militants indépendantistes, envoi de milliers de Camerounais dans des camps d’internement, soutien aux milices brutales, pour ne retenir que ces cas.
Une reconnaissance sans repentance, ni réparations pour les victimes.
En tentant de reconnaître enfin la réalité de la guerre du Cameroun et d’assumer le passé colonial de la France, Emmanuel Macron a, sans doute, voulu redorer l’image de son pays de plus en plus ternie sur le continent noir. Aussi, la missive adressée à son homologue camerounais, ne manque-t-elle pas de soulever quelques interrogations: quid de la repentance officielle de la France? Quid des réparations pour le peuple camerounais, dont certaines victimes, encore en vie, gardent toujours les séquelles physiques et psychologiques des atrocités des années de plomb, entre 1945 et 1971? Le rapport des historiens reste évasif là-dessus. Même si le président français a à peine effleuré la problématique des réparations, cette «reconnaissance en trompe l’œil» évite soigneusement d’aborder l’épineuse question de l’assassinat des 4 figures historiques de l’UPC. Surtout, l’élimination ciblée, à Genève, de Félix Moumié, alors que les commanditaires, clairement identifiés, n’ont jamais été inquiétés par la justice française depuis plus de 60 ans. Il est vrai que, dès sa prise de pouvoir en 2017, Emmanuel Macron s’est fait le chantre de la condamnation - formelle - de la colonisation française, allant jusqu’à qualifier celle-ci de « crime contre l’humanité» en Algérie, avant d’opérer, juste après, une révision déchirante de cette position que d’aucun avaient alors perçue comme très courageuse. «Il n’y aura ni repentir, ni excuses», déclara-t-il mutatis mutandis. En 2024, Macron avait également reconnu la responsabilité de l’armée française dans le massacre des tirailleurs sénégalais, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à Thiaroye (Sénégal). Trois ans plus tôt, il n’avait pas hésité à fustiger l’attitude de la France qui avait «privilégié le silence plutôt que la recherche de la vérité», pendant le génocide rwandais, où furent massacrés 800 000 à 1000 000 de Tutsis et de Hutus modérés, par des extrémistes Hutus. Faut-il enfin signaler ici, la constante opposition des dirigeants français à réparer les crimes passés de la France esclavagiste et colonialiste? Qu’il s’agisse de la demande de réparations pour les descendants des victimes de l’esclavage et la traite négrière, pourtant déclarés comme Crime contre l’Humanité par le Parlement français en 2001, ou pour les victimes des crimes commis dans les anciennes colonies d’Afrique et d’Asie. Au constat, la rhétorique anticolonialiste, sans «repentir ni excuse», marque de fabrique de la Macronie, se fracasse bien souvent au mur de la Françafrique impénitente. À l’exemple du discours, aux relents paternalistes de Macron, à la Conférence des Ambassadeurs, en janvier dernier. Invectivant les panafricanistes, qualifiés d’"anti-français", et vitupérant contre les chefs d’États souverainistes de l’AES : Burkina Faso, Niger et Mali, en rupture de ban avec la France accusée de velléités néocolonialistes, le locataire de l’Élysée avait réussi à fédérer contre lui certains alliés traditionnels du pré carré françafricain.
Lawoetey-Pierre AJAVON