Monsieur le Président de la République française,
Dix-huit ans après l’outrageant discours de Dakar de votre prédécesseur, monsieur Nicolas Sarkozy, disant aux Africains qu’ils n’étaient pas «assez rentrés dans l’Histoire» - ironie de l’histoire, lui- même vient d’y rentrer comme le premier Président français condamné à une peine de prison, voilà que, reprenant à votre compte la rhétorique sarkoziste, vous interpeliez vos pairs africains, à l’occasion de la Conférence des ambassadeurs, le 6 janvier dernier, sur un ton peu amène et peu diplomatique, voire, franchement arrogant et méprisant. Le président d’un grand pays comme la France, qui se flatte de posséder l’un des plus vastes réseaux diplomatiques -le troisième du monde, ainsi ne pouvait ignorer que l’art de la diplomatie exemplaire est avant tout, la culture de l’humilité, la modestie et l’esprit de compréhension des autres. À l’évidence, le gouvernement du verbe musclé, commandé par l’amertume, le sentiment de domination et l’arrogance, se serait substitué à la courtoisie inhérente à la diplomatie conventionnelle.
Monsieur le Président, nous avions appris dans les universités françaises que la langue française était, à tort ou à raison, la langue de la diplomatie. Même si elle subit depuis peu, la concurrence acharnée de l’anglais, perçu comme la langue par excellence des affaires et de la finance internationale. Or, force est de constater que votre style de langage aux relents paternalistes, et le ton discourtois dont vous êtes coutumier, s’inscrivent dans le registre de transgression des règles de la bienséance, achevant ainsi, de ternir votre image sur le continent africain. On comprend dès lors, le ressentiment de bon nombre d’Africains qui ont saisi vos propos comme une atteinte à leurs valeurs culturelles, et un manque de politesse à l’endroit de leurs dirigeants dont la plupart sont vos aînés, surtout, dans des sociétés où le droit de primogéniture garde encore son sens sacré et symbolique. Par ailleurs, votre hommage aux 58 soldats français, morts au Mali, sans mentionner les milliers de victimes civiles et militaires africaines, a été amèrement vécu par les Sahéliens comme une sorte de concurrence sélective des mémoires, établissant de fait, une distinction macabre entre bons et mauvais morts. Au demeurant, votre renouement avec les méthodes nostalgiques coloniales, étayé par la récurrence de votre style dédaigneux, masquent mal l’impuissance et l’ incapacité de la France« à assurer à l’Afrique, sa sécurité et sa souveraineté », comme vous le rappelait avec justesse, le Premier ministre du Sénégal. Sans doute, emporté par votre hargne, n’avez-vous pas suffisamment pris toute la mesure de l’impact psychologique, politique et diplomatique de votre discours sur les opinions publiques africaines qui se demandé, si vous auriez eu la même attitude condescendante à l’égard des chefs d’États européen, asiatique et américain. De votre longue diatribe diplomatique, je ne retiendrai qu’un maître mot autour duquel vous aviez articulé votre argumentaire: ingratitude. Certains dirigeants africains, prétendez vous, auraient oublié de vous remercier, car, sans l’intervention des armées françaises, leurs pays perdraient leur souveraineté devant la menace djihadiste.
Monsieur le Président, permettez moi d’abord, ce bref rappel historique: en mars 1966, le Général de Gaulle ordonna la fermeture des bases militaires américaines sur le sol français, avant de se retirer plus tard, de la structure de commandement militaire intégré de l’OTAN. Justifiant cette décision, il invoqua le sacro-saint principe de souveraineté de la France, estimant qu’elle «ne devait pas laisser son indépendance se diluer». Qui avait osé alors relever l’ingratitude du Général de Gaulle envers les États-Unis, dont on rappellera le sacrifice de leurs 292 000 soldats pour libérer la France pendant la Seconde Guerre mondiale? Aussi, à l’instar du Chef de la France libre, toute proportion gardée, certains chefs d’États africains, également soucieux de l’indépendance de leurs pays, ont mis un point d’honneur à exiger en toute souveraineté, la fermeture des bases militaires françaises sur leur territoire. Ce qui a pu attiser votre courroux, vous incitant par conséquent à leur brûler la politesse. «Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà», disait en son temps, Blaise Pascal.
Vous accusez ces dirigeants souverainistes africains d’ingratitude. En la matière, la France n’a pas de leçons à leur donner, et c’est peu de dire que votre posture relève du négationnisme historique et du déni mémoriel: on sait comment la France colonialiste avait remercié en 1944, les tirailleurs africains- dont la plupart furent enrôlés de force, qui ont combattu à ses côtés pendant la Deuxième Guerre Le massacre de plusieurs centaines d’entre eux au camp Thiaroye (Sénégal) restera comme une tache sur la conscience de leur hiérarchie. Une autre ingratitude coloniale sur laquelle la France est taiseuse: contre leur engagement dans les armées françaises, on promettait aux soldats africains de la Grande Guerre, la citoyenneté; or cette promesse n’a jamais été tenue pour ces hommes qui ont donné leur force de travail, leur sueur et leur sang pour la liberté de la France. C’est vous dire, monsieur le Président, que les Africains ont largement payé leur dette de sang au cours des deux Guerres mondiales, pour l’existence de la «mère patrie», comme on le leur inculquait à l’époque. «Ils sont tombés fraternellement unis, pour que vous soyez libres», lit-on encore aujourd’hui sur certains monuments aux morts.
Vous proclamez urbi et orbi que la « France n’est pas en recul en Afrique; elle est lucide, elle se réorganise, s’adapte». Cette déclaration montre à suffisance votre dessin inavoué: la pérennisation du néosocialisme ainsi que l’hégémonie et patrimoniale dans les ex-colonies. Visiblement, vous êtes disposé à ne rien lâcher! De plus, vous n’avez cessé, à longueur de vos discours, d’asséner à vos compatriotes des contre-vérités au sujet d’une certaine jeunesse africaine supposément anti-française. Non monsieur le Président! Les Africains – du moins les francophones, ne sont pas anti-français. Ils ont toujours partagé avec les Français, la même histoire, la même culture et la même langue., Il vous souviendra qu’après la défaite de la France face à l’Allemagne nazie en juin 1940, c’est à Brazzaville (Afrique Équatoriale française) proclamée capitale de la France libre, que s’était replié le Général de Gaulle, pour former un Conseil de Défense tenant lieu de gouvernement. C’est également sur l’immense Empire colonial français (Afrique équatoriale et occidentale), qu’il compta pour libérer son pays. Son fameux appel du 18 juin, lancé depuis la radio de Londres: «La France n’est pas seule! Elle n’est pas seule! elle a un vaste empire derrière elle», est encore présent dans tous les esprits. L’histoire retiendra aussi que, c’est depuis une autre capitale africaine, Fort Lamy au Tchad, (actuel N’Djamena), où le Général Leclerc a pu rassembler 400 combattants, dont 250 Africains, avant de se lancer à l’assaut de la forteresse de Koufra en Libye contre les alliés italiens de l’Allemagne, donnant ainsi à l’armée française sa toute première victoire, depuis l’occupation allemande de juin 1940.
Monsieur le Président, encore une fois, les Africains ne sont pas anti-français. Ce que rejette singulièrement la nouvelle génération africaine, que qualifiez méprisamment de «panafricanistes de bon aloi, de faux intellectuels», c’est votre politique néocoloniale. Ce qu’elle rejette par-dessus tout, c’est votre paternalisme débridé, méprisant et humiliant, ainsi que vos insultes à l’autorité de leurs dirigeants, comme à Ouagadougou en 2017, avec l’ex-président burkinabé Kaboré. On se rappellera également, votre agaçante injonction, à la suite de votre «convocation» du G5 Sahel, en 2019, à Pau. Ce que rejette enfin la jeunesse africaine, ce sont vos «obsessions du passé», vous inclinant à considérer que l’Afrique constitue toujours votre chasse gardée. Voyez vous, monsieur le Président, votre tort comme celui de vos prédécesseurs, de tous bords politiques, est de ne pas avoir anticipé la montée en puissance d’une déferlante juvénile, le panafricanisme chevillé au corps – même si le concept vous répugne, et résolument décidée à prendre en mains le destin de l’Afrique. Mieux formée dans les universités euro-américaines et africaines, et connectée à la modernité, aux sens propre et figuré, cette jeunesse (y compris sa diaspora), se fait fort de prendre aujourd’hui ses distances avec l’assujettissement de ses aînés politiques à la Françafrique prédatrice, depuis les indépendances nominales qui ont abouti aux décolonisations ratées.
Monsieur le Président, la vérité est que la France n’a plus les moyens de sa politique en Afrique. Sous votre houlette, contrairement à vos allégations, elle est en constant recul sur ce continent, où elle voit son influence se réduire en peau de chagrin, et son image de plus en plus écornée, du fait de votre diplomatie du mépris et style de langage. Plongée dans une profonde léthargie économique et budgétaire, elle peine à retrouver sa stabilité institutionnelle et politique, et subit une concurrence agressive des pays émergents. Aussi, votre sortie du 6 janvier dernier apparaît comme le chant du cygne d’une ex puissance tutélaire en déclin.
Je vous prie, monsieur le Président, de bien vouloir m’excuser pour avoir trempé mon clavier dans une marmite d’amertume, pour paraphraser un vieux précepte de chez moi: amertume toutefois, à la hauteur de votre impudence.
Lawoetey-Pierre AJAVON